Tir ami, legère
blessure au bras, balle perdue dans le ventre présidentiel, opération
chirurgicale de quelques heures puis évacuation en France le lendemain. La
virée nocturne du président s’est transformée, en moins d’une heure, en affaire
d’Etat. Où tout et son contraire ont été dits. Officiellement et avant même
qu’on sache de quoi il en retourne, on nous a servi, sur un plateau, la version
d’un tir de sommation d’éléments de l’Armée dont la voiture présidentielle
avait forcé le barrage. On dit souvent que plus le mensonge est gros, plus il a
de chances de passer. Mais là, on a eu
du mal à le gober. Et on s’est posé, à juste titre, quelques questions
basiques. Pourquoi le lieutenant n’a-t-il pas tiré sur les pneus, au lieu de
viser le chauffeur ? Et pourquoi seulement celui-ci et non les autres
passagers, a priori aussi potentiellement dangereux ? Pourquoi une voiture
n’appartenant pas à l’armée, avec, à son bord, un officier et un sous-officier,
tous deux en tenue civile, loin de leur base, prendrait-elle en chasse une
voiture, comme ça, au pif ? Si Ould Abdel Aziz a été réellement blessé à
quarante kilomètres de Nouakchott, comment pouvait-il arriver à l’hôpital, en
état de marcher, alors qu’il était censé avoir perdu beaucoup de sang, vu la nature de sa
blessure? Il y a encore beaucoup de zones d’ombre autour de cette affaire. Et
ce n’est pas la calamiteuse sortie au journal télévisé du dimanche soir du
lieutenant, auteur présumé des tirs, qui convaincra les sceptiques. Du coup, il
y a fort à parier qu’on n’en saura pas davantage, avant quelques années ou
quelques décennies. Les secrets d’Etat, comme ceux d’alcôve, sont, d’ordinaire,
très jalousement gardés.
Toujours est-il que
les organes officiels de presse, les médias proches du pouvoir et une rumeur qui
s’est propagée comme une traînée de poudre, ont fini, à force de nous mentir,
par nous faire croire à cette version. Même Le Calame y est allé de son
couplet, en titrant, à la Une :
‘’ Une imprudence majeure ’’. Imprudence certes, majeure aussi :
il s’agissait, quand même, du premier citoyen du pays. Mais où, avec
qui et qu’est-ce qui l’a provoquée? On ne saura, probablement jamais, la
vérité, cette page ayant été tournée, du moins provisoirement, permettant, à la
machine de propagande, d’exploiter le filon dans un tout autre sens. La santé
du président, le peu de gravité de ses blessures, ses audiences à l’hôpital,
ses coups de fil, son arrivée (très) prochaine à Nouakchott, pour assister à la
prière de l’Aïd… Comme pour démontrer, à ceux qui en doutent encore, que son
ombre plane bien sur le pays et que, même
diminué, il continue à régenter notre vie. Mais il y a un fait contre
lequel tous les propagandistes réunis ne peuvent pas grand-chose : rien ne sera plus comme
avant. Notre président, qui a fait, du tout sécuritaire, sa priorité numéro un,
a failli se faire avoir comme le premier venu. Va-t-il, pour autant,
relativiser les choses et se dire que nul n’est pas plus infaillible
qu’invulnérable, quelle que soit la force dont il dispose ? Va-t-il poser
les pieds sur cette terre éphémère où la frontière, entre la vie et la mort,
est ténue ? Espérons, pour lui, qu’il tirera les leçons de cette
mésaventure. Pour son bien. Et le nôtre. Car à quelque chose malheur est bon.
Après avoir frôlé la
catastrophe, à un tournant de son histoire, au moment où la menace de guerre,
au Nord-Mali, fait peser les plus graves dangers, notre pays a besoin d’un
sursaut patriotique, d’une gestion concertée – et non plus unilatérale –
dirigée par une tête bien pensante, bien plombée et moins casse-cou. C’est un
impératif, pour traverser, à moindre frais, cette étape cruciale. Faute de
quoi, la balle, perdue ou non, risque de n’être qu’un épiphénomène, à l’échelle
du big-bang en instance d’explosion…
Ahmed
Ould Cheikh
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