samedi 30 novembre 2013

Editorial : Dangers d’obésité



C’est avec très peu d’engouement que les Mauritaniens se sont dirigés, samedi dernier 23 Novembre, vers les bureaux de vote. Sur le million deux cent mille inscrits, à peine 60% – un chiffre avancé par l’agence officielle d’information, sans préciser sa provenance, que les observateurs trouvent un peu excessif – sont allés accomplir leur devoir civique. Autrement dit, un mauritanien en âge de voter sur trois ne s’est pas inscrit sur les listes électorales ou ne s’est pas déplacé. Pour expliquer cette désaffectation, plusieurs hypothèses. En un, le désamour, de plus en plus en grand, qu’éprouvent nos concitoyens envers la politique, désormais assimilée à une comédie où les jeux sont faits d’avance. Jamais, en effet, depuis 1991 et l’avènement d’une démocratie généreusement octroyée par nos vaillants militaires, la volonté populaire n’a été respectée. On décrète, on chante, on danse,  on vote, on dépouille et l’on tripatouille, à tous les coups au profit du candidat du système, celui qui tient le pays, mute, au gré des saisons, et entre en résistance, sitôt que la moindre lueur de changement pointe à l’horizon, comme en 2007.
En deux, le boycott de l’opposition qui, quoi qu’on dise, a pesé d’un poids non négligeable, surtout à Nouakchott où seulement deux cent mille électeurs se sont inscrits sur les listes. Généralement acquise à l’opposition, même au temps de l’omnipotent PRDS, la capitale où, contrairement au pays profond, le degré d’éveil est important, ne s’est pas départie de son scepticisme, vis-à-vis d’un scrutin taillé sur mesure par le pouvoir. Qui a pris le plus grand soin d’en exclure l’opposition, pour éviter toute mauvaise surprise, à quelques mois de la présidentielle. Les longues files d’attente, observées devant certains bureaux, n’auguraient pas d’une bonne participation mais d’une lenteur excessive lors du vote. Chaque électeur devait prendre quatre bulletins et chercher, dans un dédale de signes et de logos, la (ou les) liste(s) pour lesquelles il allait voter.
En trois, le discrédit qui frappe le Parlement et qui ne date pas d’aujourd’hui. Le Sénat a toujours été perçu comme une coquille aussi vide qu’inutile et l’Assemblée, une simple chambre d’enregistrement où le pouvoir dispose, systématiquement, d’une majorité automatique. On aurait pu y entendre une mouche voler, n’eussent été les quelques élus de l’opposition qui y élevèrent la voix. Ceux-ci donnaient l’impression de prêcher dans le désert, tant leurs collègues de la majorité restaient sourds, devant de telles éclatantes manifestations de la vérité. Ce pourquoi ils ont été cooptés.
L’Assemblée de novembre 2013 ne dérogera, probablement pas, à la règle. Les premières tendances donnent une large victoire du PRDS – euh… pardon, de l’UPR – qui ne laissera que des miettes aux autres partis qui ont accepté de se jeter dans la gueule du loup. Et même pour le deuxième tour qui se profile dans certaines localités, elle est en train de mettre les bouchées doubles, pour attirer les « grands » électeurs mécontents. Une boulimie insatiable, qui risque de la perdre, comme elle a perdu son aîné. Comment dit-on « avoir les yeux plus gros que le ventre », en nos langues nationales ? Certes, l’appétit vient en mangeant. Mais l’obésité aussi et ce n’est pas des plus confortables…
                                                                                                                  Ahmed Ould Cheikh

lundi 25 novembre 2013

Editorial: On aura tout vu

Voila douze jours que la campagne électorale pour les élections législatives et municipales du 23 novembre prochain est lancée. Douze jours de bruits, de défilés motorisés et de meetings. Aucun programme politique ni débat d’idées, encore moins confrontation entre les candidats. Comme s’il ne s’agissait que d’un tintamarre destiné à couvrir l’incurie des partis et de leurs candidats. On a, certes, parlé. Parfois même, un peu trop. De mécontentements, de nomadisme (pas celui des élus, désormais prohibé par la loi) mais celui des politiques qui s’accrochent, comme ils peuvent, de partis fondés à partir de rien, d’autres volatisés en fumée, de ralliements – une manifestation courante de la politique du ventre que les Mauritaniens pratiquent à la perfection et qui trouve ses lettres de noblesse au cours des campagnes électorales. Même si l’enjeu de celle-ci diminue fortement l’impact et, donc, l’utilité de ces girouettes. Pour attirer un électeur de plus en plus insaisissable, les partis n’hésitent plus à utiliser les plus faux et saugrenus slogans. « Votez pour les ambassadeurs du Prophète Mohamed, PSL », écrit l’un d’eux. « Pour la liste des oulémas » (docteurs en théologie), affiche un autre. Un parti est même allé jusqu’à demander, aux électeurs, de choisir son candidat, « prix Nobel de physique en 2004 ». Du n’importe quoi ! Comment pourrait-il en être autrement, quand on sait qu’une fois exclus les trois partis de l’opposition dite dialoguiste, tous les autres se réclament du président de la République ? Et exagèrent dans la mise en relief de ses photos, dans les tentes, les affiches et sur les voitures. La CENi avait pourtant mis en garde contre l’utilisation des symboles de l’Etat, dont son chef, dans le but d’attirer ou d’intimider les électeurs. Mais personne n’en a cure, apparemment. Comme si de rien n’était. La course vers les bonnes grâces de notre guide éclairé continue de plus belle. On se réclame de lui à l’UPR, ce qui est, somme toute, normal, mais aussi dans les partis satellites qui ont reçu des fournées de mécontents qui refusent de couper les ponts et veulent rester dans le giron de la majorité présidentielle. Un air de déjà vu, avec le PRDS et autres UDP ou RDU. L’argent en moins. Le nerf de la guerre est, de fait, le grand absent de cette campagne, justifiant amplement sa morosité. Voilà pourquoi le pouvoir s’est retrouvé dans l’obligation de venir à la rescousse des partis en campagne. Une première, en démocratie. Chaque parti recevra un pécule calculé selon le nombre de listes candidates qu’il a déposées. Une corruption qui ne dit pas son nom. On peut comprendre que les formations politiques soient financées en fonction de leurs résultats mais qu’on dilapide ainsi l’argent public est injustifiable. On aura tout vu, dans cette Mauritanie nouvelle. Un président qui encourage ses soutiens à aller vers d’autres partis que le sien. Un commerçant qui rachète un parti et vers lesquels on afflue, parce qu’il bénéficie de liens de parenté opportuns. Des candidats qui jettent leur dévolu sur des partis dont ils n’ont jamais entendu parler. Et enfin des parachutes, pas si dorés que ça, pour des parachutés qui risquent de se ramasser. La Mauritanie nouvelle, vous dis-je.
                                                                                                       Ahmed Ould Cheikh

samedi 16 novembre 2013

Editorial : Du piment dans la fadaise ?




La campagne électorale pour les élections législatives et municipales du 23 novembre prochain est lancée. Depuis le vendredi 8 novembre à 00 heure. Mais c’est comme si de rien n’était. A part quelques tentes éparpillées et des haut-parleurs qui distillent une musique nasillarde, brisant la monotonie ambiante, rien n’augure d’une ambiance comparable à celle des scrutins d’antan. Deux éléments expliquent cette tiédeur. D’abord, le défaut de concurrence, avec le boycott de l’opposition et le manque, criant, du nerf de la guerre. Sans lequel il n’y a  ni soirées animées, ni tentes dressées, ni musique branchée, ni voitures louées, ni électeurs mobilisés. Bref, la morosité assurée.  Et c’est ce que nous vivons depuis le 8, sauf, peut-être, dans certaines villes de l’intérieur où les enjeux locaux priment sur tout le reste. Ici et là, de chaudes empoignades  augurent d’un scrutin peu reposant, particulièrement pour les listes du parti/Etat dont les choix ont été contestés un peu partout. Ould Abdel Aziz, qui se prépare à aller en campagne au profit de son parti, l’a d’ailleurs senti. Il devrait commencer par l’Assaba. Où il prononcera, à coup sûr, au moins un discours pour demander, aux électeurs, de voter pour son parti, sinon ses satellites, de façon à lui assurer une large majorité. Il n’a pourtant pas besoin de tout ce tintouin. La recette pour obtenir une majorité sans trop se décarcasser, il la connaît. Il l’a déjà expérimentée en 2009.
C’est du moins ce que nous apprend la presse anglaise : le 6 novembre 2013, le tribunal de Southwark Crown, un des trois tribunaux de l'État anglais dans le Londres SE1 a fait comparaître quatre responsables de la société Smith And Ouzman, spécialisée dans l’impression et la sécurisation des documents officiels, pour répondre du chef d’accusation de corruption active en quatre pays africains, le Ghana, le Kenya, la Mauritanie et le Somaliland, une « républiquette » non reconnue par la Communauté internationale. L’élection mauritanienne de 2009 est, notamment, sous le boisseau des juges de Sa Gracieuse Majesté. Qu’ont-ils fait de répréhensible, nos amis anglais pour mériter la foudre des juges? Ont-ils vraiment surfacturé les bulletins de vote (0.50 dollar au lieu de 0.05), ainsi que l’avance l’accusation ? Versé des commissions ? A qui ? Et, s’ils n’ont pas reversé une partie de cet argent, en échange de quoi avons-nous accepté un prix aussi élevé ? L’idée de bulletins pré-votés, qui avait circulé, à l’époque, entraînant la risée du pouvoir et de ses affidés, n’est, désormais plus, aussi saugrenue qu’on n’a voulu le faire croire. Dans un cas comme dans l’autre, il y a anguille sous roche. L’IGE, qui met son nez un peu partout, ou la Cour des Comptes doivent s’auto-saisir de cette affaire et chercher à savoir pour qui, pourquoi tout cet argent public a été dilapidé.
Après la pluie du 1er novembre, l’affaire Smith And Ouzman ne tombe pas vraiment à pic. L’une et l’autre vont-elles donner du piment à la fadaise que le pouvoir s’ingénie à nous servir le 23 novembre ? Quoique le palais mauritanien se soit accommodé, depuis 1978, d’une grande variété d’écœurements, la sauce risque de provoquer quelque indisposition supplémentaire à participer, dans onze jours, à la mascarade…  Après le bourrage des poches et le bourrage des crânes, va-t-il falloir en recourir au bourrage des urnes ?
                                                                                                            Ahmed Ould Cheikh

samedi 9 novembre 2013

Editorial : France éternelle…



Nous l’avons connu beaucoup plus discret. Situant ses activités politiques dans le cadre de l’Union européenne, l’ambassadeur de France ne recevait les chefs de partis qu’en même temps que ses homologues de l’espace Schengen, se gardant, ainsi, de donner l’impression d’évoluer en solo. Dans un pays où bien des esprits sont encore colonisés, persuadés que rien de viable ne peut se faire sans l’aval de la France, les faits, gestes, audiences et déclarations du « résident » français sont suivis avec la plus grande attention.
Ould Abdel Aziz le comprit, d’ailleurs, fort intelligemment, lors de son forfait de 2008, en s’orientant illico vers la France qui ne se fit guère prier pour lui ouvrir un maximum de portes. Tout le monde a encore en mémoire l’attitude, à la limite provocatrice, des ambassadeurs de France, d’Allemagne et d’Espagne mettant en avant la question sécuritaire pour faire avaler, par leur opinion publique respective, le coup de force d’Ould Abdel Aziz. Contre un président démocratiquement élu.
Donnant, donnant et notre vaillant général n’a pas trahi ceux qui l’avaient coopté. L’immigration clandestine à partir de nos côtes s’est tarie, comme par miracle, tandis que nos frontières, jusqu’alors poreuses, pour ne pas dire vaporeuses, sont devenues hermétiques aux combattants d’AQMI et autres salafistes. Notre généralissime s’est même offert le luxe d’aller jouer au gendarme au Mali. Une expérience qu’il n’est, cependant, pas près de renouveler.
Bref, la lune de miel ne s’est plus démentie. Hollande, le socialiste, qu’on pensait moins réceptif aux idées et produits d’une Françafrique que Sarkozy avait grandement contribué à faire renaître de ses cendres, n’a pas dévié, d’un pouce, de la voie suivie par son prédécesseur. Tracée, vraisemblablement, par d’autres : lorsque les intérêts de la France sont en jeu, la gestion de certains rapports échoit, banalement, à des services plus discrets que l’Elysée ou le Quai d’Orsay…
La France sait aussi être bonne conseillère, quand ses amis sont en difficulté, chez eux ou à l’extérieur. C’est ce qui explique, peut-être, le subit regain d’activités de son Excellence, ces temps-ci. Il a déjà rencontré Biram, Jemil Mansour, Ould Maouloud et Ould Daddah, ne parlant certainement pas que de la pluie et du beau temps. Ces audiences seront probablement suivies, si ce n’est déjà fait, d’un entretien avec Ould Abdel Aziz. L’ambassadeur cherche-t-il à rapprocher les points de vue, obtenir un consensus pour des élections apaisées, un nouvel agenda ? On n’en sait pas grand-chose, pour le moment, sinon qu’en ces contrées lointaines, l’ambassadeur de France ne court jamais pour rien. Saura-t-il persuader les parties, au point d’amener le pouvoir, à tout remettre en cause, et l’opposition, à participer à un processus d’où elle était à mille lieues ? Dans l’affirmative, le prestige de la France en sera, incontestablement, rehaussé. Dans le cas contraire, elle aura, au moins, donné l’impression de ne pas être restée les bras croisés, face à la crise politique. Une impression, rien de plus, comme une politesse de façade : tout le monde sait très bien que le pouvoir mauritanien plierait vite, si l’ex-puissance coloniale faisait réellement pression sur lui. Même après plus de cinquante ans de décolonisation officielle, la France reste la France, en Mauritanie comme en bien d’autres pays d’Afrique…
                                                                                          Ahmed Ould Cheikh