jeudi 14 juillet 2011

Editorial : Importune lune de fiel…

Rien ne va plus entre la Mauritanie et le Sénégal. Entre Wade et Ould Abdel Aziz, pour être plus précis. Depuis que le pays de la Teranga a décidé, en décembre dernier et à la surprise générale, de soutenir le candidat malien, à la direction générale de l’ASECNA, alors qu’il avait promis d’apporter son appui au mauritanien, les nuages n’ont cessé de s’amonceler dans le ciel des relations entre les deux voisins. On croyait, pourtant, que notre guide éclairé, à qui les Wade, père et fils, ont rendu d’inestimables services, en contribuant, grandement, à sa légitimation, allait être un peu plus reconnaissant envers ceux qui l’ont fait roi. Avec le concours bienveillant de la France et, surtout, de la Françafrique. Mais le pouvoir a, apparemment, ses raisons et ses contraintes. Ainsi, lorsqu’en 2008, les syndicats de transporteurs sénégalais empêchèrent, pour cause de concurrence, les bus mauritaniens d’effectuer la navette Nouakchott-Dakar, Ould Abdel Aziz demanda à ce que ceux-ci soient, automatiquement, arrêtés et qu’on arrête d’importuner ses «amis» de l’autre rive. Il faut dire qu’en ce moment crucial, il avait besoin de l’appui du «doyen», pour faire passer son coup et amener l’opinion internationale à accepter une sortie de crise à sa botte. Ce qui fut fait. Les fameux accords de Dakar, signés en juin 2009, à…Nouakchott, en présence de Wade, permettent d’organiser une élection présidentielle, en juillet suivant, qui consacre la victoire, au premier tour, d’Ould Abdel Aziz.

Une année et demie plus tard, la lune de miel commence à tourner, sérieusement, à la lune de… fiel. Après l’épisode de l’ASECNA, qu’Ould Abdel Aziz a très mal digéré, le problème du transport terrestre refait surface. Cette fois, la Mauritanie, beaucoup moins conciliante, décide d’appliquer le principe de réciprocité. Les camions sénégalais ne sont plus autorisés à fouler notre sol et doivent, désormais, débarquer, à Rosso, leur cargaison, prise en charge par les camionneurs mauritaniens. Avant de prendre cette décision, le gouvernement avait, cependant, demandé, avec insistance, aux Sénégalais d’appliquer la convention de transport liant les deux pays. Mais leurs syndicats, qui ne veulent pas entendre parler des bus mauritaniens, se sont révélés assez forts pour narguer leur Etat, en toute impunité.

Ce fut, ensuite, la mésentente au sujet de la Libye et les petites phrases, assassines, de Wade qui accuse, indirectement, Ould Abdel Aziz d’avoir empêché, lors de l’avant-dernière réunion de l’UA, que celle-ci demande, clairement, le départ de Kadhafi. Comme pour mettre de l’huile sur le feu, le Sénégal exprime des réserves sur la candidature de la Mauritanie, au nom de l’Afrique de l’Ouest, à un poste de membre non permanent du Conseil de sécurité. Et l’affaire se corse, la semaine passée, lorsque le ministère sénégalais du Transport aérien, que dirige Karim Wade, n’accorde que trois vols par semaine, sur Dakar, à la nouvelle compagnie nationale, Mauritania Airlines, alors que Sénégal Airlines exploite sept vols par semaine, sur Nouakchott. Il n’en faut pas plus pour que la Mauritanie décide, tout bonnement, d’interdire son espace aérien à la compagnie sénégalaise, jusqu’à ce qu’une solution équitable soit trouvée.

Bref, un ensemble de détails en voie de se transformer en gros problème. Dans l’intérêt de personne. En 1989, ce fut un petit incident entre éleveurs et agriculteurs qui déclencha la spirale meurtrière. A l’époque, le Sénégal était au bord de l’explosion sociale et il fallait, au régime en place, un exutoire et une cause nationale. 2011 n’est pas loin de 1989. Wade connaît une fin de mandat difficile, sa proposition d’un ticket présidentiel a failli déclencher une révolution et le quotidien du sénégalais est de plus en plus intenable. Mais les peuples n’ont que faire des états d’âme de leurs dirigeants. Wade et Ould Abdel Aziz partiront, comme Diouf et Ould Taya avant eux. Les plaies de 1989 s’étant à peine cicatrisées, il ne sert à rien d’en ouvrir de nouvelles. Gardons à l’esprit qu’aucun de nos pays ne peut vivre en autarcie, mais que c’est surtout la Mauritanie qui a besoin du Sénégal et non l’inverse. De sa main d’œuvre, de son port, de son marché intérieur, pour nos commerçants; de ses camions, pour transporter nos marchandises; de ses pêcheurs, pour nous ravitailler en poisson; de ses pâturages, pour nos milliers de têtes de bétail qui traversent, chaque année, la frontière ; de ses hôpitaux, pour soigner nos malades. Tempérons, donc, nos ardeurs et tentons de trouver des solutions à l’amiable. Il ne sert à rien de montrer ses muscles, quand le rapport de forces ne vous est pas favorable.

Ahmed Ould Cheikh

mercredi 6 juillet 2011

Editorial : Président Don Quichotte

L’opposition s’est, enfin, décidée à parler d’une même voix. Après une série d’audiences accordées, par Ould Abdel Aziz, à certains de ses leaders, des déclarations, assorties de menaces de retrait de la Coordination – «si elle ne se décidait pas à dialoguer avec le pouvoir», dixit Messaoud Ould Boulkheir – des réunions-marathons où tout ou presque a été dit, une «feuille de route» pour le dialogue a été remise au président de la République. A charge d’y répondre dans les dix jours, s’il est «réellement sincère dans sa volonté de dialogue», comme l’a supputé au moins un opposant. Mais notre président-voyageur a, apparemment, d’autres soucis. Tel le célèbre forgeron de la légende populaire qui rafistolait les calebasses des autres, en négligeant les siennes, pourtant très mal en point. Un petit saut à Pretoria où se tenait une réunion du panel de l’Union africaine sur la Libye, en début de semaine passée, suivie, deux jours plus tard, de la capitale équato-guinéenne pour les assises de l’organisation continentale. Dont le président en exercice, Théodore Obiang N’guema, un dictateur «pur jus», devrait faire honte à l’UA, et être écarté, en conséquence, de sa direction. But de ces deux conclaves: la situation en Libye, dont le «Guide de la révolution», confronté, depuis plusieurs mois, à une rébellion armée, refuse de lâcher le pouvoir. Comme lors de ces précédentes réunions, le panel a demandé la fin des combats, la tenue de négociations, directes, entre les deux parties et la fin des frappes de l’OTAN. Rien de bien nouveau. La même litanie est récitée, à chaque concertation du panel, et, comme lors de la crise ivoirienne, personne ne semble lui prêter la moindre attention. Les enjeux dépassent le continent. Les puissants de ce monde, décidés à jouer au gendarme, ne vont pas s’arrêter en si bon chemin pour se débarrasser d’un psychopathe accro et pas seulement aux lambris dorés.

Toujours est-il que le guide de notre révolution à nous, celle du 6 août 2008, ne ménage aucun effort pour rester sous les feux de la rampe. Se souvient-il que, parmi les reproches qu’il avait émis, en son temps, à Sidioca, celle de voyager un peu trop aux frais de la princesse figurait en bonne place. Mais on en n’est pas à une anomalie près. Comment l’UA, par exemple, a-t-elle pu ériger le putschiste qu’elle vouait aux gémonies, il y a moins de deux ans, en chef-médiateur?

Sauf à vouloir se prendre pour ce qu’il n’est pas, Ould Abdel Aziz aurait pu faire l’économie de tous ces déplacements onéreux et qui n’ont, jusqu’à présent, donné aucun résultat probant. Nombre de chefs d’Etat ne participent, quasiment jamais, aux réunions de l’Union Africaine, et ne s’en portent pas plus mal. Notre raïs pouvait consacrer cette énergie à régler les multiples problèmes auxquels son pays fait face, à discuter, avec son opposition, pour aplanir les divergences, à aller à l’encontre des citoyens de l’intérieur, pour s’enquérir de leur situation, à combattre, sans démagogie, ces maux endémiques que sont la mauvaise gestion et la gabegie. En un mot, Il devait, et c’est pour cela qu’il a été élu, consacrer son temps à la Mauritanie, au lieu d’aller se battre, tel Don Quichotte, contre les moulins à vent.

Ahmed Ould Cheikh