L’affaire Bouamatou a pris, la
semaine dernière, une nouvelle tournure, avec l’entrée en scène publique de
l’homme d’affaires. Son communiqué de presse, présenté comme « une
déclaration de résistance », est, en fait, une offensive tous azimuts,
attaquant sur différents fronts. Mais pas sur tous. Et la lecture de ce qui est
dit ne sera vraiment audible qu’en tenant compte de ce qui ne l’est pas. Vaste
et complexe entreprise dont on ne cernera, cependant, jamais tous les tenants
et aboutissants, tant ramifiées sont les implications de ce puissant homme
discret, en Mauritanie, sur l’échiquier maghro-ouest-africain et bien au-delà
du continent.
Au rayon de ce qui n’est pas dit, le nom de son
adversaire, réduit à l’appellation « pouvoir » qui utilise « la BCM pour régler leurs
comptes aux banques et aux opérateurs qui refusent de se plier à l’arbitraire
et à l’injustice ». Il est certes facile, dans le contexte
d’hyper-personnalisation de cette affaire, dans la presse mauritanienne, depuis
son déclenchement, de mettre un nom sur ce « pouvoir ». Mais les fils
de « l’arbitraire et de l’injustice » passent, probablement, par des
canevas beaucoup plus divers ; en tout cas : assez ; pour
justifier l’usage lapidaire du terme « pouvoir ». Monsieur Bouamatou
ne déballera donc pas son sac. On n’en attendait pas moins de cet homme très
poli et cultivé.
A défaut de nommer la tête,
notre tenace compétiteur a, dans sa ligne de mire, le fusible en chef : le
gouverneur de BCM. Le fait que celui-ci ne soit qu’un « instrument, entre
les mains du pouvoir », ne l’excuse nullement de mépriser les règles de sa
fonction et c’est bien lui que Bouamatou rend responsable de ce que « la BCM a décidé, en
contradiction avec ses propres textes, de priver la GBM
de l’accès aux devises, des dépôts des entreprises publiques, [etc.] » Et l’homme d’affaires d’enfoncer le
clou : les « 18 milliards 123 millions d’ouguiyas » que la GBM détenait, « en ses
comptes courants à la BCM »,
au déclenchement de l’affaire, « ont été virtuellement séquestrés par
monsieur le gouverneur de la BCM […] au profit d’intérêts privés
clairement identifiés » – on eût aimé plus de détails mais l’omerta
est, ici, bombe à retardement – « […] au détriment de l’Economie nationale
et des clients de la banque ». Une fois ce constat dressé qui décrit fort
bien les éventuelles poursuites judiciaires internationales – en tout cas, au
moins politiques internes – qui menacent le servile gouverneur, on voit bien
comment s’organise la stratégie de Bouamatou qui précise, publiquement, les
chiffres et distingue, clairement, les fronts.
S’attachant à défendre sa réputation et celle de sa
banque, l’homme a pris, « personnellement, toutes les mesures propres à
permettre la remise », à tous les clients de la GBM, « des « avoirs
qu’ils ont confiés [à celle-ci]. » En séparant ceux de moins de dix
millions d’ouguiyas – dont les propriétaires sont directement renvoyés à
l’avocat de l’homme d’affaires, pour un règlement direct – de ceux supérieurs à
ce plancher, amenés, quant à eux, à participer au bras de fer avec la BCM, Bouamatou organise la
partie. Au-delà des stricts aspects techniques de ces dispositions, il
s’attire, tout s’abord, la sympathie des petits clients, de loin les plus
nombreux, et renforce, ensuite, ses capacités d’alliances objectives, dans son
combat avec la BCM
qui n’est pas sortie de l’auberge, si ces gros créanciers s’avisent de s’unir
et de faire front avec la GBM.
D’autant plus que ce front pourrait être – le devrait
même au plus haut point, suggère l’homme d’affaires – soutenu par l’Association Professionnelle des Banques de
Mauritanie (APBM) qui « serait bien avisée de s’interroger sur le
sens qu’elle donne à sa mission ». Soulignant que « personne n’est à
l’abri », Bouamatou en appelle, tout bonnement, à une ligue du capital
contre l’arbitraire et l’injustice, un concept formidable dont on aimerait bien
voir, enfin, la matérialisation, après tant de siècles, disons, frileux. Nous
n’avons aucun doute sur la capacité de celle-ci à modifier sensiblement la
donne, en Mauritanie qui deviendrait, ainsi, un modèle pour le Monde. Merci,
monsieur le banquier, de vous avancer à la pointe de ce noble combat.
En laissant, par ailleurs, « au Gouvernement la
responsabilité de la déstabilisation de notre économie et de la destruction de centaines
d’emplois qualifiés », Bouamatou s’adresse, indirectement, aux bailleurs
institutionnels de l’Etat mauritanien. Les Aides Publiques au Développement
(APD) rentrent pour plus de 20% dans le budget national et ces bailleurs ont
largement les moyens de faire pression pour que, non seulement, la légalité
financière internationale mais, aussi, la stabilité économique du pays ne
soient pas inconsidérément remises en question. On notera, ici, combien l’argument
laisse à penser qu’a contrario de ce nous suggérions plus haut, le
« pouvoir » assaillant serait assez circonscrit…
Que dire, enfin, des comptes réglés, au passage, à la Star Oil et à la SOMELEC ? Péripéties
tactiques, probablement. On y apprend que la GBM a des dossiers conséquents, sur un certain
nombre de ses gros clients qui devraient éviter de trop se salir, dans cette
affaire ; mieux, s’associer activement à la lutte menée par leur banque. On
pressent, également, que beaucoup de choses n’ont pas été révélées. C’est,
comme disait un célèbre joueur d’échecs, tourmenté à l’idée du coup terrible
que son adversaire tenait en sa main, en le différant interminablement, que la
menace est bien pire que l’exécution. Une société avertie en vaut donc deux,
prévient, poliment encore, le pugnace banquier qui ne semble pas au bout du
rouleau, en dépit de son obligée montée en première ligne… L’optimisme ne le
quitte d’ailleurs pas. N’affirme-t-il pas qu’« un jour, certainement,
cette affaire […] sera
considérée comme la plus stupide, la plus folle et la plus injuste de notre
histoire économique ? » Nous en sommes, nous, déjà persuadés.
Mais c’est probablement sur le plan de la
respectabilité que ce communiqué de presse remet surtout les pendules à l’heure.
Monsieur Bouamatou s’y distingue en dignité. Il était temps car si le pouvoir
et l’administration se révèlent, en cette affaire, fort peu honorables, c’est
encore pire pour la collectivité des deux principaux antagonistes (on est en
Mauritanie, après tout), incapable, semble-t-il, de gérer un différend interne
sans mettre en péril la
Nation. C’est fort triste pour tous ceux de celle-là qui agissent
pour le bien de celle-ci mais ça l’est encore plus, pour le quotidien de tous
les Mauritaniens qui ont bon dos, certes, mais même bon, un dos a des limites…
Il serait également temps que le « pouvoir » s’en souvienne.
Ahmed Ould
Cheikh
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