mercredi 14 avril 2010

Portraits d’après mémoire: Sept militaires chefs d'Etat en Mauritanie : Fin d’un cycle, enfin?

Si l’Egypte est un don du Nil depuis l’époque pharaonique, la Mauritanie moderne, elle, est née d’une volonté française au 20ème siècle. Nul ne peut ignorer le passé glorieux du territoire qu’on appelle, désormais, Mauritanie. La légitimité historique est là, mettant en exergue l’empire du Ghana, le royaume du Tekrour, à l’avènement des émirats Beni Hassan, au 17ème siècle, en passant par les «Almoravides», connus jusqu’en péninsule ibérique. Forte de ses conquêtes, la France, puissance coloniale, dans un concept politico-stratégique, a voulu relier Alger, tombée depuis 1830, à Dakar, subissant le diktat de Berlin de 1885, par le Sahara. Ce projet a ouvert plusieurs ponts de passage, tels Fort Trinquet (Bir Mogrein), Fort Gouraud (F’Derick), Nouakchott qui deviendra la capitale de Mauritanie en 1960. Désormais, des populations, rompues au nomadisme des siècles durant, vont s’y fixer, comme dans d’autres agglomérations qui existaient bien avant l’arrivée de l’élément précurseur, l’administrateur (militaro-)civil corse, Xavier Coppolani, en 1903.

Hormis le père fondateur, Moktar Ould Daddah, sur lequel la France porta son dévolu, en 1958, et l’éphémère Sidioca (2007-2008), sept chefs d’Etat militaires auront présidé, depuis le 10 juillet 1978, aux destinées mauritaniennes.

Sept. Le chiffre 7 est, dans l’inconscient collectif de l’Humanité, le symbole d’autant de métaphores que d’appréhensions. D’un point de vue qui nous transcende, Dieu créa le monde en six jours et l’acheva au septième. Il y a 7 cieux. L’ascension d’un ciel à un autre est, en elle-même, à chaque fois, la découverte d’une merveille. C’est ainsi que l’Homme, à défaut de pouvoir recréer la Nature, s’est mis à l’imiter, en inventant le concept des sept merveilles du monde, des sept péchés capitaux et, plus encore, des sept salopards.… Mais il se trouve, aussi, que le chiffre 7 est lié à la fin d’une époque, d’une dynastie. La légende du serpent à 7 têtes de Koumbi Saleh – capitale de l’empire du Ghana, près de Timbédra – contée par les chroniqueurs arabes, en est l’illustration. Lorsque le jeune Mohamedou, pour sauver sa fiancée donnée, cette année-là, en offrande au serpent Ouagadoubida, trancha le tâte du monstre, une autre tête surgit. Ce serpent avait, en fait, 7 têtes, coupées, l’une après l’autre, par notre «Antar» pour sauver «Ablé», risquant de subir le même sort que tant de jeunes vierges données en pâture. Le «gardien des lieux» tué, s’en suivit alors une terrible sécheresse qui dura, paraît-il, 7 ans. L’empire du Ghana, jadis florissant, où les pépites d’or se «comptaient autant que les grains de sable», devait nouer, désormais, avec le déclin et ce, jusqu’à nos jours.

Toujours est-il que, depuis le 10 juillet 1978, sept militaires se sont succédé à savoir: les colonels Moustapha Ould Mohamed Salek, Ahmed Ould Bouceif, l’intendant Mohamed Mahmoud Ould Louly, Mohamed Khouna Ould Haidalla, Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, Ely Ould Mohamed Vall et, pour boucler la boucle, l’actuel président, le général Mohamed Ould Abdel Aziz. On est en droit de se demander si, depuis sa destitution en juillet 1978, Moktar Ould Daddah n’aurait pas fait planer le spectre du serpent de Koumbi Saleh sur les militaires qui le déposèrent. L’actuel président, Ould Abdel Aziz, fera-t-il exception à la règle des sept ou ouvrira-t-il la voie à l’émergence d’un 8ème chef d’Etat militaire, d’un 9ème et, pourquoi pas, d’un… 10ème? Toujours est-il que voici la chronique de l’épopée de nos «vaillants soldats», livrée au peuple de «héros» que nous sommes, depuis un certain matin de 10 juillet 1978.

A) Le colonel Moustapha Ould Mohamed Salek

Le coup d’Etat du 10 juillet fut préparé bien avant son année d’exécution, n’en déplaise à ceux qui supputent, encore, son improvisation, favorisée par la guerre du Sahara, coûteuse en moyens matériels et humains. C’est dès novembre-décembre 1977, que le lieutenant Moulaye Hachem, aide de camp de Moktar Ould Daddah, l’année suivante, abordait, par personne interposée, le sous-lieutenant Mohamed Ould Abdi, commandant une unité blindée, stationnée dans la 6ème région militaire. L’intermédiaire était un civil proche de Moulaye Hachem et des milieux nationalistes arabes. Vu la réticence du lieutenant Mohamed Ould Abdi, le lieutenant Moulaye Hachem demanda à le voir personnellement, afin de lui livrer ses vraies intentions. La conversation a tourné autour du coût de la guerre «fratricide, inopportune» et de la condition miséreuse du peuple mauritanien, ce qui nécessite un changement». Autrement dit, il faut renverser Moktar Ould Daddah. Mohamed Ould Abdi était toujours réticent et demandait à voir, à connaître les vrais commanditaires, pour prendre une décision définitive. Cependant il promet à Moulaye Hachem de garder tout cela pour lui-même et de ne rien divulguer. Au 1er trimestre de 1978, la guerre faisait rage, le poumon économique de la Mauritanie (la SNIM) constamment attaqué, les intentions se précisaient et les vrais commanditaires du coup de force ne s’en cachaient plus. Ils avaient pour noms: le commandant Jiddou Ould Saleck, le colonel Moustapha Ould Salek, Ahmedou Ould Abdallah, Moktar Ould Salek, lieutenant de la Garde, et, au second plan, afin d’éviter de froisser la susceptibilité des pro-Polisario, les colonels Haidalla et Moulaye Ould Boukhreiss. Tous ces officiers étaient galvanisés par une partie de la population, donc de la société civile. N’eût été la réticence du commandant de la 6ème région, Ahmedou Ould Abdallah, qui tenait à «régler quelques détails techniques», le coup aurait eu lieu avant le 10 juillet. Toujours est-il que ce jour-ci, de bouillants officiers, tels Jiddou Ould Salek, son frère, Moktar Ould Salek et le lieutenant Moulaye Hachem, ne pouvant plus attendre, passèrent à l’offensive.

Le chef d’état-major national, le colonel Moustapha Ould Mohamed Salek, noyau du putsch, coordonnait les actions, devenant, ainsi, le chef du comité militaire de redressement national. Le sort de Moktar Ould Daddah fut scellé en même temps que celui du sous-lieutenant Mohamed Ould Abdi, mais pas pour longtemps, en ce qui concerne ce dernier. On le mit aux arrêts, à l’état-major, avant de le muter à l’instruction de la 6ème région militaire, pour n’avoir pas voulu trahir – ou saisir l’opportunité, c’est selon – une première fois. Car l’histoire va se répéter, cette fois, pour le colonel Mohamed Ould Abdi, avec la tentative, avortée, du 8 juin 2003, au temps de Maaouya où il put retourner sa veste et trahir, enfin, pour la première fois.

Moustapha Ould Mohamed Salek est un officier intellectuel, consensuel, de bonne moralité mais tiraillé, à l’époque, par une galaxie d’officiers ruminant des aspirations aux contours mal définis. La divergence entre ces officiers, fils de «grandes tentes», est rarement d’ordre stratégique ou d’orientation économique, dans les priorités à adopter, mais, plutôt, d’origine libidinale, c’est-à-dire d’égos. Il y avait, réellement, un esprit de corps et la mésentente ne dépassait, jamais, le stade de l’exaltation du «moi», dans le sens de la grandeur, de l’honneur et de la dignité. Malgré son côté prodigue et consensuel, le président Moustapha n’a pu s’imposer en «redresseur» de la situation. Si le 10 juillet était souhaitable, inévitable, donc, c’était pour cause économique. Les préliminaires vitaux, à savoir le panier de la ménagère, l’éducation, la santé n’ont pas été le souci majeur des «gardiens du temple». Sur la misère, se greffent, toujours, des conflits byzantins, entretenus par nos officiers au pouvoir, rivalisant en lobbies, pro-marocain, pro-Polisario, etc., rarement pro-mauritanien. Le comité militaire tanguait, souvent, à droite toute ou à gauche toute. Mais, pour couler le navire, il fallait éliminer sa figure de proue, le commandant Jiddou Ould Salek, et le verrou de Moustapha. C’est ainsi que, dans ce micmac digne de l’épopée des Oulad M’Bareck précurseurs de Kafka, un homme descendant du grand émir des Idawish, Mohamed Chein, sortit du lot, un certain 6 avril 1979. Cela fut rendu possible par l’éviction du commandant Jiddou Ould Salek, au mois de mars de la même année, du ministère de l’Intérieur. L’officier, qui contraignit Moustapha à rebuter Jiddou, n’est autre que le colonel Ahmed Ould Bouceif que l’hebdomadaire «Jeune Afrique» surnommait, à l’époque, «l’homme à l’épée». Ainsi le pouvoir du colonel Moustapha, tombeur de Moktar Ould Daddah, n’aura pas duré une année, laissant les problèmes entiers.

B) Le colonel Ahmed Ould Bouceif

À César ce qui appartient à César: l’officier est, indéniablement, un baroudeur, une forte personnalité mais, aussi, un fin diplomate. Sinon, dans ce mini Far-west, comment Bouceif put-il, à la fois, désarmer Jiddou Ould Salek, maintenir Moustapha à la présidence de la République et se faire nommer Premier ministre, doté des pleins pouvoirs? Présume pro-marocain, Bouceif était tellement fougueux qu’on le disait prêt à reprendre les hostilités. Mais Ahmed Ould Bouceif n’a jamais eu le temps d’élaborer, ni de penser quoi que ce soit. «L’homme à l’épée» va mourir, dans un accident d’avion du GARIM, au large de Dakar, le 27 mai 1979.

Arrivée au pouvoir en tant que Premier ministre, sous un régime parlementaire sans assemblée, Bouceif est, probablement, le précurseur de la démocratie en Mauritanie. Cet officier a été appelé à Dieu après à peine cinquante jours de responsabilité dont on ne pourra, jamais, juger le bilan. L’accident de l’avion militaire piloté par le capitaine N’Diane N’Diak, pilote expérimenté, fut-il prémédité? Voici une énigme qui précède celle de la mort du colonel Mohamed Lemine Ould N’Diayane, le 8 juin 2003, à Nouakchott. Si la «pro-marocanité» de Bouceif était un secret de polichinelle, le «groupe d’officiers du Nord», dirigé, cette fois, par Haidalla, Boukhreiss et, dans une moindre mesure, Ahmedou Ould Abdallah, jugeant son heure arrivée, passe à l’offensive. Jiddou Ould Salek destitué, Bouceif mort, le président a ou est démissionné, selon les sources, le 3 juin 1979. Le colonel Mohamed Mahmoud Ould Louly devient président de la République, Ould Haidalla «se» nomme Premier ministre, avec les pleins pouvoirs.

C) Le colonel intendant militaire Mohamed Mahmoud Ould Louly

Voilà un homme qui a compris que, même faire de la politique, au sommet de l’Etat, c’est, aussi, «apprendre à mourir». Il aura présidé aux destinées de la Mauritanie, même s’il n’a fait que six mois, jouant les seconds rôles. Ould Louly se comporte mieux, à la retraite, que beaucoup de ses collègues anciens présidents. Il se contente de vivre le plus frugalement possible, fuyant les mondanités et la scène publique. De fait, la philosophie d’Ould Louly est simple: ne jamais faire du mal, à défaut du bien, s’acquitter de ses obligations religieuses ; le soir, boire du lait de chamelle, si possible, dormir sous une tente. Quand on se réveille, le matin, et qu’on constate qu’on est en vie, on remercie Dieu, Seigneur de l’Univers. Reprendre le même rite jusqu’au jour où l’on sera rappelé à Lui.

En tout cas, c’est sous la présidence d’Ould Louly qu’on a signé les fameux «accords d’Alger», en août 1979, avec le Polisario. Ce qui a courroucé notre autre voisin du Nord, le Maroc mais, aussi, une certaine aile de la hiérarchie militaire mauritanienne. C’est alors que le Premier ministre Haidalla, pour parer à toute éventualité, enfonça le clou. Le 4 janvier 1980, évoquant «l’inertie» du comité militaire, il destitue Ould Louly et se propulse président de la République.

Au plan économique, talon d’Achille, jusque-là, de tous les gouvernants militaires, il ne s’est pratiquement rien passé. Au plan politique, les vérins cardinaux de notre diplomatie, depuis Hamdi Ould Mouknass, commencèrent à quitter leur loge initiale. Leur étanchéité s’émoussant, inexorablement, à l’usage de militaires novices, souvent mal conseillés par des technocrates se souciant peu ou prou du lendemain, se contentant de gérer le quotidien en prêtres comptables-deniers. Du coup, la Mauritanie entre dans une zone de turbulences qui va durer un quart de siècle (1980-2005), risquant, à chaque fois, éclabousser l’architecture ordonnée par le père fondateur Moktar Ould Daddah. Durant ce quart de siècle, les pouvoirs publics ont flirté avec toutes les sensibilités politiques, dans le seul but de se maintenir, le plus longtemps possible, au sommet de l’Etat. Si Georges Clemenceau a dit que la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier aux militaires, qu’en est-il, alors, de l’économie?

D) Le colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla

Rien ne prédisposait ce bédouin dans l’âme, néanmoins sorti de Saint-Cyr, à assumer l’auguste fonction présidentielle. Ceux qui le connaissent le mieux vous diront qu’il n’avait aucun goût au pouvoir. Il préfère tapoter, plutôt, les mamelles d’une chamelle, humer le parfum de la Nature et méditer en solo. Cependant, après la mort, accidentelle ou préméditée, de Bouceif, le désaccord des officiers mauritaniens «gardiens du temple» éclata en plein jour. En les voyant à la télévision nationale, les enfants de la maternelle pouvaient s’amuser à indexer qui est pro-marocain, pro-Polisario, mettant à nu le manque de patriotisme à l’égard du million de poètes occupant le million de km² de notre espace commun. Pour que Haidalla soit porté au firmament, il avait fallu concocter une astuce que le colonel Ahmedou Ould Abdallah parrainera, au début dans un véritable élan de sincérité, mais qu’il regrettera, deux à trois ans plus tard. Selon Ahmedou Ould Abdallah, Haidalla, outre son peu de goût pour le pouvoir, n’avait ni tribu, ni alliance, ni lobby en terre mauritanienne et paraissait comme coupé d’un tronc d’arbre, contrairement aux colonels Ahmed Salem Ould Sidi, prince du Trarza, Abdel Kader Ould Bah et Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, notamment. Au fond, ceux qui ont aidé Haidalla à prendre le pouvoir le croyaient manipulable et désintéressé. Erreur de casting, pour ces faiseurs de rois. Car même des personnages populaires, comme Tchilé de Néma, Hayih de Tijikja ou Feïlili d’Atar, une fois sur l’Olympe, se prennent trop au sérieux, en vertu du pouvoir et des délices qui leur sont conférés. Pire encore, ils ne supportent plus la vue de ceux-là mêmes qui ont été témoins de leur indigence, fusse-t-elle d’ordre génétique. Haidailla, une fois installé, s’est détourné de ses collègues et, de nos jours, seules les populations de la vallée du fleuve jugent sa présidence positive car elle les a, à plus d’un titre, rapprochés de l’idée nationale. D’un point de vue psychanalytique, ce geste, à l’égard de la minorité Pulaar, est compréhensible. N’ayant aucune attache en Mauritanie – il appartient, plutôt, au Sahara – l’homme eut tendance à compenser ce manque d’affectivité. Proche d’Alger, donc de Moscou et du Kampuchéa démocratique, alors progressiste, Ould Haidalla a, dès 1980, entrepris des initiatives contradictoires. Il décréta la Chari’a, dans un pays 100% musulman, coupe la main de pauvres saltimbanques, alors que les nantis pouvaient se soustraire à la loi de Dieu. Il a aboli l’esclavage mais n’a, jamais, mis en place les structures ad hoc pour éradiquer le fléau, en vue d’améliorer la condition, lamentable, des «affranchis». En apprenti marxiste, il aurait dû savoir que c’est l’infrastructure – les forces productives, les moyens de production – qui détermine la superstructure – le statut social, la conditions humaine. Le lumpenprolétariat hartani, peuplant les adwabas et les centres urbains, n’avait que foutre d’un décret mais, bien plutôt, de pain. Seules les Structures d’Education des Masses (SEM), pilotées par le capitaine «Bric-Brac» (Breika M’Bareck), relevaient de la volonté de «conscientiser les masses populaires» à la base. Mais, plutôt que de les gaver de slogans à la gloire du camarade Haidalla, les SEM auraient dû s’atteler à alphabétiser, à diligenter les agriculteurs et les éleveurs, dans leurs terroirs, les artisans et les ouvriers, sur leurs lieux de formation et de travail.

Sous Haidalla, les libertés d’expression, de réunion et de presse furent embastillées. Le modèle du cambodgien Pol-Pot commençait à s’installer au pays des Maures, nomades qui tiennent tant à leur indépendance. Au plan économique, Haidalla a marqué quelques points, en refusant l’intrusion du FMI et de la Banque Mondiale, dans le microcosme financier et le contrôle des prix des denrées de première nécessité. Mais le problème, c’est qu’il n’y avait, toujours pas, de macro-réalisations bénéfiques, à long terme, aux populations mauritaniennes les plus démunies.

De 1980 à 1984, c’est le premier président à avoir négligé l’armée, privilégiant la politique. Cette armée, forgée dans la guerre et qui avait besoin d’une restructuration, donc d’une carapace d’armée de métier. Pour la 1ère fois, on voyait d’éminents officiers, tels les colonels Ahmedou Ould Abdallah, commander la 2ème région militaire (F’Dérik), Sidina Ould Sidiya au «petit» 2ème bureau, jadis confié à un capitaine, et, enfin, Maaouya, ancien Premier ministre, à l’état-major national. Etait-ce une manœuvre pour mieux peaufiner leur complot contre Haidalla? Pour cela, il fallait faire trébucher l’infatigable capitaine Breika M’Bareck, figure de proue de la «Haidallamania», commandant la 6ème région militaire, force de frappe de l’armée.

Ce fut le capitaine Ely Ould Mohamed Vall qui remplaça Bric-Brac à tête de cette 6ème région. Les manœuvres pour la destitution de Haidalla pouvaient commencer. Avec, à la baguette de maestro, le colonel Maaouya Ould Taya, jugé, par la France, de pro-occidental, d’homme moderne, enclin au libéralisme, sous toutes ses formes, calme et discret, d’apparence faible et, donc, probablement manipulable. Dès lors, les services de renseignements français vont entrer en jeu avec l’arrivée du CEMAT, le général Jeannou Lacaze, à Nouakchott et à Atar, en compagnie du CEMN Maaouya. Le sort de Haidalla était scellé. Des officiers proches de Haidalla, tels les colonels Moulaye Ould Boukhreiss, directeur de l’EMIA, Mohamed Lemine Ould Zein, chef de corps de la gendarmerie, sont invités en France, pour faire diversion. Le 11 décembre 1984, François Mitterrand, le président français de l’époque, envoie un avion spécial pour Haidalla, afin qu’il se rende au sommet franco-africain de Bujumbura (Burundi). Il paraît que, jusqu’à la passerelle de l’avion, le capitaine Moulaye Hachem, suppliait Haidalla de différer son voyage. Le 12/12/1984, un comité militaire pour le salut national prit le pouvoir à Nouakchott. A Zouerate, ce jour-là, le colonel Ahmedou Ould Abdallah était dans son salon de la villa des cadres (SNIM), quand deux hommes – probablement des sahraouis – entrèrent, saluèrent et prétendirent être envoyés par Haidalla, afin de se faire livrer du matériel. Le colonel Ahmedou leur rétorqua qu’ils pourraient, au moins, être discrets en ne dévoilant pas le nom de celui qui les avait envoyés, fût-il président de la République. L’anecdote s’est déroulée en ma présence, en ce jour où je rendais visite au feu lieutenant Ahmed Ould Abdallah, neveu du colonel et qui travaillait dans le même sous-groupement que moi – le 41ème – basé à la sortie de F’derick. Le colonel Ahmedou demanda aux deux hommes de repasser le voir le soir même.

Au milieu de la journée, les choses se précisent. Nous apprenons que le pouvoir a changé de main et que le colonel Ahmedou Ould Abdallah devait prendre son «defender», toujours à sa disposition, pour Nouakchott, en sa qualité de n° 2, après Maaouya. Le colonel Ahmedou Ould Abdallah, comme la philosophie hégélienne, «venue trop tard» pour expliquer le monde, n’a commencé que tardivement à vouloir jouer un destin national. A l’instar de l’oiseau de Minerve suspendant son envol à la tombée de la nuit, c’est au crépuscule de sa vie que cet éminent officier a voulu mettre la chance de réussite de son côté. L’homme s’est trompé sur Maaouya, qu’on croyait effacé, introverti «moderne» ne s’occupant que de lui-même et sa petite famille. Alors il faut éliminer Maaouya, voire l’ignorer, comme du temps où Ahmedou était commandant d’état-major national. Même Haidalla ne croyait pas Maaouya capable de réaliser quoique ce soit. Et c’est pourtant Maaouya qui établira le règne le plus long, éliminant Ahmedou, Jibril Ould Abdallahi, Sidina Ould Sidiya, Brahim Ould Aly N’Diaye, les Baathistes, les Naceristes, les Flamistes, les Kadihines, etc. Ainsi en sera-t-il pour notre «génie des Carpates», jusqu’au 3 août 2005.

L'intervention, récente, de Haidalla, sur la chaine qatarie Al Jazeera, est, me semble-t-il, la bourde du siècle. Pourquoi remuer le couteau dans la plaie, trois décennies après, rien que pour se flatter d'avoir été incapable de raisonner sa raison, en ce qui concerne la disparition tragique des offiers Ahmed Salem Ould Sidi, Abdel Kader Ould Bah, Niang et Doudou Seck? Haidalla, n’était-ce pas l'occasion rêvée, pour vous, de faire votre mea culpa, eu égard au martyr des épouses et progénitures des exécutés du coup du 16 Mars 1981? Au moment où la Mauritanie tente de transcender tous les douloureux événements ayant émaillé son histoire récente, vous auriez pu être le précurseur à l'abécédaire menant à la réconciliation nationale tant éprouvée. Cela vous aurait valu, à défaut de mourir jeune, de ne pas mal vieillir. Monsieur Haidalla, à quoi vous servira de graver votre épitaphe, au crépuscule de votre vie, avec les mots (maux) de: bienvenue au cercle – mess, si vous voulez – de l'intolérance des matamores! Monsieur le président, «Albe vous a choisi et je ne vous connais plus».

E/Le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya

Il aura marqué l'histoire de la Mauritanie à telle enseigne que son héritage, cinq ans après son départ, demeure encore difficile à gérer. Et, pourtant, le pouvoir de Taya, auquel certains nostalgiques sont encore attachés, probablement par défaut, n’était ni politiquement correct ni durablement porteur de lendemains meilleurs. Aussi, à l'euphorie du 12/12/84, succède la désillusion, dès 1987. Cet officier n'avait jamais rien demandé à personne, avant d’accéder à la magistrature suprême, on le disait en rupture de ban avec la société, ne s'occupant que du cercle restreint de sa famille, on crut qu’il serait la manne providentielle tant attendue, au service du peuple. L’homme, volontariste au début, s’est, aussitôt, mué en modèle prosaïque, comme son prédécesseur, médiocre, juste attiré que par le pouvoir, rien que le pouvoir. Alors, comment se maintenir au sommet de l'Etat, le plus longtemps possible, dans un pays où fidélité et versatilité font si bon ménage? Au décès de son épouse Sadia Kamil qui, paraît-il, était bonne conseillère, le soustrayant, constamment, aux virus susceptibles de le corrompre, les vannes de la mal gouvernance commencèrent à se déverser.

Après la tentative avortée d’octobre 1987, l’histoire mauritanienne prit un coup d'accélérateur. En 1988, des officiers, jugés, jusque là, compétents, ont été débarqués, pour sympathie baathiste. Je pense aux commandants Cheikh Ould Dedde, de la gendarmerie, feu Mohamed Ould Bohedda, qui n'a pu résister à ce supplice, Sid' Ahmed Ould Dahi, irréprochable, le capitaine Mohamed Ould Ghailass, qui forma beaucoup d'officiers mauritaniens à l'EMIA, le lieutenant Mohamed Ould Mamy, pour ne citer que ceux-là. Il paraîtrait que ce sont, toujours, les groupuscules d'obédience nationaliste arabe qui se donnent des coups tordus, en catimini. En 1989, si le conflit avec le Sénégal était difficilement inévitable, parce qu'attisé par les extrémistes flamistes et autres nationalistes arabes, le pouvoir de Maaouya en a profité pour opérer un nettoyage «ciblé». S’emparant de ce climat délétère, certains officiers, proches de Maaouya, vont lui faire croire que tous les Négro-mauritaniens sont à ce point flamistes, qu’ils fomenteraient un «autre» coup d'Etat. On connaît la suite des événements, en 1990. Ould Taya était-il au courant des purges ou a t-il été mis devant le fait accompli? Voilà, en tous cas, un résultat fort macabre, quand on laisse ses proches agir en toute impunité.

En 1991, les Etats africains étaient en ébullition, pour cause de renouveau démocratique et les troubles, au Mali voisin, ne riment pas avec quiétude. Il faut démocratiser la vie publique, du mois en apparence. Mais, surtout, pour parer à toute éventualité, Maaouya procède à un réajustement dans l'Armée. N’était-ce pas l'aide de camp de Moussa Traoré, le colonel Nourou Diallo, qui avait facilité le coup d'Etat du colonel ATT? Il fallait, donc, éjecter le capitaine Mohamed Ould Abdel Aziz du BASEP, remplacé par son adjoint, le capitaine Eyoub, un Smacide, cousin du président. Le capitaine Mohamed Ould Abdi est nommé aide de camp, en remplacement du capitaine Ghazwani, parti en formation en Irak. Le colonel Moulaye Ould Boukhreiss, jusque là directeur d’Air Mauritanie, devient le chef de l’état-major national, au grand étonnement de la majorité de l'Armée.

Comment Maaouya a-t-il pu choisir cet officier, qu'on disait félin et ambitieux, pour s'occuper de l'Armée? A mon sens, il fallait un Atarois de souche, au cas où cela dégénère, qui puisse sécuriser les richesses des proches du président. Le colonel Aberrahim Ould Sidi Aly, alors directeur de l'EMIA, apporta à ce même Boukhreiss qu’il boudait auparavant, le croyant à jamais fini, une tenue militaire et des galons, dans une palmeraie, paraît-il. Abderrahim a demandé, récemment, à terminer sa carrière à Djeddah, probablement pour se faire pardonner ses manières sado-machiavéliques qui n'épargnèrent aucun de ses contemporains, militaires ou civils.

Après les élections de1992, entachées de fraudes massives, Maaouya commença à ankyloser les cerveaux, même les plus avertis. Ainsi, imams, érudits, parlementaires, officiers, magistrats, le moindre médecin réputé cultiver, pourtant, une fibre humaniste, l’avocat naturellement acquis à la défense des droits de l'Homme, l’universitaire pétri de bonnes lectures, etc., tous ont accepté de s'abreuver, selon l' expression d'Alain, de «cette pluie de l'expérience qui jamais n'instruit». De probes officiers, excellents à leur début de carrière, tels Boukhreiss, Ely Ould Mohamed Vall, Né Ould Abdel Malik, par exemple, ont pu être «endigués», vers les eaux fangeuses de la culture du «facilement gagné». Né Ould Abdel Malik fut, jusqu’à son grade de commandant, un brillant officier avec «un oeil de gendarme» inégalable, avant de se spécialiser en payeur cash de villas cossues. Boukhreiss était, de même à ses débuts, un idéaliste, proche des milieux nasséristes où l'argent était considéré comme une tare. Un jour de l'année 2001, cet officier m'a reçu dans son salon somptueux, à Tevragh Zeïna, par l'intermédiaire de son chauffeur Sidi, mes demandes officielles d'audience n'ayant pas abouti. Avant même que je ne lui parle de l'objet de mon rapport de santé, Moulaye, s'informant certes sur mon état d'esprit, se mit à critiquer la situation du pays, comme s'il avait des remords ou se faisait des reproches d'avoir été trompé. «En 1979», disait-il, «j'ai quitté le gouvernement, ministre de la Pêche sans le sou, avec mon sac porte-documents.» Maaouya l'avait transformé en simple chercheur....d'argent, n’était-ce pas prémédité? Pire encore, il lui a collé la responsabilité, historique, d'avoir détruit l'Armée nationale. Beaucoup de voix se sont élevées pour dénoncer la déconfiture de celle-ci, mêmes les proches de Maaouya, comme le colonel Mohamed Ould Maazouz, d’ailleurs mis aux arrêts, pour cela. Maazouz, on aime ou on n’aime pas. Allure de commando, faciès de néolithique, chauvin et ne s'en cachant point, donc extrémiste dans toutes ses initiatives, le colonel Maazouz, qu’on le veuille ou non, ne laisse pas indifférent, son attitude reflétant, tout de suite, sa caractériologie, contrairement à la vision sado-machiavélique des colonels Abderrahim et Alioune Ould Soueilim dont le sourire peut être poison.

Maaouya était-il au courant que, même à la Présidence, certains officiers du BASEP se livraient au trafic d'influence? Ainsi, le mercredi, à chaque conseil de ministres, le capitaine Nourou, sous l'œil vigilant de son chef Eyoub ciblait les ministres auxquels on devait rendre visite. Rien que les ministres des Finances, Camara Aly Guéladio, ou de l'Intérieur, Kaba Ould Aleiwa ont donné, au nom du bataillon, plus de 200 lots à Nouakchott. Et ceci n'est que la partie visible de l'iceberg, paraît-il. Un proche doit-il nuire, directement ou non, à son président de parent, rien que pour le profit matériel? Si de telles pratiques dolosives étaient conçues au palais, qu’en serait-il, alors, des autres casernes disséminées sur tout le territoire national? Maaouya avait laissé l'Armée à son sort, ne cultivant, désormais, que le culte de sa personnalité. D’ou une atmosphère manichéenne: d'un côté, les nantis; de l'autre, les «niais du parterre», avec des salaires de misère, qui cachent leurs galons d'officier, avant de monter dans les fameux bus de transport nouakchottois ou «bus de l’Apocalypse». Voilà pourquoi, le 8 juin 2003, des militaires ont perdu patience et tentèrent de renverser le régime. N'eût été son calme et la clairvoyance de son aide de camp, le colonel Mohamed Ould Abdi, accouru à son secours, Maaouya aurait été déposé par les commandants Mohamed Ould Cheikhna, Saleh Ould Hanena, avec des chars prêtés, pour l'occasion, par les capitaines Ould Mini et Mohamed Ould Salek. En ce jour étonnant, Maaouya sortit du palais et se rendit à l'état-major National, pour se sécuriser. Le lieu étant obscur, il pensait à la gendarmerie, à côté, lorsque le colonel Ould Abdi lui proposa d'aller, plutôt, à la Garde nationale...Arrivés à l’état-major de la Garde, ils sont rejoints par le colonel Mesgharou Ould Sidi, le colonel Welad Ould Haimdoun qui croyait à un «piège» et ne vint pas de sitôt. Beaucoup de gens reprochent, aujourd’hui, à Mohamed Ould Abdi son manque de vision à long terme et d'ambition prononcée. Certes, il ne voulait pas trahir une seconde fois. Mais ne savait-il pas que le pouvoir de Maaouya était en fin de course, à bout de souffle? Ne devait-il pas jouer le rôle du médecin soignant, qui fait mal, d'abord, à son patient, dans le but de le guérir? Tout le monde savait que Maaouya, à travers ses agissements tumultueux, usé par le pouvoir, n’avait plus une marge suffisante de manœuvres pour conserver, longtemps, le pouvoir. Et celui qui le déposerait rendrait un service inestimable, à lui et à la nation mauritanienne. C’est ainsi qu'un officier du sérail, le 3 août 2005, ayant observé, depuis quelques temps, déjà, le comportement peu orthodoxe du président, saisit la balle au bond et mit fin à un quart de siècle de vie officielle de son démiurge. Le colonel Ould Abdel Aziz, aidé du colonel Ghazwani. Pas très à point, pour le moment, et ne voulant pas aiguiser, voire piétiner la susceptibilité de ses aînés colonels plus anciens au grade, Ould Adel Aziz remit le pouvoir à son cousin germain, le colonel Ely Ould Mohamed Vall. Ainsi débutait une transition de deux ans.

F) Le colonel Ely Ould Mohamed Vall :

Le 13 décembre 1984, un officier actuellement au grade de colonel, entra dans le bureau du capitaine Ely Ould Mohamed Vall, alors commandant la 6ème Région militaire, en communication téléphonique avec Maaouya, président depuis seulement le 12/12. «Je vous ai trouvé, mon colonel, l’homme qu’il vous faut pour le poste d’aide de camp: le lieutenant Mohamed Ould Abdel Aziz », dit Ely Ould Mohamed Vall à Maaouya. On prétend, même, que c’est aussi celui-là qui fut à l’origine du recrutement du futur président mauritanien, en 1977. Vrai ou faux, les supputations vont bon train, quand à la discorde entre les deux cousins germains. S’il y a du vrai, dans les allégations ci-dessus mentionnées, le général a déjà rendu la monnaie. L’intéressé a déposé Maaouya, en août 2005, et cédé le pouvoir au colonel Ely, bien que rien ne pouvait l’y contraindre, lui qui disposait de la force de frappe, à Nouakchott (le BASEP). Le colonel Ely, en menant la transition, deux ans durant, a vu sa notoriété et sa réputation de démocrate, à l’instar d’ATT du Mali, croître aux yeux de l’opinion internationale. En 2007, si le général était resté acteur passif, en ne portant pas de choix sur un candidat qu’il fera gagner, il serait, actuellement, dans la rue, dans le plus grand anonymat. Personne, en dehors de ses proches, ne pleurerait son sort. Au moment des élections de 2007, le colonel Ely a donné, un moment, l’impression de briguer un mandat, en parlant de vote blanc. Ce qui irrita Ould Abdel Aziz et une partie du défunt CMJD. «On ne prête pas ses mâchoires, au moment de croquer», dit l’adage. Désormais Ould Abdel Aziz veut et peut, selon sa pensée, jouer lui-même un destin national.

Avec cette génération de dirigeants comme Ely Ould Mohamed Vall ou Maaouya, avant lui, voici une autre conception du pouvoir, contraire à celle des officiers de l’Est et de l’homme de l’Ouest qu’était Moktar Ould Daddah. Issu d’un milieu qui avait le sens de l’Etat – c’est, probablement, dû à la proximité géographique d’avec la France coloniale, par le biais de l’AOF (Afrique Occidentale Française) dont la capitale n’est autre que Dakar au Sénégal, Ould Daddah, malgré 18 ans de pouvoir, était dépourvu de cupidité. Quant aux officiers de l’Est ayant pris le pouvoir, en 1978, leur espace vital était le Mali, pays au passé glorieux, mais pauvre, où l’on ne trouve que des arachides et du piment – à gogo, il est vrai – ils n’avaient, pour credo, que la bravoure, l’altruisme, la prodigalité et une certaine… pincée d’oisiveté. Tandis que leurs collègues officiers, du 12/12/84 au 6 août 2008, influencés plutôt par les vents venus du Nord – Maroc, surtout – rivalisaient en goût de luxe, mercantilisme, esprit imaginatif, obnubilé à faire fructifier l’argent, devenu «le» centre d’intérêt. On voit qu’au-delà du clivage intrinsèque, s’affrontent, plutôt, deux concepts, deux entités civilisationnelles, dérivés du milieu spatio-temporel de chacun des protagonistes. C’est, en effet, depuis Maaouya, que l’argent est devenu le matériau indispensable, même à la spiritualité. La libre entreprise, le capital, la société de consommation, des paramètres nouveaux s’invitent, désormais, dans le quotidien du nomade et ont vite fait de corrompre sa culture pluricentenaire. Ces tares, venues des rives de la Méditerranée méridionale, ont perturbé jusqu’à l’écosystème du mauritanien.

Pour revenir à l’ancien président Ely Ould Mohamed Vall, l’intéressé, au plan politique local, vit un dilemme cornélien. L’homme doit, désormais, s’inspirer de la logique aristotélicienne du «principe du tiers exclu» ou la politique de l’autruche. S’il s’oppose à la majorité présidentielle, il se doit de se concerter avec l’opposition légale. Ou, en ancien chef d’Etat, sortir de la vie publique, afin d’avoir le temps nécessaire à l’édition de ses mémoires. Sa participation à l’élection de juillet 2009, en a surpris plus d’un, juste après les accords de Dakar. Normalement observateur averti, l’ancien patron du renseignement, vingt ans durant, ancien chef de l’Etat, Ely devrait savoir ce que son cousin Aziz concoctait, aussi bien en amont qu’en aval. Quand l’opposition monte en première ligne, pour appeler au changement, Ely joue au moine bouddhiste, avec un calme, olympien, dont il a, seul, le secret. Ce n’est pas juste. On ne peut avoir des aspirations légitimes, sans mouiller sa chemise, comme les autres opposants, aujourd’hui tenus en parias, et qui seront, demain peut-être, les plus en vue.

En 2005, le colonel Ely Ould Mohamed Vall a hérité, certes, d’un pouvoir narco-trafiquant où tout était en déconfiture. Il paraîtrait, même, que du temps de Maaouya, certaines personnes sans scrupules s’étaient adonné à jouer des films de série X. Rien d’étonnant, dans un pays à 100% musulman, où les mœurs, les valeurs, la spiritualité sont refoulées dans l’inconscient profond, afin que ressurgissent, à la conscience claire, des insanités dignes de Sodome et Gomorrhe. C’est la transition qui devait faire table rase de tous les maux de la société et procéder à leur dissection, en priorité. Ainsi aurait-on fait économie de temps et élection biaisée, dès le départ. Le général Ould Abdel Aziz, pas satisfait de la transition, voulut se refaire une santé, en s’impliquant, en sous-main, dans l’élection de 2007. De fait, si les militaires avaient eu, dès le départ, leur inévitable candidat, au vu et au su de tout le monde, on n’en serait pas, encore, à la case de départ. C'est-à-dire actuellement, une autre transition qui ne dit pas son nom.

G/Le général Ould Abdel Aziz?

L'avènement du général Mohamed Ould Abdel Aziz, 7ème chef d'Etat militaire mauritanien, depuis le 10 juillet 1978, est le résultat d'un croisement de fer que le général, avec l'avantage de l'épée, a fini par emporter. Pour le moment. Son très éphémère limogeage, le 6 août 2008, son refus d'obtempérer, la réticence, spontanée, d'une partie de la population à épouser le fait accompli, la bataille, enfin, de l'opposition constituent un précédent dans notre histoire. Au légendaire complexe d'Oedipe du mauritanien bêta, face à l'instrumentalisation du glaive et de l'épée, incarnés, ici, par les képis jaunes étoilés, s’oppose, depuis 2008 désormais, une thérapie aussi récente que freudienne. Les temps ont changé et le concept de dissuasion à jamais rompu. La soldatesque à la vision linéaire et rustique, peu prompte à la dialectique ou au débat contradictoire, jouant les «godillots», ça et là, des puissances étrangères, est en voie de disparition. L’époque sordide où de purs produits de la coloniale, véritables spécimens robotisés des Oufkir, Eyadema père, est, elle aussi, révolue. Même la France, reine des grenouilles, lasse de l'héritage des Foccart et consorts, se vante d'avoir restreint son «pré carré» africain. Dans ce cas, qui veut avoir la longévité d'un Castro de Cuba ou d'un Kadhafi, sans le pétrole, doit, non seulement, ménager sa monture mais, aussi, avoir la lucidité d'un artificier désamorçant une bombe à fragmentations.

Est-ce concevable qu'une pléiade d'officiers se succédant, comme les contes des mille et une nuits, à la tête de l'Etat, depuis 1978, ne lègue le moindre patrimoine à la postérité? Au «bovarysme politique» de ses prédécesseurs, le général Ould Abdel Aziz substituera-t-il le réalisme durable et efficace? Que doit-il faire? Que peut-il faire? Afin de répondre à toutes ces questions inspirées du rigorisme kantien, faisons l'ébauche du prologue qui éclairera, sans doute, le lecteur, sur un pan du parcours de notre général-président.

Des chefs à la hauteur

Après trois années passées à l'Académie militaire de Meknès, où la formation est assimilée à une licence, le sous-lieutenant Mohamed Ould Abdel Aziz, sorti le 1er août 1980, est muté à la 4ème région militaire de Tidjikdja, commandée, à l'époque, par feu le capitaine Ahmed Ould Minnih. Pas pour longtemps. La région sera disloquée, à la fin de la même année, pour que plusieurs unités militaires et de gendarmerie complètent le SAK (Secteur Autonome de Kaédi) nouvellement fondé, en mars 1980.Le SAK était commandé par feu le lieutenant Bellahi Ould Maouloud, qui, pour l'anecdote, préférait marcher, avec son fils et son épouse Taghlé, alors que le parc du secteur est nanti de 53 «land-rover british», démarrant au quart de tour. Bellahi Ould Maouloud vouait un amour «disproportionné» à la chose publique. Il sera le seul lieutenant à avoir commandé une région militaire, la 7ème (Rosso). Maouloud est remplacé par le lieutenant Niang Harouna, super ancien du sous-lieutenant Ould Abdel Aziz. Niang, un autre destin qui avait bien commencé, avant d'être stoppé, net, par les vicissitudes de la vie, inhérentes à la politique du ciblage en Mauritanie, les années passées. Comme on peut le constater, Ould Abdel Aziz, à ses débuts, n'a eu que des chefs à la hauteur de leur tâche. Irréprochable, réservé, l'homme prenait à cœur son statut d'officier. J’étais sous ses ordres lorsque, le 16 mars 1981, tous deux coiffés par le lieutenant Lebatt Ould Maayouf, adjoint au commandant du secteur, nous reçûmes l'ordre de sécuriser l'aéroport de Kaédi, en interdisant l’atterrissage à tout aéronef. Le gouverneur du Gorgol n'était autre que l'actuel président de l'Assemblée nationale, Messaoud Ould Belkheir. En 1982, Ould Abdel Aziz passe lieutenant et part en stage en Algérie, sur le compte de la DIRection du MATériel (DIRMAT). En 1983-1984, il est instructeur à l'état-major national où le colonel Moulaye Ould Boukhreiss est adjoint, commandant de la garnison de la place de Nouakchott. Moulaye vouait, ex nihilo, une aversion abyssale – c'est vraiment le mot – à l'égard du lieutenant Mohamed Ould Abdel Aziz. Pourquoi cet acharnement contre un jeune officier, calme, de bonne moralité, digne et ayant le sens de l'honneur? La réponse est plus prosaïque que la cause. Car il y a des hommes incapables de projeter leur conscience vers l'avenir, disait Sartre Quand on sait qu'on n'est ni omniscient ni omnipotent, encore moins éternel, on doit, à chaque fois, interroger sa raison. Le raisonnement de Moulaye, loin d'être cartésien, était le suivant: Ould Abdel Aziz est un Sbaai, officier sortant de Meknès, marié à une Smacide née au Maroc, tous deux anti-Polisario, donc, par déduction. Cet alibi «dreyfusard» empêchera, pour longtemps, le lieutenant Ould Abdel Aziz d'avoir droit au logement de service, repoussant, à chaque fois, la venue du Maroc de son épouse et son fils Bedr. En décembre 1984, le lieutenant Ould Abdel Aziz est muté comme aide de camp de Maaouya. A partir de cet instant, germeront les prémisses qui, couplées à la voie royale, le mèneront à son destin.

Un chemin semé d’embûches

Cependant, le chemin est encore long et semé d'embuches. Car, en 1991, le capitaine Ould Abdel Aziz est muté au BCS, disgrâce probablement due aux manigances orchestrées par les cousins militaires de Maaouya, dans un but à caractère lucratif et non de sécurité nationale. En 1993-1994, il repart au Maroc pour son DEM (Diplôme d'Etat-Major). A son retour, toutes les portes du sérail se ferment devant lui. Le commandant Eyoub, encore au BASEP, ne laissera personne «usurper» sa place auprès de son cousin de président. Le commandant Ould Abdel Aziz sera, donc, muté à la 6ème région militaire, en tant qu’adjoint chargé des opérations (OPS), sous le commandement de son ancien chef de brigade CPO à l'EMIA d'Atar (1986-1987), le colonel Lemrabott Ould Sidi Bouna, actuel préfet de Bir Moghrein. Ould Abdel Aziz peut, désormais, vaquer à ses occupations car, en dehors du DV (Dépôt de Vivres) et de l'abattage de camelins, chasse-gardée du commandant de région Lemrabott que le colonel Abderrahim Ould Sidi Aly accuse d'avoir «dévalué» la fonction, il ne se passe rien. Jadis fleuron de l'Armée, cette région militaire était devenue, du temps de Maaouya, une coquille vide. De 1994 à 1999, toujours à la 6ème région où personne ne demandait au «temps de suspendre son vol», le colonel Ould Abdel Aziz en profite pour mieux méditer son sort, faire un flash-back sur sa vie, se vouloir plus offensif, afin de ne plus «subir». Durant cette période, rares sont les personnes qui lui rendaient visite. Un jour, son épouse Tekeiber m'interpella en ces termes: «Ely, tu es le seul à nous rendre visite avec constance, contrairement à d'autres ex-habitués, depuis que Mohammed ne porte plus le sac de Maaouya». Le langage cru, innocent, juvénile et sincère, où il est inutile de chercher anguille sous roche, demeure, encore, une des qualités cardinales de la première dame. Ayant grandi au Maroc, fille d'une notabilité ataroise installée au royaume chérifien, elle est dépourvue de cette «intelligence nocive» qui farde certaines femmes du désert, secouant, par moments, le parcours de leur(s) conjoint(s). En 1999-2000, Ould Abdel Aziz revient au BASEP. Il ne le quittera que pour la magistrature suprême. Dès lors, ceux qui l'avaient fui, le croyant en disgrâce de Maaouya, commencèrent à le refréquenter. Parmi les revenants, pourtant à l'abri du besoin, le colonel Wellad Ould Haimdoune, chef de la Garde nationale, «qui ne m'a pas adressé la parole, depuis sept ans, et se permet de me téléphoner, hier, pour me féliciter de mon retour au BASEP, me proposant, même, de m'inviter», me disait le nouveau chef de la sécurité présidentielle, lors d'un footing sur la route du port.

Au début des années 2000, Maaouya commence à perdre sa lucidité. Probable usure du pouvoir qui, avec le temps, émousse, également, la mémoire. Secoué le 8 juin 2003, Maaouya n’aura que trop tardivement compris qu'il ne sert à rien de choyer, même ses propres enfants, car rares sont ceux qui sont venus lui prêter main forte, ce jour-là. Mais le compte à rebours a déjà commencé, la clepsydre s'étant vidée de son sable. Le colonel Ould Abdel Aziz, aidé de son alter ego, le colonel Ghazwani en qui il a une confiance illimitée, passe à l'action, le 3 aout 2005, pour déposer Maaouya. Ils céderont le pouvoir à Ely Ould Mohamed Vall, pour une transition de deux ans non renouvelables. En 2007, un civil, Sidi Ould Cheikh Abdallahi est élu président de la République, grâce à Ould Abdel Aziz. Voulant s'émanciper de son mentor, c’est en tant que chef théorique des armées que le premier limoge le second, chef réel de la Grande muette. Le général se rebelle et renvoie «l'ingrat» à son paysage lunaire qu'est Lemden, le 6 aout 2008. Après des moments difficiles, c’est, cette fois, en diplomate qu’Ould Abdel Aziz confectionne les fameux accords de Dakar et se fait légitimer par une élection présidentielle, au mois de juillet 2009. Un autre chapitre de sa vie peut commencer.

Etat de grâce jusqu’à quand?

Aristote prononça le célèbre syllogisme: «tous les hommes sont mortels, Socrate est un homme donc Socrate est mortel». Me sera-t-il permis de paraphraser l’illustre philosophe par: «tous les chefs d'Etat militaires mauritaniens ont échoué, Aziz est un militaire, donc, Aziz va échouer»?. Il n'est pas juste d'ériger ce syllogisme tropicalisé en magister. Même si ses prémisses majeure et mineure sont indéniables, sa conclusion est à prendre au conditionnel, le général, qui vient à peine d'entamer son mandat, bénéficie, encore, de circonstances atténuantes. Septième tête de la pléthore militaire ayant gouverné ce pays, le général Ould Abdel Aziz n'a pas droit à la maladresse. La situation interne, à première vue délétère, comporte, pourtant, des couloirs nantis, dont il faut profiter. Il y a, d'abord, la hiérarchie militaire, dévouée, avec, à sa tête, le général Ghazwani, qui veut être, pour Ould Abdel Aziz, ce que Raoul Castro a été pour son frère Fidel. Officier probe, compétent, poreux à tous les souffles de bonne volonté, Ghazwani a, actuellement, sous ses ordres, de jeunes commandants issus de prestigieuses écoles occidentales ou orientales, prêts à remplir leur mission avec hargne, à condition d'y mettre les moyens adéquats. Au plan extérieur, les bailleurs de fonds bégayant, souvent, pour les accords de Dakar, semblent plus cléments. Certes, les défis, à l'image du désarroi, sont titanesques car en partie hérités de la période de l'immobilisme à la soviétique, c’est-à-dire de l'ère tayeuse.

Pour parfaire son mandat, le général Mohamed Ould Abdel Aziz doit se défaire de deux incommodités intrinsèques, se mettre au-dessus de la mêlée des partis politiques, dialoguer, à tous les niveaux, avec l'opposition, libérer les médias audiovisuels, épuiser son arsenal diplomatique – respect des normes de préséance – avant de frôler l'incident diplomatique. L'incommodité d'avec sa fonction actuelle, le goût prononcé pour le renseignement de son ego et non du pays, concept éternel et transcendantal. Le général ne sait-il pas que ce qui est utile à la ruche l’est à l'abeille? Plus vous le renseignez, plus vous trouvez grâce à ses yeux. Même ceux qui pratiquent, quotidiennement, le sport avec lui devront avoir un souffle soutenu, capables de raconter, dans la foulée, tout ce qu'ils ont vu, entendu et senti. Il arrive au général de compenser, par des postes «juteux», ceux qui acceptent de laisser des plumes. Pourtant, il y en a qui ont couru avec Ould Abdel Aziz, depuis 1980, du stade de Kaédi à l'omnisport, sans jamais être récompensés. L’actuel président a-t-il laissé le soin du renseignement aux officines traditionnelles – BED, Sûreté nationale? L’incommodité relève du choix des hommes. Il y a des hommes avec qui vous pouvez avoir des affinités – affaires, intérêts privés – mais qui ne seront pas de taille à gérer la chose publique, dans l'intérêt du citoyen lambda. Choisir des hommes de paille, pour soutenir des fonctions abyssales, voire régaliennes, peut se retourner contre soi. Le cas de la Palestine, à la mort de Yasser Arafat, est édifiant. Arafat, en choisissant Mahmoud Abbas, le savait faible, sans autorité, détaché des réalités, donc corruptible, utilisable par les services sionistes. Arafat, pour un problème d'ego, se voulant être tout, laissa, en mourant, la Palestine sans leader, sans Intifada ni négociations. Le choix des hommes est judicieux, il y va de la pérennité de la Nation.

Vivement la réconciliation nationale

Au plan de la politique intérieure, le général doit se placer au-dessus de la mêlée, donc des partis politiques, des syndicats, etc. Rien ne sera perdu car il détiendra, toujours, les vannes de l’économie, véritables appâts pour les opportunistes. En se dégageant de l’UPR, il distinguera, d’emblée, ceux qui sont, réellement, avec lui, des profiteurs de circonstances. Il s’érigera en rassembleur car d’autres partis, même de l’opposition, pourront le soutenir. Le dialogue avec l’opposition, dans l’esprit des accords de Dakar, est une nécessité. Le plus difficile – se faire élire président – passé, il ne faudrait pas que le général finisse son architecture en queue de poisson. L’Histoire nous enseigne que tout affrontement fini par des négociations, autant les accomplir dès l’instant. Pourquoi ne pas procéder à la formation d’un gouvernement de transition, dirigé par un cadre irréprochable de la majorité, à qui l’on donnera une feuille de route pour trois ans, laissant, ainsi, les acteurs politiques de tous bords rivaliser de réalisations?

Au plan diplomatique, le général se doit de respecter les accords de Dakar, connus de la communauté internationale. De nos jours, seuls les dirigeants arabes ternissent l’image de leur diplomatie, en bafouant les normes de préséance. Qu’il est loin le temps – douze siècles! – où le calife Abbasside de Baghdad, Haroun Arrachid, envoyait une ambassade à Louis le Pieux, roi des Francs, avec, dans la «valise» diplomatique, un éléphant, en guise de cadeau. En ce temps, l’Espagne était Ommeyade, depuis 755, quelques années plutôt (732), Charles Martel stoppait les armées ommeyades, conduites par l’émir Abd-Rahmane, gouverneur d’Al-Andalus. L’Afrique est malade de ses dirigeants. Nos ancêtres n’ont pas démérité. Qu’on aimerait évoquer la visite d’Ibn Battuta, le tangérois, en 1328, à Toumbouctou, la ville aux 333 saints où, dans la prestigieuse université de Sankore, se sont bousculés plus de 25.000 étudiants, venant de partout le monde, à la recherche du savoir. Au moment où l’Europe médiévale, à peine sortie de son «sommeil hivernal», délaissait l’enseignement scolastique, au profit de la pensée du grand Aristote, traduit, justement, de l’arabe, par des érudits juifs de l’Espagne musulmane! Depuis avec la méthode cartésienne, l’Occident a dompté la science, pour nous voir réguler en arrière-plan.

Dans sa diplomatie actuelle, le général a tendance à diversifier ses relations, picorant le moins grain, jusque dans les greniers, lointains, de l’Iran et du Venezuela. Pourvu que cela ait des incidences, notables, sur notre économie, sans jamais entamer notre souveraineté! Si la septième tête militaire venait à échouer, cela pourrait avoir des conséquences néfastes, pour la Mauritanie; encore fragile, pauvre, meurtrie par des querelles byzantines qui dépassent l’entendement. Même Hitler, en 1939, en voulant éviter deux fronts, a signé un pacte de non-agression avec Staline: vaincre, d’abord, à l’Ouest, en attendant. Cet accord n’était que le double-réalisme des deux protagonistes (Staline, Hitler): Staline en profita pour délocaliser toutes ses usines à l’Est et Hitler, pour envahir la Pologne, la Belgique, la France, bientôt toute l’Europe de l’Ouest. Notre général peut-il s’inspirer de l’Histoire pour conclure que les négociations ne tuent pas, font, plutôt, gagner du temps et sont propices, par moment, surtout quand la grogne se fait entendre, partout. Vivement la réconciliation nationale!

Ely Ould Krombelé, ancien officier de l’armée, Orléans, France

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