mardi 26 décembre 2017

Editorial: Littérature

Dans l’affaire dite « Bouamatou et consorts », la décision de la Cour suprême qu’on attendait depuis plus d’un mois est tombée. Sans surprise. Le pourvoi en cassation, introduit par les avocats du sénateur Mohamed ould Ghadda, sur la base de l’article 50 de la Constitution qui stipule qu’aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions, a été rejeté. Après l’avoir été par la Chambre d’accusation qui, elle, s’était déclarée « incompétente », pour invalider ou non les poursuites contre le sénateur. Du coup, la balle revient dans le camp du pool des juges  qui a hérité de l’affaire. Qui peuvent prononcer des non-lieux, renvoyer les prévenus en procès ou continuer l’instruction. Tout dépendra de la volonté du pouvoir de jouer ou non l’apaisement, puisqu’il est illusoire de croire, un seul instant, que les juges diront le droit. Comme avec tout le reste, depuis son arrivée au pouvoir, Ould Abdel Aziz a fait, de la justice, un de ses bras armés pour régler ses comptes personnels. En 2009, il n’avait pas hésité à coffrer, dans le cadre des fameuses affaires d’Air Mauritanie et du riz avarié, une dizaine d’opposants qui avaient, aussi simplement que courageusement, rejeté son coup de force contre un président élu. Leur libération fit l’objet d’âpres négociations, avant la signature de l’Accord de Dakar. Au plus fort de l’affaire, alors que l’instruction battait son plein, Ould Abdel Aziz s’empêtra dans ses contradictions, lors d’un meeting à Rosso, en déclarant qu’il n’intervenait pas dans le fonctionnement de la justice, avant de lancer, quelques minutes après, qu’il était prêt à libérer Ould El Waghf, « s’il acceptait de manger une petite quantité du riz avarié ». Tous les prévenus bénéficièrent d’une liberté provisoire. Tout comme Ould Debagh, vice-président du groupe BSA en 2013. A ce jour, leurs dossiers dorment dans les méandres du palais de justice et, comme une épée de Damoclès pendue au-dessus d’eux, peuvent être réactivés à tout moment. Comment donc parler d’indépendance de la justice ?
Le dossier des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes participe de cette logique. Placés sous contrôle judiciaire, privés de leur liberté de mouvement, depuis plus de trois mois, ils n’ont rien fait d’autre que croiser la route d’un généreux mécène, devenu dangereux et infréquentable, depuis qu’il a coupé les ponts avec le pouvoir actuel. Mais la médaille a son revers. Embrigader la justice, entraver les libertés, violer le secret des correspondances et maintenir en prison, au mépris des lois, ne sont plus acceptables dans un monde désormais petit village. La réunion du parlement ACP/UE, qui s’achèvera le 20 courant en Haïti, s’apprête à adopter un certain nombre de résolutions, portées par des députés européens, condamnant la Mauritanie pour, entre autres, « les mesures répressives continues contre l’opposition, le recours à la torture par les forces de l’ordre, les arrestations arbitraires, la mise au secret de personnes placées en détention provisoire prolongée […], les violations de la liberté de presse, d’association et de conscience et toutes les formes d’esclavage, […] les violations de droits de l’homme subies par les opposants politiques et les différents groupes de militants, y compris ceux engagés dans la lutte contre l’esclavage »... Les résolutions exhortent les autorités mauritaniennes à « respecter les droits de l’homme, y compris la liberté d’expression, d’association et de réunion et à éviter tout recours excessif à la force contre des manifestants pacifiques ». Que ces résolutions soient adoptées ou rejetées parce que la solidarité des dictateurs ACP aura joué en faveur d’Aziz, cela importe finalement peu. Tout a été dit. Le reste n’est que littérature

                                                                                 Ahmed ould Cheikh

dimanche 17 décembre 2017

Editorial: Au service du grand désordre mondial

Les Français vouent un amour certain envers le paradoxe, si proche cousin de l’ambiguïté. Pour nouvelle preuve, s’il était besoin, la forme interrogative donnée au thème du colloque organisé, le 12/12, à l’Assemblée nationale française, par l’Association Europe-Mauritanie (AEM), présidée par l’ex-colonel Peer de Jong : « G5 Sahel: une initiative régionale pour une nouvelle architecture de paix? ».
Outre la date – Ah le 12/12, si cher au cœur des militaires mauritaniens, Ould Abdel Aziz en tête, mais peut-être simple coïncidence, ici – la présence, parmi les intervenants, de Jean-Louis Bruguière, ancien juge antiterroriste, et de François-Xavier de Woillemont, l’ex-patron de Barkhane, signale, déjà, le filigrane guerrier des débats. Et l’on comprend bien par quelle logique sanglante les grands stratèges de ce monde auront-ils fait passer la sous-région, pour y imposer leur paix, après l’avoir si longtemps assignée au non-droit. L’exploitation des matières premières saharo-sahéliennes, désormais rentabilisées par leur inexorable raréfaction en régions plus accessibles, passait par une sécurisation militarisée des espaces si opportunément terrorisés par nos fumeux alqahideux. Est-ce chose accomplie ou en passe de l’être ? Là réside, peut-être, le sens de l’interrogation posée par AEM.
Il n’est évidemment pas anodin qu’Ould Abdel Aziz ait été prié d’assurer la présidence de cet ambigu questionnement. Non pas tant parce qu’il fut le forgeron commis à la fondation du G5 ou qu’il soit président d’une Mauritanie reformatée charnière sahélo-européenne, mais parce qu’il en a été un des plus troubles artisans, depuis, disons, Lemgheïty, prélude de son premier coup d’Etat et de la reprise en main, par la France européanisée, de son « pré carré », après l’offensive américaine des premières années de ce siècle (via, notamment, la Trans-Saharian Counter Terrorism Initiative). Fortuite ou non, la coïncidence lui aura valu un singulier et durable soutien de l’Hexagone. En dépit de ses nombreux errements dans la lutte antiterroriste : la tragédie de Tourine, ses douze militaires décapités et tant de véhicules butinés ; la débandade, à Hassi Sidi, de nos troupes si lamentablement dirigées, depuis Nouakchott, par Ould Abdel Aziz lui-même, et qui ne furent sauvées que par l'intervention d’Ould Debagh, vice-président du groupe BSA, mettant un Boeing à disposition, en pleine nuit, pour transporter, de toute urgence, des troupes d'élite d'Atar à Néma (mention spéciale au courage du commandant El Hadj qui était, cette nuit-là, aux commandes dudit Boeing de Mauritania Airways) ; l’impéritie du coup de Wagadou où, sans l’intervention, là encore, d’Ould Debagh qui mit à nouveau un avion de sa compagnie à la disposition de l'armée, pour acheminer le kérosène et les munitions « oubliées » par l’intendance – mention également au courage du commandant Bennahi et de l'officier pilote Ould Jiddou qui acceptèrent de prendre les commandes de cette bombe volante –   ceci quelques jours seulement après que le même Ould Debagh ait envoyé plusieurs téléphones satellitaires Thurayas, au chef de l’unité à Tombouctou, pour lui assurer des contacts sécurisés avec Ould Abel Aziz et l'état-major en Mauritanie… Le Parlement européen attend toujours les mille huit cents hommes de troupe mauritaniens promis, à Fabius, pour intervenir au Nord-Mali et les attendra aussi longtemps que durera le « gentleman » agreement conclu, par notre si fin « architecte de la paix », avec Al Qaïda au Maghreb Islamique.
A quel prix Jeune Afrique, qui attribue ainsi la paternité de ladite architecture au chef de l’Etat mauritanien, s’est-il ainsi investi dans la déférence servile ? Il faut bien boucler les difficiles fins de mois et soyons justes : Ould Abdel Aziz est, à n’en point douter, un éminent architecte. Celui du mal gratuit, du délabrement  de l'économie mauritanienne, de la destruction du secteur privé national ; de la vente du Domaine public : écoles, pans entiers de l'école de police, du Stade olympique, de la Cité de la fanfare, de la caserne de la gendarmerie d'escorte et tutti quanti. Il est aussi l'architecte du pouvoir personnel, du référendum anticonstitutionnel, de la disparition de l'Administration, du recul de l'Etat de droit et de la liberté d'expression. Des compétences idéales pour présider une nouvelle architecture de quelle paix ? A ce point fragile, hélas, qu’on en sent, ici même, déjà la poudre mais, somme toute, n’est-ce pas là l’épice préférée des militaires et des juges antiterroristes, l’argument de leur gagne-pain, au service du grand désordre mondial ? De quoi valoir, on en admet le paradoxe, une belle jaquette, aujourd’hui, à l’Assemblée nationale française et, plus sûrement encore… une belle veste, demain, au tribunal des peuples du G5.
                                                                                                             Ahmed Ould Cheikh  

dimanche 10 décembre 2017

Editorial: Tout nouveau, tout beau?

Le nouveau drapeau, cher à notre guide éclairé, a été enfin hissé le 28 Novembre, le nouvel hymne aussi chanté, la nouvelle ouguiya sera mise en circulation à partir du 1er Janvier prochain. La Mauritanie nouvelle est en marche. Militaire. Au forceps. Dans la douleur. Alors que personne n’en veut. Les sénateurs en premier, qui ont pris leur courage à deux mains pour dire non. Le peuple ensuite, en boudant les urnes, lors du referendum qui devait permettre son éclosion et qui ne fut qu’une mascarade sans nom. Elle verra le jour, malgré tout, « contre vents et marées », à l’instar de celle du Père fondateur. Sauf que l’avatar du « président-(re)fondateur » cher à l’humoriste Mamane sera l’exact opposé de sa matrice : divisé, écartelé, injuste et insipide. Feu Mokhtar ould Daddah faisait l’unanimité, par son charisme, son sens du sacrifice, sa vaste culture, sa diplomatie hors normes et son désintérêt pour les biens matériels. Il n’avait, en effet, ni comptes en banque garnis, ni marchés, ni banques, ni terrains bien placés, ni matériel de BTP à louer. Il avait fait don de sa personne à la Mauritanie. Faites la différence avec ce que nous endurons, depuis 1978 et, surtout, depuis 2008. Et vous verrez que c’est le jour et la nuit. Nous sommes devenus une république bananière où le chef a droit de vie et de mort sur nous, décide de tout et n’en fait qu’à sa tête. Il a multiplié notre dette à l’infini et s’apprête à diviser notre monnaie par dix, tout comme ses promesses électorales. Une autre façon de nous tourner en bourrique, en dévaluant l’ouguiya en douce, conformément aux injonctions du FMI. Mais la pilule sera d’autant plus dure à avaler que le pouvoir d’achat est largement érodé, les salaires stagnent et les prix flambent. Si l’on ajoute, à ce sombre tableau, l’implacable sécheresse, la situation risque de ne pas être de tout repos, pour un pouvoir largement décrié. Et qui ne tente, en rien, de remonter la pente. Au contraire, il multiplie ses ennemis, à l’intérieur et à l’extérieur. A couteaux tirés avec les sénateurs, les journalistes, les syndicalistes et tout un peuple à qui il n’offre ni enseignement de qualité, ni système de santé fiable, encore moins de justice sociale. Il ne s’entend avec aucun de ses voisins immédiats. Pire, il se permet même de divulguer, à travers les réseaux sociaux, des messages où l’on entend des chefs d’Etat étrangers discuter avec un membre de son opposition en exil. Une monumentale erreur diplomatique qui risque de lui porter un grave préjudice et écorner un peu plus son image. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il a boudé l’important sommet UE/Afrique qui vient de se tenir à Abidjan. Il se déplaçait pourtant pour beaucoup moins que ça. Notre diplomatie, vous dis-je, n’est plus ce qu’elle était.
Quelles perspectives, alors, pour un pays à bout de souffle, endetté jusqu’à la moelle et dont les principales sources de devises se réduisent comme peau de chagrin ? Le gaz en 2020-2021 sur lequel se fondent, désormais, tous les espoirs ? Comme le gisement pétrolier de Chinguitti, il risque de n’être, lui aussi, qu’une (nouvelle) chimère. Le Sénégal et la Mauritanie, qui se partagent le champ gazier de Tortue, n’ont toujours pas signé l’accord sans lequel la compagnie BP ne pourra démarrer la mise en place des installations, en vue  de son exploitation. Le Sénégal, sur lequel la France exerce une énorme pression pour ne pas signer, ne fait pas montre de trop d’empressement. Il détient déjà un champ équivalent, Yakaar, dont l’exploitation commencera au cours des prochaines années, ainsi qu’un autre, de pétrole celui-là (dénommé SNE), et qui produira 125.000 barils/jour. Mais pourquoi, vous demandez-vous, la France interviendrait-elle dans ce dossier ? Parce qu’elle reproche, à Ould Abdel Aziz, d’avoir exclu Total, de traîner les pieds, dans la mise en place de la force conjointe du G5 Sahel, et de lui avoir fait faux bond, lors de l’opération Serval, en 2013, au Mali. De quoi irriter l’ancienne puissance coloniale qui voit toujours d’un mauvais œil qu’un membre de son pré carré pépie à son gré. Bref, aussi nouvelle qu’elle paraisse, la Mauritanie d’Ould Abdel Aziz n’a pas la côte du marché. Et végète ce faisant, dans nos pires travers nationaux : vue courte, opportunisme au jour le jour, repliement identitaire et tout le tintouin pour le triomphe programmé de la zizanie… Tout nouveau, peut-être, mais tout beau, il n’y a que les autruches, la tête bien enfoncée dans le sable, pour en frétiller d’aise.
                                                                                              Ahmed Ould Cheikh