lundi 26 janvier 2015

Editorial : Antidote

Dans la mythologie populaire maure, on raconte qu’une certaine Mint Steïli fut mordue par un serpent. Son venin était tellement puissant qu’il la tua sur le coup, ainsi que tout son voisinage et les femmes qui lui firent la toilette mortuaire. La Maurisbank est-elle en train de devenir le serpent de Mint Steïli des temps modernes ? L’affaire, qui déjà emporté le gouverneur de la Banque centrale, coupable d’avoir laissé pourrir la situation, en laissant cette société piller les milliards déposés par ses clients, vient de faire une nouvelle victime : le directeur général de la Caisse de Dépôt et de Développement (CDD), accusé d’avoir placé quelques centaines de millions dans ce « trou sans fond(s) » qu’est devenue la Maurisbank. On en est même à se demander si le venin n’a pas étendu ses dégâts au ministère des Finances dont le chef vient de faire les frais du dernier remaniement ministériel. Et l’on risque ne pas s’arrêter là. D’autres têtes vont encore tomber, si l’on va au bout de l’enquête. Dix-huit milliards d’ouguiyas ne peuvent pas s’évaporer sans un réseau tentaculaire de « distribution », bien huilé et disposant d’appuis à plusieurs niveaux. Sauf si, comme toutes celles qui l’ont précédée, cette affaire finit en queue de poisson. Ce pouvoir a, en effet, la fâcheuse habitude de ne pas jamais clore un dossier qu’il a ouvert. Riz avarié, Air Mauritanie, CAPEC, perception du Trésor au Port, Commissariat aux Droits de l’Homme, Mauritania Airways, aucun n’a été vidé. Tous ceux qui y avaient été impliqués, à tort ou à raison, s’en sont sortis avec des libertés provisoires et, telle une épée de Damoclès dans la seule main d’« En-Haut », la menace perpétuée de retourner en prison.
Serait-ce donc pour limiter la visibilité de l’empoisonnement des affaires qu’on a dilué le départ de Thiam Diombar dans un remaniement de circonstances ? Le directeur général des Impôts a été promu à la place de son patron. Celui qui n’avait pour seul souci que d’amasser le plus d’argent au Trésor, quitte à pressurer le contribuable au maximum, s’est fait beaucoup d’ennemis. Exécutant parfois zélé, il est récompensé pour services rendus et pour son dévouement, aveugle, au guide éclairé qui a su utiliser, pas toujours à bon escient, ses « talents », pour (tenter de) mettre à genoux tel ou tel adversaire de son pouvoir. Autre singularité du mini-remaniement : la promotion de Vatma Vall mint Soueïna aux Affaires étrangères. Etrangères surtout à elle, comme dirait feu Habib. Professeur à l’Université, ministre de la Culture depuis moins d’un an, elle aura la lourde tâche de diriger un département qui a besoin de mobilité, de tact, d’expérience et de…. diplomatie. C’est la deuxième fois, sous Ould Abdel Aziz, qu’une femme prend la tête de ce ministère très sensible. Un record, dans un monde arabo-musulman passablement misogyne. Est-ce là le chambardement qu’annonçait, depuis quelque temps, Ould Teguedi, le ministre sortant ? Passé l’effet d’annonce, que changera cette nomination à notre tatillonne diplomatie ? Pas grand-chose, probablement, puisque c’est toujours exclusivement « En-Haut » qui décide les affaires. Toutes les affaires ? S’il est vrai que les serpents se mordent souvent la queue, on ne sait jamais d’où part la pichenette qui inaugure la dégringolade des dominos.
Et l’on comprend bien, alors, qu’une queue de poisson, hâtivement placée en aval du désastre, paraisse, vue d’En-Haut, le meilleur antidote au venin.
                                                             Ahmed Ould Cheikh


lundi 19 janvier 2015

Editorial: Mouvements bancaires

a nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Vendredi, en fin de matinée, les administrations venaient de fermer. Soudain, un communiqué laconique de la présidence de la République annonçait la nomination d’un nouveau gouverneur de la Banque Centrale et, donc, le limogeage de celui dont le mandat avait été pourtant renouvelé, il y a à peine quelques mois. Autre singularité : c’était de tradition que tout haut cadre sous mandat dont on voulait libérer le poste soit, tout simplement, nommé à une autre fonction, mais, apparemment, cela n’a pas été le cas pour Ould Raïss. Aurait-il été « démissionné » ? On susurre, en effet, qu’Ould Abdel Aziz aurait très mal pris l‘anarchie régnant en notre système bancaire et dont la crise, à la Maurisbank, n’est que la pointe émergée. Une façon comme une autre de noyer le poisson et de jeter l’opprobre sur des responsables qui le sont si peu. Notre rectificateur en chef nous a-t-il a dit et répété que c’est lui qui supervise tout, gère tout et garde un œil sur tout ce qui bouge ? N’est-ce pas lui qui délivre les (dés)agréments bancaires ? A tel point qu’on dispose, désormais, d’une vingtaine de banques, pour un pays de trois millions d’habitants, doté d’un très faible taux de bancarisation. Si l’on compte les établissements de micro-crédit et de leasing, neuf nouvelles ont été autorisées à exercer depuis 2008. Qui dit mieux ? Peut-on imaginer, un seul instant, Ould Raïss prendre l’initiative de délivrer le moindre agrément, sans le feu vert d’« En haut » ? Et, a contrario, avait-il la moindre latitude d’en retirer un seul ? Pouvait-il permettre, à la Maurisbank, d’initier ses activités, alors qu’elle n’avait pas libéré la majeure partie de son capital ? Comment expliquer qu’il l’ait laissée continuer à les exercer, alors qu’elle était exclue de la compensation depuis près de dix mois ? La réponse coule de source. Dans un pays comme le nôtre où le Président est omnipotent et le gouverneur de la BCM, même fort d’un mandat, n’est qu’un simple exécutant, certaines interrogations n’ont aucunement lieu d’être.
Il ne s’agit nullement de disculper l’ancien gouverneur dont la gestion fut loin d’être exempte de reproche. Dans l’affaire de la Maurisbank, il a laissé pourrir la situation, sans tirer les signaux d’alarme. Il aurait alors mis le Président devant ses responsabilités et, sait-on jamais, évité que des milliards partent en fumée, après la saignée qu’a connue le Trésor public. Il aurait pu faire preuve d’un tout petit peu de zèle, comme celui qu’il avait mis à tenter de mettre la GBM à genoux, faisant tout pour lui porter l’estocade. Avec, pour seul résultat, de donner l’impression qu’il s’acharnait contre un établissement dont le principal actionnaire n’était pas en odeur de sainteté avec « En-haut ».
La deuxième véritable crise qu’il eût à affronter l’a donc emporté. Responsable ou bouc émissaire ? On ne saura jamais. Comme leurs frères d’alcôve, les secrets bancaires ne sont dévoilés que lorsqu’une des parties s’estime trahie ou trompée. Ould Raïss aura-t-il le courage de franchir le Rubicon ? Sachant qu’un train peut en cacher un autre, on ne peut que lui conseiller de faire très attention, avant de traverser la voie. Mais il est probable que ce conseil lui soit inutile : non seulement, il est trop poli pour cracher dans la soupe mais il doit en avoir conservé quelques soupières, sinon containers, en quelque réserve privée… Il y a bel et bien des limites, aux mouvements bancaires.

                                  Ahmed Ould Cheikh

lundi 12 janvier 2015

Editorial: Voeux pieux

Une année s’achève, une autre commence. Souhaitons-nous la donc bonne et faisons des vœux. Espérons, d’abord, que 2015 ne sera pas comme 2014. Qu’il y aura plus de pluie au cours du prochain hivernage. Que le pouvoir fera preuve d’un peu plus de sérieux, dans sa volonté d’entamer un dialogue franc et sincère avec l’opposition. Que cette dernière acceptera la main, si elle est sérieusement tendue, du pouvoir. Qu’il y aura des élections législatives et municipales véritablement transparentes qui verront la participation de tous les partis. Que la crise politique ne sera plus qu’un lointain souvenir. Que les prix du fer monteront et que Tasiast et MCM daigneront nous donner, ne serait-ce qu’une portion congrue de nos richesses qu’elles exploitent. Qu’il n’y aura plus ni marché de complaisance ni marché de gré à gré. Que le secteur bancaire et la presse seront assainis. Que notre guide éclairé voyagera moins, qu’il comprendra qu’il n’a pas que des ennemis et qu’il ne peut pas tout faire tout seul.  Que les rapports de l’IGE seront suivis d’effet. Que le Sénat disparaîtra à jamais. Que la Banque centrale retrouvera sa vocation de régulation et de supervision du système bancaire. Que la pêche disposera d’un plan de sauvetage. Que le pouvoir arrêtera de fonder des sociétés nationales  et assimilera le fait qu’on ne peut assurer le développement sans un secteur privé dynamique. Que le riz mauritanien sera meilleur. Qu’il y aura moins de meurtres et de viols, dans nos grandes villes. Que la police sera réhabilitée, pour mieux lutter contre la criminalité. Qu’il y aura un grand débat national sur l’esclavage, ses séquelles, le passif humanitaire et la cohabitation entre nos différentes communautés, pour s’attaquer, enfin, aux vrais problèmes de notre pays. Qu’il n’y aura plus ni procès politique, ni arrestations arbitraires, ni tortures, dans les commissariats et les prisons. Que nos ministres seront de vrais ministres, ayant leur mot à dire et non de petits exécutants frileux. Qu’il y aura des ambassadeurs dignes de ce nom, et non pas des parachutés n’ayant rien à voir dans la diplomatie et plus enclins à se servir qu’à servir leur pays. Que les promotions et les nominations ne seront plus de népotisme. Que le système sanitaire sera plus performant. Que l’Education arrêtera de former des cancres et des illettrés. Qu’il y aura moins d’accident sur nos routes. Que le prix des hydrocarbures baissera, comme dans les pays voisins. N’en jetez plus, la cour est pleine ? Mais je n’ai qu’à peine entamé la liste des urgences ! Ah, c’est trop tard, on est le 7 Janvier ? Alors, ce ne seront que des vœux pieux ? Voilà au moins de quoi réjouir notre république islamique…
                                                                                            Ahmed Ould Cheikh

dimanche 4 janvier 2015

Editorial: Comme de nuit noire

Alors que 2014 tire à sa fin, la nouvelle année ne commence pas, c’est le moins qu’on puisse dire, sous les meilleurs auspices. Quand l’improvisation tient lieu de feuille de route, où peut-on aller ? Rien qu’à voir le tableau général qu’offre notre pays, sous la direction éclairée de son rectificateur en chef, on a des sueurs froides. A vous de juger et la liste, hélas, n’est pas exhaustive. Notre démocratie balbutie : le processus dit de Nouakchott, qui devait accueillir onze chefs d’Etat, n’en reçoit, finalement, que quatre ; les relations, tendues, avec l’Union européenne, avec qui les négociations, pour le renouvellement de l’accord de pêche, sont suspendues et qui condamne, ouvertement, l’arrestation de Biram et de ses amis ; le Quai d’Orsay qui prête, désormais, une oreille plus attentive à la question de l’esclavage.
Notre situation économique n’est guère plus florissante : scandales financiers qui se multiplient, mal gouvernance de plus en plus pointée du doigt, fortunes qui s’accumulent en un clin d’œil, revenus de nos principales exportations qui baissent drastiquement. La scène politique ? Bloquée : la crise couve toujours, depuis 2008, aucun dialogue ne pointe à l’horizon, les acteurs ne s’accordent aucune confiance et le législatif, censé organe de contrôle, est, plus que jamais, aux mains de l’exécutif. La situation sociale ? Explosive : question de l’esclavage et de ses séquelles toujours pas réglée, relents communautaristes de plus en plus présents, tandis qu’un concert de voix s’élève, pour demander plus de justice sociale et une redistribution des richesses, après des décennies de privations. La sécurité ? Inexistante :  le viol et le meurtre odieux de la petite Zeineb, après celui de Penda Sogue (et beaucoup d’autres encore) en disent long sur l’incapacité de l’Etat à assurer la quiétude à ses citoyens.
Tableau pas vraiment idyllique, donc. Que faire alors ? Gouverner, dit-on, c’est prévoir. Malheureusement, notre point fort, à nous Z’autres les Rimiens, comme dirait Marien Derwich, est de ne rien prévoir mais de vivre au jour le jour. On aurait pu, par exemple, prévoir la chute, inévitable, des cours des matières premières et ne pas tout dilapider. On aurait dû, aussi, prévoir une foultitude d’autres choses, pour ne pas en arriver là. Mais de ce pays, personne ne se soucie vraiment. On ira donc à 2015 comme de nuit noire, en quête d’un puits. A tâtons. En priant Dieu de nous le mettre en chemin… et de nous éviter d’y tomber
                                                                                   Ahmed Ould Cheikh