jeudi 23 août 2018

Editorial: Coupe pleine?

3 Août 2008-3 Août 2018 : dix ans que notre pays vit sous la coupe d’Ould Abdel Aziz. En coupe réglée, serait-on tenté de dire. Une décennie perdue, pour reprendre les termes d’une étude savamment menée par Moussa Fall, le président du Mouvement pour un Changement Démocratique (MCD). Dix ans d’occasions ratées, de jeu haché, de mauvaises passes et de changements injustifiés. Dix ans au cours desquels, notre guide éclairé, venu en sauveur d’une ‘’démocratie menacée’’ par un pouvoir civil éphémère, s’est trompé de priorités. Dix ans au cours desquels aucun secteur n’a sorti la tête de l’eau. L’école publique ressemble à tout, sauf une école. La santé est à l’agonie. L’endettement atteint des records inégalés. La pauvreté nous devient une seconde nature. Le chômage n’a jamais été aussi prégnant. L’Etat s’appauvrit. Pourtant, on ose parler de « réalisations grandioses » et de « bilan positif ». Voyons donc de quoi peuvent bien se prévaloir les chantres de la Rectification, ceux-là mêmes qui perdirent Ould Taya et furent les premiers à lui tourner le dos. L’énergie ? Le pays a certes acheté plusieurs centrales électriques mais dans la plus totale opacité. Pour quels résultats ? Les coupures de courant sont monnaie courante, à Nouakchott et à l’intérieur du pays, la Fée Électricité prend les allures d’Arlésienne. L’eau ? Plus de deux tiers de la capitale s’alimente encore par camions-citernes et charrettes. Les routes ? Comme les centrales électriques, leur attribution n’a profité qu’à un cercle très restreint mais cela n’a ni amélioré ni rendu plus sûr le réseau routier. Les trois routes nationales sont dans un état déplorable et provoquent quotidiennement des hécatombes. Pour un régime qui se vante d’avoir construit autant de routes en dix ans que d’autres en 50, cela fait quand même désordre. La situation politique ? Elle n’a jamais été si longtemps bloquée. Les élections ? Un véritable piège à cons où, comme disait Staline, « l’essentiel, ce ne sont pas ceux qui votent mais ceux qui comptent ». La justice ? L’ombre d’elle-même,  à la botte de l’Exécutif auquel elle est totalement inféodée. Les droits de l’Homme ? Un déterminant qui ne veut plus rien dire, tant leur violation est devenue la règle. La détention arbitraire, la torture, les enlèvements et les procédures interminables sont dénoncés régulièrement, sans que cela ne change grand-chose.
Ce triste bilan ne fait apparemment pas froid aux yeux des laudateurs, réclamant, à cors et à cris, que cette « œuvre de (dé)construction nationale » soit achevée. « Déchire, viole et écrase la Constitution, ô Aziz ! », exigent-ils sans vergogne, « ta coupe ne sera jamais assez pleine… si tu nous en remplis les poches ! » Et Dieu sait combien celles des laudateurs sont accueillantes quand tant d’autres, et de plus en plus, restent désespérément vides. Désespérément ? Rendez-vous donc au soir du 1er Septembre, pour juger de ce ras-le-bol…
                                                                                          Ahmed ould Cheikh

lundi 6 août 2018

Editorial: Bienvenue au cirque

Dans un mois jour pour jour, les Mauritaniens sont appelés à élire leurs conseils régionaux, députés et maires, dans une opération qui s’apparentera plus à une foire d’empoigne qu’à des élections proprement dites. À part une dizaine de formations qui peuvent se prévaloir de programme plus ou moins cohérent, la centaine d’autres qui se lanceront dans la bataille n’ont de partis que le nom. La décision du gouvernement de dissoudre tout parti qui ne se présente pas à deux consultations électorales successives ou n’obtient pas plus de 1 % de votants les a soudainement réveillés de leur torpeur. Résultat des courses : certains ont cédé leurs partis gracieusement, d’autres ont carrément vendu des places sur leurs listes – les meilleures, bien évidemment –, tous ont accueilli des mécontents, particulièrement du parti/État qui n’est pas parvenu à satisfaire les demandes des milliers de candidats à la candidature. Rien qu’à Nouakchott, plus de quarante listes se disputeront les suffrages des électeurs, dans chaque moughataa, sans compter les listes nationales qui dépassent la centaine. A l’intérieur du pays, la concurrence, aiguisée par les enjeux locaux et un tribalisme exacerbé, fait voler l’électorat en éclats. Avec de non-négligeables risques de débordement. Face à cette inflation de candidats, de partis et de logos, comment la Commission électorale pourra-t-elle confectionner les bulletins de vote, les acheminer à l’intérieur du pays dans des délais aussi courts ; en bref, organiser des élections transparentes et crédibles ? Cela relève, au bas mot, des travaux d’Hercule. Et, si jamais la consultation est organisée comme prévu, comment les électeurs arriveront-ils à s’y retrouver, avec autant de bulletins de vote ? Lors des élections de 2013, avec moins de formations politiques, le parti arrivé en tête fut celui des bulletins nuls. Imaginez le pauvre citoyen perdu, derrière l’isoloir, avec des logos pleins la tête, ne sachant pas quoi faire. Ce serait un miracle si tout le monde réussissait à voter correctement. Une fois l’opération achevée, ce qui ne sera pas une mince affaire, il est illusoire de penser un instant qu’un parti pourrait obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. L’UPR – PRDS nouvelle version, l’argent en moins – risque de payer très cher ses mauvais choix. Il est contesté partout et certains gros bonnets n’hésitent plus à soutenir ouvertement des listes concurrentes. L’opposition risque, elle aussi, de faire les frais de ses atermoiements et de son manque de moyens. Beaucoup de petits partis devraient, du coup, profiter de la situation et, jouant sur la fibre tribale et régionale, obtiendront des postes de maire et de député un peu partout dans le pays. En temps normal, il aurait été pratiquement impossible de fédérer autant de monde dans une majorité parlementaire mais les choses ont changé en catimini. La loi sur la transhumance politique a été abrogée en douce et n’importe quel député peut quitter son parti et conserver son mandat. Sentant le vent du boulet, Ould Abdel Aziz a voulu prendre les devants et préparer, comme en 2006, un bataillon de députés, issus de divers horizons, pour se constituer, au final, une majorité à sa botte. Et si tout ceci n’était, somme toute, qu’un cirque destiné nous faire avaler, au final, de nouvelles couleuvres ?
                                                                                        Ahmed Ould Cheikh