mardi 20 juillet 2010

Le Calame : Qui sommes-nous ?

Ce 14 juillet 2010, Le Calame fêtera, sans tambours ni trompettes, ses 17 ans. C’est, en effet, le 14 juillet 1993 qu’une équipe de jeunes journalistes, croyant, à l’époque, que la démocratie avait un avenir, en Mauritanie, décidèrent de lancer un hebdomadaire. Dans des conditions difficiles, pour ne pas dire intenables: sans argent, sans local, sans équipements mais avec une volonté, inébranlable, de réussir.
Le journal occupera, rapidement, le haut du pavé et la ligne de mire d’un régime qui se rendait compte, mais un peu tard, qu’il avait trop lâché la bride à la presse écrite. Les saisies et les interdictions se succéderont à un rythme endiablé, de 1994 à 2005. A tel point que notre hebdomadaire détint un triste record: saisi 34 fois et interdit, à trois reprises. Nous n’avons, pourtant, jamais baissé les bras et avons, toujours, dit non à l’arbitraire. Sans cette persévérance, Le Calame, comme d’autres avant lui, aurait, tout bonnement, disparu. Laissant libre cours aux dérives en tout genre.
Pour célébrer notre 17ème anniversaire et sans verser dans l’autosatisfaction, nous avons décidé de nous présenter, pour permettre à ceux qui ne nous connaissent pas de mettre des visages sur des noms qui leur sont devenus familiers. Chacun a présenté l’autre et l’exercice n’a pas été inintéressant. A vous de juger.




AOC, notre “guide éclairé”

Ahmed Ould Cheikh, directeur de publication du journal le Calame, depuis 2005, est, pratiquement un des seuls professionnels de la communication travaillant dans la presse indépendante. Titulaire d’un troisième cycle, obtenu à l’Institut Supérieur de Journalisme de Rabat, Ahmed aime, du haut de ses 45 ans, le sport, surtout le football, et pratique son footing journalier, sans relâche depuis plus de douze ans. C’est un des plus anciens du Calame, un véritable sac à dos. Etudiant à l’Université de Nouakchott, il arrondissait, déjà, sa maigre bourse de 7500 UM, par des piges au journal «Chaab». Longtemps correspondant du Calame à Nouadhibou, il deviendra son responsable financier, quelques années durant, sous la direction de feu Habib et de Moussa Ould Hamed. Lorsque ce dernier est promu directeur général de l’Agence Mauritanienne d’Information (AMI) en août 2005, Ahmed devient le premier responsable du Calame. En un temps record, il sort le journal d’une gestion informelle et en fait une véritable institution qui essaie, tant que peut se faire, d’entretenir des conditions minimales de travail. Exagérément organisé, au point de porter attention à tout. La moindre tâche sur le bureau l’interpelle, la chemise mal repassée d’un employé ou le costume froissé d’un de ses journalistes peuvent faire l’objet d’un commentaire, sur le style et la dernière mode. Toujours tiré, quant à lui, à quatre épingles, il veut, par-dessus tout, que ‘’ses’’ journalistes soient présentables. Ce qui, pour certains, relève de l’impossible. Homme de parole, il est intransigeant sur ses promesses et quiconque peut, sans aucun risque, y «porter des dettes». Taquin jusqu’à l’indiscrétion, il n’est la «malle» de personne. Docteur Kleib et Sneiba en savent quelque chose. Les anecdotes de tout genre, de toute couleur et de toute provenance, il en a à revendre. Parfois, alors que tout le monde «pense sérieux», Ahmed en sort une qui fait oublier, à tous, la fatigue, le manque d’argent et le stress. Ses batailles, amicales évidemment, avec Thiam sont légendaires. Tout comme ses accrochages avec le chauffeur Dellah, surtout quand celui-ci réclame du gasoil ou lui raconte une histoire aux contours peu précis, généralement à dormir debout mais qui ont le don, au contraire, de le mettre dans une colère indescriptible. Spécialiste de la bousculade, Ahmed ne cesse de faire le tour des bureaux, surtout le dimanche, pour réclamer les textes, ce qui lui vaut, souvent, des retours de manivelle peu amènes – remontrances dont il se fout d’ailleurs pas mal – de Maître Seck, le doyen d’âge du groupe. Par ailleurs, plus tu parles moins d’argent, plus tu es son ami. Surtout pas d’extras. Pour cela, il faut être un des deux infatigables quémandeurs de l’équipe – lui, les connaît – pour lui extorquer quelque emprunt. Négligent, à la limite de la paresse, il écrit ses célèbres éditoriaux entre deux taquineries, souvent de mauvais goût. Paradoxalement, ce fils de guerrier ne rate jamais une prière à la mosquée – cela fait peur – et, signe des temps, se permet même de discourir, avec son ami Sneïba et en leur temps libre, de l’Islam, ses règles et préceptes. Comme quoi l’indépendance d’esprit et l’esprit critique sont tout-à-fait compatibles avec une religiosité sainement vécue…


Un volcan nommé Mariem

C’était un mardi, je crois, il y a trois semaines. Peut-être quatre? Je ne sais plus, le temps passe si vite quand il tourbillonne! Le mardi, d’habitude, c’est tout calme, au Calame, passée l’heure de la distribution du journal. Chacun prend, chez lui, un repos bien mérité. Quant à moi, mon home étant situé à près de 180 kilomètres du bureau, je profite du silence et de la connexion Internet pour travailler à quelque projet personnel ou communautaire. Je ne rentre au bercail que le mercredi. Mais bref, on était mardi et je goûtais la quiétude des bureaux désertés. Soudain, une trombe, fumant de la bouche aux oreilles, «Ahmed est là? Qu’est-ce qui se passe dans cette boîte? On ne trouve personne quand on en a besoin! Ah, si! En voilà un! Salut, Mansour!» Et toc. La voilà assise en face de moi. Une, deux, trois cigarettes, un nuage volcanique, une éruption soudaine et prodigieuse: tous les avions seront cloués, c’est certain, pendant au moins trois semaines, sur l’aéroport de Nouakchott. Mariem est de retour en Mauritanie et je découvre, en chair, en os et en fumée, la reine des Nous Z’autres.

Diplômée ès-pompier, notre chroniqueuse ne voyage pas sans son cendrier-fétiche. Vu la taille de son sac et le rythme de ces inhalations tabagiques, une cruche me semblerait mieux adaptée mais, bon, je m’abstiens de tout commentaire, tout au plaisir de découvrir l’héritière spirituelle de Habib. Ô temps, suspends ton vol, semble-t-elle implorer, tant son emploi du temps, depuis son arrivée, s’est surchargée de mille et une, bientôt dix-mille et cent, tâches qu’il lui était «impossible» de refuser. D’emblée, nous voilà au cœur de la réalité: non seulement Mariem ne sait pas dire non mais elle s’acharne, en plus, à tout faire du mieux qu’elle peut. Une vraie musulmane, donc, même si certains s’offusquent de ses manières occidentales. Normal, pourtant, quand on habite, principalement, dans le sud de la France.

Car Mariem, une des plus septentrionales des mauritaniennes exilées, est, en fait, du Midi. L’air de rien, c’est un paradoxe qui justifie bien des nuages toxiques. Décalages perpétuels où la relativité des repères donne, parfois, le vertige. Comment combler le vide, en dessous? Comment éviter de trop le faire et de se retrouver sur un terrain trop plat? Waterloo, Waterloo, morne plaine… Dans ce subtil jeu de cache-cache entre péril et ennui, émotion et dérision métissent un langage peut-être nouveau où les vallons chantants du Gard – la rivière jouxtant la demeure de notre reine – se donnent des airs de dunes et vice-versa. Il y a, dans les textes de Mariem, un petit air de déjà vu totalement inédit. Le lecteur mauritanien, du moins celui qui n’a jamais quitté son sol natal, se prend à humer des senteurs rares, transcontinentales. L’esprit s’éveille. Il y avait donc Cela dans le tissu de ma khayma?

Un tel transport suffit à des privilèges inouïs. Mariem aura droit, durant tout son séjour, à enfumer le moindre centimètre cube du Calame et jusqu’au bureau d’Ahmed, abasourdi de sa propre capacité à autoriser la nicotinisation de son complet-veston. Et d’autres, encore. On débattra, sur le champ, de ce qui ne se débat, d’habitude, jamais, sinon du bout des lèvres et les doigts dans les oreilles. L’esclavage, la parité, le rugby, même. Ah, le rugby! C’est autre chose, tout de même, que ces footeries de manchots où la main de Maradona se confond avec celle de Dieu! Bien sûr, Mariem, nous n’en disconvenons pas. Un p’tit kasse de thé? Non, trois, sinon cent, et bonjour les dégâts! Les tables, les chaises, les murs, la clim du bureau d’Ahmed, voilà que tout se met à danser la farandole. L’esprit de Habib descend les escaliers, se répand dans la rue, chatouille les passants. Marseille et Nouakchott fêtent leurs noces.

Mais voilà. Fan de chichourle, tout a une fin. Les autorités, un brin chauvines, ont mis en branle les aspirateurs et l’on a rouvert l’aéroport. Malgré les temporisations d’Ahmed qui l’aurait bien gardé encore un peu, notre reine. Toute blanquinasse, la Mariem est venue, une dernière fois, taper la clim du patron. «Té, je vais revoir les petits, bien sûr, mais, tout de même, je me sens tote escagassée. Mais je vous écrirez, c’est promis!» On y compte bien, Mariem, on y compte bien, et tous les lecteurs du Calame avec nous !



Amadou Seck, le Thioubalo pur sang
D’entrée, je signe et persiste: c’est un papier qui ne me convient pas. J’écris, haut et fort, que c’est sous la contrainte que je l’ai écrit. J’avais souhaité, lors de la fameuse réunion de rédaction, «flinguer», en tant que «snipper» jubilatoire et à bout portant, le directeur du Calame. Hélas, je dois, moi, benjamin ayant du mal à supporter l’hégémonie et la suprématie de grands frères, toujours prompts à vouloir vous remonter les bretelles et à vous remettre à votre «fameuse» place, «flinguer» un des aînés de l’équipe. Tâche hardie et ardue, en Afrique, où le respect des anciens et le droit d’aînesse doivent prévaloir.
Le vice-doyen du Calame est un «thioubalo-pêcheur», pur sang ou, du moins, bon teint. Ce long bout d’homme, peu porté sur l’informatique, est la véritable bête noire du service commercial du journal qui ne cesse de se plaindre des multiples dégâts collatéraux que Seck ne cesse de porter au parc informatique du Calame, sans cesse victime de virus et autre bugs incompréhensibles. Seck tape avec un seul doigt et finit, au bout de trois heures, un quart de page. C’est un record à nécessairement inscrire au Guiness. Les claviers du Calame sont mis à rude épreuve, usés par le doigt «ferré» du redoutable rédacteur. On ne saurait dénombrer les multiples PC vaincus par sa frappe. Bizarrement, si Seck arrive à conduire sa ‘’superbe’’ BMW, il ne peut manipuler son téléphone portable. Toute sa science, en la matière, se limite à appeler et recevoir, comme un vieux foutanké. Spécialiste des questions judiciaires et politiques, notre vénérable vient de gagner un pari: aller en France. C’était un rêve de gamin que l’enfant de Sylla – bourgade située à quelques kilomètres de Kaédi – vient d’accomplir. Lui qui a sillonné, à de multiples reprises, le Sénégal et s’est rendu au Mali et en Côte d’Ivoire. D’ailleurs, il aime Abidjan et ses gens. A la rédaction, on redoute les appels entrants ou sortants de Seck. Une véritable catastrophe audiophonique. On dirait qu’il parle avec quelqu’un sur l’autre rive du fleuve. C’est une habitude des thioubalo, de nous tympaniser comme des Vuvuzula.
Fumeur invétéré devant l’Eternel, Seck est rongé par la nicotine. Il allie, mégot sur mégot, à chaque goûter d’Ataya. Il serait temps d’intenter un procès contre Philipp Morris. Au demeurant, notre homme, qui a intégré le Calame en 2000, veut toujours paraître élégant. Raffiné, il arbore, fièrement, ses sabador (Kaftan) et autres boubous bazin. Qu’on l’aime ou le déteste, Amadou Seck, c’est l’élégance à l’état pur. Aujourd’hui, il est considéré comme un des meilleurs analystes politiques du pays et spécialistes des questions judiciaires, au sein de la presse mauritanienne. Ça ne s’invente pas. C’est le fruit d’un travail soigné et consciencieux.


Sneiba, le peshmergua

Sneiba tour court, pour les membres de l’équipe ; Sneiba Ould El Kory, pour les camarades de promotion ; El Bou, pour les Alégois ou les Goueibinois, comme on se plaît à les appeler, allusion à un célèbre poème déclamé par un instituteur puni par son parachutage dans la capitale du Brakna. Un enseignant mais pas comme ceux qu’on rencontre dans tous les journaux mauritaniens, où les journalistes sont, d’abord et avant tout, instituteurs ou professeurs. Un parcours atypique. Quatrième au bac AB de l’année 1985, il est envoyé à Dakar, pour étudier le Droit. Et en revient après avoir passé deux ans à dormir et jouer à la belote. Il s’essaie à la Garde nationale qui le recale pour un problème de vision, tellement imaginaire que, 23 ans après avoir passé le test, et alors qu’il a dépassé la quarantaine, il lit toujours sans lunettes. Il devient alors instituteur, roule sa bosse un peu partout, de Oualata à Nouakchott, en passant par Agoueinitt, Var’a El Kettane, Archane, Rosso et autres bourgades reculées. C’est dans la capitale du Trarza qu’il rencontre son promotionnaire, Jiddou Ould Hamoud, le correspondant du Calame qui l’initie au journalisme. «Le moins qu’on puisse dire», le taquine-t-on, souvent, au journal, «est que tu n’as pas été formé à… bonne école ». Toujours est-il qu’à son retour à Nouakchott, il intègre l’équipe d’«Al Mourabit», avec Ahmed Jiddou Ould Aly et Wane Birane. Muté à Aleg, à la fin des années 90, il se rend dans les locaux du Calame et demande à être le correspondant du journal, au Brakna, comme son modèle Jiddou au Trarza. Feu Habib accède à sa demande. Le journal est, alors, envahi de papiers sur tel responsable qui bat campagne pour le parti/Etat, tel autre qui participe, activement, au succès de la visite du président, telle collectivité qui adhère corps, armes et bagages, au PRDS. Avec Sneiba, le peshmerguisme trouve, enfin, ses lettres de noblesse. Il lui arrive, d’ailleurs, de regretter cette époque où les (ir)responsables tenaient la presse en «haute estime».

Après la période de vaches grasses, dont la fin a coïncidé avec le départ d’Ould Taya, il rejoint l’équipe du journal à Nouakchott, à la demande de son patron. «Tu as besoin d’être formaté et de travailler. Ici, on produit chaque semaine des articles et on ne fait pas preuve de complaisance», lui dit-il. Et Sneiba de s’affirmer. Envoyé aux quatre coins du pays, il accomplit son baptême du feu avec des reportages de haute facture. Il anime, ensuite, la rubrique «Autour d’un thé», une idée «lumineuse» du patron, sans oublier son Brakna natal à qui il consacre, encore et toujours, quelques entrefilets. Les réflexes ont la vie dure. Depuis quelques mois, Sneiba a commencé à écrire ses souvenirs d’enseignant, les fameux mémoires – une autre idée de «génie» de notre cher AOC – dont nos lecteurs se délectent.

Féru de religion, il est, en quelque sorte, l’islamiste de l’équipe, ne ratant aucune prière à la mosquée et n’aimant pas tendre la main aux femmes. Sympathisant de la cause haratine, il n’hésite pas à vouer aux gémonies ceux parmi ses semblables qui ont profité – profitent encore – de fonctions importantes pour s’en mettre plein les poches et oublier leurs frères. Lorsqu’on lui fait remarquer, qu’unis, les Harratines seraient en mesure de faire élire un des leurs à la magistrature suprême, il rétorque, non sans humour, que cette marche vers le pouvoir risque fort de s’apparenter au fameux ghazzi… Bref, Sneiba, un militant lucide ? Bien plus, une lucidité militante… Et éminemment professionnelle et respectueuse, ce qui ne gâche rien, vous en conviendrez…


Notre Mansour

En ces périodes de fortes chaleurs, notre vénérable patron – toujours et encore petit «p» – a décidé de nous croquer les uns les autres. Faut dire qu'on a le choix entre parler du congrès de l'UPR et parler du congrès de l'UPR... D'un, c'est pas franchement folichon; de deux, laissons aux journalistes certifiés – donc pas moi – l'art de décortiquer la grande séance de montrage de muscles du parti au pouvoir.

M'est revenu le papier descriptif/mode d'emploi/effets secondaires sur Mansour, LE Mansour du Calame, NOTRE Mansour à nous et à personne d'autre, MON Mansour, enfin, et que ceux qui verraient, dans cette affirmation, des aspects non avouables retournent dans leur frigo refroidir leurs pensées perverses!

Mansour c'est l'homme «du fond». Tout local a un «fond» et le Calame ne déroge pas à la règle. Que le fond soit placé devant ou derrière, il reste le «fond», pièce mystérieuse, celle des secrets, des chuchotis, des ordres, des rires, des siestes... Notre «fond» à nous, les Nous Z'Autres du Calame, est, par miracle, placé au fond, c'est à dire là-bas, après le bureau du patron.

Et dans ce «fond», il y a Mansour. Le fond habite Mansour et pas l'inverse. A tel point qu'on oublie que, dans ce fond de local, il y, aussi, Cheikh. Mais Cheikh, planqué derrière son micro, est à ce point discret qu'on ne se rend pas compte, de suite, qu'il est là, aux côtés de Mansour. En fait, dans notre fond à nous, il y a Mansour, Roi des Rois de la fascination pour les ordis, et Cheikh, dont on aperçoit un œil, de temps à autre.

Coincé entre une bouteille de tejmakht (poudre de pain de singe qui sert à faire un breuvage dont il raffole), des tonnes de papiers manuscrits, une web-cam toute neuve, quelques livres, une clé USB, un ventilo asthmatique, un portable encore plus asthmatique, de la musique religieuse sortant, à fond, de l'ordi, une main caressant le souvenir, sur le crâne, d'une chevelure de plus en plus rare, comme un amoureux éconduit qui se rappellerait un amour de jeunesse depuis longtemps enfui, voici… Mansour. Le polyvalent du fond. Celui qui sait tout faire et qui, ayant eu le malheur de le montrer, se retrouve à faire les mille et une choses que les paresseux comme nous ne veulent pas faire: corriger les papiers, écrire des articles, inventer des sujets, réfléchir sur la vanité humaine, transférer, d'ordi à ordi, les pensums géniaux que nous écrivons, histoire que, le jour de bouclage, chaque chose soit à sa place et chaque place ait sa chose, supporter les crises de colère du patron – toujours petit «p», jusqu'à que je décide de gonfler son initiale – supporter mes bavardages et la fumée de ma clope, de l'air patient du martyr jeté dans la fosse aux lions et qui accepte, en toute modestie, son destin.

Et, entre deux de mes volutes nicotinées, Mansour trouve le moyen de lancer la pique philosophique de la journée. A chaque jour, sa pensée. Ou ses pensées car MON Mansour a la cervelle qui bouillonne; que dis-je: il a mille pensées à la minute et ne souffre d'aucun contretemps pour nous les imprimer dans nos cerveaux au ralenti. Faut dire que Mansour ouvre les hostilités dès 8 heures du mat, quand nous arrivons au bureau, la tête chiffonnée, en manque de thé et d'idées. Et si nous tentons d'éviter la pièce du fond, marchant, doucement, sur la pointe de nos pieds pas encore réveillés, Mansour a le don de nous entendre. OK, en ce qui me concerne, il a la chose facile: même quand je crois marcher comme un papillon, il semblerait que je fasse autant de bruit qu'un phacochère. Parfois, nous avons de la chance, la chance des idiots: Mansour n'a pas encore terminé sa nuit et dort du sommeil du juste. En sursis, nous abordons, alors, un sourire béat sur nos calebasses: un peu de répit avant la question qui tue: «où est ton papier?».

Je soupçonne Mansour de perversité. Il sait, le malin, que nous ne sommes JAMAIS à l'heure: on est des Nous Z'Autres non? Il sait que nous tentons de cacher, derrière des airs inspirés, nos flemmes. Et c'est toujours au moment où nous n'avons rien pondu qu'il débarque dans ses sandales de curé et que, d'une voix douce de professeur, il nous coince, le verre de thé à la main, embarqués dans les salutations d'usage entre nous, la cigarette frémissante, l'oeil bovin et la lippe défaite, plantés là à papoter de l'air du temps, à draguer un peu, à médire un peu plus, à buller quoi.

L'arrivée de Mansour annonce l'arrivée du patron petit p. A croire qu'ils se sont entendus: l'un, Mansour, nous tarabuste, façon polie et moqueuse; l'autre, AOC, nous crie dessus, depuis son bureau. Comme dans un film: le gentil flic, le méchant flic. Après ça, on est bien obligé de nous mettre au boulot!

Mais nous avons, aussi, nos petites victoires, bien mesquines, je le reconnais: nous pouvons pratiquer l'art de l'avancée à reculons, de la promesse bien empaquetée et du «je te jure, mon papier arrive! Regarde comme je bosse! Dans cinq minutes, je te jure!». Les cinq minutes promises devenant des heures et notre mauvaise foi allant crescendo, il arrive, parfois, à Mansour de céder. Il se plante de nouveau devant son ordi, cherchant, dans les chants religieux, la force de ne pas nous trucider. Et quand nous entendons la musique sortir de l'ordi, on sait qu'on a gagné. Je reconnais que c'est mesquin mais ça marche.

Parfois, nous nous entassons dans le bureau du patron, forts du principe qui veut que si l'on prend un air inspiré et que nous faisons semblant de parler de choses vachement importantes, devant le boss dans son bureau – climatisé, ce qui ne gâte vraiment rien, par les canicules qui courent – cela veut dire que nous travaillons. Et, à chaque coup, Mansour débarque. Il s'assoit à nos côtés, l'air de rien, la mine réjouie du vieux singe à qui l’on n'apprend pas à faire des grimaces, et use de son arme fatale: il nous met, sous le nez, le papier qu'il vient de pondre, lui; histoire de nous dire, sans le dire: si, moi, j'ai réussi à écrire un papier, le votre doit être prêt. Ça, c'est bas, Mansour. Car tu sais que nous n'avons toujours rien écrit.

Mais, miracle des miracles – peut-être la musique religieuse? – nous voilà assis devant nos ordis à écrire. Ça s'appelle la guerre des nerfs, l'usure perverse, le laminage officialisé de la paresse. Mais ça marche. Alors, Mansour peut reprendre possession de son «fond», greffé à l'ordi où il accomplit plusieurs choses en même temps: corriger nos papiers, supporter notre fausse modestie, lire des journaux en ligne, papoter par Skype avec sa famille en France, jeter un oeil sur un film comique, écouter de la musique, boire du pain de singe, gratter sa tête, insulter le ventilo, écouter, d'un air patient, nos salmigondis philosophico-politiques, râler après sa clé USB, répondre au patron qui en veut toujours plus, interpeller Alioune, me secouer la graisse pour que je sorte, enfin, de mon cerveau fossilisé, la part de génie qui m'habite, écrire son article de la semaine, parler de Maata Moulana, critiquer la Françafrique, avoir le don d'ubiquité – il peut être, en même temps, et devant l'ordi et dans le bureau du patron: ça m'en bouche un coin, ça! – se plaindre de la chaleur, plisser le nez devant ma fumée de cigarette....

Sans Mansour le Calame ne serait plus pareil. Nous ne serions plus pareils. Et à ce français converti venu, un jour, épouser notre pays (et pas seulement !) et tenter de s'adapter à nos us et coutumes, opaques pour un non-initié, je veux dire merci. Mais, attention, ce moment de sentimentalisme ne veut pas dire que je vais te donner, en temps et en heure, mon papier de la semaine! On ne change pas les choses qui marchent, non? Alors, comme toutes les semaines, tu vas demander mon papier et je vais te répondre que «wallahi, je suis dessus; je te le donne dans cinq minutes!». De toutes les façons, je n'ai pas encore eu mon premier verre de thé, alors…


Thiam Mamadou, le ’’sportif’’

Coopté par feu Habib Ould Mahfoud, dès la fondation du Calame, ce jeune, originaire d’Abdallah Diéry, a vite choisi son domaine de prédilection: le sport. Titulaire d’une maîtrise en Droit de l’Université de Nouakchott, Thiam traite, également, d’autres aspects de la vie sociale, en plus de «ses domaines réservés», comme aime à le taquiner le patron, Ahmed Ould Cheikh. De fait, même si chacun, au journal, touche à tout ou presque, il garde sa «chasse» personnelle, «ses amis» qu’il peut, à l’occasion, ménager, tout en s’efforçant de rester dans les limites du professionnalisme.

Pour les visiteurs ou ceux qui le connaissent mal, Mamadou Thiam paraît timide et un tantinet émotif. Très peu bavard, il supporte, difficilement, que son patron élève la voix sur lui, comme Il n’accepte pas plus qu’on lui marche sur les pieds que de se mêler de ce qui ne le concerne pas. Il fait, aujourd’hui, partie des doyens du Calame qui ont, fidèles au poste, tout vu passer. Préservant, de ses premiers pas auprès de feu Habib Ould Mahfoudh, ses enseignements d’humilité et de générosité.

Moi qui partage, avec lui, le même bureau, depuis plus d’une année déjà, je suis souvent gêné par son silence matinal. C’est pourquoi je n’hésite pas à engager la discussion, dès son arrivée, sachant qu’il faut, de temps en temps, le bousculer un peu, pour découvrir ce qu’il mijote, les remue-méninges de sa «face cachée». Il me répond, poliment et très succinctement, se contentant, généralement, de son bonjour matinal, et se concentre, aussitôt, sur son ordi, zappant à la recherche des dernières infos.

Sous cette apparence d’homme calme, discret, pour ne pas dire fermé sur lui-même, se cache un caractère ouvert et très informé, grâce au dense réseau d’amis qu’il s’est constitué, dans différentes rédactions, lors de rencontres professionnelles ou dans l’entretien d’amitiés d’enfance et de promotion. Titillez-le, un peu, et il vous apprendra beaucoup. Ce voisin de bureau se révèle un trésor de sages conseils, quand vous vous ouvrez à lui. Toujours disponible, lorsque, confronté aux petits bobos informatiques qui parsèment le quotidien des journalistes modernes, vous sollicitez son aide.

Mais voici son grand ami et confident, Hachim, du «Quotidien de Nouakchott», qui vient lui rendre visite. Vous découvrez, alors, un autre homme, farceur et taquin. Un rapport de cousinage qu’il entretient, également, avec notre commercial de service, Alioune Sow, un des anciens de la boîte. Signe de sa fidélité et de sa reconnaissance au fondateur du Calame, il a prénommé son fils aîné «Habib Ould Mahfoudh»…


Dalay Lam adopté, du Tagant à Nouakchott

Athié Alassane qui signe sous le pseudonyme de Dalay Lam, en référence au Dalaï Lama du Tibet, est natif de M’Botto, dans la circonscription de M’Bagne, région du Brakna. Il a longtemps servi au Tagant, une région qu’il aime beaucoup et qui l’a adopté en retour. Correspondant du Calame dans cette contrée lointaine, à partir de 1994, il a intégré la rédaction centrale en 2008. Derrière la silhouette frêle, se cache une grande volonté et une forte détermination. Des qualités qui expliquent parfaitement son aptitude à beaucoup écrire, au point de se retrouver, parfois, à couteaux tirés avec le directeur de publication, Ahmed Ould Cheikh, qui lui reproche de trop en faire sur «sa» région du Tagant, malgré le «divorce» constaté depuis maintenant deux bonnes années. Petits «incidents de parcours» qui pimentent la vie du siège de rares mais chaudes altercations, accompagnées de grincements de dents, mais en dépit desquels Dalay Lam s’est parfaitement adapté à son nouvel environnement nouakchottois. S’adapter, maître-mot pour un journaliste et notre collègue a ainsi fait preuve d’une incontestable capacité, en ce domaine. Dalay Lam (un pseudonyme fabriqué par feu Habib Ould Mahfoudh) comme son inspirateur occupait à lui seul les pages destinées à la rubrique « région », ce qui en dit long sur sa passion de servir et de bien servir le Calame. Aujourd’hui, par la lueur de cette flamme rampante, il a pu éclairer par ces interviews qui sollicitent toutes les sensibilités politiques les lecteurs du Calame. Ce professeur de lettres modernes, bien implanté par sa maitrise des langues nationales dans les différentes cultures du pays a su, aussi quinze années durant faire découvrir le Tagant à travers ses hommes et femmes pour avec qui, il entretient des relations respectueuses. Au Calame, l’ancienne rédactrice en chef, Hindou Mint Ainina et Ryad Ould Ahmed El Hadi avaient fini par l’appeler Foulaani Idawali. Cependant de cette passion brûlante pour la presse, émerge aussi du versant de son pseudo le peulh « civilisé » car débarrassé de cette touffe qui les caractérise si bien pour étaler ce côté guerrier, bagarreur voire taquin au niveau de la rédaction. Voyez-vous, de ce moine, que dis-je, de ce fakir du désert au Dalay Lam, l’extase et le nirvana attendent encore les respectables lecteurs du Calame. En cet anniversaire de maturité puisse que ta plume fine et douce inonder la rédaction du Calame. A ta bonne santé, cher Dalay Lam!

Alioune Sow, la boîte noire du journal

A 55 ans, Alioune Sow, peulh des environs de Mbout et planton-coursier en chef du Calame, ne tarit pas d’éloges sur son premier patron au journal, Habib Ould Mahfoudh, décédé il y a neuf ans déjà. Il aime souvent à rappeler, à ceux qui ne le savent pas, que c’est à lui qu’est revenu l’honneur de ramener, un jour de juillet 1993, du ministère de l’Intérieur, le récépissé autorisant le lancement du journal dont il continue, aujourd’hui, à assurer la distribution. Pour les gens du journal, Alioune est un véritable directeur-adjoint. En fait, en l’absence du patron, il le supplée en tout. Gestion du journal, à tous les niveaux. Honnêteté et respect de la parole donnée sont des vertus cardinales de la personnalité d’Alioune. Comédien hors pair, lorsqu’il est inspiré, c’est, aussi, un véritable imitateur qui se plaît à restituer les gestes des uns et des autres. Infatigable travailleur, c’est à pied qu’il a distribué, pendant plus de dix ans, le journal. Sac en bandoulière et turban au cou, il connaît, par cœur, les centaines voire milliers d’abonnés du Calame. Par bonheur, Alioune a séjourné aux Canaries et en a retenu quelques civilités. Propreté des toilettes, des ustensiles et du local. Certaines transgressions lui font perdre le contrôle, au point d’insulter, en peulh à haute voix, les «bilamdés» qui ont osé faillir à ses règles. Les quelques mots de français qu’il emploie, de temps à autre, lui sont tout personnels: Ciblicité (publicité), ciblicim (publicim) et autre fère de famille (père de famille) ou taski (taxi). En bon peulh, Alioune collectionne postes de radio et montres de valeur. Son long séjour en ville – plus de 30 ans! – ne lui a pas fait oublier son amour du village et des troupeaux. Certaines chansons de son éternel poste radio le replongent dans son passé de petit berger poursuivant les quelques bêtes de sa riche famille, dans les confins de son Mbout natal. Ennemi juré du poisson qu’il ne mange pas, ses détours quotidiens au marché du charbon lui permettent de se ravitailler en viande de mouton dont il raffole. Régulièrement, il interpelle l’un ou l’autre de l’équipe: «alors, et ton mouton grillé, il est où?» et ses yeux brillent d’un éclat singulier, en commentant: «voilà, on le mettra, là, sur la grande table, sur une belle nappe, je le découperai avec le grand couteau que voici, on mangerait, encore et encore, et puis, on danserait, macha Allahou, jusqu’au petit matin…» En attendant ce jour béni entre tous, l’homme fait et refait, entre deux cigarettes qu’il va griller, très poliment, sur le balcon ou dans le couloir dehors, les derniers calculs d’une situation qui lui permet de régler, chaque semaine, quelques petits comptes, comme les cartes de recharge, pour les journalistes, le gasoil, pour la voiture, le petit déjeuner quotidien et les nombreuses théières ponctuant la vie d’un journal mauritanien.

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