mardi 4 mai 2010

Editorial : Mouvements de manivelle

L’information, relayée par le journal français «Le Républicain Lorrain», n’a pas encore fini de faire parler d’elle. Les propos, probablement off the record, accordés au journaliste français Philippe Waucampt, par le «Monsieur Afrique » de l’Elysée, André Parant, continuent de faire des vagues, entre la France et certains pays africains. Quoique démenties aussitôt par l’ambassade de France au Sénégal, et mieux encore par l’intéressé lui-même couriellant à notre ami Bertrand Fessard de Foucault : « Cher ami, les propos qui me sont prêtés par la presse sénégalaise -ou une partie d'entre elle- sont évidemment absurdes et n'ont jamais été tenus. Il n'y en a donc, et il ne peut y en avoir, aucune trace. Vous pouvez donc rassurer vos amis. Bien à vous, André Parant »

Mais peut-on parler de révélations ? Petit florilège: «Il existe, au Sénégal, un risque certain d’instabilité» et «un projet de succession monarchique non avoué. […] Gbagbo est de la pire des espèces. Avant, il était boulanger mais, maintenant, c’est un pâtissier. […] Ali Bongo est un bambin à qui l’on a donné une sucette déjà consommée. […] Le général Aziz est un dictateur peint en démocrate. Il a organisé des élections frauduleuses. On a, simplement, fermé les yeux». Et autres aménités du même genre, sur Faure Gnassingbé, président du Togo, et Denis Sassou Nguesso, du Congo.

Mais quelle mouche a piqué Parant pour se répandre, ainsi, dans la presse, brisant la sacro-sainte «retenue diplomatique»? A-t-il parlé pour lui ou exprime-t-il, en off, les craintes de certains diplomates français, inquiets des dérives de la Françafrique, prise en charge, par Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, dans des circonstances pas encore claires mais remontant au défi lancé par Sarkozy à Chirac pendant l’agonie politique de celui-ci?

Pour y voir plus clair, il faut, d’abord, cerner le personnage.

Nommé à la tête de la cellule africaine de l’Elysée, en Août 2009, André Parant succède à Bruno Joubert, nommé ambassadeur au Maroc. Ce dernier, tout comme son adjoint d’alors, Romain Serman, qui avait débuté à la représentation française aux Nations Unies et avait eu à traiter d’emblée « l’affaire ivoirienne », étaient favorables à une ligne légaliste, pour la Mauritanie, après le coup d’Etat du 6 août 2008. Les deux diplomates de carrière n’ont pas été associés au changement progressif de la ligne française, durant l’automne 2008. Ils n’en ont pas été pour autant pénalisés et Romain Serman au départ de son patron dans l’une des plus importantes et belles ambassades françaises, a été chargé d’organiser le tout prochain sommet franco-africain pour le cinquantenaire des indépendances. Et ils sont restés, jusqu’au bout, fidèles à leurs principes, avant que la realpolitik les écarte du dossier. Ils attesteront – ce qui peut être utile pour les démentis ou procès français à venir – que Paris a plusieurs doctrines et plusieurs pratiques mais c’est si peu digne d’un grand pays que des propos – tenus ou pas – sonnent vrais et sont répandus comme tels.

André Parant, diplomate de carrière, un homme pondéré et calme, a une expérience certaine de l'Afrique subsaharienne et du Proche-Orient, puisqu’il fut ambassadeur au Sénégal et au Liban et avait débuté en Centrafrique, il y a vingt ans, organisant à Bangui sur fonds français, les premières élections présidentielles vraiment libres et transparents, puisque le président sortant avait été battu ! A-t-il été choisi pour rassurer les partenaires (et compères) traditionnels de la France, inquiets de la rigueur manifestée par ses prédécesseurs? Ou pour ne pas faire de vagues, s’effacer et laisser la France-à-fric gérer le pré-carré africain comme une chasse gardée? Ses déclarations retentissent, en tout cas, comme une révolte contre la mainmise de Claude Guéant sur la politique africaine de la France, au détriment de la Cellule africaine et du Quai d’Orsay. De plus en plus discuté à l’Elysée, surtout depuis la dernière raclée des élections régionales françaises, Guéant voit «sa» politique africaine également contestée par ceux-là mêmes qui sont censés la défendre. Il est fort probable que ces «fuites» soient organisées à dessein. D’ailleurs, s’agit-il d’une politique ? Ou bien de relations d’occasion, en cachette et de fil en aiguille, dont il a même été dit qu’elles pouvaient être mutuellement payantes, à beaucoup d’égards, voire au sens propre !

Que faut-il en déduire, pour nous Mauritaniens?

Que la France ne tient pas en haute estime Ould Abdel Aziz? Qu’elle a sciemment fermé les yeux sur notre dernière élection truquée? Il est avéré que l’élu du 18 Juillet 2009 reste sous surveillance à Paris comme à Bruxelles, sans doute selon des critères différentes. Paris pense sécurité, alliance américaine et investissements pétrolier, gazier, Total et autres. Bruxelles pense chapitre VII des accords de Dakar. En refusant tout dialogue avec l’opposition, le président de la République court le risque d’avoir à partager crédibilité et interlocuteur avec ses opposants de plus en plus entendus ailleurs qu’au palais et faute du palais…

Mais il reste que pendant l’année putschiste, une poignée d’irréductibles ont préféré l’intérêt de la France – et le leur – à celui de la Mauritanie. Que leur pays soit médit, que leur petit calcul d’épicier ne soit rentable qu’à court terme, ils n’en ont cure. Pour eux, seul le profit immédiat compte. Mais attention au retour de manivelle! Chez nous et ailleurs.

Ahmed Ould Cheikh

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