jeudi 12 janvier 2012

Editorial : Les leçons d’une visite

La visite de quelques heures qu’a effectuée, jeudi dernier, à Nouakchott, l’émir du Qatar a-t-elle fini en queue de chameau? Pourquoi n’a-t-il pas eu droit au cérémonial marquant le départ de tout visiteur de marque? Depuis qu’il a quitté le sol mauritanien, les supputations vont, en tout cas, bon train. Certains voient, dans son départ précipité, une prise de bec avec Ould Abdel Aziz à qui il aurait donné quelques conseils modérément appréciés. D’autres croient savoir que Cheikh Khalifa, superstitieux, n’aime pas trop les cérémonies de départ et préfère filer à l’anglaise. Anguille sous roche. Et questions en suspens. L’émir aurait fait tout ce chemin pour assister, seulement, à la signature, par les ministres des Affaires étrangères des deux pays, d’un document-cadre de coopération? Pourquoi est-il resté deux heures d’horloge, à peine? Etait-il porteur d’un message et de qui? Ou voulait-il juste honorer, à moindre frais, une invitation aimablement adressée?
Depuis l’intrusion d’Al Jazeera sur la scène médiatique internationale et le rôle, de plus en plus important, qu’elle a joué lors des révolutions en Tunisie, Egypte et Libye, le Qatar veut, désormais, jouer dans la cour des grands. Et contester, à l’Arabie Saoudite, la position de leadership qu’elle occupait, au Golfe et, au-delà, dans le monde arabe. Le petit Poucet s’est, soudain, découvert des ailes et, fort de l’impact de sa chaîne satellitaire, se mue en donneur de leçons. Selon les analystes, il voulait surtout mettre en garde la Mauritanie contre un rapprochement trop poussé avec l’Iran avec lequel le pouvoir de Ould Abdel Aziz flirte ostensiblement depuis 2008. Tout le monde sait que les pays du Golfe, dont le Qatar veut être le porte étendard, veulent contenir l’Iran, le priver de soutiens et l’empêcher d’avoir une place dans le concert des nations. Et ils voient d’un mauvais œil ses relations avec la Mauritanie. Ils seraient même prêts, dit-on, à mettre la main à la poche. D’où la signature de ce cadre de coopération sus cité, qui peut facilement se transformer en espèces sonnantes et trébuchantes. Si tout rentre dans l’ordre. L’émir aurait aussi profité de son séjour pour donner à son ‘’ami’’ quelques conseils pour une meilleure gouvernance démocratique. Sur le ton le plus amical possible. Une façon de noyer le poisson iranien.
Le Cheikh, assis sur une des plus grandes réserves du monde de gaz naturel et protégé par les GI’s, se croirait-il tout permis? Oubliant, très volontairement, de balayer, d’abord, devant sa porte. Le Qatar, n’en déplaise à Al Jazeera, n’est pas une démocratie, loin s’en faut. A part cette chaîne, qui ne dit jamais du mal de ce pays qui l’héberge et qui la finance – un gros boulet, évidemment – aucun journal n’est libre et personne ne peut se permettre de critiquer l’archaïque système politique qu’entretient le petit émirat. Dont l’actuel souverain s’est permis de renverser son père, pour prendre sa place. Et à qui il faut rappeler que le fait d’être riche, de disposer d’un média puissant ou de soutenir des révolutions n’est pas un gage de respectabilité. A quoi sert la richesse, si l’on est incapable d’aider son prochain? Depuis Ould Taya, la Mauritanie et le Qatar entretiennent de très bonnes relations. Pourtant ce pays, qui ne sait plus quoi faire de son argent au point d’acheter le Paris Saint Germain, n’a construit qu’un dispensaire à Boutilimit. S’en glorifier, en pavanant, sous les grands airs d’un riche qu’on courtise, promettre monts et merveilles et, au détour d’une phrase, donner un ou deux conseils d’ami, il n’y a qu’un pas que notre émir a franchi. Il aurait été, donc, sèchement rabroué? Bien mérité, alors.
Accordons-lui, cependant, des circonstances atténuantes. Il ne savait pas à qui avait-il affaire. Le langage diplomatique a ses codes, pour tout dire sans rien dire. Et vice-versa. Nos deux militaires – Cheikh Khalifa fit, lui aussi partie de la corporation, pour ceux qui ne le savent pas – en maitrisent si peu les subtilités que leurs discussions peuvent, aisément, se transformer en un dialogue de sourds. Vivement le printemps qu’on leur lave les oreilles! On qu’on les leur coupe… avant de nous en choisir de plus attentives.
Ahmed Ould Cheikh

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