dimanche 22 février 2015

Editorial: Au pays des aveugles...


« Atteinte à la démocratie », « gangrène », l’ancien président sénégalais Abdou Diouf n’a pas été tendre avec les coups d’Etat. Dans ses « Mémoires », publiées en octobre dernier, celui qui a cédé le pouvoir au terme d’une alternance pacifique, ne tarit pas d’éloges sur l’armée de son pays. Lisez plutôt : « Je rends grâce à Dieu et je me réjouis de ce que notre cher Sénégal ait, jusqu’ici, échappé aux tentatives de coups d’Etat qui furent légion en Afrique au lendemain des indépendances. Je souhaite vivement qu’il en soit ainsi pour toujours. Si nous n’avons pas connu cette atteinte à la démocratie, c’est, en grande partie, parce que, terre de vieille culture et de tradition démocratique bien ancrée, le Sénégal a eu également la chance d’avoir une armée républicaine faisant corps avec la nation. Nombre de ceux qui composent notre armée, officiers comme sous-officiers, après de solides études dans le cursus scolaire, ont embrassé ce métier avec amour et dévouement. Formés dans les grandes écoles militaires, ils sont donc, pour la plupart, des hommes de culture, avec une profonde connaissance de l’Histoire et des grandes idées qui en ont été les moteurs. […] C’est notamment pour toutes ces raisons, me semble-t-il, que nous avons été épargnés par cette gangrène qui, au moment des indépendances et plus d’un demi-siècle après, a dangereusement contribué aux contorsions d’une Afrique sortie de la nuit de ses multiples traumatismes qui ont pour noms : traite négrière, colonisation, apartheid, etc. » (Abdou Diouf, Mémoires, éditions du Seuil, octobre 2014, pp 268-269).
Que dire alors de notre pauvre  pays qui a connu, en trente-six ans, une dizaine de coups d’Etat, entre ceux qui ont réussi, ceux qui n’ont pas dépassé le stade de conspiration étouffée dans l’œuf et ceux qui vécurent un début d’exécution, avant d’avorter ? Serions-nous gangrénés au point qu’il nous soit impossible de goûter aux plaisirs d’une démocratie réelle, loin de l’ombre tutélaire des militaires ? Notre armée ne serait-elle donc pas « républicaine, faisant corps avec la nation » ? Combien de ceux qui la composent, officiers comme sous-officiers, ont-ils suivi « de solides études dans le cursus scolaire et embrassé ce métier avec amour et dévouement » ? Fait « de grandes écoles militaires », avant de devenir des « hommes de culture » ?
Si le nombre de coups d’Etat était inversement proportionnel à la qualité de la formation des militaires, à leur niveau d’études, à leur amour et dévouement pour le métier, notre situation pourrait aisément s’expliquer. Si l’on exclut un ou deux pays d’Amérique latine, nous décrocherons, à coup sûr, la médaille d’or, ou, du moins, celle de bronze, du plus grand nombre de coups d’Etat. Ce n’est pas pour rien que nous avons le plus d’anciens chefs d’Etat encore en vie (cinq)… Faut-il en déduire que ce pays est maudit ? Que son armée, au lieu d'être la garante de sa stabilité, l'a été de son instabilité ? Qu'elle s'est à ce point incrustée au pouvoir qu'il ne serait plus possible de l'en déloger, sauf au prix fort? Mais est-elle seule en cause ? La classe politique n’a-t-elle pas été déficiente, de bout en bout ? L'opposition, systématiquement absente au moment où il ne le fallait pas ? Aveugle, dans un pays d’aveugles empressés d’applaudir le borgne étoilé du moment…

                                                                                      Ahmed Ould Cheikh

dimanche 15 février 2015

Editorial: Dialogue, dialogue...

La semaine dernière, Ahmed Ould Daddah a été accueilli, à l’aéroport, par des centaines de militants de son parti. Le leader du RFD revenait d’Abidjan où il dirigeait une mission de médiation de l’Internationale Socialiste (IS), dont il est le vice-président, pour réconcilier leurs « frères » ivoiriens. La nouvelle aurait pu passer inaperçue, n’eût été le contexte. Cela fait quand même une éternité qu’Ould Daddah n’a pas fait l’objet d’un accueil populaire, ses sympathisants ne se mobilisant qu’en vue d’une consultation électorale. Ce qui était tout sauf envisageable, il y a quelques jours encore. Mais la donne semble avoir subitement changé, avec l’offre de dialogue du pouvoir d’Ould Abdel Aziz.
La proposition, en dix-huit points, remise, au secrétaire exécutif du FNDU, par le Premier ministre, avant que le Président ne l’écarte, au profit d’un revenant, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, a certes fait l’objet d’une réponse du Front. Mais, question que tout le monde se pose et qui conditionne tout le reste, le RFD prendra-t-il part ou non au dialogue en préparation ? Avant son départ pour la capitale ivoirienne, le président du RFD avait déjà planté le décor. Pour lui, il n’y a pas de dialogue possible avec un tel pouvoir qui n’a cessé de renier ses engagements et il n’est pas envisageable de toucher la Constitution. Même pour reculer l’âge des candidats à la présidentielle. Depuis, c’est le branle bas de combat dans les états-majors. Une fois encore, la position du RFD devient primordiale, pour le sort des futures négociations. Comme lors des coups d’Etat de 2005 et 2008, lorsque la caution de l’opposant historique qu’est Ould Daddah se révéla nécessaire, pour légitimer la prise de pouvoir par les armes. Mais à chaque fois, on lui a retiré le tapis sous les pieds.
Cette fois, celui qu’on a roulé, plusieurs fois, dans la farine, ne veut plus être le dindon de la farce. Il ne s’engagera plus dans un processus dont il ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants. Ou, tout au moins, obtenir de sérieuses garanties sur la parole donnée, échangée, partagée. On ne saurait trop lui reprocher cette exigence : le fondement du dialogue, n’est-ce pas le logos ? La parole, donc ? Sans parler du respect que tout citoyen – a fortiori donc, le Président – de la République réputée Islamique de Mauritanie se devrait de lui porter, en toute circonstance…
                                                                                                       Ahmed Ould Cheikh

dimanche 8 février 2015

Editorial: Fossés

Une TVA qui passe, subitement, de 14 à 16 % ; des frais de douane qui grimpent, pour le riz et le lait importés ; des prix du fer qui chutent, inexorablement, agrémentés d’une grève, suivie presque à 100%, dans notre plus grande société minière ; des prix d’hydrocarbures qui refusent, obstinément, de baisser, malgré la chute, vertigineuse, des cours du brut – -60% depuis juin 2014 ! – une période de soudure qui risque d’être difficile à supporter, faute au déficit pluviométrique enregistré l’hivernage passé ; un secteur des pêches sinistré et une agriculture moribonde… Le tableau économique, vous en conviendrez, est loin d’être des meilleurs. Que dire alors du politique ? Le fossé s’est tellement creusé, entre le pouvoir et son opposition, qu’il serait illusoire de parler de possibles retrouvailles. Le dialogue, que le pouvoir appelle de ses vœux, paraît désormais une vue de l’esprit, tant les positions semblent inconciliables.
Alors, le prédécesseur de Mugabé à la tête de l’UA cloué au pilori et obligé de lâcher du lest ? Face à un tel déluge de difficultés en tous genres, un président « normal » choisirait, certainement, la voie de la sagesse. Soit pour tenter d’embarquer tout le monde, avec lui, dans la même galère, et ne pas sombrer tout seul. Soit pour alléger la pression sur son pouvoir assailli de partout. Après avoir connu plusieurs années successives d’abondance, somme toute relative, avec des prix des matières premières atteignant des records, tout comme ses recettes fiscales et douanières, et une embellie extérieure marquée par une présidence de l’Union africaine, le régime serait-il en train de manger son pain noir (sans jeu de mots) ? Sinon, comment expliquer son empressement à vouloir dialoguer, alors que l’opposition semble avoir tourné cette page, et qu’il s’acheminait, « tranquillement », vers la fin de son deuxième – et dernier ? – mandat, avec une confortable majorité au Parlement ? Ou le dialogue ne lui serait qu’une proposition, jetée en pâture à l’opinion, pour donner l’impression que c’est l’opposition qui freine des quatre fers pour ne pas décrisper la scène politique ?
En tout cas, dialogue ou pas, on n’est toujours pas sorti de l’auberge. Il faut dire que le citoyen ordinaire, qui peine à joindre les deux bouts, ne s’en préoccupe pas outre mesure. Son quotidien de privations et de misère ne s’améliorera pas beaucoup si une poignée de politiques s‘assoient autour d’une table pour « se crêper les cheveux ». Pouvoir, opposition patentée, même panier, pour celui, percé, de la ménagère. Il y a tout un monde, entre ceux pour qui la survie – se déplacer, se loger, se nourrir – occupe la majeure partie de leur budget et ceux qui ne s’inquiètent plus que du superflu. Rien de nouveau sous le soleil ? Questionnez vos grands-parents : en cent ans, les fossés se sont seulement considérablement élargis et la Mauritanie nouvelle d’Ould Abdel Aziz ne semble pouvoir que les approfondir…

                                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

dimanche 1 février 2015

Editorial: Etat de force


La nouvelle est tombée la semaine dernière. Comme un couperet. Rien ne la présageait, puisqu’on pensait le dialogue enterré pour de bon. Les élections municipales, législatives et présidentielle (mal) bouclées, on s’acheminait vers des sénatoriales tout aussi monotones. Et voilà que, subitement, le Premier ministre convoque le secrétaire exécutif du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), pour lui remettre, sur une feuille volante, une liste de dix-huit points susceptibles d’être débattus avec l’opposition. Sans lui donner la moindre explication. On ne sait toujours pas ce qui a poussé le pouvoir, qui se disait serein et sans rien à discuter avec une opposition qui « a toujours fait preuve de mauvaise volonté », selon la formule maintes fois répétée, à choisir ce moment précis pour remettre le dialogue au goût du jour. Pression interne due à une pléthore de difficultés en tous genres ? Tensions avec les partenaires extérieurs, dont l’Union européenne n’est pas le moindre ? Nécessité de décrisper une scène politique qui n’a connu que la crise depuis 2008 ? Toujours est-il que la réponse du Forum ne s’est pas fait attendre. Il renvoie à l’expéditeur deux correspondances. L’une contient sa position sur la disposition du pouvoir à engager un dialogue ; l’autre, sa propre feuille de route pour l’organisation d’un « dialogue productif, capable réellement de sortir le pays de la crise qu’il vit depuis plusieurs années ». Même si le pouvoir – ou sa majorité puisqu’on n’a toujours aucune idée de celui au nom de qui la proposition de dialogue a été lancée – se dit prêt à discuter de toutes les questions, sans tabou, les chances de voir le processus s’enclencher paraissent faibles. Ould Abdel Aziz ayant toujours proposé le dialogue, particulièrement à la veille de consultations électorales, sans trop de conviction. Et l’opposition, échaudée par les expériences passées, n’est plus prête à jouer les faire-valoir. Pire, elle reconnait, même, s’être fait piéger par les accords de Dakar et l’élection qui les a suivis. Alors, le dialogue, enterré, avant d’avoir commencé ?
Habile manœuvrier, Ould Abdel Aziz s’en est toujours bien sorti. Jusqu’à présent. Mais à quel prix ? La confiance n’étant plus de mise avec les principaux partis de l’opposition, il n’y a donc pas de dialogue possible. Sauf si, comme l’ont fait les salafistes dont les peines de prison sont arrivées à expiration et qu’on a refusé de libérer, l’opposition s’énerve et prend en otage un ou deux généraux,  le Premier ministre, des ministres ou des leaders de la majorité. Là, le pouvoir sera obligé de transiger et de répondre, dans la minute, à leurs doléances. Dans la carapace, tout est frileux, mou. Il suffit juste d’appuyer un peu. Etat de droit ? Vous plaisantez, mon cher ! Ici, c’est Etat de force. C’est par elle qu’on prend et tient celui-ci, c’est elle qui fait office de code de la route, code du travail, code tout court ; rapports matrimoniaux, éducation des enfants et tutti quanti, jusqu’à ce que mort s’en suive. De force en inertie, et vice-versa, ainsi va la Mauritanie…

                                                                           Ahmed Ould Cheikh