Quatre cents dix millions d’ouguiyas. Vous avez
bien entendu : quatre cent dix millions de nos rares ouguiyettes. Parties
en fumée. Dilapidées. Jetées par la fenêtre. C’est quoi, toute cette histoire
de gros sous, en période de disette ? Il se trouve qu’un de nos galonnés,
gestionnaire de la
Grande Muette, a cru tomber sur un filon. Il prenait la
fâcheuse habitude de prêter l’argent destiné à la solde des militaires en
vadrouille quelque part à l’Est ou au Nord, à un jeune cousin à lui, pour le
fructifier. Un million au départ, puis deux
puis quelques dizaines et à chaque fois, notre Madoff national ramenait
le pactole, agrémenté d’un pourcentage respectable qu’il se partageait avec son
cousin idéalement placé pour piquer dans la caisse sans qu’on le remarque. Et
la mise ne cessait de monter. Le commandant, gourmand, voulait toujours plus de
bénéfices. Sa boulimie l’a perdu. Le jeune, fauché jusqu’alors, s’est
subitement retrouvé à manipuler des dizaines de millions et s’est vu nabab. Il
s’acheta des grosses cylindrées de luxe, renouvela sa garde-robe et exhiba
signes sur signes extérieurs de richesse. L’argent facile, c’est connu, se
dépense plus facilement que celui qu’on a gagné à la sueur de son front. Les
remboursements se firent alors plus rares et le déficit ne cessait de se
creuser. Tant et si bien que notre éphémère Crésus se retouva sur le carreau,
fauché et endetté. Le commandant, incapable de faire face aux engagements de
l’Armée – ne dit-on pas que « l’argent ne se mange pas deux fois ? »
– fut dans l’obligation d’alerter sa hiérarchie et mis aux arrêts dans la
minute qui suivit, tandis qu’une chasse à l’homme s’organisait pour mettre le
grappin sur son associé indélicat. Le voici entre les mains de la Gendarmerie en moins de
24 heures. Pas pour autant déféré à un juge et ses parents n’ont aucune idée de
ce qu’on lui reproche. D’autant moins que rien ne le lie, formellement, au
militaire, sinon un vague lien de cousinage… Le « propre » de ce genre
d’affaires, basées sur la confiance – jusqu’à ce qu’elle s’effrite… – est qu’on
n’y laisse aucune trace.
Sur quelle base va-t-on l’inculper, alors ? S’il lui vient la malice de nier avoir reçu
de l’argent ou de contester son montant, de quelles preuves dispose-t-on pour
le confondre ? Et s’il reste, reconnaissant les faits, dans l’incapacité
de rembourser, que faire ? Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que l’Armée
va, encore une fois, trinquer. On la sait, depuis longtemps, loin d’être exempte
de tout reproche mais aucun contrôle (IGE, Cour des comptes, police
économique…) ne peut s’en approcher. Un général, un colonel ou un commandant,
c’est du sérieux dont on ne peut pas tripatouiller les poches au seul motif
qu’il les a remplies. Depuis 2008, avez-vous vu un militaire se faire prendre
pour mauvaise gestion ou détournement de deniers publics ? Combien de
civils ont-ils connu la prison, pour les mêmes motifs, au cours de ces
quatre dernières années?
Pour en revenir à notre affaire qui n’a pas encore
dit son dernier mot mais qui sera, sans doute, étouffée comme tant d’autres
avant elle, il y a lieu de se poser un tas de questions. Comme peut-on disposer
d’autant de liquidités en dehors du Trésor ou de la Banque centrale ?
Comment l’argent est sorti ? Qui a recommandé le jeune homme pour qu’il
puisse disposer de sommes aussi importantes ? Pourquoi les caisses ne sont-elles
pas régulièrement contrôlées ?
Dans une armée normale, un scandale de cette nature
aurait donné lieu à enquête approfondie, grand déballage, arrestations en
série, peines de prison, fortes amendes, démissions et révocations. Dans la
nôtre, ce sera, tout au plus, un pétard mouillé. Le Trésor public se verra dans l’obligation de payer les
soldes de la troupe. Et l’on tournera la page… en attendant la prochaine
malversation.
Ahmed Ould Cheikh
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