La profanation, la
semaine dernière, d’un ou de plusieurs exemplaires du Saint Coran – on ne sait
toujours pas qui croire dans cette affaire – et les manifestations qui s’en
sont suivies a mis, en quelques heures, Nouakchott à feu et à sang. Au soir du
dimanche 2 mars, des protestataires, venus de divers quartiers de la ville, ont
afflué vers la Présidence où les attendaient, de pied ferme, plusieurs
compagnies de police. Courses-poursuites, pluies de grenades lacrymogènes, bastonnades,
toute la panoplie de l’anti-émeute au rendez-vous. Jusque tard dans la soirée,
les abords du Palais gris ressemblaient à un champ de bataille. Le lendemain,
rebelote ! Mais cette fois, patatras ! Un jeune étudiant fait les
frais de la répression. Asphyxié par les gaz, il décède avant qu’on puisse lui
porter la moindre assistance. D’autres sont grièvement blessés. Tout le
centre-ville gagné par la fronde. On dirait Tunis ou Le Caire, au plus fort du
printemps arabe. Sauf que, chez nous, les révolutions ne durent qu’une journée.
Mais le pouvoir a, tout de même, senti le vent du boulet. Ou saisi son
opportunité. Car le voilà à entreprendre un sérieux tour de vis. Premiers vis(s)és :
les islamistes de Tawassoul, désignés comme les animateurs de cette mini-révolte.
Leur principale ONG, celle qui leur permettait, selon le pouvoir, de drainer
des financements, est interdite et ses biens, saisis. Le point de santé, où ils
dispensaient, à prix symbolique, des soins aux indigents, est fermé quelques
heures, avant d’être autorisé à rouvrir ses portes. Le nouveau ministre de la
Communication, qui a retrouvé sa verve – il était le porte-voix du bataillon de
députés frondeurs contre Sidioca – après l’avoir momentanément perdue, monte au
créneau. Il accuse, en termes à peine voilés, les islamistes d’avoir organisé
les derniers mouvements de rue. Prélude à la dissolution de Tawassoul ?
L’hypothèse était envisagée, depuis quelques temps déjà, mais on ne savait pas
comment la mettre en pratique.
Cascade
d’interrogations, donc. Qui a intérêt à ce que le Saint Coran soit profané, en
ce moment précis ? Et si tout ceci n’était qu’un montage ? Les
émeutes de la semaine dernière, un vulgaire prétexte pour se débarrasser d’un
parti devenu gênant, à la veille de la présidentielle, et qui milite pour un
candidat unique de l’opposition ? Une hypothèse qui doit donner des frissons
dans le dos de certains : devant un tel adversaire réunissant tous les
mécontents, Ould Abdel Aziz ne serait même pas assuré de sortir en tête du
premier tour…
Certes la
confrontation, entre les régimes, monarchiques ou militaires, et les Frères
musulmans est aussi dans l’air du temps et Ould Abdel Aziz ne veut pas rater ce
train-là. Ne serait-ce que pour rentrer dans les bonnes grâces de l’Arabie
Saoudite. Qui lui a dépêché son ministre des Finances, lors du Forum des
investisseurs arabes, et obligé le président de la BID à passer, en coup de
vent, à Nouakchott, pour démentir l’information selon laquelle son institution
renonçait au financement de l’extension de la nouvelle centrale dual de la
capitale. De petits gestes qui ne s’oublient pas. Cette même Arabie qui vient
de déclarer les Frères musulmans organisation terroriste, en rappelant son
ambassadeur au Qatar, considéré, par Riyadh, comme le principal bailleur de ce
mouvement. Serions-nous à ce point suivistes ? La Mauritanie, le pays du
million de moutons ?
En tout cas,
l’atmosphère actuelle n’augure rien de bon. Elle rappelle, étrangement, les
dernières années d’Ould Taya, lorsque la guerre était ouvertement déclarée aux
islamistes et leurs leaders jetés en prison, sans autre forme de procès. Mais
elle indique, très précisément, la route à suivre pour l’opposition :
refuser la dichotomie – une de plus – que le pouvoir, selon un plan prémédité
ou opportunément conjoncturel, peu importe, entend imposer au peuple
mauritanien, entre islamistes et non-islamistes. Si, comme tous les indices
objectifs semblent le démontrer, le pouvoir – ou tel ou tel de ses supporters –
est le véritable chef d’orchestre des derniers événements, il a peut-être
justement commis, à si brève échéance de l’élection présidentielle, l’erreur,
fatale, qui va liguer jusqu’aux plus inliguables derrière un, ou plusieurs,
candidat(s) de l’opposition. Et l’on n’a pas fini, probablement, d’entendre
hurler les sirènes policières, d’ici l’élection. A moins que ce ne soit celles
des pompiers : vous ne trouverez que ça sent drôlement le roussi, du côté
de la Présidence ?
Ahmed Ould Cheikh
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