mardi 21 août 2012

Editorial : L’espoir fait vivre


Coup de tonnerre en Egypte où le nouveau président, Mohamed Moursi, a subitement décidé de prendre le taureau par les cornes, en admettant à la retraite le ministre de la Défense, Housseïn Tantaoui, et le chef d’état-major, Sami Annane. Le premier a dirigé la transition, après la chute de Hosni Moubarak, et hérité du poste de ministre de la Défense, après l’élection présidentielle qui a vu la victoire du candidat des Frères musulmans. On le considérait intouchable, tant l’armée est puissante, dans un pays dont elle détient les leviers depuis 1952. Et, n’eût été la pression populaire, elle allait faire élire son candidat à la magistrature suprême, Ahmed Chafiq, l’ancien Premier ministre de Moubarak. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Tantaoui a cédé le pouvoir à Moursi, en prenant soin d’en garder une partie au ministère où il s’est proposé. Mais le nouveau président, craignant que son pays ne prenne le chemin de la Mauritanie ou de la Turquie, où l’Armée soit reste au pouvoir soit en détient de larges pans, ne l’entendait pas de cette oreille. Il a décidé de marquer son territoire et de démontrer, une fois pour toutes, qui est le chef.
Imaginez Sidi Ould Cheikh Abdallahi en Mohamed Moursi. La ressemblance semble, certes, très hasardeuse. Le premier a été coopté par les militaires, pour barrer la route au candidat de l’opposition, et le second a été élu contre l’avis de la Grande muette. La nuance est de taille. Mais les circonstances faisant l’homme, si, dès sa prise de fonctions, Sidi avait décidé de jouer à l’ingrat et de renvoyer les généraux qui l’avaient fait roi, on n’en serait pas là où nous sommes. On ne serait pas tombés aussi bas dans la déchéance. On n’aurait pas porté un coup, fatal, à notre démocratie balubutiante. On aurait, déjà, organisé une autre élection présidentielle en 2012. On n’aurait pas perdu tous ces financements, à cause du coup d’Etat de 2008. On aurait renvoyé, pour de bon, les militaires dans leurs casernes. On n’aurait pas autant de généraux, pour une armée de quelques milliers d’hommes. On n’aurait pas un président qui méprise ses soutiens et n’a aucun respect pour ses opposants. On n’aurait pas un président comptable du budget de l’Etat avec lequel il « règle » ses comptes. On n’aurait pas un président dont les proches, pauvres il y a peu, sont en train de brasser des milliards, alors qu’il prétend faire de la lutte contre la gabegie son principal cheval de bataille. On n’aurait pas un président qui intervient dans le plus petit marché de l’Etat, pour qu’il soit attribué à tel ou tel. On n’aurait pas un président qui parle, pendant plus de trois heures d’horloge, pour ne rien dire. On n’aurait pas un président qui fonde une compagnie aérienne, structurellement déficitaire, pour ses propres voyages qui ont coûté, au contribuable, près d’un milliard d’ouguiyas, en trois ans. On n’aurait pas un président, dépourvu de toute notion d’économie, qui décide de ramer à contre-courant, en fondant, à la pelle, des sociétés publiques, alors que la tendance générale est au désengagement de l’Etat. On n’aurait pas un pays isolé dont les relations avec tous ses voisins sont au plus mal. On n’aurait pas un Etat qui vend tout, même ses pièces d’état-civil.
Arrêtons-nous là ! Avec des si, disent les Français, on mettrait Paris en bouteille. Certes mais il est permis de rêver. Tôt ou tard, nous aurons notre Mohamed Moursi. Ce ne fut pas Sidioca. Ce sera un autre. L’espoir fait vivre.

                                                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

jeudi 9 août 2012

Editorial : Le chef a toujours raison


Pour le troisième anniversaire de son investiture à la tête de l’Etat, Ould Abdel Aziz a choisi, cette année, d’aller faire son show à Atar. Depuis plusieurs jours, c’est le branlebas de combat, dans cette ville sortie, soudainement, de sa torpeur ramadanesque. Les organes de presse officiels, le protocole d’Etat, la sécurité, les hauts responsables, les applaudisseurs de partout se sont passé le mot, pour donner, au président, l’illusion que tout va bien dans le meilleur des mondes et que les citoyens sont unanimes, dans leur soutien à sa politique « éclairée ». C’est donc très confiant, ce dimanche 5 août vers 23 heures 30 mn, qu’Ould Abdel Aziz se présente à la tribune officielle, dressée au stade d’Atar pour l’occasion. Rapidement, l’ambiance se gâte. Les applaudisseurs, recrutés pour l’occasion, donnent de la voix, l’empêchant de continuer son exposé. Et quelques militants de l’opposition, infiltrés, crient des slogans hostiles. Ils seront rapidement maîtrisés. Mais le mal est fait. Donnant l’impression de tendre l’oreille à ce qui se dit dans le public, il perd son assurance. Il commence son exposé par un long monologue sur la situation économique, donne des chiffres reluisants, s’empêtre dans des comparaisons, hésite sur les montants. Il parle de l’accord de pêche avec l’Union européenne, omettant volontairement celui, léonin, accordé aux Chinois, de l’électricité, de l’eau qui coule, à flots, dans tous les coins du pays, du nombre d’aides-soignants recrutés, l’année passée. Il nous sort, une nouvelle fois, trouvaille du siècle, l’inadéquation formation/emploi qui explique, selon lui, le « faux » chômage qui frappe la jeunesse. Mais, s’étonne un journaliste, « cette situation économique que vous qualifiez d’excellente n’a aucun impact sur la pauvreté et n’a pas résorbé le chômage, monsieur le président ». Tout est dit.
Sur le plan politique, Ould Abdel Aziz n’a pas dérogé à la règle. Pour lui, il n’y aucune crise politique, seulement de la médisance. L’opposition veut accéder au pouvoir ? Seulement par la voix des urnes, sans préciser  s’il faut un coup d’Etat avant. « Dégage ! » n’a jamais fait partir personne – Ben Ali, Moubarak, Kadhafi, vous êtes où ? – La proposition de Messaoud pour un gouvernement d’union nationale, éludée. Le dialogue ? Il n’a pas échoué. Ses résultats sont visibles et les élections auront lieu bientôt. La question nationale ? Le passif humanitaire a été réglé et l’enrôlement se passe dans les meilleures conditions. La répression policière ? Ceux qui organisent des marches sans autorisation administrative s’exposent à des sanctions et, comme aux USA ou en Suède (sic !), ils sont réprimés et peuvent même perdre la vie. Aucun mot de compassion pour les familles des victimes, ni regret ni remords. La grâce de Biram ? « Ne pas perdre espoir », répond le maître, ignorant sans doute qu’on ne gracie que les condamnés…
Concernant le Mali, Ould Abdel Aziz a écarté toute intervention militaire de la Mauritanie, dans le nord de ce pays désormais aux mains des jihadistes. Une position raisonnable, quand on sait que Sarkozy, qui le poussait à traquer AQMI au-delà de ses frontières, avec les résultats qu’on sait, a passé la main à un socialiste ne manifestant aucun empressement à collaborer avec son pouvoir.
Par contre, le président n’a pas dit un mot sur la justice, dont l’état de déliquescence dépasse l’entendement, les marchés douteux, l’enrichissement de ses proches, les agréments bancaires délivrés à sa parentèle.
Pour ce troisième one-man-show, on aurait aimé voir un président décontracté, ouvert, n’ayant rien à cacher et répondant à toutes les interrogations. On a eu un homme crispé, campant sur ses positions et ne reconnaissant aucune faute. Que dit l’article 1 du règlement militaire ? Que le chef a toujours raison. Rompez !
                                                                                            Ahmed Ould Cheikh

dimanche 5 août 2012

Editorial : Crédibilité ? Mais de qui ?


Plusieurs fois annoncée, la visite, dans la région, de Laurent Fabius, le nouveau ministre français des Affaires étrangères, a finalement eu lieu cette semaine. Elle a été consacrée à la lutte contre le terrorisme, qui a déjà infesté le Mali et dont les effets néfastes menacent dangereusement la zone. Fabius ira, successivement, au Tchad, au Niger, au Sénégal et au Burkina Faso, en prenant bien soin d’exclure la Mauritanie de ce périple. Pourtant situé sur la ligne de front, notre pays, dont la France connaît parfaitement l’importance géostratégique et son osmose avec l’ensemble de la zone et des groupes humains qui la parcourent, du Tiris à l’Azawad, n’aura même pas droit à une escale. Officiellement, on évoque une surcharge d’agenda qui ne permettrait pas, au ministre, de trouver le temps de rencontrer et le président, et l’opposition et la société civile. Ce serait, en effet, du plus mauvais effet que de venir dans un pays dirigé par un homme fort à l’appartenance trop avérée avec cette Françafrique que la Gauche française prétend combattre, sans rencontrer une opposition dont le chef de file est un « frère » socialiste, en l’occurrence Ould Daddah. Surtout qu’il y a quelques semaines, le coup de fil d’Ould Abdel Aziz à Hollande – ou le contraire, on ne sait plus, tant les versions divergent – et l’annonce d’une possible visite de Fabius en Mauritanie avaient suscité une levée de boucliers de certains cercles français influents qui ne veulent pas, arguments de faits et de personnes à l’appui, que la France traite avec le « putschiste » de Nouakchott et qui s’appuient explicitement sur la proposition 58 du candidat François Hollande pendant sa campagne présidentielle. Du coup, le patron de la diplomatie française a été obligé de faire machine arrière, au moins dans un premier temps, en donnant la priorité à des pays du pré carré, censés être plus importants, pour la France, et dont les dirigeants ne sont pas aussi contestés que le nôtre à Paris maintenant que le cours y a changé et qu’à l’Elysée, les «intermédiaires » jusque là patentés, ne sont plus admis.. Cours anticipé il y a longtemps par le Premier Ministre de François Mitterrand… Laurent Fabius n’avait-il pas publié son trouble que soit reçu le général Jaruzelski, enfermant la Pologne et son avenir dans un soi-disant état de guerre pour y museler Solidarnosk et Lech Walesa ?
 La France pourra-t-elle, pour autant, se passer de la Mauritanie, dans sa lutte contre le terrorisme au Sahel ? Ignorer le pays qui historiquement et ataviquement connaît le mieux la succession et la psychologie des chefs et des recruteurs d’AQMI ? Difficile de répondre par l’affirmative quand on sait que Sarkozy avait demandé, à Ould Abdel Aziz, de jouer au gendarme dans la zone, encourageant et armant le MNLA, pour en faire un auxiliaire dans le combat contre les terroristes. Avec le résultat qu’on sait et les morts dont le français Michel Germaneau. Les socialistes ne seraient-ils pas si convaincus de l’engagement loyal de la Mauritanie dans cette guerre ? Aussi bien avec Macky Sall qu’avec Ouattara qu’il a déjà reçus, François Hollande a insisté sur la nécessité d’une intervention étrangère, sous couvert de la CEDEAO, pour libérer le Nord-Mali, et il y met manifestement le prix. Une façon de préciser l’option que privilégie la France pour le règlement de ce problème. Glissement vers l’Afrique noire, rupture totale avec la méthode Sarkozy ? C’est ce qui explique pourquoi Fabius ne s’est pas empressé de venir à Nouakchott, préférant lui consacrer une  hypothétique autre visite. Et dire qu’Ould Abdel Aziz comptait beaucoup sur le soutien de la France, pour financer sa guéguerre contre Al Qaïda. C’est son compère El Ghazouani qui a été convoqué pour consultation à Paris et qui a été décoré : plus fiable ? Après 1984 et 2008, la France se choisissant le meilleur sécuritaire ? Voilà qui va doucher ses ardeurs belliqueuses et… autres petits profits annexes…
Reste un défi pour l’opposition. Sa crédibilité ne peut dépendre du regard de l’ancienne métropole sur elle : toujours mitigé. Son succès et l’avenir du pays ne seront pas fonction des échecs et des erreurs d’Ould Abdel Aziz, d’une diplomatie régionale maladroite, de relations personnelles mauvaises avec des pairs pourtant décisifs de Dakar à Ouagadougou. Si la vraie réponse au terrorisme et aux sécessions, aux coups militaires est l’esprit démocratique et l’union nationale, l’opposition doit encore les formuler et en convaincre directement les Mauritaniens. La Mauritanie vraie ne renaîtra pas seulement par défaut du pouvoir actuel.

Ahmed Ould Cheikh