mercredi 27 avril 2011

Editorial : Prendre le taureau par les cornes!

Après le blocage politique, la crise économique, l’insécurité, la question de l’esclavage qui ne cesse de rebondir, l’incurie de nos dirigeants, la révolution qui frappe à nos portes, il ne nous manquait plus que les problèmes ethniques pour que la coupe soit pleine. Il n’est, en effet, plus exclu, si la situation, comme celle qu’a connue l’Université il y a quelques jours, n’est pas réglée au plus tôt, de voir surgir le spectre d’une guerre raciale. Que s’est-il passé au juste? Des idées qu’on croyait révolues, des attitudes qu’on pensait enfouies dans le tréfonds de notre histoire ont resurgi, la semaine passée, lors des élections estudiantines, à l’Université de Nouakchott. Des affrontements inter-ethniques ont opposé des étudiants affiliés à des syndicats en compétition lors de ce scrutin. Il a fallu l’intervention, musclée, de la police, pour que la situation ne dégénère pas. Jamais, depuis 1979 et les troubles consécutives à la réforme du système éducatif, le monde scolaire ou universitaire n’a connu ce genre de manifestations. Même au plus fort des événements de 1989 et des années de braise qui les ont suivis, l’Université est restée en dehors du champ politique. Les étudiants y cohabitaient, sans anicroche. Certes, les élections, pour le choix des délégués syndicaux, donnaient lieu, chaque année, à de véritables empoignades mais elles sont, toujours, restées dans des limites raisonnables. Personne n’ayant intérêt à ce que la situation prenne des proportions qui dépassent le cadre estudiantin. Particulièrement dans un pays comme le nôtre, où certains ont la sensibilité à fleur de peau, lorsqu’il s’agit de «l’Autre»…

Comment le pouvoir a-t-il affronté cette crise? Il a déployé un dispositif policier sans précédent; usé, comme à son habitude, de bombes lacrymogènes et de matraques; fait arrêter des étudiants et fermé l’université, jusqu’au 2 mai. Mais le mal est beaucoup plus profond. Depuis plusieurs décennies, l’école mauritanienne s’est ingéniée à former des élèves qui ne parlent pas la même langue, appartiennent à des mondes différents et éprouvent, donc, de grosses difficultés à s’entendre. Jusqu’à la fin des années 70, elle était, pourtant, le véritable creuset de la Nation mais, suite à des réformes bâclées et successivement incohérentes, elle ne servait plus qu’à jeter, à la rue, des générations entières d’illettrés, séparées par un fossé énorme.

Il est grand temps de revoir le système éducatif, dans son ensemble, analyser les programmes, instaurer un véritable bilinguisme ou trilinguisme, s’il le faut, pour, enfin, repenser notre école et lui permettre de jouer le rôle qui est le sien, dans tous les autres pays du monde: un facteur d’union et non de désunion. Jeter en pâture, à l’opinion, des états généraux de l’Education qui risquent ne jamais voir le jour est, non seulement, inutile mais, aussi, dangereux. La politique de l’autruche a déjà fait ses preuves. Elle ne mène nulle part. Et l’éducation est une affaire trop sérieuse pour être victime des atermoiements et de la frilosité des politiques. Le taureau doit être pris par les cornes. Il y va de notre survie.

Ahmed Ould Cheikh

mercredi 20 avril 2011

Les interviews (presque) imaginaires du Calame

Mohamed Ould Abdel Aziz: ‘’ Je n’ai, quand même, pas fait deux coups d’Etat, pour, ensuite, remettre le pouvoir à quelqu’un qui n’a fait que se présenter à une élection!’’

Le Calame: Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, bonjour. Dois-je vous appeler général, président ou commandant du BASEP?

Mohamed Ould Abdel Aziz: Président, c’est bon. Même si le BASEP, c’est un peu ma chose

- Les révolutionnaires ont rejeté la médiation de l’UA, sous prétexte que trois d’entre vous sont arrivés au pouvoir par coup d’Etat…

- Coup d’Etat? Mais ils sont fous, moi j’ai pas fait de coup d’Etat. J’ai rectifié.

- Pourtant Sidi, qui était élu pour cinq ans, n’a pas fini son mandat…

- Sidi, Sidi… Eheih! Sidi, c’était mon ami et j’ai été obligé de le mettre en sécurité. Les militaires allaient refuser de servir le pays, si j’étais débarqué. Ils risquaient, même, de s’en prendre à lui. Les civils, aussi, étaient dans tous leurs états. Vous avez vu mon bataillon de députés? Ils se levaient au moindre signe de la main. On aurait dit des militaires! (rires)

- On vous a vu, en Côte d’Ivoire et en Libye, jouer les médiateurs, alors que votre pays éprouve des difficultés. N’aurait-il pas été plus sage de balayer, d’abord, devant votre porte?

- Quelle porte ? Ne me parlez pas le langage de l’opposition. Vous avez vu tous ses goudrons? Et puis Gbagbo ou Kadhafi, c’est moi, dans trente ans. Je veux les aider, pour que quelqu’un d’autre vienne m’aider, quand je serai dans la même situation.

- Mais vous ne pouvez pas exercer plus de deux mandats, selon la Constitution!

- La Constitution? Moi, j’ai une seule Constitution. C’est celle qui dit, dans son article 1, que le chef a toujours raison. Vous, les civils, vous êtes compliqués, avec toutes vos lois qui n’en finissent jamais. Moi, quand je veux, je fais. Lorsque j’ai reçu, l’autre jour, les gérants des bourses qui se plaignaient de la loi interdisant l’importation des voitures de plus de cinq ans, je leur ai répondu: «Rentrez chez vous et amenez tout ce que vous voulez». Et hop, on n’en parle plus!

- Mais le pays a d’autres soucis que les goudrons ou les voitures d’occasion…

- Quels soucis? Al Qaida sait, à présent, de quel bois je me chauffe. Le dialogue politique? J’ai déjà reçu tout le monde et on a parlé. Qu’est-ce qu’ils veulent, ces gens-là? Ma place? Je n’ai, quand même, pas fait deux coups d’Etat, pour, ensuite, remettre le pouvoir à quelqu’un qui n’a fait que se présenter à une élection!

- C’est la loi de la démocratie, non ?

- Démocratie, démocratie... Quelle démocratie? Tout de suite les gros mots. Comparé à Kadhafi ou Ali Abdallah Saleh, je ne suis pas un démocrate? Eux ne font pas d’élection; moi, je les organise pour les gagner.

- Comme dans la république très très démocratique du Gondwana?

- Notre ami Mamane, je l’aime beaucoup. Quand je l’écoute sur RFI, je me demande, parfois, s’il ne parle pas de moi ou de la Mauritanie.

- Et vous ne craignez pas ce qui est arrivé en Tunisie ou en Egypte?

- Non, jamais. Mes flagorneurs ne disent-ils pas que nous avons, déjà, accompli notre révolution en 2008? Ils sont vraiment forts. Ils croient me faire plaisir, en parlant ainsi. En fait, ils me font pitié. Et, pour ne rien vous cacher, j’ai parfois envie de descendre, moi-même, dans la rue, en brandissant une banderole: «Ould Mohamed Laghdaf, dégage!». Mon Premier ministre commence sérieusement à me pomper l’air mais je n’arrive à me débarrasser de lui. Une vraie sangsue. Son marabout ou sa guezana [jeteuse de cauris, NDLR] doivent être vraiment forts. Je vais dire à mes espions de les dénicher pour les débaucher (rires).

Propos (presque) recueillis entre deux vols

jeudi 14 avril 2011

Editorial : Pas d’omelette sans casser d’œufs

Le panel des chefs d’Etat, mandaté, par l’Union Africaine, pour tenter de trouver une issue à la crise libyenne, s’est envolé, ce dimanche, pour Tripoli. Reportée une première fois, pour cause d’embargo aérien, la mission des émissaires africains n’a été autorisée que parce que la communauté internationale commence à se rendre compte de l’impossibilité de régler militairement le conflit. Au cours des derniers jours, les USA ont décidé de se mettre en retrait, laissant, à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), le soin de mener, elle-même, les opérations. Et un de leurs généraux, qui ne parle, certainement pas, dans le vide, s’est répandu dans plusieurs organes de presse, pour dire que la guerre serait longue et qu’il est pratiquement impossible, pour les révolutionnaires, de venir à bout du régime de Kadhafi. Du coup, l’OTAN a ralenti ses frappes, officiellement pour cause de mauvais temps. Pour les Européens, il s’agit, en fait mais sans le dire ouvertement, de laisser la chance à une solution pacifique. Voici l’UA mise à contribution. Mais ne croyez pas, un instant, que c’est d’elle-même que l’initiative est venue. Dans les relations internationales, comme dans la vie de tous les jours, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Et, lorsque les USA ou l’UE, pour qui Kadhafi est le diable en personne avec qui nulle négociation n’est seulement envisageable, vous intiment l’ordre de courir chercher une solution, vous n’avez d’autre choix que de prendre vos jambes à votre cou. Les laissant dire, ensuite, pour sauver la face, que, comme le conflit oppose des Africains, c’est à l’Afrique de le régler.
Voici la question à présent posée: que peut faire le panel, dans cet univers kadhafien, pour ne pas dire kafkaïen? Le libyen ne veut pas entendre parler de départ ou de transition, persuadé qu’il est de son bon droit, que dis-je, de sa mission quasi-divine, et de l’agression dont il est «victime». Les mutins, eux, ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Le Guide libyen leur a fait tellement de mal qu’ils ne baisseront pas les armes, avant son éviction, définitive, du pouvoir, ainsi que ses fils. Et sont prêts à se battre, jusqu’au dernier, pour venir à bout d’un régime qui les a opprimés, pendant plus de quarante ans, les privant de leurs droits les plus élémentaires. Quelles solutions pourrait, dans ces conditions, préconiser le panel? Il semble y avoir plus d’arrangements à monnayer, en dessous de table, du côté de Mouammar qui ne semble pas, à soixante-neuf ans, à l’agonie, même si son pouvoir chancelle bigrement; que de celui d’une opposition facebookienne, sympathique, peut-être, mais à géométrie et desseins variables et, surtout, pas très achalandée. La France, notre modèle démocratique, n’a-t-elle pas eu, elle-même, sa Commune de Paris, avant que ne s’impose la troisième République? On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs. Le panel s’accommoderait, sans doute, de cette sentence. Mais les sauvera-t-elle des révoltes, en suspens, de leurs propres peuples, bien plus attentifs qu’ils ne le croient, généralement, à la cuisine en cours dans les pays arabes?
Ahmed Ould Cheikh

jeudi 7 avril 2011

Editorial : La vie est un choix

Depuis quelques mois, des affaires d’esclavage ou d’«exploitation de mineures», selon la version officielle, défraient la chronique, avec, à la clé, descentes chez des familles accusées, par certaines ONGs, de pratiques esclavagistes, plaintes à la police, coups et blessures, grève de la faim, procès et condamnations. Au delà de la mauvaise publicité à notre pays, désormais banalement cité parmi les Etats où l’esclavage a encore cours, au 21ème siècle, ces affaires posent un véritable problème qui nécessite une solution urgente. Il ne suffit pas, en effet, de promulguer une loi criminalisant les pratiques esclavagistes, encore faut-il l’appliquer. N’indexons pas Birame et ses amis: ils mènent un combat juste et ne veulent plus, à raison, qu’une communauté, quelle qu’elle soit, soit exploitée par une autre. Indexons, plutôt, la société, sa hiérarchisation, ses inégalités, le socle sur lequel elle est bâtie, mais ne stigmatisons pas la seule communauté maure ; toutes les autres, au même titre, sont coupables d’esclavage et d’exploitation de mineur(e)s. Accusons les pouvoirs publics de ne pas appliquer la loi et de ne pas prendre les mesures, courageuses, pour réunir les conditions d’une véritable intégration économique de toutes les couches défavorisées. Mettons les doigts sur les plaies dont souffrent les descendants d’esclaves et qui ont pour noms: carence en terres cultivables, par entretien quasiment institutionnalisé d’une féodalité anachronique; impossibilité d’accéder à l’école sinon ségrégation des résultats scolaires; enclavement, pauvreté, inaccessibilité des soins de santé.
Pourtant et aussi impensable que cela puisse paraître, le combat que mènent ces nouveaux anti-esclavagistes produit des effets secondaires qui risquent de pénaliser, d’abord, ceux pour lesquels il est mené. Des familles entières, qui vivaient aux crochets d’un (ou d’une) des leurs, employé(e) souvent mineur(e), se retrouvent prises au dépourvu. Certes, laisser employer, à plein-temps, ses enfants, pour quelques milliers d’ouguiyas par mois, relève de l’esclavage moderne mais ces laissés-pour-compte ont-ils le choix? En cette période difficile, un ou deux salaires, même de misère, ne sont pas jamais de trop pour joindre les deux bouts.
Dans quelles mesures et limites – il en faut – ne pourrait-on pas laisser, à ces mineur(e)s exploité(e)s, une certaine liberté de décision? En tenant compte de leur avis et de leurs besoins exprimés? En conditionnant, par exemple, l’emploi, à mi-temps, chez des particuliers, à un taux horaire convenable et au suivi régulier, l’autre mi-temps, d’une formation scolaire ou qualifiante? Dans une situation où des centaines de milliers de personnes vivent en situation de pauvreté ou d’extrême pauvreté, où la liberté de choix s’amenuise, au fur et à mesure qu’on descend dans l’échelle sociale, il s’agit moins d’interdire que d’ouvrir de nouvelles perspectives. Restreindre, certes, la liberté d’exploiter, n’importe comment, ceux qui n’en ont, pratiquement, aucune mais dans le but, concret et immédiat, de permettre, à ceux-ci, de conquérir plus de liberté, plus de capacité de choix. Ne dit-on pas que la liberté commence là où s’arrête celle des autres? Certains doivent, désormais et impérativement, le comprendre. Quant aux autres, ils doivent bien entendre que la vie est un choix.

Ahmed Ould Cheikh