dimanche 17 mars 2013

Editorial : On ne vous dit pas tout



L’affaire Bouamatou a pris, la semaine dernière, une nouvelle tournure, avec l’entrée en scène publique de l’homme d’affaires. Son communiqué de presse, présenté comme « une déclaration de résistance », est, en fait, une offensive tous azimuts, attaquant sur différents fronts. Mais pas sur tous. Et la lecture de ce qui est dit ne sera vraiment audible qu’en tenant compte de ce qui ne l’est pas. Vaste et complexe entreprise dont on ne cernera, cependant, jamais tous les tenants et aboutissants, tant ramifiées sont les implications de ce puissant homme discret, en Mauritanie, sur l’échiquier maghro-ouest-africain et bien au-delà du continent.
Au rayon de ce qui n’est pas dit, le nom de son adversaire, réduit à l’appellation «  pouvoir » qui utilise « la BCM pour régler leurs comptes aux banques et aux opérateurs qui refusent de se plier à l’arbitraire et à l’injustice ». Il est certes facile, dans le contexte d’hyper-personnalisation de cette affaire, dans la presse mauritanienne, depuis son déclenchement, de mettre un nom sur ce « pouvoir ». Mais les fils de « l’arbitraire et de l’injustice » passent, probablement, par des canevas beaucoup plus divers ; en tout cas : assez ; pour justifier l’usage lapidaire du terme « pouvoir ». Monsieur Bouamatou ne déballera donc pas son sac. On n’en attendait pas moins de cet homme très poli et cultivé.       
A défaut de nommer la tête, notre tenace compétiteur a, dans sa ligne de mire, le fusible en chef : le gouverneur de BCM. Le fait que celui-ci ne soit qu’un « instrument, entre les mains du pouvoir », ne l’excuse nullement de mépriser les règles de sa fonction et c’est bien lui que Bouamatou rend responsable de ce que « la BCM a décidé, en contradiction avec ses propres textes, de priver la GBM de l’accès aux devises, des dépôts des entreprises publiques, [etc.] » Et l’homme d’affaires d’enfoncer le clou : les « 18 milliards 123 millions d’ouguiyas » que la GBM détenait, « en ses comptes courants à la BCM », au déclenchement de l’affaire, « ont été virtuellement séquestrés par monsieur le gouverneur de la BCM […] au profit d’intérêts privés clairement identifiés » – on eût aimé plus de détails mais l’omerta est, ici, bombe à retardement – « […] au détriment de l’Economie nationale et des clients de la banque ». Une fois ce constat dressé qui décrit fort bien les éventuelles poursuites judiciaires internationales – en tout cas, au moins politiques internes – qui menacent le servile gouverneur, on voit bien comment s’organise la stratégie de Bouamatou qui précise, publiquement, les chiffres et distingue, clairement, les fronts.
S’attachant à défendre sa réputation et celle de sa banque, l’homme a pris, « personnellement, toutes les mesures propres à permettre la remise », à tous les clients de la GBM, « des « avoirs qu’ils ont confiés [à celle-ci]. » En séparant ceux de moins de dix millions d’ouguiyas – dont les propriétaires sont directement renvoyés à l’avocat de l’homme d’affaires, pour un règlement direct – de ceux supérieurs à ce plancher, amenés, quant à eux, à participer au bras de fer avec la BCM, Bouamatou organise la partie. Au-delà des stricts aspects techniques de ces dispositions, il s’attire, tout s’abord, la sympathie des petits clients, de loin les plus nombreux, et renforce, ensuite, ses capacités d’alliances objectives, dans son combat avec la BCM qui n’est pas sortie de l’auberge, si ces gros créanciers s’avisent de s’unir et de faire front avec la GBM.
D’autant plus que ce front pourrait être – le devrait même au plus haut point, suggère l’homme d’affaires – soutenu par l’Association Professionnelle des Banques de Mauritanie (APBM) qui « serait bien avisée de s’interroger sur le sens qu’elle donne à sa mission ». Soulignant que « personne n’est à l’abri », Bouamatou en appelle, tout bonnement, à une ligue du capital contre l’arbitraire et l’injustice, un concept formidable dont on aimerait bien voir, enfin, la matérialisation, après tant de siècles, disons, frileux. Nous n’avons aucun doute sur la capacité de celle-ci à modifier sensiblement la donne, en Mauritanie qui deviendrait, ainsi, un modèle pour le Monde. Merci, monsieur le banquier, de vous avancer à la pointe de ce noble combat.
En laissant, par ailleurs, « au Gouvernement la responsabilité de la déstabilisation de notre économie et de la destruction de centaines d’emplois qualifiés », Bouamatou s’adresse, indirectement, aux bailleurs institutionnels de l’Etat mauritanien. Les Aides Publiques au Développement (APD) rentrent pour plus de 20% dans le budget national et ces bailleurs ont largement les moyens de faire pression pour que, non seulement, la légalité financière internationale mais, aussi, la stabilité économique du pays ne soient pas inconsidérément remises en question. On notera, ici, combien l’argument laisse à penser qu’a contrario de ce nous suggérions plus haut, le « pouvoir » assaillant serait assez circonscrit…
Que dire, enfin, des comptes réglés, au passage, à la Star Oil et à la SOMELEC ? Péripéties tactiques, probablement. On y apprend que la GBM a des dossiers conséquents, sur un certain nombre de ses gros clients qui devraient éviter de trop se salir, dans cette affaire ; mieux, s’associer activement à la lutte menée par leur banque. On pressent, également, que beaucoup de choses n’ont pas été révélées. C’est, comme disait un célèbre joueur d’échecs, tourmenté à l’idée du coup terrible que son adversaire tenait en sa main, en le différant interminablement, que la menace est bien pire que l’exécution. Une société avertie en vaut donc deux, prévient, poliment encore, le pugnace banquier qui ne semble pas au bout du rouleau, en dépit de son obligée montée en première ligne… L’optimisme ne le quitte d’ailleurs pas. N’affirme-t-il pas qu’« un jour, certainement, cette affaire […] sera considérée comme la plus stupide, la plus folle et la plus injuste de notre histoire économique ? » Nous en sommes, nous, déjà persuadés.
Mais c’est probablement sur le plan de la respectabilité que ce communiqué de presse remet surtout les pendules à l’heure. Monsieur Bouamatou s’y distingue en dignité. Il était temps car si le pouvoir et l’administration se révèlent, en cette affaire, fort peu honorables, c’est encore pire pour la collectivité des deux principaux antagonistes (on est en Mauritanie, après tout), incapable, semble-t-il, de gérer un différend interne sans mettre en péril la Nation. C’est fort triste pour tous ceux de celle-là qui agissent pour le bien de celle-ci mais ça l’est encore plus, pour le quotidien de tous les Mauritaniens qui ont bon dos, certes, mais même bon, un dos a des limites… Il serait également temps que le « pouvoir » s’en souvienne.

Ahmed Ould Cheikh


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