jeudi 2 décembre 2010

Editorial : A grands pas

La Mauritanie a soufflé, ce 28 novembre, sa cinquantième bougie. Nous nous sommes félicités, avons applaudi, défilé, rendu hommage aux fondateurs. Nous aurions dû, pourtant, pleurer, devant tant de gâchis, d’occasions ratées, de dilapidation de nos maigres ressources, de dévoiement de nos volontés. Nous aurions dû passer en revue le chemin parcouru, nous remettre en cause et tirer les leçons du passé. Au lieu de se tresser des lauriers. Un sport national que nous maitrisons parfaitement bien. Certainement le seul. Si l’on exclut la flagornerie.

Cette année encore, nous n’avons pas dérogé à la règle. A écouter nos organes de presse officiels, nous vivons dans le meilleur des mondes, depuis un certain 6 août 2008. Si l’on s’en tient à leur raisonnement, le pays est né le 28 novembre 1960, s’est plus ou moins développé durant 18 ans, avant d’hiberner, en l’attente d’Ould Abdel Aziz. 30 ans de coma profond au cours desquels le «malade» aura tout connu: gaspillages, détournements, mauvaises gestions, népotismes, pillages de ses ressources.

Même Ould Abdel Aziz y est allé de son couplet, dans son discours du 20 novembre: «Nous avons engagé une dynamique […] dans l'espoir de renouer avec l'éthique et la morale dans la vie publique. Mais le changement des mentalités reste un parcours long et difficile […] qui requiert, [au-delà de la punition des] auteurs des crimes de détournement des deniers publics et de pratiques étrangères aux traditions de notre société musulmane, la contribution de tous les citoyens. […] Cette politique de rigueur a permis de réaliser, en un court laps de temps, de nombreux et importants projets de développement, notamment dans le domaine routier, éducatif et sanitaire, en plus de nombreuses autres infrastructures, vitales pour le pays.[…]»

Que faut-il en déduire? Que notre pays avance, à grands pas, vers le progrès? Qu’à ce rythme, Ould Abdel Aziz va, incessamment, hériter du titre de «bâtisseur de la Mauritanie nouvelle»? Que tout ce que dit l’opposition n’est que médisance? Que la gestion des finances publiques n’est pas entourée de la plus grande opacité? Que les contrats de partage de la production minière sont transparents? Que la fondation de sociétés publiques de transport terrestre et aérien, au moment où, partout ailleurs, l’Etat se désengage de l’économie, n’est pas une occasion rêvée de jeter l’argent public par la fenêtre? Que la gabegie n’est plus autorisée qu’à certains, triés sur le volet?

Les lampions sont éteints, la fête est finie. Les grandes avenues redévoilent leur crasse et l’inachèvement de leurs travaux hâtifs. L’autocar, bondé, de la ligne 5 stoppe à un arrêt étrangement désert, malgré, ou, peut-être, à cause de la bonne demi-heure d’attente entre deux bus. C’est qu’à quinze mètres de là, trône le cadavre boursouflé d’un âne… Les passagers se bouchent les narines. «Il paraît que le kilo de sucre à 300UM, c’est pour la fin de l’année», se lamente une ménagère. «Et attendez », renchérit un autre, «vous n’avez pas vu le gasoil… » Mais «la politique de rigueur n’a-t-elle pas permis, en un court laps de temps…», et patati et patata? A grands pas, Ould Abdel Aziz, à grands pas, militaires toujours, tambours et trompettes, parfois… Nous avons applaudi quels lendemains?

Ahmed Ould Cheikh

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