jeudi 26 mai 2011

Editorial : Gare à la soudanisation !

Lors d’un point de presse improvisé, Ahmed Ould Neinny, le ministre des Affaires islamiques et de l’Enseignement originel, a déclaré que le président de la République a demandé, à son département, de dresser la cartographie des sépultures des personnes disparues, depuis l’indépendance, et dont leurs familles ignorent le lieu d’inhumation. Ce plan vise, selon lui, à mettre un terme aux souffrances des familles et à réhabiliter les victimes, notamment les auteurs du coup d’Etat avorté du 16 mars 1981 et les Négro-africains de 1989-1990, victimes d’exécutions extra-judicaires.

L’initiative est louable, nul n’ayant le droit d’empêcher quiconque de se recueillir sur la tombe d’un défunt, à plus forte raison sur celle d’un parent. La presse, les organisations des droits de l’Homme et les familles des disparus n’ont eu de cesse de réclamer cette réhabilitation. Des centaines de mauritaniens exécutés, victimes de l’arbitraire et de la bêtise humaine, ne peuvent passer pour pertes et profits. Un pays ne peut se tourner vers le futur, avant d’avoir soldé les comptes du passé. Mais attention! Un sujet aussi sensible a besoin de beaucoup de tact et de diplomatie. De peur de réveiller les démons de la division. Les extrémistes des deux camps sont à l’affût et ne rateront pas une si belle occasion de mettre de l’huile sur le feu.

Déjà, l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA) exige, dans un communiqué, «l’éviction, des charges publiques et de la représentation du peuple, de toutes les personnes identifiées ou accusées, par les victimes ou leurs ayant droits, comme ayant participé, de près ou de loin, activement ou passivement, à cette épuration ethnique», ainsi que «l’arrestation, immédiate, de tous les auteurs des crimes génocidaires et leur traduction devant la justice, qu’ils aient été décideurs, exécutants ou idéologues». Elle engage, également, l’Etat à «procéder à des enquêtes ADN, pour identifier les dépouilles et les remettre à leur famille respective». Ces requêtes ont-elles une chance d’être entendues? Il y a de fortes chances que ce vœu restera pieux. Ould Abdel Aziz n’acceptera, jamais, d’ouvrir cette boîte de Pandore, les auteurs des exactions étant, tous, des militaires. Et même s’il le voulait, rien n’indique que ses frères d’armes le laisseraient agir. Il y va, donc, de son intérêt à s’en tenir à la «prière de l’Absent» et aux indemnisations qu’il a, déjà, consenties aux familles des victimes, lesquelles auront, enfin, la possibilité de connaître où les leurs sont enterrés. Certes, il est encore possible de faire mieux, en rendant, solennellement, hommage aux disparus, en demandant pardon, au nom de la Nation, ou en décrétant une journée des martyrs, par exemple. Mais sans trop tirer sur la corde. Notre pays a traversé une sombre période. Faisons en sorte de soigner ses plaies, toujours béantes, pour la dépasser sans passion. Il y va de notre survie. Personne n’a intérêt à ce que notre Etat, fragile, traverse de nouvelles zones de turbulences. Nos ennemis guettent nos moindres mouvements et gestes. Et ne manqueront aucune occasion de nous tourner en nouveau Soudan.

Ahmed Ould Cheikh



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