dimanche 28 avril 2013

Editorial : Indignons-nous !



Il y a encore deux semaines, Dieng Mika était un fonctionnaire modèle. Le genre de scribe dont notre administration a le secret. Plusieurs fois directeur puis conseiller au ministère de l’Energie, il avait la particularité de ne pas faire de vagues, de traiter sans excès les dossiers qu’on voulait bien lui confier et de laisser passer tous les orages. Lors de l’avant-dernier Conseil des ministres et alors qu’il n’était plus qu’à quelques mois d’une retraite bien méritée, le voilà relevé de ses fonctions. Son tort : avoir révélé un secret de… Polichinelle, en dénonçant la mainmise d’un certain clan sur le secteur des mines. Via, selon ses tombeurs, une revue confidentielle française qui a publié un dossier, certes truffé d’incorrections sur la situation des mines mauritaniennes, mais qui donne une idée de l’ampleur du gâchis. De quoi indigner Mika qui en avait pourtant vues, en trente-cinq ans de service, de vertes et de pas mûres ! Et pas que lui d’ailleurs. Qui, en effet, pourrait rester insensible  à tant de népotisme et de passe-droits ?

Du forage aux fournitures, en passant par la consignation et le transit, les sociétés minières présentes en Mauritanie sont soumises à un racket systématique, de la part de la parentèle d’un président dont le discours sur la gabegie prend de plus en plus les allures de coup d’épée dans l’eau. Même les permis de recherche, jadis réservés aux sociétés pourvues de vrais moyens d’explorer les zones spécifiées, font l’objet d’une terrible surenchère. Il ne se passe pas un Conseil des ministres sans qu’une fournée de permis ne soit attribuée à des sociétés fictives mais appartenant à gens « bien nés », pour les vendre ou les louer à des sociétés étrangères. Des fortunes ont ainsi poussé, comme des champignons.

Et il n’y pas que les mines. Les rares sociétés d’Etat qui n’ont pas de problème de trésorerie sont pressurisées, à longueur de journée, par cette armée de sangsues. La SNIM, les ports autonomes de Nouakchott et Nouadhibou, l’ENER, ATTM et consorts subissent, quotidiennement, les assauts de ces prévaricateurs qui entendent faire main basse sur le moindre marché. Le nettoyage, les fournitures de bureau, les pièces de rechange de voitures, les services en tous genres, tout, absolument tout est avalé. Englouti le plan d'urgence 2012 où des milliers de tonnes de blé et d'aliments de bétail leur ont été attribuées, sans appel d'offres, à un prix évidemment « convenu ». Rien n’est laissé aux autres, même pas le menu fretin.

Et l’on veut nous chanter, encore, qu’Ould Abdel Aziz, champion de la lutte contre la gabegie, pourfendeur du népotisme, a mis à bas toutes les pratiques en cours sous les régimes militaires. Indignons-nous, Mauritaniens, et décidons-nous, enfin, à mener nos affaires avec un tant soit peu de jugeote : c’est, tout de même, de notre sol, de notre Nation, de l’avenir de nos enfants qu’il s’agit !

                                                                                                                Ahmed Ould Cheikh

dimanche 21 avril 2013

Editorial : Réinventons-nous !


Selon Wikipédia, la lâcheté désigne, de manière générale, le manque de fermeté ou le défaut de courage, face à une situation ou un choix qui peut impliquer un danger, physique ou autre. Pratiquement, la lâcheté d'un individu se matérialise par le refus d'agir dans un sens perçu comme bon, juste ou nécessaire, par la culture dans laquelle vit cette personne.
Au vu du parcours de nos élites, de l’indépendance à nos jours, cette définition leur est-elle opposable ? Quand on les vit s’engouffrer, comme des morts de faim, dans le Parti du Peuple Mauritanien, applaudir ses tombeurs, des deux mains, théoriser pour les structures d’éducation des masses, adhérer, en bloc, au parti/Etat qu’était le PRDS, faire la cour aux militaires, en 2005, pour les encourager à rester au pouvoir, et se plier, en quatre,  à ceux qui ont assassiné la démocratie, en 2008, on se dit, oui, que la Mauritanie est malade. De son armée. Mais surtout de son élite. De sa classe politique. De ses intellectuels.
Comment, après plus de cinquante-deux ans d’indépendance et vingt-deux de démocratie, ce pays n’arrive toujours pas à trouver sa voie ? Celle qui mène au développement bien mesuré, au libre débat public, correctement régulé par un Etat qui en soit réellement le fruit, promoteur et bon gestionnaire de la Nation. La nôtre, à nous, tous ensemble. Notre élite, qui devrait être la locomotive pour la masse indécise, n’a-t-elle pas été à la hauteur ? N’a pas fait les sacrifices nécessaires ? Las, ce serait un euphémisme de dire qu’elle a failli à sa mission, en abdiquant, beaucoup trop tôt, devant l’ampleur des défis. Elle était pourtant bien partie, lorsqu’elle se battait, au début des années 70, pour la nationalisation de la MIFERMA, la révision des accords avec la France et plus de justice sociale. Pas encore pour la démocratie, certes, qui n’était pas dans l’air du temps. Mais, depuis cette époque, elle est comme pétrifiée, vaincue par le découragement. Ou, disent les mauvaises langues, tellement obnubilée par les maroquins qu’elle en a perdu son latin et sa verve.
« La Mauritanie sera ce qu’en fera sa jeunesse », disait feu Mokhtar Ould Daddah. Il ne croyait, certainement pas, si bien dire. Trente-cinq ans après son départ du pouvoir, le gâchis est énorme. La jeunesse, éberluée, a pris goût à l’argent, l’élite se soucie fort peu de l’intérêt général et le pays ne s’est jamais senti aussi délaissé. Au profit d’un régime de généraux qui le prennent en otage, en font ce qu’ils veulent et ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. 
Comme partout, désormais, sur la planète, mais beaucoup plus crûment dans les pays dits « avancés », l’adoration du veau d’or nous démolit. Nous-mêmes et notre environnement, tant naturel que moral et culturel. Allons-nous nous révéler incapables de vivre en notre propre pays, d’en porter la saveur à nulle autre pareille ? Non, nous ne sommes pas de nulle part. Cessons de nous jeter, à corps et âme perdus, sous le rouleau compresseur d’une société de consommation qui ne fut jamais la nôtre. Réveillons-nous, réinventons-nous ! Et donnons, ainsi, à nos élites, l’occasion de se racheter ; à notre jeunesse, de donner raison à feu Mokhtar et, au Monde, de nous connaître… enfin.
                                                                                          Ahmed Ould Cheikh






dimanche 14 avril 2013

Editorial : L’appel du vide



L’opposition a marché, la semaine dernière. De l’ancienne Maison des jeunes à la mosquée Ibn Abass où elle a tenu meeting. Ses principaux leaders ont parlé. Dénoncé la morosité ambiante, évoqué la crise politique, la cherté de la vie et même fait écouter, à leurs militants, les enregistrements d’Ould Abdel Aziz en train de négocier une affaire louche avec un prétendu irakien au Ghana. C’est à croire que notre opposition n’a de programme que le sujet de l’heure : le refus du dialogue avec une partie d’elle-même, la balle amie qui a failli coûter la vie au président, la guerre au Mali, l’affaire Bouamatou et, last but no least, le Ghanagate. Chaque fois, c’est le même itinéraire et la même rengaine. Pas de quoi inquiéter un président, jouissant d’une confortable majorité au Parlement, verrouillant l’armée et riant sous cape, au spectacle de l’opposition crier tout son saoul, sans que cela ne l’ébranle d’un pouce.
Il aurait pu, pourtant, avoir des sueurs froides. Lorsque le Printemps arabe frappait à nos portes ou lorsqu’il gisait sur le lit d’un hôpital parisien. Mais, encore une fois, l’opposition a raté le coche. Elle a été frileuse, la première fois, pour éviter, dit-elle, que le pays ne sombre dans l’instabilité. En fait, rien n’indique qu’elle pouvait mobiliser son monde pour cette cause et que ses militants étaient prêts au sacrifice nécessaire pour la réussite d’une révolution. Lors de la vacance du pouvoir, elle a décidé, tout simplement, de signer un cessez-le-feu avec… elle-même, en attendant que le président se rétablisse et revienne plus hardi que jamais. L’occasion se répétera-t-elle ? On peut légitimement en douter.
Faut-il en déduire que nous avons, pour paraphraser Guy Mollet parlant en 1956 de la droite française, l’opposition la plus bête du monde ? Sinon, comment expliquer que, face à un pouvoir empêtré dans ses propres turpitudes et qui multiplie erreurs sur erreurs, elle n’arrive pas à tirer son épingle du jeu ? Certes, son péché originel a été d’avoir signé les accords de Dakar, de compétir avec un putschiste et de le reconnaître mais elle a eu d’autres occasions de se racheter par la suite. Qu’elle a toutes ratées. Il est donc normal qu’elle refuse d’aller aux élections législatives et municipales, pour ne pas donner, à son adversaire, un nouveau bâton pour la battre. Et se donner, ainsi, un nouveau crédit à moindre frais.
La politique de la chaise vide peut, parfois, se révéler fatale mais il arrive, en certains cas, qu’elle devienne la solution. Face à un pouvoir juge et partie, qui a toutes les cartes en main et ne veut rien lâcher pour s’offrir une nouvelle majorité, la seule issue serait de le laisser jouer tout seul. Donner le coup d’envoi et siffler la fin du match. Pour montrer, à la face du monde, qu’on ne peut se prétendre démocrate et ne pas respecter un minimum de règles. Mais, au-delà du bout de ce nez, de cette révélation de La Palice, quoi d’autre ? Le vague espoir que la Nature a horreur du vide ?
                                                                                                                              Ahmed Ould Cheikh

dimanche 7 avril 2013

Editorial : Souriez : vous êtes limogés !



Nous avons, incontestablement, le président de la République le plus atypique qui soit. Le seul dont le nom est régulièrement cité dans des affaires douteuses, la dernière en date a même dépassé le cadre de nos frontières. Le seul dont le fils a tiré, à balles réelles, sur une innocente jeune fille. Le premier à se faire tirer dessus. C’est aussi l’unique à avoir déclaré la guerre à ses compatriotes : un homme d’affaires qu’il s’est juré de ruiner ; de hauts cadres internationaux qu’il veut dégommer, coûte que coûte ; des banquiers qu’il veut pousser à la faillite, en autorisant plus de banques qu’il n’en faut dans un pays où le taux de bancarisation ne dépasse guère plus de 4% ; des chefs d’entreprise frappés d’ostracisme, pour permettre à sa parentèle d’émerger, et, enfin, la grande masse du peuple qui n’arrive plus à joindre les deux bouts. Mélangez le tout, assaisonnez-le d’un peu de démagogie et vous aurez une idée de l’homme qui prétend tenir en mains nos destinées, depuis un certain 6 août 2008.
Sa dernière prouesse, un rêve qu’il caressait depuis plusieurs années, s’est enfin réalisée, la semaine dernière : le limogeage du Haut commissaire de l’OMVS, notre compatriote Mohamed Salem Ould Merzoug, contre l’avis de ses pairs membres de ladite organisation sous-régionale. Macky Sall, Alpha Condé et Dioncounda Traoré voulaient, en effet, qu’Ould Merzoug rempile pour un nouveau mandat. Le temps pour lui de mettre ses grands projets sur les rails. Son bilan étant largement positif, les trois présidents considéraient que son départ pouvait constituer une rupture préjudiciable à la bonne marche de l’Organisation. Mais c’était mal connaitre Ould Abdel Aziz. Remonté contre son compatriote, à qui il ne reproche pourtant pas grand-chose, si ce n’est la fidélité à ses amis, il a menacé de quitter l’OMVS, si Ould Merzoug était reconduit.
Le meilleur plénipotentiaire de tout pays normalement constitué, c’est le chef d’Etat lui-même. C’est lui qui cherche les meilleurs marchés, pour ses entreprises, et les hauts postes internationaux, pour ses concitoyens. Chez nous, c’est exactement l’inverse. Mohamed Vall Ould Bellal a été empêché d’accéder au poste d’ambassadeur de la Ligue arabe en Libye. La Mauritanie s’est opposée à la nomination de Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, comme chef de la mission d’observateurs de l’Union Africaine en Tunisie. Tout comme elle a refusé, à Ahmedou Ould Abdallah, l’autorisation d’ouvrir son Centre de Stratégie et de Sécurité pour le Sahara/Sahel. Elle a tout fait pour que l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle limoge l’ancien ministre des Affaires étrangères de Sidioca, Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine, parce qu’il a écrit, sur son expérience au gouvernement, un livre guère tendre avec les auteurs du coup d’Etat de 2008. Tentative infructueuse, fort heureusement.
Bref : Ould Merzoug est le dernier, à ce jour, à faire les frais de cette folie « limogière » et il ne sera probablement pas le dernier. C’est, comme qui dirait, le règne de l’incompétence qui, non seulement, se refuse le soutien de compétences avérées mais les hait à ce point qu’il interdit à autrui d’en profiter. Même s’il s’agit de ses propres concitoyens. Soyez incompétents, ou, du moins, feignez de l’être.  Sinon, réjouissez-vous d’être limogés : le négateur de votre valeur ne vous reproche que sa propre médiocrité.  Cependant, si le propre de cette dernière est de se croire d’autant plus supérieure qu’elle abaisse autrui, il n’est pas obligatoire de s’abaisser devant elle. Limogés, soyez heureux : vous n’avez, vous, pas tout perdu.
                                                                                                                  Ahmed Ould Cheikh