vendredi 27 décembre 2019

Editorial: Dernier baroud?

Quatre mois après avoir quitté le pouvoir, conclus, au dernier, par une piteuse et vaine tentative de reconquérir le parti qu’il avait fondé à partir de rien, Ould Abdel Aziz s’applique toujours à faire parler de lui. A peine de retour en sa patrie qui ne l’a pas vu naître (malgré une déclaration de naissance des plus frauduleuses), l’ancien chef de l’État convoquait une réunion de gestion de «son » UPR. Tout le monde rappliquait, confiant en la présumée connivence de l’homme avec son ami de quarante ans. Mais le voilà à beugler que le parti c’est lui et personne d’autre. Allusion à ceux qui se sont jetés un peu tôt dans les bras du nouveau pouvoir. Refusant d’être enterré vivant, il tente un dernier baroud d’honneur. L’homme, qui n’est pas né pour échouer selon ses propres termes, se fracasse alors contre un rocher, celui de l’inconsistance d’un parti né du pouvoir et ne peut pas s’en passer. Les membres de son comité de gestion et ses élus (députés, maires et présidents de conseils régionaux) se démarquent. Furieux, l’ex-président de la République  boude les festivités du 28 Novembre et se met à ruminer sa colère. Qui explosera lors d’une conférence de presse convoquée le vendredi 20 Décembre. En son palais des mille et une nuits, plusieurs hôtels s’étant poliment excusés, les autres exigeant une autorisation écrite du hakem qu’il n’a pas réussi à obtenir, malgré son insistance. Une mesure arbitraire qu’il avait lui-même  imposée aux partis et ONG désireux d’organiser des rencontres avec la presse.  L’arroseur arrosé, en somme. Prévue à 20 heures, la conférence de presse ne débute qu’à une heure du matin. Elle n’est pas retransmise en direct à la télévision, en raison d’un « problème technique » apparemment insurmontable. Flanqué de Seyedna Ali ould Mohamed Khouna, président du  comité de gestion de l’UPR et de Boydiel ould Houmeid, député et membre dudit comité – les seuls qui lui sont restés fidèles… – Ould Abdel Aziz s’efforce de rester le plus calme possible. Mais chassez le naturel, en l’occurrence caractériel et impulsif, il revient au galop. C’est même dès l’entame de son propos que l’irascible met directement les pieds dans le plat. «Un parti n’a pas de référence et cette notion qu’on entend depuis quelques jours n’a aucun sens. C’est même anticonstitutionnel », ose-t-il. L’hôpital qui se moque de la charité… Il faut vraiment ne pas manquer d’air pour invoquer la Constitution quand on se trimbale deux coups d’État contre des présidents élus et qu’on l’a tripatouillée sur un coup de tête, pour supprimer un sénat rebelle. La richesse ? « Je suis un homme riche mais n’ai jamais pris une ouguiya du Trésor public ou de la Banque centrale ». Comme si tous les présidents qui se sont enrichis avaient piqué dans la caisse… Votre richesse, monsieur, ce sont les commissions faramineuses, les dons en espèces des pays riches, les passe-droits, les partenariats avec les sociétés étrangères et,  en onze ans de pouvoir, tout ce qu’on peut gratter par ci et par là. Craint-il la commission d’enquête parlementaire ? « Qu’ils viennent ! » Mais, prévient-il, « le terrain est miné…», allusion à peine voilée aux dossiers compromettants qu’il détiendrait contre certains. Assez pour rester à l’abri de toute investigation ?  En se posant en victime à qui l’on a arraché son bien – «son » parti en l’occurrence – le controversé parvenu ne cherche-t-il pas à déplacer la question ? Se donner un peu d’espace vers une porte de sortie acceptable, à défaut d’être vraiment honorable ? Mais un tel tapage ne risque-t-il pas, a contrario, se révéler irrémédiablement contre-productif ? Baroud signifie bagarre, mêlée… On y laisse d’autant plus de plumes, citoyen Mohamed ould Abdel Aziz, qu’on s’y expose publiquement.
                                                                                    Ahmed ould cheikh 

samedi 21 décembre 2019

Editorial: Gabegistes sous tous rapports

Accablants. Et fort révélateurs, les derniers rapports de la Cour des comptes qui ont fuité (à dessein ?). Ils ont remis sur terre ceux, très peu nombreux,  estimant encore que les slogans de lutte contre la gabegie et les détournements de deniers publics, si galvaudés au cours de la dernière décennie, étaient autre chose que de la poudre aux yeux. L’étude a révélé, à la face du Monde, que malgré les « bonnes » intentions, aucun ministère ou société publique n’a échappé à cette entreprise de prévarication à ciel ouvert. Tout y est passé : surfacturations outrancières, dépenses incongrues, contrats léonins, marchés de gré à gré injustifiées... Les contrôleurs de la Cour des comptes en sont restés bouche bée. Seules la Présidence et la Primature ont été épargnées. Savez-vous pourquoi ? Tout simplement parce qu’elles n’ont pas été contrôlées. Rien n’indique pourtant qu’elles se révèleraient des îlots de bonne gestion dans un océan de forfaitures. Le mal est beaucoup plus profond qu’on ne le pense. Certes, la presse et les réseaux sociaux n’ont cessé de lancer des alertes sur tel ou tel cas de mauvaise gestion ou de marchés de complaisance  mais personne ne pouvait imaginer l’ampleur du gâchis. Il en serait ainsi resté, si la Cour des comptes n’avait pas publié (par inadvertance ?) ses rapports couvrant dix ans (2007-2017) de gabegie sans nom. La preuve ? Ils ne sont plus accessibles. Comme si l’on voulait réparer une faute, en donnant l’impression  qu’elle fut involontaire. Mais en tout état de cause, elle a douché les ardeurs des plus convaincus partisans de l’ex-Président Ould Abdel Aziz et sans doute de ce dernier qui, après trois mois d’absence, commençait à se faire un peu trop bruyant. Il fallait bien lui envoyer un signal fort pour lui rappeler qui était aux commandes lorsque les maigres ressources du pays étaient dilapidées par ceux-là mêmes qu’il avait choisis. Et, à part quelques malchanceux qui ont été épinglés sous son magistère (avant d’être rapidement réhabilités), rien ne donnait l’impression que sa démarche dans la lutte contre la gabegie était empreinte de sérieux. Elle était même très sélective. Le clan avait droit à tout et ceux qui servaient ses intérêts étaient intouchables. Les rapports de la Cour des comptes ou de l’IGE qui les épinglaient étaient mis sous le boisseau. Certains d’entre eux gardent même (haut) pignon sur rue. D’autres sont encore aux commandes. Dans n’importe quel autre pays du Monde, de telles révélations donneraient lieu à un branlebas de combat, démissions en cascade, procès à la pelle, peines  de prison et fortes amendes.
Mais nous sommes en Mauritanie. Où la superbe, aussi cynique soit-elle, suffit à balayer toute objection. Ainsi le clan d’Ould Abdel Aziz se targue-t-il aujourd’hui d’avoir fondé et dynamisé la Cour des comptes afin d’éradiquer la mauvaise gestion ; mais il omet « naturellement » de citer ce qui s’est passé et se passe autour de son chef.
La réalité était que les « commissions et la corruption furent l’exclusivité d’Ould Abdel Aziz et du clan » : le marché de l’aéroport, les ventes des écoles, celles du stade olympique et de l’école de police, la caserne de la gendarmerie d’escorte, la cite fanfare et... cie, en passant par Polyhondone, Sunrise, sans oublier, bien sûr, les comptes bloqués par les Américains à Dubaï et le pactole caché au Swaziland avec lequel nos rapports se sont subitement réchauffés, alors que rien ne nous lie : ni l’histoire, ni la géographie, encore moins l’économie… Des « placements » négociables, donc, à l’heure des comptes en Cour ? On en est probablement là.
                                                                             Ahmed Ould Cheikh

samedi 14 décembre 2019

Editorial: Entre les lignes.....

L’interview exclusive accordée par le président Ghazouani au journal « Le Monde », la semaine dernière, officialise notamment le « conflit » en cours entre l’actuel locataire du Palais et son prédécesseur. Sans être un scoop – toute la presse mauritanienne en faisait état depuis la fête de l’Indépendance – l’information est importante dans sa forme et il convient d’en décrypter les signes en et entre ses lignes. Le choix du journal, l’ordonnance de l’interview, chaque phrase, chaque mot, tout est pesé dans les « confidences » du fils du marabout…
Conflit ? Un terme bien trop guerrier dans la bouche d’Ould Ghazouani qui ne l’emploie même pas pour qualifier la situation du G5, objet apparemment central, au demeurant, de l’interview. Le thème justifiait à lui seul le choix du journal « Le Monde », plaçant ainsi celle-ci en message international – avec adresse toute spéciale à la France et à l’UE… – et le glissement progressif, au cours de l’entretien, vers l’examen de la situation intérieure en Mauritanie où, pas plus qu’ailleurs, « on ne peut pas faire de développement durable sans une situation de sécurité convenable » paraît couler éminemment de source.
Après avoir insisté sur l’importance, dans son programme, du volet social où « nous devons poursuivre un travail entamé » – clin d’œil du côté de la continuité et discret hommage à son prédécesseur : utile préambule… – le président mauritanien peut enfin aborder, huitième question de l’interview, ce qui le différencie d’Ould Abdel Aziz… en commençant  par demander à « ne pas nous limiter à cette recherche de la différence » avec « mon frère, mon ami » ! Velours, velours… Invoquant alors « l’intérêt du pays », c’est en l’éminente stature que lui confère sa nouvelle charge publique qu’Ould Ghazouani expose, immédiatement en suivant, une conviction : « faire œuvre d’ouverture en direction de l’opposition » lui « permettra de bien travailler ».
Serait-ce sur ce point précis que s’est bâti « le décalage entre les visions et appréciations » [des deux hommes] « d’une situation donnée » ? Une simple divergence conjoncturelle, donc ; en tout cas pas un « fossé profond » contrairement à ce qu’en a déduit une opinion nationale inquiète de « l’environnement politique » actuel assez agité, versus majorité… Cependant la clôture de cet « épisode », impérative mais à ce jour inconnue du Président – « Je ne sais pas », tient celui-ci à préciser – pourrait ne pas se faire « d’une façon qui convienne à tout le monde », contrairement aux « efforts » et à l’espérance du nouveau maître du Palais. En deux lignes, voilà soudain le gant de velours  juste ce qu’il faut retiré pour rappeler la main de fer…
Avant de la re-ganter aussitôt, en démentant tout lien entre le différend passager et le « changement » à la tête du BASEP, nécessité « assez banale », pour « quelqu’un qui arrive à un poste aussi sensible que le mien », de « modeler sa sécurité »… Exit donc les « fausses rumeurs » d’arrestations, interrogatoires et mises en résidence surveillée. Simple péripétie de la volonté de changement si fréquemment avancée lors de la campagne électorale… Encore et toujours la fameuse « changité dans le stabilement » si bien croquée par notre regretté Habib ould Mahfoudh, il y a de ça un quart de siècle ? Mais à la différence de 1992, ce n’est pas « on prend les mêmes et l’on recommence ». Ould Abdel Aziz n’a pas dicté, à son ami de quarante ans, la décision de revoir la direction du BASEP : on peut, à tout le moins, tenir cela pour très probable. Et celui-là aurait donc été instruit, par là même et s’il en doutait encore, qu’il n’est plus aujourd’hui le patron. Ni du BASEP, ni de l’État, ni de la République. Ni, par voie de conséquence, de l’UPR, lui ont rappelé ses si naturellement opportunistes caciques.
Très probable plutôt que certain ? On ne peut pas totalement exclure en effet qu’à avoir « fait beaucoup de choses [ensemble] depuis une quinzaine d’années », une telle paire de stratèges se soit secrètement entendue d’un plan pour assurer la continuité par le changement. Jeux de rôles et frictions judicieusement circonstanciées à l’appui, épargnant à chacun des deux compères une position de girouette fort peu compatible avec leur commune affiche d’hommes de principe. On aurait alors une tout autre lecture du décalage entre leur vision respective, non plus conjoncturel mais structurel, histoire d’offrir la plus grande perpétuité possible au régime, avec toujours deux fers bien différenciés au chaud. Aziz-Ghazouani, bifaces d’une même pièce ? Une hypothèse que l’opposition devrait bien se garder de trop tôt abandonner…
Mais « on ne peut pas faire de développement durable sans une situation de sécurité convenable ». Deux fers au chaud ne sont guère plaisants aux investisseurs, notamment institutionnels, à moins de les mettre dans le secret de la combine, indiscrétion au demeurant fatale au secret ainsi trop vite abandonné à Polichinelle… On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : en tous les cas de figure, c’est bien le détenteur du pouvoir politique qui tient les atouts majeurs et les enjeux miniers – gaziers ou autres… – si propices aux enchères et surenchères, ne semblent pas pouvoir damer le pion, à l’heure actuelle, à la nécessité de relancer sans plus tarder une dynamique avec les bailleurs plutôt poussive depuis quelque temps. Une autre manche perdue par Ould Abdel Aziz. La dernière ? A-t-il jamais renoncé à un seul de ses désirs ? S’il s’agit, pour lui, d’avoir obsessionnellement toujours le dernier mot, faudra-t-il donc  attendre le dernier sien ? Encore une fois, restons vigilants.
                                                                                    Ahmed ould Cheikh

dimanche 8 décembre 2019

Editorial: Dans un gant de velours?

« Mon Dieu, gardez-moi de mes amis, quant à mes ennemis, je m’en charge ! », cette célèbre prière de Voltaire – ou d’Antigonos II, roi de Macédoine, selon une autre version – Ould Abdel Aziz aura tout le temps de la méditer. Revenu au pays après trois mois d’exil volontaire, « voyage d’études » et d’agrément, il pensait probablement être accueilli en héros démocrate, lui qui refusa le troisième mandat, malgré l’insistance de ses (nombreux) soutiens,  lui qui « rectifia » la démocratie en 2008, lui, le « prodigieux bâtisseur ». Or rien n’en fut. Revenu dare-dare parce que, selon ses sources, on commençait à être un peu regardant sur sa gestion calamiteuse d’une décennie qui le fut tout autant. Mises à rude épreuve au cours de celle-ci (malgré les satisfécits décernés à tout va par les institutions de Bretton Wood), les finances publiques ont été saignées à blanc, particulièrement au cours des derniers mois. On parle de milliards qui auraient pris des chemins « détournés » (c’est le terme). Pensant sans doute qu’il avait encore une formation politique à sa botte, des élus et des soutiens fidèles, Ould Abdel Aziz convoque une réunion du comité de gestion de son parti, pour signifier, à ceux qui l’ont enterré un peu tôt, qu’il faut encore compter avec lui. Et qu’il serait hasardeux de lui chercher noise en touchant à son « point faible ». Mais il y a une donnée fondamentale qu’il a feint d’ignorer : la versatilité légendaire des Mauritaniens. En quelques jours, ses soutiens ont fondu comme neige au soleil. Tous – à part trois caciques et pour combien de temps encore ? – se démarquent de lui. Son « aile » militaire est à son tour décapitée, à la veille de la célébration des festivités du 28 Novembre à Akjoujt. Ce qui laisse planer le doute sur une ultime tentative de déstabilisation du pouvoir de son ami de quarante ans, ou, carrément, de prise de pouvoir par la force. Il y a en tout cas anguille sous roche, malgré les démentis du ministre de la Défense. Ould Abdel Aziz ayant refusé de faire le déplacement d’Akjoujt où, comble de l’ironie, un fauteuil lui était réservé… entre Sidioca et Ahmed Ould Daddah (!), la nouvelle que tout le monde guettait a jeté une ombre sur la célébration. Depuis, le doute n’est plus permis. La rupture entre l’ancien et le nouveau Président est désormais consommée. Jusqu’où ira l’escalade ? Assigner Ould Abdel Aziz à résidence ? L’empêcher de voyager ? Le priver de son passeport ? Fouiner dans sa gestion, suivre les milliards disparus à la trace, revoir les marchés de complaisance ? Il y a à boire et à manger, pour peu qu’on le veuille et… que la conjoncture, voire la raison d’État, s’y prête. Le droit d’inventaire est, en tout cas, une forte demande populaire. Les prisons regorgent de pauvres hères, dont certains n’ont volé qu’un téléphone ou une bonbonne de gaz, alors que de gros bonnets qui ont fait main basse sur des milliards se pavanent en toute impunité.
Ould Ghazwani l’a promis : plus rien ne sera comme avant. À la différence de son prédécesseur qui ne mit aucun gant, c’est déjà dans un de velours que le fils du marabout semble mettre sa main de fer. Notamment dans ses « discussions » envers son ami de quarante ans. Il a pour lui le pouvoir, la force et une attente certaine des Mauritaniens à le voir mettre de l’ordre dans la maison. Les récents évènements semblent l’assurer en ce sens. Assez pour lever l’hypothèque Ould Abel Aziz ? Il lui reste à cette fin de poser véritablement et sans plus tarder les marques tangibles du changement, notamment en ce qui concerne les contraintes pesant sur la vie des ménages. C’est à ce prix seulement que sera écartée toute velléité « rectificatrice » de son pesant compagnon d’armes… Assez longtemps pour que celui-ci ne soit plus qu’un (très peu) aimable souvenir !
                                                                                                  Ahmed Ould Cheikh

lundi 2 décembre 2019

Editorial: KO debout?

Il est revenu. Il nous manquait pourtant si peu. Ould Abdel Aziz a préféré écourter son exil volontaire pour replonger dans la mare aux caïmans. Personne n’imaginait cependant qu’il allait tomber aussi bas. On le savait contraint de céder le pouvoir contre son gré, aigri, revanchard et rancunier. Mais on pensait qu’il avait un minimum de discernement pour ne pas tenter le diable. Persuadé que l’UPR était encore « son » parti et que ceux qui l’imploraient, hier, de tenter l’impossible troisième mandat ne le laisseraient jamais tomber, il fait son come-back. Non sans fracas, comme à son habitude ! Première victime à sa descente d’avion : un steward de la MAI qui lui demande une photo –  acceptée d’abord de bon cœur avant de se voir qualifiée de « faute grave » – est licencié sans droits. Trois jours plus tard, il convoque une réunion du comité provisoire chargé de gérer l’UPR en attendant la mise en place de ses instances. Et de taper du poing sur la table : « Le parti, c’est moi et ceux qui veulent avoir le leur n’ont qu’à s’en fonder un ! ». Net et sans bavures. Allusion à ceux qui ont vendu, selon lui, un peu tôt la peau de l’ours. L’opinion publique est abasourdie. Alors qu’elle pensait la page Aziz tournée définitivementet sans regrets, le voilà, tel le phénix, à renaître de ses cendres ! Et si tout ce qu’on disait sur sa volonté de prendre les rênes de « son » parti et diriger « sa » majorité était avéré ? On le savait teigneux mais de là à aller jusqu’à se faire ainsi harakiri ! Le lendemain, branlebas de combat dans les rangs de la majorité. Ould Ghazwani, qui a toujours refusé la confrontation avec son ami de quarante ans, lance une foudroyante contre-attaque. Les associations de maires, les députés, les présidents des conseils régionaux et, enfin, les secrétaires fédéraux du parti se réunissent et affirment que « le président Mohamed ould Ghazwani est la référence exclusive » de leur parti. Sans se montrer aux premières loges ni tirer une seule balle, le « marabout » occupe la scène, coupant l’herbe sous les pieds de son prédécesseur qui se retrouve du coup tout nu. Et aura tout le temps de méditer le sort que lui ont réservé ceux-là mêmes qui, hier, l’applaudissaient à tout rompre. Comme ils l’ont toujours fait pour tout celui qui occupe le palais de la Présidence… juste le temps qu’il l’occupe. Les députés qu’il avait cooptés un à un et pour lesquels il était descendu sur le terrain, croyant sans doute qu’il récolterait une majorité sur laquelle il pourrait toujours compter, ont été les premiers à le lâcher. Comme certains d’entre eux s’y étaient employés, sous son impulsion, contre Sidioca, formant ce qu’on appelait à l’époque le bataillon des frondeurs. Les voilà qui récidivent ! La trahison est bel et bien une arme à double tranchant : qui a tué par l’épée périra par l’épée. Maintenant que les carottes sont cuites, de quelle marge de manœuvres dispose encore l’invétéré putschiste ? Continuera-t-il à « taquiner » son ami ? Quand se rendra-t-il compte que la roue tourne et qu’il faut se rendre à l’évidence ? Jamais dans l’histoire de notre pays, un homme n’aura fait autant de bruit (de casseroles) au pouvoir… et après l’avoir quitté. Mais ce coup (comme celui des sénateurs en son temps) risque fort de le déboussoler un bon bout de temps. KO debout ? En forme interrogative, le constat reconnaît au coléreux une capacité de nuisance encore à l’affût de la moindre opportunité. Restons vigilants !
                                                                                      Ahmed Ould Cheikh

jeudi 14 novembre 2019

Editorial: Lettre ouverte à Ghazouani

Monsieur le Président, vous fêterez très bientôt  vos cent premiers jours à la magistrature suprême. Un délai communément admis dans le Monde pour dresser le premier bilan d’un nouveau chef d’Etat. Pourquoi cent ? Un seuil psychologique choisi probablement au hasard et qui ne représente pas grand-chose des cinq ans (ou plus) que vous passerez à la tête de notre république. Mais je sacrifierai, moi aussi, à ce rituel, même si je reste persuadé qu’il faudra beaucoup plus de cent jours pour seulement avoir une idée du gâchis dont vous avez  hérité. Choisir les hommes, mettre de l’ordre, redresser sont au moins trois paires de manches. Vous ne savez sans doute pas par où commencer, tant la tâche paraît ardue. Mais vous devez d’abord surmonter une difficulté et non des moindres. Ould Abdel Aziz est votre ami, pour ne pas dire alter ego, vous avez longtemps cheminé ensemble, il a contribué à votre élection  et vous ne pouvez pas, d’un revers de main et malgré l’extrêmement lourd passif, jeter le bébé avec l’eau du bain. Vous aurez donc besoin de tout votre talent de stratège pour naviguer entre des eaux tumultueuses et éviter les écueils que ne manqueront pas de poser, sur votre chemin, ceux qui n’ont pas intérêt à ce que la roue tourne. Vous avez commencé timidement : personne ne peut vous le reprocher. Votre culture tout en retenue vous empêche de faire des vagues. Mais, monsieur le Président, il y a urgence en certains domaines. Certes, vous n’avez pas de baguette magique ; pourtant il en faut une. Votre prédécesseur a commis tant de dégâts qu’il faut se révéler sorcier pour voir clair en une situation si ambigüe, opaque, (que dire ?). En voici des exemples et la liste n’est pas exhaustive.
L’école a été laissée pour compte pendant plus de dix ans. Que dire de la santé, infectée par les mauvaises pratiques et intoxiquée par les médicaments périmés ? La justice ? Inféodée à l’Exécutif. L’eau et l’électricité qui ont englouti des milliards ?  Elles ne sont pas assurées à tout le monde. Les infrastructures routières ? Malgré tout l’argent dépensé, elles sont dans un état déplorable. L’économie ? Vous héritez d’une dette de cinq milliards de dollars, soit près de 94% du PIB, 1132 dollars par tête d’habitant. Les marchés publics ? Toujours attribués aux mêmes. Le secteur privé ? Plus que l’ombre de lui-même : au lieu de l’encourager, l’Etat lui a fait la guerre, dix lourdes années durant. Les exemples de gabegie et de malversations ne manquent pas, il serait fastidieux de les citer un à un. Vous en avez été certainement informés. Une chaîne qu’il faut briser au plus vite. Comme vous avez brisé une barrière psychologique, en recevant les leaders de l’opposition et les hommes avec qui vous avez croisé le fer lors de la dernière présidentielle. Un premier pas non négligeable sur la voie de la décrispation de la scène politique. Mais beaucoup de choses restent à faire.  On attend tous le Messie. Il vous faudra sans doute commencer par mettre les choses au clair à ce sujet. Au plus vite, pour éviter des quiproquos et d’incongrus reproches. Vous n’aurez donc jamais à nous décevoir de ne pas être un autre. Et plutôt, je vous l’espère sincèrement, à nous réjouir  de vous constater, dans vos œuvres et services, tout simplement vous-même.
                                                                                             Ahmed Ould Cheikh

lundi 28 octobre 2019

Editorial: Partis en fumée

Il est, en Mauritanie, une règle immuable depuis la nuit des temps républicains. Chaque fois qu’un président se fait remplacer, de gré ou de force, le parti qu’il a fondé ex nihilo est convulsé de spasmes ; autrefois nombreux et disciplinés, ses militants se raréfient puis disparaissent ; jusqu’alors aux premières loges, ravis des grâces du Seigneur, ses chefs se font de plus en plus petits ; son siège qui ne désemplissait pas ressemble désormais à une maison hantée où personne ne veut poser pied ; même ses élus n’en revendiquent plus l’obédience. On connut tel scénario avec le Parti du peuple mauritanien du père fondateur, les Structures d’Education des masses de Haïdalla, le PRDS de Maaouya et, dans une moindre mesure, l’ADIL du président Sidioca. Et le voilà en notre quotidien contemporain, avec l’UPR, le parti qu’Ould Abdel Aziz porta sur les fonts baptismaux. Premier à porter l’estocade, un transfuge d’APP, ancien député UPR. Avec un énorme pavé dans la mare, en déclarant ouvertement que ce parti doit « se tourner vers l’avenir ». Au moment même où l’on évoquait, avec insistance, l’imminent retour d’Aziz pour présider le congrès de l’UPR et en prendre la tête ! Petit tollé rapidement étouffé. Les partisans du comeback – ils ne sont pas nombreux… – mettent de l’eau dans leur zrig. Le président du comité provisoire  de gestion du parti, qui a hérité d’un ‘’bon’’ morceau, ne pipe plus un mot. Pire, chacun peut constater, lors de la dernière réunion de ce comité, la disparation, comme par enchantement, de la grande photo du « président-fondateur » qui ornait le mur de la salle  de conférence. Un fait dont  les réseaux sociaux et la presse se sont fait largement l’écho. Les Mauritaniens, vous dis-je, ont la mémoire courte et la reconnaissance n’est pas leur qualité première. Aziz, qui se retourna, dès son élection, contre ceux qui l’avaient fait roi, est en train de périr à son tour par l’épée de l’opportunisme. A ce rythme, quelques mois suffiront à ne plus laisser, de ce parti, que le nom et le souvenir de « plus d’un million d’adhérents » fictifs. Tout comme un certain PRDS dont « tous les Mauritaniens étaient membres » et qui, au soir d’un certain 3 Août 2005, entama sa descente aux enfers, avant d’être enterré dans les oubliettes de l’Histoire. Ould Abdel Aziz aura-t-il plus de chances que ses prédécesseurs ? Saura-t-il maintenir son parti en vie après son départ du pouvoir ? Ses soutiens entretenir la flamme ? Rien n’est moins sûr, au vu du lourd héritage qu’a laissé l’homme derrière lui. Et des frais diluviens d’entretien d’une telle cour de courtisans si sensibles aux faveurs sonnantes et trébuchantes… Il dispose certes d’un épais matelas de devises méthodiquement glanées sur le dos du pays et ce ne serait pas superflu qu’une partie de ces revenus indus circule un tant soit peu en Mauritanie mais, bon, chaque jour qui passe réduit inexorablement l’hypothétique rendement d’un tel investissement. Dieu merci!
                                                                              Ahmed Ould Cheikh

dimanche 20 octobre 2019

Editorial: Game over?

Un enregistrement vidéo datant de quelques années circule, depuis quelques jours, sur les réseaux sociaux. L’ancien président Ould Abdel Aziz y évoque la gabegie qui mine l’économie du pays. Devant une foule enthousiaste qui croyait encore à ce qui ne se révèlera, finalement, qu’un cynique slogan creux, celui qui s’affirmera, à l’épreuve des faits, comme le plus grand prédateur de la République fait mine de s’emporter : « Deux, trois ou quatre personnes font main basse sur le budget de l’Etat et l’on ne réagit pas.  Il n’est pas normal qu’à chaque changement de régime, on fasse table rase du passé et  laisse les criminels impunis. » Le décor est planté : Le budget de l’Etat, les prêts, les dons, tout a été avalé. Le régime a changé et ses crimes restent, à ce jour, impunis. Risque-t-on de lui appliquer la sentence qu’il a lui-même édictée ? La demande populaire en ce sens est très forte, serait-ce trop demander à son successeur et ami ? Il y a, en tout cas, urgence à nettoyer les écuries d’Augias que ce pouvoir maléfique nous a laissées. En commençant par entreprendre un véritable audit des finances publiques, des sociétés injustement liquidées, des marchés de complaisance en tous les domaines, de la dette astronomique qu’il nous a fourguée, des attributions foncières et, pourquoi pas, du parc automobile. En dix ans, le pays a généré autant d’argent qu’en cinquante années d’indépendance et ne s’en est pourtant pas porté mieux.  Un système éducatif des pires de la planète ; son homologue sanitaire à l’agonie ; un réseau routier toujours pas aux normes, malgré les milliards engloutis ; une dette atteignant les 100% de son PIB : aucun secteur n’arrive à tirer son épingle du jeu. 
Pensait-il, Ould Abdel Aziz,  qu’il passerait, un jour, du statut d’accusateur à celui d’accusé ? Qu’il tomberait en plein dans le mille de ce qu’il reprochait à ses devanciers ? La gestion des deniers publics n’a jamais connu une période aussi sombre que sous son magistère. Il va bien falloir, un jour ou l’autre, en rendre compte. On ne peut pas diriger un pays pendant onze ans, le piller systématiquement, avec le concours d’un clan vorace et se retirer, sur la pointe des pieds  mais dans un bruit de tonnerre : celui d’une ribambelle de casseroles traînées.
En Afrique du Sud, l’ancien président Jacob Zuma, un des leaders de la lutte anti-apartheid, vient d’être rattrapé par la justice de son pays qui lui reproche d’avoir touché des pots-de-vin du groupe français Thales contre un marché d’armement. Il sera jugé pour  corruption. Que dire alors du nôtre qui attribua la centrale électrique duale à la société finlandaise Wartsila, pourtant trente millions d’euros plus chère que les autres entreprises techniquement qualifiées ?  L’aéroport  et le port de Nouakchott, sans le moindre d’appel offres et dans une opacité totale, respectivement  aux sociétés émiratie Afroport et singapourienne Olam ? Un blanc-seing pour piller nos côtes, pendant cinquante ans, à la société chinoise Polyhone Dong ? Dans n’importe quel pays aussi militarisé que le nôtre, un seul de ces crimes aurait valu, à son auteur, cour martiale et peloton d’exécution. Mais en Mauritanie kakie, l’impunité a encore de beaux jours devant elle. Sauf, si la pression de la société civile (qui commence à bouger timidement) et de la rue, décide le pouvoir à franchir le Rubicon. Il y va de notre salut, pour que plus jamais le pouvoir ne soit le chemin le plus court vers l’enrichissement illicite. Game over, une bonne fois pour toutes !
                                                                                                Ahmed Ould Cheikh

lundi 30 septembre 2019

Editorial: Guidons notre guide

Les Mauritaniens aspirent au changement. Après dix ans de disette, jamais le désir de tourner cette sombre page n’a été aussi fort. Si l’on excepte les années de braise de Haidalla (1980-1984) à la fin desquelles le pays tout entier était descendu spontanément dans la rue, pour fêter la délivrance. Au cours de son dernier mandat,  le régime d’ould Abdel Aziz, qui se savait partant, malgré quelques velléités de s’incruster au pouvoir, est devenu synonyme de prédation, gabegie, népotisme, laisser-aller, pillage à ciel ouvert, sans aucun respect des formes. Le pays n’en pouvait plus des mêmes visages bouffis de mauvaise graisse, disant une chose et agissant à l’inverse, prenant l’Etat pour leur vache laitière et le peuple en dindon de la farce. L’administration de la chose publique qu’ils étaient pourtant censés servir et qui leur conférait cette respectabilité (dont ne se prévalent vulgairement que ceux qui en manquent naturellement), n’avait plus d’état que le nom. Missions régaliennes bafouées, ni éducation, ni santé, ni sécurité, jamais l’Etat n’avait été, en à peine une décennie, aussi floué, méprisé, volé. Le peuple (vous, moi et les autres) voyait ses ressources  dilapidées, ses symboles piétinés, son histoire falsifiée. Comme dit le dicton, ce qui tuait à une certaine époque, ne faisait même plus honte. Nous étions tombés au plus bas de la déchéance.
C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’élection présidentielle de Juin dernier. Une élection sur laquelle se sont fondés tous les espoirs, puisqu’elle allait permettre – enfin ! – une alternance pacifique à la tête d’un Etat certes moribond, glissant dangereusement vers l’abîme, mais toujours réformable, si nous nous y mettons avec détermination et constance. D’où l’urgence, pour le nouvel élu, de prendre rapidement le taureau par les cornes, afin de sauver ce qui reste des meubles. Une tâche ardue mais pas insurmontable. Tout balayer d’un coup ? La demande populaire en ce sens est puissante mais, plus encore, le risque de chaos. N’exigeons pas l’impossible. Ould Ghazwani appartient au système qui l’a fait élire. Il ne peut s’en départir d’un trait de plume. L’ombre d’Ould Abdel Aziz continuera à planer sur nous, quelque temps encore, qu’on le veuille ou non. Certains de ses hommes parmi les plus décriés resteront aux commandes en certains postes névralgiques, pour assurer ses arrières. Jusqu’au jour où le vent contraire commencera à tourner. Dans quelques mois ou quelques années. En tout cas, inéluctablement. Le pouvoir, dit-on à juste titre, ne se partage pas et l’on ne peut pas être et avoir été.
L’un assure ses arrières, l’autre ses devants. C’est donc bien qu’on est en interrègne. Entre-temps, les courtisans d’hier se bousculent pour devenir ceux d’aujourd’hui. Que rien ne bouge, surtout, que rien ne bouge ! Sinon en apparence. D’autres, n’aspirant qu’à prendre leur place, n’ont guère plus de volonté à faire bouger réellement les choses. Mais d’autres encore l’ont, cette lucidité de vouloir œuvrer au meilleur, sont conscients de l’impérative nécessité, pour le bien commun, de s’y mettre sans plus tarder ; s’y attèlent déjà parfois. Les Mauritaniens aspirent au changement, disais-je en exergue. Mais de quoi ? Changer de boubou ou de comportement ? De forme ou de fond ? A chacun de nous de répondre à ces questions décisives, en son for intérieur, dans son quotidien, au volant de sa voiture comme à la conduite de sa charrette. Le peuple est souverain, n’attendons pas Ould Ghazwani, prouvons-lui, chacun, partout, à chaque instant, la réalité de notre volonté commune au meilleur, guidons notre guide !
                                                             
Ahmed Ould Cheikh

lundi 2 septembre 2019

Editorial: Rendez nos biens:

Le pont de Rosso sur le fleuve Sénégal, annoncé par le fameux ex-ministre de l’Economie et des finances, suite à un financement de 12 milliards MRO, dans le cadre d'une convention de prêt avec la Banque Africaine du Développement, n’a jamais vu le jour ; ni même un semblant de début de réalisation. Où est passé l’argent ? L’échangeur du Carrefour Madrid, dit Pont de l'Amitié, devait fluidifier la circulation en ce si pénible engorgement, selon les termes du même Ould Djay : le milliard six cent cinquante millions MRU offert par les Chinois à cet effet a disparu… sans que le pont ne soit édifié. La Grande Mosquée de Nouakchott de quinze mille places, avec une aile pour les femmes et autres équipements modernes ; l’hôtel cinq étoiles Sheraton de six étages dont les travaux devaient finir en Septembre 2016 ; l’usine d’assemblage d’avions qui a englouti des dizaines de millions de dollars… sans connaître le moindre début d’exécution. La cour est-elle pleine ? Hélas pas : les installations du projet Guelb 2 de la SNIM ont coûté près d’un milliard de dollars qui n’a servi qu’à acheter des équipements inadaptés, auprès de membres du clan facilement identifiables ; le projet « Sucre de Foum Gleïta », dont les études ont dilapidé des milliards, n’a pas produit le moindre kilo de cette précieuse denrée…  Autant de projets annoncés grandioses dont on attend encore l’audit promis, par Mohamed ould Abdel Aziz, lors d'une de ses conférences de presse. On aurait donc dû savoir, avant la fin de son ultime mandat, si et comment tous les établissements publics avaient respecté les procédures légales et bien géré les fonds et ressources allouées. Mais le 2 Août a passé et l’on n’en sait toujours rien.
Monsieur le Président Ghazwani, vous avez prêté serment, le 1erAoût 2019, devant Dieu et le peuple mauritanien, de servir celui-ci par tous les moyens. Il faut laisser l’amitié de côté et entreprendre, immédiatement, toutes les actions utiles pour récupérer les biens de la nation détournés par votre prédécesseur, sa famille et ses différents acolytes. C'est un devoir auquel nul ne peut vous soustraire. C’est une nécessité pour votre honneur. C’est le moindre gage de votre intégrité. Le peuple, la Nation tout entière se meurt. Ses biens ont été dilapidés. Ses enfants ne sont ni éduqués, ni soignés, encore moins sécurisés. La faute à un pouvoir qui a juré de ne rien laisser, ni pour maintenant, ni pour les décennies à venir.  Allons, Président, courage ! Faites-lui rendre nos biens !
                                                                                                 Ahmed Ould Cheikh

lundi 5 août 2019

Editorial: Enfin!

Plus que  24 heures avant que notre guide éclairé ne disparaisse du devant de la scène politique ! La cérémonie d’investiture du nouveau président élu, prévue le 1er Août, sera incontestablement un tournant dans la vie de notre nation. Celui qui tient les rênes du pouvoir, directement depuis onze ans et indirectement depuis quatorze, va, presque contraint et forcé, céder son fauteuil. Après avoir tenté, il y a quelques mois, un dernier coup tordu, visant à amender la Constitution et s’incruster au pouvoir, il fait brusquement volteface et tue, dans l’œuf, la tentative désespérée de certains députés à violer le texte fondamental. Suit une élection présidentielle contestée envers laquelle il n’aura fourni aucun effort, comme envers toutes celles qui l’ont précédée, pour la rendre un tant soit peu crédible et consensuelle, le voilà à passer, à son successeur, un pays exsangue.  Un cadeau empoisonné… à dessein ? Un pays où plus rien ne marche.  Une économie moribonde, un système bancaire à la dérive, une dette extérieure et intérieure colossale ; un tissu social en lambeaux ; une administration où n’importe qui peut prétendre à n’importe quoi, pourvu qu’il ait les bras assez longs ; une justice totalement inféodée, un système de passation des marchés aux mesures du seul clan ;  l’école et la santé en état de mort clinique ; une insécurité galopante ; des ressources halieutiques aux mains d’un seul homme  qui en distribue les quotas selon son bon vouloir ; un secteur minier dont les retombées ne profitent qu’à une minorité « bien née » ; une agriculture qui continue à absorber des milliards, pour un résultat presque nul… Une capitale pourrie où l’anarchie règne en maître, où les écoles ont été vendues, les places publiques squattées, le plus officiellement du monde, les réserves foncières pillées... Vous en voulez encore ? Il faudrait beaucoup plus de temps et d’espace, pour résumer onze ans de gabegie, de pillage et de laisser-aller. Un héritage tellement lourd qu’il est légitime de se demander si le pays pourra s’en relever.  Des travaux d’Hercule, en somme, pour le nouveau président qui doit, soit assumer l’héritage de son prédécesseur, soit donner un énorme coup de pied dans la fourmilière. Un coup de pied qui emportera moisissures et pourritures dont celle-ci regorge. La nature de l’homme s’y prête-t-elle ? Devenue écuries d’Augias, la Mauritanie a, en tout cas, besoin d’être nettoyée de fond en comble. Mais, bon, plus que 24 heures et tout sera désormais possible. Enfin !
                                                                                                Ahmed Ould Cheikh

lundi 29 juillet 2019

Editorial: Justice transfrontalière

Dans sa chasse effrénée aux opposants, dont le seul tort est de lui avoir dit non et de s’être élevés contre ses méthodes cavalières de gestion, Ould Abdel Aziz  ne veut aucun répit. Même à quelques jours de la fin de son deuxième et dernier mandat, il mobilise avocats et policiers, dans une traque qui risque fort de n’avoir pas plus d’effet que les précédentes. Les mandats d’arrêt lancés, il y a quelques années, contre ses opposants à l’extérieur ont été rejetés par l’Organisation internationale de police, la fameuse Interpol, au motif qu’ils sont de nature politique et ne se basent sur aucune preuve formelle. Aziz ne s’est pas avoué vaincu pour autant. Il ordonne à ses hommes de monter un nouveau dossier où deux hommes d’affaires, opposants en exil, sont accusés, entre autres, de «blanchiment d’argent et fraude fiscale ».  Et pour appuyer sa démarche, il sollicite des experts d’Interpol, de façon à rendre le dossier plus «recevable » que le premier. L’homme a manifestement la haine tenace. Et fait  tout pour porter l’estocade à des adversaires coriaces, avant que ses flancs ne se dégarnissent. C’est ainsi que, de source bien informée, des experts Interpol  sont arrivés, il y a quelques jours, discrètement à Nouakchott au motif qu’ils allaient dispenser une formation mais en fait c’était surtout pour  appuyer lesdits dossiers préparés par le Parquet général mauritanien contre ces opposants vivant l'extérieur du pays. Les voilà repartis après avoir conseillé la maréchaussée sur la meilleure façon de bien ficeler un mandat d’arrêt. N'aurait-il pas été plus judicieux, pour Interpol, que son équipe soit dépêchée pour enquêter sur le Ghanagate et les malles de Coumba Bâ? Un délit transfrontalier où le dollar américain a coulé à flots. Au nom de quel principe Interpol accepte-t-elle de se faire instrumentaliser par un dictateur prédateur qui, jusqu'au dernier jour de son mandat, emprisonne, fait disparaître et libère comme bon lui semble?
Et que dire des ONG peshmergas qui acceptent d'être les instruments de la police politique : plainte contre des opposants à l'extérieur, juste pour leur porter préjudice, quand bien même le dictateur n'ait pu les juger malgré une justice aux ordres ? Ces mêmes ONG qui ont prêté leur nom pour justifier l'emprisonnement des blogueurs Ould Weddady et Cheikh Ould Jiddou ? Et que dire des dizaines de citoyens honnêtes toujours maintenus en liberté provisoire, depuis plusieurs années, juste pour satisfaire l'ego du guide éclairé ?
L'opposition démocratique doit ameuter toute autorité internationalement compétente : Secrétaire Général des Nations unies, Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l'Homme, Président et Secrétaire général d'Interpol, etc. – pour dénoncer cette assistance policière internationale  contre l'opposition mauritanienne. Il est vraiment grand temps que cette page se tourne, que la justice cesse d’être instrumentalisée, que l’opposition cesse d’être tenue pour délit. C’est une position normale, critique, indispensable au débat de la chose publique et les institutions internationales si soucieuses de promouvoir la démocratie doivent mettre le holà partout où cette position est bafouée. Et ne jamais accepter, en tout cas, de détourner leurs justes règles au service d’une telle injuste traque.
                                                                                                                 Ahmed Ould Cheikh

lundi 22 juillet 2019

Editorial: Le mois le plus long

On connaissait « Le jour le plus long », film réalisé par Ken Annakin et Andrew Marton, avec John Wayne, Henry Fonda et Bourvil, une fresque historique monumentale et spectaculaire, d'après le livre éponyme de Cornelius Ryan. Sorti sur les écrans en 1962,  il relate, par le menu, le débarquement allié du 6 Juin 1944 sur les côtes normandes. Mais on ne s'imaginait pas alors que ce titre connaîtrait, 75 ans  plus tard, un étonnant remake, plus exactement élongation, quelque part dans une contrée balayée par les vents de sable et qui subit, depuis onze ans, un calvaire sans nom : « Le mois le plus long ». Un navet de chez navets, assurément, qu’aucun réalisateur ne s’aventurera à filmer. Pesant des tonnes de lassitude, ce mois de Juillet 2019, que tout le monde, en Mauritanie, veut voir finir le plus tôt possible, s’étire indéfiniment. Pour  la majorité, sinon la totalité de ce peuple, Août sera celui de la délivrance, de toutes les attentes, de tous les espoirs. Espoir de voir l’actuel Président, dont l’impopularité atteint des records, céder à la place à son dauphin, sans trop de casse. Espoir de voir le pays tourner la page de la crise politique qu’il vit depuis plus de dix ans. Espoir de voir un Président « normal », dirigeant sa majorité avec tact et respectant son opposition, présider à notre destinée. Espoir d’une justice non inféodée à l’Exécutif. Espoir de voir une éducation abandonnée à son sort et une santé publique à l’agonie se relever et marcher normalement. Espoir, pour les opérateurs économiques, d’être tous traités sur un même pied d’égalité. Espoir de ne pas voir une parentèle boulimique faire main basse sur le pays et ses ressources.  Espoir d’une égalité de chances entre tous les citoyens. Espoir de ne voir ni épouse, ni fils, ni fille, ni beau-fils du Président aux premières loges, comme une famille régnante. Espoir de voir toutes les composantes de ce pauvre pays vivre en symbiose, sans haine ni rancune. Espoir enfin d’avoir un Président qui écoute, explique, justifie ses choix, s’excuse s’il le faut, n’en faisant pas qu’à sa tête et ne se prenant pas pour un superman qui veut tout régenter, même les plus petits  détails. Un rêve ? Allons donc ! Jusqu’à présent pacifique, ce peuple ne demande pas la lune. Il veut, tout simplement, être respecté ; que ses richesses ne soient pas dilapidées et que l’Etat remplisse ses obligations à son égard ; que les meilleurs de ses fils, les plus compétents, les plus dévoués au bien, soient aux premières loges pour le servir et non se servir ; qu’il soit sécurisé et que la moindre route ou école de brousse ne soit plus comptabilisée en « grandiose » réalisation. Que la « Direction nationale » ne soit plus le seul point cardinal vers lequel tous s’orientent, pour jouir du moindre petit droit. Bref, que l’Etat chargé, par notre peuple souverain, d’administrer notre bien commun, s’y emploie vraiment, en élaborant et partageant celui-ci avec équité, justice, sens élevé du service, à l’écoute réelle de tous, fussent-ils opposants.
                                                                         Ahmed Ould Cheikh

lundi 8 juillet 2019

Editorial: Une nouvelle page à défaut d'un chapitre

Militaires en faction, fusils en bandoulière, gilets pare-balles, voitures alignées, la commune de Sebkha ressemble, depuis quelques jours, à une zone en état de siège. Après les troubles survenus, suite à la proclamation des résultats de la présidentielle et l’intervention musclée de la police et de la gendarmerie, le pouvoir a voulu marquer le coup. Et de quelle façon ! Le ministre de l’Intérieur est monté au créneau le premier. Il a parlé, pêle-mêle, d’une opération de déstabilisation à grande échelle qui visait notre pays, de  « mains étrangères » – toujours cette cinquième colonne qui nous veut du mal ! – de non-mauritaniens qui seraient passés aux aveux. Bref, de quoi terroriser nos pauvres concitoyens à qui l’on a déjà fait avaler tellement de couleuvres. On arrête, dans la foulée, Samba Thiam, le président des FPC, histoire de diaboliser encore plus les anciens et actuels Flamistes,  et leur attribuer la responsabilité de tous nos malheurs. Mauvais signal au monde où notre pays était bien vu, au moins pour la liberté d’expression qu’il garantissait à ses citoyens, à défaut d’autre chose. Internet est coupé. Pourquoi ? Empêcher le flux d’informations que véhiculaient les réseaux sociaux ? Censurer les images des manifs et de la répression ? Ne pas jeter de l’huile sur des flammes incandescentes ? Un journaliste, Camara Seydi Moussa, directeur de publication de « La Nouvelle Expression », est incarcéré à son tour. Le militant des droits de l’homme, pourfendeur de l’ordre établi, antiféodal à qui l’on ne peut reprocher que sa plume acerbe, fait désordre. Il faut le faire taire.
Et l’armée est appelée à la rescousse, comme si les autres corps n’étaient pas suffisamment outillés pour rétablir l’ordre. Dans un Etat normal, elle n’est appelée qu’en cas de débordements suffisamment graves, état de siège, couvre-feu ou….coup d’Etat. Ould Abdel Aziz veut-il pourrir son fin de règne ? Nous faire regretter les « dix ans de paix et de stabilité » dont ses laudateurs nous bassinent à longueur de journée ? Ou nous préparer à d’autres suites, moins avouables ? A moins qu’il ne soit pas lui-même le commanditaire de ce remue-ménage… L’armée serait-elle intervenue pour siffler la fin de la récréation ? Donner un signal fort au Président sortant ?  Rétablir le « vrai » ordre, en attendant l’investiture du président élu ? La façon dont les troubles ont éclaté, alors qu’ils étaient prévisibles et qu’on pouvait les éviter, le déploiement des forces qui les a suivis, le blackout sur l’information, autant d’indices d’une anguille sous roche. On sent, en tout cela, comme des tiraillements qui ne disent pas leur nom. Des choses nous échappent, à nous autres communs des mortels. On attend donc, on attend l’après-élection, en priant qu’elle ne soit, elle aussi, qu’un leurre. Et qu’elle se termine, en tout cas, sur un après-Aziz sans ambages ni encombres. Le pays en a assez des crises, des crispations, des invectives, du mépris. Il veut tourner la page obscurcie de ratures. En ouvrir au moins une nouvelle, à défaut d’un chapitre...
                                                                                    Ahmed Ould Cheikh

lundi 1 juillet 2019

Editorial: Une victoire pour quels lendemains?

Depuis la première élection présidentielle de l’ère démocratique, en 1992, et à quelques exceptions près, les lendemains d’élections se ressemblent en Mauritanie. Le vainqueur et son camp proclament leur victoire, avant même qu’elle ne soit officiellement annoncée. L’opposition crie au holdup électoral, oubliant, mémoire courte, que sa participation équivalait à une caution d’un processus fourbi d’avance. Dépités, des militants descendent dans la rue, cassent quelques vitres de voiture, avant d’être réprimés, violemment, par les forces anti-émeutes. Et, en 24 heures, le sort en est jeté. L’élection qu’on vient de vivre n’a, jusqu’à présent, pas dérogé à cette règle semble-t-il immuable. Les quatre candidats de l’opposition ont rejeté les résultats de la consultation, alors même qu’ils n’ont pas été  proclamés officiellement par la CENI. Au cours de la journée du vote, ils ont signalé, à cette structure chargée d’organiser celui-ci, plusieurs irrégularités qui seraient, selon eux, de nature à fausser les règles du jeu. Mais les dés étaient pipés. Participer à une élection, sans être représentés dans la commission électorale et sans un minimum de garanties de transparence, ne peut que déboucher sur un tel résultat : leurs yeux pour pleurer, pendant les cinq prochaines années. Et continuer à protester et contester à loisir. Ils l’ont fait « pour » Ould Abdel Aziz, pendant dix ans, après avoir légitimé son élection en 2009, avec leur participation aux Accords de Dakar. Chat échaudé devait pourtant craindre l’eau froide. Mais rien n’y fait. Il est quelque part écrit que notre opposition restera toujours ce qu’elle est. Roulée dans la farine à chaque élection, sans jamais  tirer les leçons de ses échecs répétés. Cette fois encore, Ould Abdel Aziz qui n’a pas réussi, malgré plusieurs tentatives, à décrocher un troisième mandat, a tout fait pour jeter le discrédit sur la consultation. Après avoir fait miroiter, à l’opposition, une participation à la CENI, il a fait machine arrière, lui faisant perdre un temps précieux, en négociations aussi longues qu’inutiles. Il ne restait plus, à cette infortunée, qu’à boycotter l’élection, contre l’avis de ses militants, ou participer et cautionner un processus sur lequel elle n’avait aucune prise. Le vin est tiré. Faut-il pour autant le boire ?
Seul point positif, et non des moindres, de cette élection : elle consacre l’alternance au pouvoir. Celui qui mit le pays en coupe réglée, pendant onze ans, n’aura plus – c’est, en tout cas, ce que tout le monde espère – voix au chapitre. Il n’a d’ailleurs plus aucune possibilité de réaliser un comeback, la Constitution est explicite sur ce point. Le titre d’ancien Président, dont il n’a jamais rêvé, devra donc suffire à son bonheur. Mais il laisse un lourd héritage à son successeur : des secteurs sociaux moribonds, un chômage au zénith, une dette record, un tissu social en lambeaux, une situation politique délétère, une économie exsangue. Bref, un cadeau empoisonné. Ghazwani réussira-t-il à recoller les morceaux ? C’est avec la meilleure volonté du monde qu’il  lui faudra, d’abord, gérer l’après-élection, en évitant de s’enliser, comme son prédécesseur, dans une crise politique sans issue. Comment ? Engager, dès à présent, un véritable dialogue qui débouchera sur des élections législatives et municipales anticipées consensuelles et faire participer, pourquoi pas, l’opposition qui le désire, à un gouvernement de large union nationale. En cette période charnière de son histoire, le pays a besoin de tous ses fils et filles ; tout le monde gagnera à vivre, enfin, une situation politique apaisée. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, qu’il tournera la page d’une décennie de privations et de frustrations populaires croissantes. Qu’il ne s’y trompe pas : aussi traditionnelle et programmée paraît sa victoire express, elle est un trompe-l’œil d’un cyclone dont il lui faut conjurer, sans tarder, la fatalité.
                                                                                                      Ahmed ould Cheikh

dimanche 16 juin 2019

Editorial: Très, très courte vue

Lors d’un débat télévisé de la campagne électorale pour la présidentielle de 2007 en France, Arnaud Montebourg, un des leaders du parti socialiste de l’époque, fit une déclaration choc. Interrogé, par le journaliste, sur les chances de la candidate socialiste, Ségolène Royal, face à Nicolas Sarkozy, il se permit une pique dévastatrice. « Le seul problème de Ségolène, c’est son compagnon » ; qui n’était autre que François Hollande. Pour paraphraser cet homme politique français, peut-on dire que le seul problème de Ghazwani, c’est Ould Abdel Aziz ? Frappé par la limite constitutionnelle des mandats, notre rectificateur en chef ne veut rien lâcher, pas même la bride à son ancien compagnon d’armes. Présent à ses côtés, lors de l’ouverture de la campagne électorale à Nouadhibou, il lui a imposé, dans son staff, des ministres parmi les plus décriés du gouvernement et veut le voir assumer une partie du lourd héritage de ses onze années de pillage et de disette, à la tête de l’Etat. Un poids mort dont Ghazwani  voudrait bien se passer mais l’ombre tutélaire de son ami risque fort de hanter ses nuits, quelque temps encore. Si elle ne lui  vaut pas des déboires, elle ne le servira, en tout cas, sûrement pas. Très décrié, ce pouvoir qui a mis le pays en coupe réglée devrait plutôt faire profil bas. Le malheur est qu’Ould Abdel Aziz se croit encore populaire. Ses slogans de 2009 sur le président des pauvres et la lutte contre la gabegie ont fait long feu. Confrontées à la dure réalité, ils n’ont tenu que le temps d’une rose. Ce n’est qu’après avoir échoué dans ses tentatives d’arracher un troisième mandat qu’il s’est décidé à soutenir un candidat à la présidentielle qui ne pouvait être qu’un général défroqué, comme lui, proche parmi les plus proches et en qui il avait une totale confiance.  Cela lui vaudra-t-il élection pour autant ?
Argentine, Février 1946. Le docteur José Tamborini, de l'Union démocratique, semble le mieux placé et financièrement soutenu pour remporter l’élection présidentielle. Mais son adversaire le colonel Juan Domingo Perón, ancien ministre du Travail, dispose d’un réel soutien populaire. Aussi l'ambassadeur des États-Unis, Spruille Braden, très proche des milieux affairistes qui soutiennent Tamborini, décide-t-il de s’impliquer publiquement, en participant activement aux meetings de l’Union démocratique. Il publie même un pamphlet, connu sous le nom de « Blue Book », (Livre Bleu) accusant Perón de liens fascistes. Mais celui-ci va très habilement retourner ce trop voyant soutien de l’ambassadeur étranger. Répondant au « Livre Bleu » par son propre livre «Livre Bleu et Blanc » (les couleurs du drapeau argentin), il y développe son antagonisme à l'impérialisme des Yankees, s’attirant ainsi beaucoup de soutiens nationalistes. Avant de résumer l’élection par un lapidaire : « Perón ou Braden » ; réduisant définitivement le docteur Tamborini à l’état de marionnette des intérêts états-uniens. Résultat des courses : Perón est élu par 56% des votes malgré l'opposition des libéraux et des communistes. Cerise sur le gâteau, son parti travailliste devient majoritaire dans les deux chambres de l'Assemblée.
Ould Abdel Aziz parie, il l’a dit à Nouadhibou, sur un passage en force dès le premier tour, épargnant à « son » candidat tenu en laisse, les affres d’un tête-à-tête où l’adversaire unique de Ghazwani aurait beau jeu de résumer l’élection par un tout aussi lapidaire : « Aziz ou moi ». Chaque jour qui passe, maintenant, révèle la réalité de ce postulat, réduisant comme peau de chagrin la capacité de Ghazwani à démontrer qu’il existe indépendamment de son « maître ». Avec cette inconnue supplémentaire, bien plus redoutable : si, d’aventure, Ould Abdel Aziz réussissait son pari de forcer le premier tour, au prix des plus ubuesques manipulations du vote, quel avenir, pour la Mauritanie ? Le seul problème de Ghazwani, c’est peut-être bien Ould Abdel Aziz mais le seul vrai problème d’Ould Abdel Aziz, c’est très certainement, sa très, très courte vue.
                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

dimanche 9 juin 2019

Editorial; No future?

Une nouvelle fois, le régime fait parler de lui. En mal. Une opération de bradage d’une partie du patrimoine minier de la SNIM serait en cours. Si elle n’est pas déjà conclue, en catimini. La nouvelle fait sensation depuis quelques jours, sur les réseaux sociaux et les organes de presse. Le dernier bastion, qui échappait encore à la boulimie du clan (même si une grande partie de ses recettes, lors des années fastes, a déjà pris des chemins détournés), est en train de tomber. Après la pêche, cédée à une holding chinoise, dans une totale opacité ; l’aéroport de Nouakchott, dont la gestion est désormais confiée à une obscure société émiratie ; le port de l’Amitié qui tombera, dans quelques années, en l’escarcelle d’une entreprise singapourienne, le tout pour 25 ans.  Après les permis de recherche minière dont les plus prometteurs ne sont cédés qu’aux proches ; les quotas de poulpe dont une nouvelle vague vient d’être attribuée ; des zones entières de Nouakchott et de Nouadhibou, nouvellement loties et sur lesquelles « on » a fait main basse ; les marchés en tout genre, dans les domaines de l’électricité, de l’eau ou du BTP : le pays est désormais en coupe réglée. A son départ, dans quelques mois, Ould Abdel Aziz n’aura pas accompli deux mais six mandats successifs, puisque il a engagé le pays pour les vingt prochaines années, dans des opérations dont la rentabilité est pour le moins douteuse. Sauf pour certains. Mais, pour le pays, plus qu’hypothétique, hasardeuse.  Il y a quelques jours, raconte-t-on, le directeur d’un centre de recherches du Golfe rendait visite à un recteur d’une université maghrébine,  pour le renouvellement d’un mémorandum d’entente sur la coopération académique entre les deux institutions, sans aucun engagement financier de l’université en question. Poliment, le directeur s’excuse, au motif que son mandat finissait dans quatre mois et qu’en conséquence, il ne pouvait, pour des raisons d’éthique, signer un document qui engagerait son successeur. Aurions-nous donc si peu d’éthique pour avoir l’outrecuidance d’engager, non seulement, un futur président mais tout un pays, pour 20 à 25 ans, alors que le présent mandat présidentiel touche à sa fin ? En Mauritanie, l’insolence  n’a plus de limite, sitôt que le gain est à portée de main. A quelle fin ? Qu’a récolté le pays, de cette décennie dont on nous chante les résultats ? Jugez par vous-mêmes : dette, 105 % du PIB ; 68% de la population vivant avec moins de 2 dollars par jour ; qualité de l’enseignement, 128ème sur 130 pays ; services de santé, 133ème  sur 136 pays ; taux de chômage des jeunes, 35% ; armée, 129ème  sur 131 pays ; sociétés d’Etat, en faillite ; poids des taxes, 3ème pays au monde ; etc., etc. La culture du bout du nez, de l’immédiateté du profit, de l’opportunité reine était peut-être inscrite dans nos gènes, travaillés par tout un passé de précarité bédouine. Mais, par son avidité insatiable, le régime en a fait une autrement plus implacable loi d’existence, en détruisant, non plus seulement, notre présent mais, aussi, notre avenir.
                                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

lundi 20 mai 2019

Editorial: Par évidence...

La brillante sortie, il y a quelques jours, sur une télévision privée, de l’ingénieur Mohamed Saleck ould Heyine, à propos de la situation économique du pays, en général, et celle de  la SNIM, en particulier, en dit long sur le gâchis, les mauvais choix, les investissements inopportuns, l’absence totale de vision et l’incohérence érigée en modèle de gouvernance que le pays subit depuis une décennie. Centrales électriques tournant à vide, lignes haute tension reliant des villes autosuffisantes en énergie, l’usine de sucre de Foum Gleita qui a englouti des milliards, sans produire le moindre kilogramme, celle du lait de Néma ajoutée à la longue liste d’éléphants blancs, l’usine d’assemblage d’avions sans le moindre début d’exécution, malgré les millions de dollars partis en fumée, jusqu’à l’usine des Gulebs 2 qui a coûté plus d’un milliard de dollars et produit moins du quart de ses objectifs initiaux. Mohamed Saleck ould Heyine fut, pendant près de vingt ans, administrateur directeur général de la SNIM et a réussi à la maintenir à flots, loin des contingences politiques : il sait de quoi il parle. Alors que, de son temps, le prix du fer atteignait à peine les 20 dollars, la société faisait face à toutes ses obligations et battait des records de production. A titre de comparaison, la tonne de fer se négociait sur le marché international, entre 2010 et 2014,  autour de 170 dollars, ce qui a permis, à la SNIM, d’engranger des milliards. Mais, telle une cigale si peu prévoyante, elle a tout dilapidé, sur ordre d’un pouvoir boulimique. Une caverne d’Ali Baba où le clan s’est servi sans vergogne, jusqu’à plus soif. Un crime économique qui ne doit pas rester impuni. Ould Heyine n’avait pas de mots pour dénoncer la prédatrice opération qui a fait, de ce fleuron de notre économie, un boulet  risquant, à tout moment, de mettre la clé sous la porte.  Cela fait deux ans que la SNIM n’a pas contribué, d’une seule ouguiya, au budget de l’Etat. Ses créances, auprès des organismes internationaux, commencent à tomber et elle ne peut y faire face. Ses employés, à qui l’on demande sans cesse des sacrifices et qui n’ont pas profité de l’embellie des années fastes (contrairement à d’autres qui n’ont pourtant jamais vu la couleur de la mine), commencent à râler. En grève la semaine passée, ils comptent y retourner, jusqu’à la satisfaction de leurs doléances.
Mais l’OPA sur la SNIM n’est pas le seul crime économique imputable au régime actuel. Une liste de plomb dont trois exemples suffiront à entrevoir le démentiel tonnage : le contrat avec la société chinoise Polyhone Dong, un blanc-seing pour piller impunément nos côtes,  pendant vingt-cinq ans, sans la moindre contrepartie pour le budget de l’Etat ; la cession de l’aéroport de Nouakchott à Afroport, une obscure société émiratie, qui lui permettra d’empocher, rien qu’en handling, plus d’un milliard et demi d’ouguiyas par an, alors qu’elle n’a pas investi le moindre sou. Ce montant devait revenir à la Mauritania Airlines qui risque de voir, du coup, ses difficultés augmenter ; un quai du port de Nouakchott cédé à une société singapourienne, sans appel d’offres, pour y construire un terminal à conteneurs…  A qui profitent ces crimes ? Nul besoin de se prétendre fin limier pour avancer réponse : à ceux qui se sont juré, dix ans durant, de ne jamais rien laisser au… hasard, ce « maladroit qui s’occupe de tout ce qui ne le regarde pas », si l’on en croit Alexandre Dumas… mais qui s’arrange, si bien, au final, pour démonter, preuves à l’appui, ceux qui l’ont trop méprisé.  Ce ne sera donc pas par hasard mais par évidence que s’écroulera le cirque.
                                                                   Ahmed Ould Cheikh

dimanche 5 mai 2019

Editorial; Vols et envols

L’excellent et très approfondi travail d’investigations, mené par le professeur Mohameden ould Meyne, sur les voyages entrepris par Ould Abdel Aziz, de son arrivée au pouvoir au 24 Avril dernier, a de quoi donner le tournis. Celui qui, pour justifier son coup d’Etat de 2008, avait reproché, au président Sidioca, de « voyager beaucoup », se retrouve tout nu devant une telle argumentation : la date des voyages, leur destination, la distance parcourue, la durée des vols, la consommation de kérosène et, même, les émissions de CO². Soit 168 déplacements (annoncés, précise l’auteur)  à l’étranger, 16,8 voyages par an et 1,4 voyage par mois. Soit, environ, 1.400.000 km  (35 fois le tour de la Terre et deux fois la distance entre la lune et notre planète bleue, aller-retour !). A quel coût pour le contribuable ? Plus de six milliards d’anciennes ouguiyas, rien qu’en kérosène ! Sans compter les autres frais : coût d’achat des avions et leur maintenance, frais de mission du personnel, frais d’hôtel,  taxes aéroportuaires et autres « petits détails » inhérents à tout déplacement présidentiel. Résultat des vols : un président qui coûte cher, pollue beaucoup et se déplace, le plus souvent, inutilement. Qui peut bien nous expliquer, par exemple, à quoi  servit le dernier voyage de notre guide éclairé au Swaziland, un pays avec lequel nous n’entretenons aucune relation, de quelque nature que ce soit ? Et en Afrique du Sud, Tanzanie, Azerbaïdjan ou Ouganda,  il y a quelques années, pour ne citer que ceux-là? Par quel miracle tient-il encore la route, alors que la compagnie aérienne nationale (dont il a fait une compagnie privée) est au bord du gouffre et que les caisses de l’Etat sont vides ? Comment peut-on se permettre de dilapider, dans un pays aussi pauvre que le nôtre, autant de ressources en voyages aussi inutiles que coûteux ? Dès son accession au pouvoir en 2015, le président tanzanien John Magufuli interdit, systématiquement, aux ministres et hauts fonctionnaires, de voyager en première classe. Lui-même ne se déplace qu’en avion de ligne, pour ses voyages à l’étranger. Considérant, à juste titre, que les ressources du pays doivent être orientées vers quelque chose de plus utile, il donne l’exemple. Feu Mokhtar ould Daddah, qui ne voyageait qu’en cas de nécessité, avait son propre avion, offert par le président gabonais, et versait automatiquement, au Trésor Public, tous les dons qui lui étaient généreusement attribués par ses pairs. On est très loin de l’actuel président tanzanien et du père de notre Nation que Mohamed Ali Chérif, un de ses plus proches collaborateurs, n’hésita pas à comparer à Oumar ibn Abdel Aziz, le khalife le plus honnête que le monde musulman ait connu, depuis la disparition du Prophète (PBL). Ould Abdel Aziz ne rate, lui, aucune occasion, s’il ne la fabrique pas, de prendre le premier avion de la MAI (quitte à laisser des passagers en rade en tel ou tel aéroport étranger), pour aller inaugurer des chrysanthèmes, assister à une fête nationale ou un anniversaire, voire négocier une dette qui, finalement, n’aura pas été allégée d’un dollar.
N’aurait-il pas été plus rentable, économiquement parlant, de lui acheter ou lui louer, en permanence, un petit avion, pour ses déplacements, normaux et intempestifs ? Ou, plus efficacement encore, de lui rappeler que toute élévation commence, d’abord, par bien garder les pieds sur terre ? Il y aurait, probablement, gagné une estime populaire qu’il se croit, dans les nuages, bien à tort acquise, comme l’après 22 Juin se chargera de le lui démontrer. Il y aurait, en tout cas et plus certainement, soulagé beaucoup de misères de son peuple, en investissant, au ras des dunes et des marigots, tous ces milliards envolés en pure perte…
                                                                                                               Ahmed ould Cheikh

dimanche 14 avril 2019

Editorial: La lune dans le caniveau

La scène est surréaliste. Les réseaux sociaux s’en sont donné à cœur joie. En quelques heures, elle a fait le tour du Web... mauritanien. Lors de l’accueil du candidat Ould Ghazwani à Guérou, deux jeunes hommes en viennent aux mains, sous les tentes dressées pour la circonstance. Ils échangent quelques coups avant qu’on ne parvienne, difficilement, à les séparer. Les deux malabars  sont de ces tendances politiques rivales qui déchirent la ville et avaient, apparemment, de vieux comptes à régler. L’organisation du meeting, l’arrivée du candidat et son accueil ont fini d’exacerber les tensions. Chacun voulant tirer la couverture à lui et se donner ainsi le beau rôle, au cas où Ghazwani réussisse à glaner la majorité des suffrages mauritaniens.
Quoique l’image soit des plus déplorables, n’accablons pas Guérou. Toutes les villes qui ont accueilli (ou accueilleront) le candidat étaient (et seront) des Guérous. Et toutes se sont employées (et s’emploieront), à donner, à la flagornerie et à la bassesse, leurs lettres de vulgarité. Des initiatives de soutien – familiales, s’il vous plaît ! – ont poussé comme des champignons, cadres dirigeants et intellectuels rivalisant d’ardeur, dans le lèche-bottisme, hommes d’affaires et politiques en rupture de ban se disputant les premières loges. Si bien que le candidat lui-même est apparu, à plusieurs reprises, perdu. Cerné de toutes parts, il éprouve toutes les peines du monde à prononcer son discours. Foule bruyante, sans sécurité ni protocole pour l’encadrer. Mais le programme est chargé, avec juste deux heures, trois tout au plus, à consacrer à chaque moughataa : il faut donc transiger et effectuer l’étape au pas de charge. Le discours est programmé, il faut le prononcer, quitte à ne pas être audible. La prochaine étape ne peut attendre. Bravant la chaleur, la poussière, la fatigue et la désorganisation des accueils, voilà le candidat bien au parfum de ce qui l’attend, s’il est élu.
C’est systématique, depuis la nuit de la République : chaque fois qu’un président ou potentiel président est annoncé à l’intérieur du pays, on bat le rappel des troupes. La population locale est envahie. Ceux des natifs de la ville qui l’ont abandonnée, depuis belle lurette,  reviennent en force. « Moi devant ! » semble le non-dit le plus partagé, par tous ces assoiffés d’image, comme pour suggérer, à l’illustre hôte, que tout va bien, dans ce coin perdu. Voitures de luxe, ventres bedonnants et embonpoints prononcés, cette garde de circonstance fait écran, entre le président et une réalité souvent amère. Et de se targuer « grands électeurs », dans l’espoir de vendre un électorat fictif. Incessant manège, devant l’avènement de notre « démocratie » bizarre. Et, au vu de ce qu’on a vu au cours des derniers jours, on n’est pas prêt de sortir de l’auberge.  Ould Ghazwani est averti : s’il ne veut pas courir à grandes désillusions, il lui faudra nettoyer – et vite… – le terrain : le peuple en a assez d’être systématiquement pris pour l’éternel dindon d’une farce de mauvais goût. Ces dix dernières années l’ont tellement épuisé qu’il ne sait plus à quel « saint » se vouer ni qui faut-il croire. Un certain « Président des pauvres » avait promis la lune : il l’aura tant traînée dans les caniveaux que d’aucuns désespèrent de jamais la revoir en sortir. Et quand le désespoir s’y met…
                                                                                      Ahmed Ould Cheikh

dimanche 31 mars 2019

Editorial: Il est où, le bout du tunnel ?

Deux blogueurs sont en garde à vue. Arrêtés vendredi dernier à midi, pour que le week-end passé entre les mains de la police chargée de la répression des crimes économiques ne soit pas comptabilisé, dans le délai légal de 48 heures, renouvelable, fixé à telle garde. Ils resteront donc encore lundi  et mardi, à la direction de la Sûreté, sauf si la police juge utile de les garder encore deux autres jours. Ce qui est plus que probable puisqu’il s’agit de faire payer, à ces deux lanceurs d’alerte, leur témérité. Ils ont pourtant été déjà entendus, en cette affaire de milliards de dollars réputés gelés aux Emirats arabes unis, sur injonction de l’oncle Sam.  Mais de quoi sont-ils accusés, nos blogueurs ? D’avoir insinué, sur leur page Facebook, que beaucoup d’argent « n’appartenant à personne » (sic !) aurait été gelé, récemment, aux E.A.U, sur demande pressante des U.S .A. Et qu’un membre du « clan » aurait été alpagué, par les services émiratis,  et interrogé sur des déplacements répétés et inexpliqués, entre ici et là-bas, ainsi que sur l’origine « douteuse » de certains fonds. Les Américains, ont laissé entendre les deux blogueurs, seraient désormais très pointilleux lorsqu’il s’agit de virements vers ou à partir de la Mauritanie.
Il n’en fallait pas plus pour susciter l’ire présidentielle. Interrogé sur cette affaire, lors de son inutile sortie à une réunion  du comité chargé de gérer, provisoirement, l’UPR, Ould Abdel Aziz a jugé sans objet de la démentir, « personne ne (le) croira ». Aurait-il oublié qu’il est notre Président et qu’il doit être cru sur parole ? Il lui suffit juste de rester au-dessus de la mêlée. Ce qui, par les temps qui courent, n’est apparemment pas très aisé. Cela dit, négliger de démentir ne signifie pas se désintéresser. Pour preuve, dès le lendemain, avec un branlebas de combat à péter le feu. L’alerte est donnée. Les deux blogueurs et deux journalistes sont convoqués par la police économique, sommés de dévoiler leurs sources. Si les journalistes sont vite libérés, c’est au défi de  toute logique, alors qu’ils ne sont pas cités comme témoins et qu’aucune charge ne pèse encore contre eux, que Cheikh ould Jiddou et Abderrahmane ould Weddady sont priés de donner leur passeport et carte d’identité. Une mesure qui ne peut intervenir, normalement, qu’en cas de contrôle judiciaire ordonné par un juge. Comme dans l’affaire Ould Ghadda où des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes furent traînés en justice, tout simplement parce que certains d’entre eux avaient bénéficié de la générosité d’un mécène, le pouvoir (ab)use encore de ses pouvoirs.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est d’argent qu’il s’agit. Mais quoi, notre guide éclairé aurait-il des problèmes avec la thune ? Pourquoi, malgré les multiples outrages dont il a été l’objet, n’a-t-il jamais porté plainte contre quiconque ? Il doit bien avoir une susceptibilité, quelque part. Un bon psychologue ne serait pas de trop, pour nous expliquer cette relation si particulière à l’argent. L’évoquer le rend-il à ce point furieux qu’il ne s’embarrasse plus d’aucune procédure, quitte  à écorner, un peu plus, l’image d’un pays plusieurs fois épinglé par les organisations des Droits de l’Homme ? Et ce n’est pas le refoulement à l’aéroport de Nouakchott, la semaine dernière, d’une délégation d’Amnesty International qui redorera un blason terni par ce genre de pratiques. L’ouverture par la justice de dossiers vides, le placement sous contrôle judiciaire pour des raisons futiles, la convocation devant les juges pour intimider, la mise au secret, autant de manœuvres dilatoires qui portent préjudice à un pays censé démocratique. Mais la démocratie, ce n’est pas seulement une presse libre et des élections organisées, de temps à autre, mais un état d’esprit, des procédures, des lois et des institutions à respecter ; un exécutif responsable, n’empiétant pas sur les autres pouvoirs, une justice véritablement indépendante et un pouvoir législatif jouant son rôle sans complaisance. A y voir de près, on en est encore loin. Jusqu’à quand resterons-nous les derniers de la classe ? Vingt-huit ans que nous nous battons pour l’avènement d’une vraie démocratie, nos efforts n’ont-ils finalement abouti à rien ? On ne voit toujours pas le bout du tunnel et il est fort à craindre que cela dure encore longtemps.
                                                                     Ahmed Ould Cheikh

dimanche 17 mars 2019

Editorial: Boucles de bourdes

On l’avait peut-être enterré un peu tôt. Ould Abdel Aziz renaît, tel le phénix, de ses cendres. Depuis le communiqué, publié en catastrophe depuis les Emirats, où il demandait, aux députés, d’arrêter l’initiative visant à modifier la Constitution pour lui permettre de briguer un troisième mandat, notre guide éclairé faisait profil bas. Jusqu’à sa dernière sortie, à l’occasion de l’inauguration de quelques kilomètres de route bitumée, où le revoilà à s’emporter devant un journaliste lui demandant s’il présentait, effectivement, Ould Ghazwani à la future présidentielle. « Je ne l’ai pas présenté, il se présente lui-même », s’agace-t-il, sur un ton désinvolte, comme pour signifier qu’il en a assez de cette situation. La vidéo fait le tour du Web en quelques minutes. Les réseaux sociaux s’en emparent. La presse en fait ses (feuilles de) choux gras. Perceptible malaise. Sentant, après coup, la maladresse commise que « son » candidat risque de n’apprécier que très modérément, Ould Abdel Aziz cherchait une occasion de « se racheter ». Profitant d’une visite de l’UPR, pour assister à la réunion de la commission mise en place, à l’issue de son dernier congrès, pour assurer la gérance du parti, en attendant la désignation de ses prochains dirigeants, il est revenu sur ses déclarations de l’avant-veille. Exactement comme feu Ely ould Mohamed Vall, alors chef de l’Etat, déclarant, en 2006, devant un palais des Congrès médusé, que, pour la continuité de la Transition, il suffisait, aux Mauritaniens, de voter blanc à la présidentielle. La déclaration avait fait l’effet d’une bombe et les militaires, qui géraient le pays avaient failli en venir aux mains. A tel point que le lendemain, au micro de RFI, le colonel fut obligé de revoir sa copie. Quant au nouvel Aziz, « Ould Ghazwani est bien son candidat et celui de la majorité ». Si j’ai dit qu’il se présente lui-même, « c’est qu’il peut le faire et nous le soutenons ». Couleuvres, couleuvres…
A propos des deux milliards de dollars gelés aux Emirats, selon divers sites électroniques et bloggeurs,  Ould Abdel Aziz s’est contenté d’annoncer que « les jours à venir verront éclater la vérité ». Quarante-huit heures à peine plus tard, deux bloggeurs et deux journalistes sont convoqués par la police chargée de la répression des crimes économiques, longuement interrogés sur leurs sources, avant d’être relâchés. Passeports et cartes d’identité leur sont confisqués, en attendant que leur dossier soit transféré à la justice. Comme dans l’affaire Ould Ghadda lorsque des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes furent privés de leur liberté de mouvement pendant une année entière. L’instruction de leur dossier achevée depuis plus d’un an et demi, ils n’ont toujours pas été jugés. L’histoire est un éternel recommencement ? En sa version azizienne, elle ondule plus précisément entre bourde et rabâchage de bourde, en boucles.
                                                                                                  Ahmed ould Cheikh