mardi 23 novembre 2010

Editorial : Gommez, gommez, il en restera toujours quelque chose

Depuis que le pouvoir a décidé de célébrer, en grandes pompes, le cinquantenaire de l’accession de la Mauritanie à l’indépendance – il n’y a pourtant pas de quoi pavoiser, au vu du résultat – la TVM ne cesse de diffuser des spots annonciateurs de l’événement. Rien que du très grand classique mais là où il y a un hic, c’est que l’annonce se limite à deux présidents, feu Moktar Ould Daddah et Ould Abdel Aziz. Le début et la fin de la période. Le milieu, c’est à dire de 1978 à 2008, est complètement zappé. La Mauritanie serait morte, en 1978, pour ressusciter, le 6 août 2008. Ould Mohamed Saleck, Ould Louly, Ould Haidalla, Ould Taya, Ould Mohamed Vall, Sidioca, de qui parlez-vous là? Ont-ils jamais été présidents? De quel pays?

La plus grande falsification de l’histoire de la Mauritanie est en train de s’étaler, sous nos yeux médusés. Les médias officiels veulent gommer, d’un trait, trente ans de la vie d’un pays qui n’en a, pourtant, que cinquante. Il y a quelques années, au plus fort du régime de Maaouya, l’histoire contemporaine de la Mauritanie commençait le 12 décembre 1984, jour de son accession à l’indépendance et nul ne pouvait évoquer ou faire allusion, dans les médias publics, à ceux qui l’avaient précédé. Même le président-fondateur était devenu un sujet tabou.

Serions-nous en train de tomber dans les mêmes travers? Qui a théorisé ce petit jeu malsain? De deux choses l’une. Ou ce sont les responsables de la télévision qui agissent ainsi et, dans ce cas, ils doivent être sévèrement sanctionnés, nul n’ayant le droit de travestir notre histoire et de ne nous en montrer que ce qu’il veut. Ou cela a été décidé en haut lieu et l’on peut, du coup, entretenir quelques appréhensions sur la manière dont nous sommes dirigés. Comment peut-on en vouloir, à ce point, à des gens, qu’on cherche à les rayer, d’un trait, comme pour les effacer de notre mémoire collective? Qu’ont-ils fait de si mal pour qu’on les juge indignes d’être seulement cités comme ayant présidé aux destinées de ce pays, quelques années durant? Ould Taya a dirigé la Mauritanie pendant près de 21 ans. Ely Ould Mohamed Vall est le seul président à avoir remis pacifiquement le pouvoir à son successeur. Sidi Ould Cheikh Abdallahi fut le premier président démocratiquement élu et il a été renversé par un coup d’Etat. Ce sont là des vérités historiques indéniables et rien ne peut plus les effacer. Qu’on tente toutes les acrobaties qu’on veut et tous les montages possibles et imaginables. Les faits sont têtus et l’Histoire a démontré que la vérité d’aujourd’hui n’est pas, nécessairement, celle de demain.

Le 28 novembre 2007, la TVM, à qui il arrive, rarement il est vrai, de réaliser de bonnes choses, avait diffusé un documentaire retraçant les 47 ans de l’indépendance du pays. De feu Moktar à Sidioca, les présidents qui se sont succédé avaient eu, chacun, voix au chapitre. L’émission fut unanimement appréciée et «le ciel n’est pas tombé sur la terre». Il faut dire que Sidi était un civil élu et n’avait de comptes à régler avec personne. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Notre nouveau guide éclairé ne veut, surtout pas, entendre parler de Sidioca, d’Ely ou de Maaouya. Seul Haidalla entre, un peu, dans ses bonnes grâces. Il n’en sera pas, pour autant, réhabilité officiellement. La Mauritanie, c’était Moktar. Et maintenant c’est «lui». Les autres présidents peuvent aller se rhabiller. Ils n’ont pas leur place dans cette nouvelle Mauritanie. Et ils ont si peu d’atouts, pour rivaliser avec le président des pauvres, l’Astre du désert, le pourfendeur d’AQMI, le constructeur de routes, l’infatigable lutteur contre la prévarication, l’homme qui fait tout, veille sur tout et ne dort que d’un œil pour qu’on dorme des deux, sans rêve, groggy par tant d’effacements de notre mémoire…

Ahmed Ould Cheikh

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