samedi 28 juin 2014

Editorial: La course est finie, les paris sont ouverts...



L’élection présidentielle a vécu. Premier constat : deux semaines de vacarme et des meetings à n’en plus finir n’auront pas convaincu les citoyens d’aller accomplir leur devoir civique. Moins de 45% des mauritaniens en âge de voter ont fait le déplacement. Les hommes d’affaires, les banquiers, les notabilités et les petits roitelets locaux ont, pourtant, tous été mis à contribution. Avec un seul mot d’ordre : tirer le taux de participation vers le haut. Des milliers de personnes ont été ainsi déplacées pour le vote. C’était la course à celui qui ramènerait la « meilleure » urne. Dans certains bureaux de vote à l’intérieur du pays, le nombre de votants fut, pile poil, égal à celui des inscrits. Aucun absent, ni voyageur, ni malade. Et ce ne sont pas seulement les personnes qui ont fait le déplacement. Des milliers de cartes d’identité ont été envoyées aux quatre coins du pays. L’essentiel était que le taux montât, au fil des heures, pour atteindre 100%, par endroits. Des miracles comme seule sait en produire la démocratie mauritanienne.
Second constat : avec plus de 81% des suffrages exprimés, le président candidat est, incontestablement, le grand vainqueur de la consultation. Avec une confortable majorité à l’Assemblée nationale, il peut, désormais, voir venir les cinq prochaines années. Mais à quel prix ? Le taux de participation, dont on a fait le principal enjeu de cette élection, en l’absence de l’opposition, a-t-il atteint un seuil de « légitimation » ? L’élection a-t-elle soldé la crise politique que nous vivons depuis 2008 ? Avec un taux de participation de 56 % des inscrits (soit environ 19 points de moins que lors des dernières municipales et législatives), peut-on dire qu’Ould Abdel Aziz est mal élu ? Que le mot d’ordre de boycott, lancé par l’opposition, a porté ?
Avec une telle démobilisation de l’électorat, l’opposition peut-elle regretter, a contrario, de ne pas avoir pris part au scrutin ? Aurait-elle dû investir l’arène, pour tenter de porter un coup au pouvoir d’Ould Abdel Aziz, l’affaiblir et éviter qu’il ne rentre, dans son second mandat, « comme dans du beurre » ? Quand finira-t-elle par comprendre que les marches et les meetings, certes signes de vitalité démocratique, ne servent que le régime en place ?
Les thuriféraires de celui-ci vont, certainement, pavoiser le pays des 82% de votants pour leur champion ; d’autres ne lui reconnaîtront que 43% des inscrits, quand d’autres encore s’inquièteront de son maigre score de 34% auprès des mauritaniens en âge de voter – à peine un sur trois ! – un piètre actif que contesteront, sans aucun doute, les derniers, évoquant diverses fraudes... Une telle cacophonie peut-elle déboucher, à terme, sur une négociation généralisée des conditions existentielles de notre démocratie ? Peut-être vaut-il mieux parier, en effet, sur les résultats de la Coupe du Monde…

                                                                                                  Ahmed Ould Cheikh

dimanche 22 juin 2014

Editorial : Gangrène



Voila plus de dix jours que la campagne électorale pour la présidentielle du 21 juin est lancée. Et, mis à part quelques tentes dressées sur les principaux axes de Tevragh Zeïna, distillant toutes sortes de musiques, rien ne sort véritablement de l’ordinaire. On est loin des campagnes de 2007 et 2009, où il y avait une réelle concurrence. Même si l’on s’est rendu compte, par la suite, que ce n’était que du pipeau. Que les jeux étaient déjà faits. Que les vainqueurs étaient connus d’avance. Les campagnes n’étaient destinées qu’à endormir le petit peuple, lui faire croire qu’il existe une possibilité d’alternance et que notre démocratie est bien réelle. Mais, cette fois, rien de tout cela. Ni campagne digne de ce nom, ni débat, encore moins de démocratie. Juste un président-candidat à sa propre succession et de candidats prêts à jouer les faire-valoir. Hormis Biram, qui décoche quelques flèches empoisonnées (mais pas plus qu’il n’en faut) à destination d’Ould Abdel Aziz, les autres « prétendus prétendants » au fauteuil donnent l’impression qu’ils ne sont là que pour remplir une mission, boucler un parcours et attendre la suite. Seul le président-candidat essaie d’animer le débat, lors des meetings qu’il anime, au pas de charge, dans les chefs-lieux de régions. II ne manque pas une occasion d’encenser son œuvre, nous révélant, au passage, que la Mauritanie n’existait pratiquement pas avant 2009. Et de s’en prendre ouvertement à l’opposition, des « vieillards incapables », aux gabegistes, dont certains comptent, pourtant, parmi ses soutiens les plus farouches, et aux civils qui ont « bousillé » l’Armée, en y introduisant des idées politiques nocives.
Il semble avoir oublié que la plus grande manœuvre de sape de l’Armée fut entreprise sous Maaouya, de façon à ce qu’elle ne soit plus un danger, faisant sienne la célèbre adresse de Hassan II à ses officiers : « laissez la politique, enrichissez-vous ! » Aziz était, à ce moment, aux avant-postes et ne pouvait pas ne pas voir le degré de pourrissement qu’avait atteint la Grande Muette. Il a d’ailleurs fait, de son redressement, un de ses principaux chantiers, dès son accession au pouvoir. Dans quel but, pensez-vous, sinon en faire un pilier de son pouvoir. Mais la médaille a son revers. En prenant goût à l’argent facile et au confort, les officiers, qui voient l’argent couler à flots mais pas toujours dans leur direction, risquent d’avoir des idées vraiment nocives cette fois.
La pente semble fatale. Une fois exclu le jeu démocratique, le coup de force devient le seul mode de dévolution du pouvoir. Pour en minimiser les risques, il faut limiter la force des éventuels adversaires. Par l’oppression ou le pourrissement. Le premier terme de l’alternative – la privation des libertés – actuellement très déconsidéré par la « Communauté internationale », il ne reste plus que le second. Mais c’est une gangrène. Elle affecte tout le corps social et le développement, accéléré, de la délinquance, sous toutes ses formes, est le signe, indubitable, de l’avancée du mal. Vers quelles amputations Ould Abdel Aziz conduit-il la Mauritanie ? Au service de quels intérêts ?

                                                                                                    Ahmed Ould Cheikh

samedi 14 juin 2014

Editorial : La démocratie assoiffée



La campagne électorale est lancée. Depuis le vendredi 6 juin à 0 heures. Dans une morosité totale. Si l’on excepte Nouakchott – Tevragh Zeïna, devrais-je plutôt dire, les autres moughataas pauvres ne semblent guère concernées par ce « sport de riches » – et Kaédi où le président-candidat a entamé sa tournée, dans le reste du pays, c’est comme si rien n’a changé. L’ambiance bon enfant, la ferveur partisane et la bonne humeur, qui ont marqué les campagnes précédentes, sont, cette fois, totalement absentes. L’absence de challengers sérieux, pour une élection gagnée d’avance, a, sans doute, influé négativement sur l’engagement des militants et autres « souteneurs professionnels ». Ould Abdel Aziz l’a d’ailleurs bien compris, en s’attaquant, ouvertement, à l’opposition boycottiste, « oubliant » ses rivaux de l’heure, auxquels il n’a adressé la moindre pique. Le bon sens aurait bien voulu qu’il leur taille quelques petites croupières, ne serait-ce que pour donner un semblant de crédibilité à un processus à sa botte. Dont l’issue ne fait pas de doute mais dont l’enjeu principal est le taux de participation. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, qu’Aziz a beaucoup insisté, dans son discours d’ouverture, sur la nécessité de se mobiliser pour le vote. L’ombre du Forum National pour la Démocratie et l’Unité plane sur la campagne. L’immense marche qu’il a organisée, la semaine passée, sonne comme une alerte pour le pouvoir, désormais dans l’obligation d’obtenir un taux de participation honorable. Ce qu’il ne semble pas avoir compris. La mobilisation n’est toujours pas au point et le nerf de la guerre est le grand absent de cette campagne. Habitués, par le passé, à voir l’argent couler, à flots, avant toute élection, les Mauritaniens acceptent difficilement d’en être sevrés. L’absence de la moindre conviction politique étant la « qualité » la plus partagée, il faut délier les cordons de la bourse, si l’on ne veut pas être jeté aux orties.
On évoque, pourtant, quelques milliards qui auraient été collectés, auprès des banquiers et autres hommes d’affaires, toujours prompts à se montrer généreux, chaque fois que le titulaire du Palais gris se lance dans une campagne pour son élection, pour le Livre ou le Savoir pour tous. Deux ou trois d’entre eux sont toujours aux premières loges, aux meetings du président-candidat. On se demande d’ailleurs à quel titre. La démocratie, ailleurs, préfère ne pas voir les argentiers qui la manipulent. Ici, ils doivent s’exhiber, pour la motiver. Et l’arroser. Il ne restera plus qu’à relever le taux de participation pour mesurer l’ouverture des vannes. Comme un compteur SNDE. C’est simple, la politique en Mauritanie, ça coule de source…
                                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

dimanche 1 juin 2014

Editorial: A quand la fin du néant ?

Les dés sont désormais jetés. L’élection présidentielle aura bien lieu le 21 juin prochain. Le pouvoir n’ayant strictement rien concédé à une opposition qui n’en demandait pas tant. Résultat des courses : une élection tronquée, comme les législatives et municipales de l’année dernière. Sans opposition véritable, point de scrutin crédible, serait-on tenté de dire. Le pauvre citoyen, à qui personne n’a demandé son avis, semble, lui, hors-jeu de ces chaises plus grinçantes que musicales. Sa vie est, désormais, non pas un long fleuve tranquille mais un parcours du combattant. Il observe, de loin, les querelles de chapelles et se dit qu’au vu des expériences passées et quel que soit celui qui héritera des commandes, son quotidien n’en sera que plus dur. Il avait écouté, religieusement, celui qui s’était baptisé « président des pauvres » et qui entend bien le rester, grâce aux prix de plus en plus inabordables. « Président, de plus en plus riche, des plus en plus pauvres » : ne s’est-il pas joliment orné, le titre de notre prince ? Comme ceux qui l’ont précédé et ceux qui le suivront, notre Raïs demeure fidèle à la même religion : le petit peuple ne mérite pas qu’on se tracasse pour son bonheur. Il est petit, que voulez-vous… Tel un mouton de Panurge, il vous suivra, tant que vous resterez en selle. Trotte donc, belle chamelle ! On aura toujours des matraques pour tabasser les ânes qui refuseraient d’avancer. Il y en a de plus en plus, d’ailleurs, de ces grandes oreilles qui n’entendent rien. C’est bien normal : l’Education n’éduque plus personne, depuis belle lurette. Quant à la Santé, elle est à l’agonie. La Justice ? Totalement inféodée à l’Exécutif. La vie ? De plus en plus chère. L’ouguiya bat de l’aile. Mais qui se soucie de ces détails ? On a accroché le pays aux résultats d’un hypothétique dialogue qui n’a jamais rien donné. Il y reste suspendu, comme une corde de puits à un arbre mort. Les puisatiers, ceux qui étaient censés abreuver le peuple, ils n’ont, eux, plus qu’un souci en tête : le pouvoir ! Comment y accéder, comment s’y maintenir ? Et pendant que ceux-là se prennent la tête à ce vertige, le troupeau des ânes et des moutons grignote, comme il peut, en attendant une toujours plus illusoire soudure. Alors, une élection farceuse par-ci, une farce électorale par-là, ça l’occupe… Mais ça l’amuse de moins en moins. On en verra bien la fin, de ce néant. Un jour ou l’autre.

                                                                                                                                     Ahmed Ould Cheikh