samedi 23 septembre 2017

Editorial: Délit de mécènat

Après avoir passé quelques jours à vadrouiller, entre Paris, Astana au Kazakhstan et Bamako (l’Europe, l’Asie et l’Afrique, presque un tour du Monde en moins d’une semaine), Ould Abdel Aziz n’est revenu à Nouakchott que le temps d’enfiler un nouveau costume. Destination : l’Amérique, New-York plus précisément où l’ONU tient son assemblée générale annuelle. Il est bien loin le temps où celui qui se prétendait encore président des pauvres accusait Sidioca de tous les maux dont le plus flagrant, selon lui, est de multiplier les voyages aux frais de la princesse. Celui-là ne parcourut pourtant jamais, lui, quatre continents en une semaine. Pour un résultat plus qu’aléatoire : une table ronde sur le Tchad, une conférence sur les sciences et la technologie, des entretiens avec IBK et un discours devant l’assemblée générale de l’ONU. Rien de vraiment urgent ni de véritablement utile, pour un pays dont les maigres ressources devraient plutôt aller aux services de base, au lieu de financer les pérégrinations d’un président fuyant une réalité qui finira bien par le rattraper. Tôt ou tard. Voyons voir : en neuf ans de règne sans partage, qu’a réalisé notre guide éclairé, dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la justice, du partage des ressources, de l’emploi, de la lutte contre la gabegie, de l’industrie, du redressement économique ? Qu’a-t-il fait des milliards que le pays a engrangés, lorsque les prix des matières premières étaient au firmament, et des autres que nous léguerons, à nos générations futures, sous forme de dettes ? Une école par-ci, un dispensaire par-là, une route reliant deux trous perdus méritent-ils un tel tapage ? Il faut bien plus, pour construire un Etat, et ce ne sont pas quelques affaires, manigancées par quelques sombres officines, qui cacheront l’amère réalité.
Après les affaires d’Air Mauritanie, du riz avarié, de l’argent de la BCM, de Biram et de son autodafé, ce pouvoir a, en effet, pris la fâcheuse habitude, chaque fois que la situation devient intenable, de jeter quelque chose en pâture à l’opinion, pour la distraire. Et lui faire oublier un quotidien de plus en plus difficile. Le plat qui nous est servi, depuis quelques semaines, ne déroge pas à la règle. Des sénateurs, des syndicalistes et des journalistes sont traînés devant la justice, tout simplement parce qu’ils ont osé dire non. On leur a confisqué leur passeport et interdit de quitter Nouakchott, seulement coupables d’avoir bénéficié des largesses d’un mécène. Mais ils ne sont pas les seuls, apparemment. Si l’on en croit les informations publiées par la presse, preuves à l’appui, de hauts responsables encore en fonction sont, eux aussi, allés à la soupe bouamatienne. Ils n’ont pas été inquiétés pour autant. La Mauritanie nouvelle a la mémoire sélective. Ceux qui ne lui obéissent pas au doigt et à l’œil se retrouveront dans sa ligne de mire. Quitte à inventer un nouveau délit: celui de mécénat.
                                                                                           Ahmed ould cheikh

dimanche 17 septembre 2017

Editorial: "L"Etat, c'est moi!''

Non content de traîner des sénateurs, des syndicalistes et des journalistes devant les tribunaux, pour des motifs fallacieux, le pouvoir, qui ne recule devant rien pour faire payer à ces « insolents » leur rejet de « ses » amendements constitutionnels et leur liberté de ton, vient de poser un nouveau pas, dans sa politique répressive tous azimuts. Un sénateur est envoyé en prison, treize autres sont placés sous contrôle judiciaire, ainsi que trois journalistes, la directrice d’un site Web et deux syndicalistes. Tout ce beau monde doit remettre ses titres de voyage, se présenter, tous les lundis matin, à la police économique, pour faire acte de présence, et ne quitter Nouakchott sous aucun prétexte. L’arbitraire à l’état « pur ».
Les sénateurs, qui appartiennent tous, bizarrement, à la majorité présidentielle et dont le chef de file n’a pas été inquiété, font les frais de l’ire présidentielle pour être sortis des rangs en refusant de se faire harakiri. Les syndicalistes et les journalistes, eux, ne sont jamais entrés dans les grâces du leader éclairé. Quel lien peut-il  y avoir, entre ces deux affaires ?  Les sénateurs rejettent les amendements constitutionnels et le pouvoir leur  cherche noise : soit, avec toutes les pincettes qu’un tel comportement anti-démocratique oblige. Mais que font les journalistes et les syndicalistes dans cette galère ? Veut-on leur faire payer d’avoir bénéficié des faveurs d’un mécène nommé Mohamed ould Bouamatou ? Si l’on s’en tient à ce raisonnement, beaucoup, et pas n’importe qui, devraient être également traînés devant la justice : la presse, les ONG, les syndicats, les politiques, tant du pouvoir que de l’opposition, les hommes d’affaires, les commerçants, les fonctionnaires… la liste n’est pas exhaustive.
Tous seront, en suivant, accusés de « corruption » et l’Etat se retrouvera rapidement décapité, si la justice suivait son cours « normal ». Mais ce serait trop lui demander d’être moins sélective. Le dossier a été préparé ailleurs, dans ses moindres détails, et il ne restait plus, à la pauvrette, qu’à le mettre en œuvre. Sinon, comment expliquer qu’on trimballât des citoyens innocents, près de vingt- quatre heures durant, à la veille, qui plus est, d’une fête religieuse majeure, entre le Parquet et un pool de juges, nuit et jour, alors qu’il n’y avait pas urgence ? Ne pouvait-on pas attendre que la fête passe ? Quel délit avaient donc commis ces gens, pour que la justice fasse preuve d’autant de célérité dans le traitement de cette affaire ?
Les avocats ne s’y sont pas trompés, en la qualifiant de « purement politique ». L’un d’eux, maître Ebetty, qui a plaidé, plus de trente-six ans, en toute sortes de litiges, dira, à juste titre, qu’il n’a jamais vu un dossier aussi vide. Il a raison, le maître : montage grossier, argumentaire tiré par les cheveux, tout ne tient qu’à son objectif, obsessionnel : mouiller un homme dont le seul tort est de s’opposer à un régime et d’utiliser les moyens dont il dispose pour le combattre. Après avoir été un de ses plus fervents soutiens. Les milliards qu’il distribuait, à tour de bras, pour la réussite du candidat Aziz en 2009, c’était quoi ? Une aumône ? Quoi d’étonnant, aujourd’hui, que sa sympathie et ses dons aillent, depuis, plutôt à ceux qui critiquent le pouvoir qu’à ceux qui le soutiennent, aveuglément ?
Alors qu’Ould Abdel Aziz s’applique, obstinément, à raréfier les sources financières de toute critique de son pouvoir, il sous-entend, par cette nouvelle affaire, que toute expression contraire à ses «propres » décisions serait systématiquement associée, sinon associable, à un financement occulte visant à déstabiliser l’Etat mauritanien. « Inconcevable », semble-t-il pérorer, « qu’un bon citoyen puisse ne pas s’incliner devant mes prestigieuses réalisations ». Et paraphrasant en conséquence le fameux Roi-Soleil : « l’Etat, c’est moi ! », Sa Boursouflure en hurle à la haute trahison. Rumination symptomatique du putschiste invétéré ou… préparation d’un nouveau coup à échéance 2019 ?
                                                                                         Ahmed ould cheikh

dimanche 10 septembre 2017

Editorial: Justice aux ordres

En Mauritanie rectifiée, donner ne se conjugue à aucun temps. Pire, c’est désormais assimilé à une  corruption insolite sans passe-droit en contrepartie. Pour avoir connu ce "dangereux" mécène qu’est Mohamed Ould Bouamatou, trois journalistes et la directrice d’un site web se sont ainsi vus traînés devant la justice. Longs interrogatoires, par la police chargée des crimes et délits financiers, sur la ligne éditoriale de leur organe de presse respectif,  les sujets évoqués, leurs liens supposés avec Ould Bouamatou et son adjoint Mohamed Ould Debagh, les aides reçues de leur part… Alors qu’ils ne sont ni accusés  (pour le moment) ni témoins dans une quelconque affaire, les journalistes, dont le ton critique vis-à-vis du pouvoir actuel dérange apparemment beaucoup, sont passés sur le gril, de longues heures durant.  Mais ils ne seront pas les seuls  à être impliqués dans cette mascarade aux relents politiques manifestes. Après Ould Ghadda, le sénateur récemment kidnappé dans un premier temps  puis placé en garde à vue, plusieurs de ses pairs et deux syndicalistes sont, à leur tour, interpellés et interrogés par la police économique. Avec toujours en ligne de mire, Ould Bouamatou. Tout ce beau monde – sauf la cible principale, toujours exilée au Maroc ou ailleurs – se retrouve au tribunal de Nouakchott, le jeudi 31 Août, au matin, pour être présenté au Parquet. Commence alors un long processus qui ne s’achèvera que le lendemain matin à 7 heures. Le procureur de Nouakchott-Ouest, qui a hérité de la patate chaude, requiert un mandat de dépôt contre Ould Ghadda, El Maalouma mint Meidah, l’icône de l’opposition et sénatrice frondeuse et le sénateur de Magta Lahjar ; des mandats d’arrêt, contre Ould Bouamatou, Ould Debagh et neuf sénateurs absents ; des placements sous contrôle judiciaire, à l’encontre des journalistes et syndicalistes. Le pool de juges, à qui le dossier est envoyé, ne suit cependant pas exactement le Parquet dans  ses réquisitions tout au moins celles qui sont écrites. Il place les deux  sénateurs présents sous contrôle judiciaire, décerne des mandats d’amener contre les sénateurs absents  mais  maintient les deux  mandats d’arrêt internationaux contre les  deux hommes d’affaires en exil. Une véritable  bouffonnerie qui, n’hésitent pas à dire des observateurs judiciaires,  démontre, si besoin est, que la justice est, plus que jamais, aux bottes d’un exécutif déterminé à l’utiliser pour régler ses propres comptes ! Instrumentalisation de la justice à des fins politiques partisanes, soutiennent avec plus de retenue les avocats de la défense. Sinon, comment expliquer qu’on puisse traîner autant de monde  avec une si grande célérité devant des juges, pour avoir seulement bénéficié de la générosité d’un homme, qui a apporté  un appui à une  presse libre encore en  construction et à des syndicats dépourvus de  ressources ? Pourquoi ne pas étendre, alors, la liste à ceux  que M. Bouamatou  a pourvu de milliards, pour financer leur campagne, de maisons (dont une, au moins, a pignon sur rue) et de voitures, reconnaissance nationale et internationale en prime? Depuis quand donner est devenu un acte  criminel ; recevoir, délictueux et licite selon le destinataire et le montant de la donation?  En tout état de cause, il ne nous a jamais été demandé en contrepartie de ce que nous avions pu recevoir de ce mécène ou d’un autre  de commettre un délit ou de porter atteinte à l’honneur  de notre profession ou  à sa dignité.
Depuis que les sénateurs ont asséné, à Ould Abdel Aziz, un coup qu’il n’est pas près d’oublier, auquel s’est ajouté un referendum catastrophique, au regard de son rejet et du peu d’enthousiasme qu’il a suscité, en cette conjoncture, fort irritante, on le convient, pour la très haute opinion qu’il a de lui-même et qu’il exige, sinon universelle, du moins nationale, le chef de l’Etat, ne sait, certes plus, où «donner » de la tête. En pointe dans le combat contre les réformes constitutionnelles, Ould Ghadda, qui a  eu l’outrecuidance d’évoquer des dossiers malodorants, fut le premier à faire les frais de l’ire présidentielle. D’autres victimes collatérales, comme les journalistes et les syndicats, ont été emportées par la bourrasque. Mais la méthode utilisée fut si grossière, le dossier si vide  qu’aucune justice se prévalant d’un minimum d’indépendance ne la qualifierait de recevable. Pourtant, tous ces gens se retrouvent sous contrôle judiciaire. Accabler les juges n’ajouterait cependant qu’une injustice à l’injustice : politique au plus haut degré, la piètre pièce a été écrite ailleurs.  Il ne leur a été demandé que d’en jouer l’acte I. D’autres suivront et seront certainement de même  nature. Philosophes, les habitués du prétoire disent que dans les dossiers judiciaires à caractère politique, les PV de police, les actes d’accusation du Procureur, les mandats du Juge d’instruction,  les décisions rendues par les juridictions de renvoi se suivent et changent seulement de dénomination.
La Mauritanie rectifiée n’en finit pas de nous surprendre. Après s’être ingénié à tarir les sources de financement de la presse indépendante, en interdisant, à toutes les structures de l’Etat, d’en souscrire abonnements ou d’y publier annonces, voici son maître d’ouvrage en train de poursuivre celle-ci, parce qu’elle a reçu le soutien d’un homme plus tout-à-fait en odeur de sainteté auprès de Sa Majesté. A tout prix. Quels qu’en soient les sacrifices. Et l’on se souviendra, en ce lendemain d’Aïd El Kébir, fête par excellence du Sacrifice, de la victime délibérément immolée par Ould Abdel Aziz : rien de moins que la justice elle-même. 
                                                                                             Ahmed Ould Cheikh

dimanche 3 septembre 2017

Editorial: De Grab en Grab

Deux semaines après avoir été kidnappé par des policiers en civil, le 10 Août dernier, alors qu’il jouissait toujours de son immunité parlementaire, le sénateur Mohamed ould Ghadda reste gardé au secret, entre la gendarmerie, la Sûreté d’Etat et la police économique. Ce n’est que sept jours après son enlèvement que son avocat a pu enfin le rencontrer. Sept jours d’angoisse pour sa famille sans nouvelle de lui. La justice non plus, alors que dans un Etat normal, c’est elle et elle seule qui peut – doit – ordonner toute arrestation.  Il aura fallu une semaine, au Parquet, pour se rappeler à nos (bons) souvenirs. Il se fend d’un communiqué, rédigé apparemment à la hâte, faisant état d’« informations documentées, sur l’implication de plusieurs personnes dans des actes de complicité et de planification, en vue de commettre de crimes transfrontaliers de grande ampleur et étrangers aux mœurs et valeurs de notre société, dans le cadre d’une structure organisée, cherchant à semer le désordre et à perturber la sécurité publique ».  Ça ne s’invente pas. Pressé de partout, le pouvoir a voulu lâcher du lest. Tentative maladroite de se rattraper et de donner l’impression d’avoir respecté la procédure. Mais à supposer que ce fut le cas, ce qui est loin d’être vrai, pourquoi attendre une semaine, avant de donner une si vague information ? De quel droit le Parquet ordonne-t-il l’arrestation d’un sénateur qui jouit de l’immunité parlementaire ? Que signifient « actes de complicité et de planification » ?  « Crimes transfrontaliers de grande ampleur » ?  Dans le communiqué, diffusé en arabe, il est fait mention de ‘’crimes de gabegie transfrontaliers’’, un délit qui ne figure nulle part dans le droit pénal mauritanien. D’où l’idée de tordre le cou au texte initial.
Quels règlements de comptes veut-on encore nous faire avaler ? Et qui sont ces gens victimes de l’ire azizienne ? Le rejet, par le Sénat, des fameux amendements du Raïs, abasourdi par une telle effronterie, et le taux catastrophique de participation au referendum décrété, en suivant, par notre guide imprudemment engagé, à titre personnel, pour une si piètre victoire (on parle d’un taux de participation réel de 23%), ont singulièrement terni l’éclat d’un pouvoir qui ne sait plus où donner de la tête. Son parti et ses ministres, avec, à leur tête, le premier d’entre eux,  lui ont fait miroiter l’idée, fausse bien évidemment, que la consultation passerait comme une lettre à la poste. Avec le résultat qu’on sait. S’ajoutent, à ce climat pesant, une situation économique plus que morose, un mécontentement populaire qui ne cesse de prendre de l’ampleur, une opposition farouche qui ne lâche rien, des affaires qui n’arrêtent plus d’éclabousser la tête de l’Etat et un sénateur teigneux qui a juré de déterrer des dossiers pas vraiment parfumés. Que faire ? Embastiller Ould Ghadda, pour le jeter en pâture à l’opinion, en espérant y faire oublier la déconvenue du referendum ? Et après ? Cela le fera-t-il taire ? Rien n’est moins sûr. Chercher d’autres boucs émissaires pour expliquer la fronde des sénateurs ? Indexer, comme au temps des pires régimes dictatoriaux, cette cinquième colonne qui « cherche à semer le désordre dans le pays » ?
Empêtré dans d’inextricables difficultés,  Maaouya avait chargé ses services secrets de goupiller, en 2003, un plan diabolique, nommé Grab 1, pour envoyer les opposants en prison. Il s’avérera, plus tard, qu’il ne s’agissait que d’un montage grossier, inventé de toutes pièces. Alors, un Grab 2 en perspective ? On sait comment le premier s’est soldé, deux ans plus tard. Aurait-on, cette fois, l’opportunité d’en finir, dans les mêmes délais mais avec beaucoup plus de citoyenneté ? Grab… uge des urnes, donc, en 2019 ?
                                                                                Ahmed Ould Cheikh