lundi 1 juin 2015

Editorial: Moutons de Panurge

Alors qu’il a déjà visité quatre régions, dans un vacarme assourdissant de salueurs, voitures, défilés et inaugurations de tout et de rien, lors de spectacles obséquieux que la morale réprouve et d’où suinte la flagornerie et le déshonneur, notre guide éclairé s’apprête à reprendre ses visitations à partir du 28 courant, au Brakna et au Trarza. Deux régions, comme celles qui les ont précédées, éprouvées par le manque de pluie et une longue période de soudure, tandis que les pauvres populations, mobilisées par de petits roitelets locaux, sont obligées de sortir pour accueillir celui qui « a sauvé le pays d’une dérive certaine en 2008 ». Partout ce sera le même spectacle : de longues processions d’individus, serrés comme des sardines, généralement sous un soleil de plomb, pour accrocher l’auguste main. Et un président, lunettes noires vissées au visage, qui passe, tendant la main comme un automate, décidé à en finir avec des scènes qui doivent certainement le révulser. Il en a pourtant vu d’autres, notre génie des sables. Lui qui gravitait dans le giron de Maaouya a vu les mêmes visages se prosterner, courber l’échine et s’humilier, en échange des quelques miettes que le seigneur du moment condescendait à leur jeter. Dix ans après le départ de celui qu’on affublait de tous les noms, aussi flatteurs les uns que les autres, il est désespérant de constater que son tombeur retombe dans les mêmes travers. D’autant plus que, dans tous les cas, c’est toujours le peuple qui trinque. Affamé, assoiffé, mal logé et mal soigné, celui-ci n’est pas censé attendre grand-chose d’un pouvoir qui le martyrise mais, tel un troupeau de Panurge, il sortira, le jour J, pour accueillir son « héros ». Il faudrait plus qu’une armée de psychanalystes pour expliquer de tels comportements.
Tout aussi déconcertants que ceux en cours au sommet. Le dernier en date remonte à vendredi dernier. Le Président a procédé à un mini-remaniement. Provoqué par le départ de Sidi ould Tah à la BADEA, l’exercice a donné lieu à une énorme surprise : Ould Raïss de retour au gouvernement, par la grande porte, de surcroît ! Renvoyé, il y a quelques mois, de la Banque Centrale, alors qu’il venait à peine d’y entamer son second mandat, on le disait pourtant en disgrâce pour de bon, accusé qu’il était de ne pas avoir pris les mesures idoines, pour éviter la banqueroute de la Maurisbank, et de n’avoir pas donné, au Président, les bons chiffres sur nos réserves en devises. Une seule explication logique à ce retour : il n’aurait fait qu’exécuter les ordres. A moins que la logique ne soit en rien de mise ici. En Mauritanie nouvelle, rien n’est jamais définitif. On peut être relevé de ses fonctions pour malversations ou détournements et revenir à un poste de responsabilité plus important. On peut être mis en demeure par l’IGE ou la Cour des Comptes de rembourser des sommes détournées et rebondir avant même la fin des échéances. De tels cas sont légion. Tout dépend, de fait, de l’humeur du chef. Elle fait office, en Mauritanie, de raison d’Etat. Un bon expédient, sans doute, pour s’assurer de la docilité des moutons. En dépit de la leçon de la fable ?

                                                                                           Ahmed Ould Cheikh

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