mardi 13 juillet 2010

Le Calame, 17 ans déjà : Pourvu que ça dure !

A peine 17 ans et, déjà, quasiment aussi vénérable qu’un arbre à paroles multiséculaire. Le Calame est devenu incontournable, dans le paysage médiatique mauritanien. Je l’avais ouï dire mais il a fallu que je travaille, en son sein, à partir de 2008, pour que j’apprécie la réalité de ce jugement. C’est suite à un article paru dans «Le Monde», qui faisait allusion à ma présence dans «la cité idéale de Maata Moulana» - un titre bien excessif pour l’effort éducatif entrepris dans cette humble cité du Trarza – qu’Ahmed Ould Cheikh, le directeur du Calame, se mit en tête de faire le portrait de ma petite personne. Après un bref mais efficace entretien, il eut cette délicatesse de me faire parvenir le texte de son article, en me priant de bien vouloir le corriger, si nécessaire. Je m’efforçai de le satisfaire, en toute objectivité, avec plus le souci d’enrichir son travail que d’enjoliver son regard sur moi. L’exercice, qui me demandait un certain détachement vis-à-vis de moi-même, me plut assez, je dois dire.
Et plut, aussi, à Ahmed. «J’ai besoin de toi au journal», me confia-t-il. A quoi je répondis : «J’ai peu de temps à moi et, en toute sincérité, la politique politicienne m’intéresse d’autant moins qu’étranger résident en Mauritanie, j’ai un devoir de réserve à respecter. – Non, non, c’est juste pour corriger les articles! Un jour ou deux, tout au plus, par semaine.» J’acceptai, un peu du bout des lèvres, et c’est sur cette base que j’entrepris d’intégrer l’équipe du Calame. Les premiers pas furent un peu délicats. Les uns et les autres s’inquiétaient, diversement, de cet écrivain français qui allait, peut-être, sabrer leurs écrits. Il y eut quelques prises de bec, mémorables, mais, très vite, chacun put se rendre compte qu’il s’agissait réellement, pour moi, de valoriser la forme de son travail, quelle que fut mon opinion sur le fond de celui-ci. J’aime, passionnément, ma langue maternelle, bien plus, je l’avoue, que ce qu’est devenue ma patrie, et lorsque j’entends dire une des mes connaissances : « Super, l’article de Seck, cette semaine ! Percutant, ce Feylili ! » ; j’éprouve autant de plaisir que si la félicitation m’était personnellement adressée.

Une Mauritanie en miniature
De fait, c’est cette attitude de respect mutuel et d’amour du travail bien fait qui soude notre équipe. Le Calame, c’est, tout d’abord, une vraie communauté nationale. Beydanes, Hal Pulaar, Haratines, Wolofs – par ordre alphabétique, s’il vous plaît ! – s’y côtoient, dans un vrai souci de professionnalisme. Et une communauté nationale ouverte sur le monde, puisqu’elle intègre, également, une métisse, notre chère Mariem, et deux français «de vieille souche», Bertrand Fessard de Foucault et moi-même. Les complexes coloniaux et «servitudinaux» - tant de supériorité que d’infériorité – ont bien du mal à résister à telle communauté de vie et si, d’aventure, tel ou tel s’y abandonnait, c’est tous les autres qui le rappelleraient à un peu de tenue, dans cet esprit d’autodérision affectueuse, si caractéristique de notre journal.
C’est, bien évidemment, à Habib Ould Mahfoudh, l’un des fondateurs du Calame, que je fais ici allusion. Habib ou l’indépendance d’esprit. Je ne l’ai connu qu’à travers sa célèbre chronique - les « Mauritanides » – et quelques avis, toujours affectueux, parmi ceux qui l’ont côtoyé. Profondément attaché à sa culture maure, l’homme sut se servir de la culture française pour distancier son regard. Sans aucun complexe et profitant de l’occasion pour les liquider tous. En vrai «titi mauritanien», Habib aurait pu chanter: «je suis tombé dans l’sable, c’est la faute aux notables, le nez dans l’marigot, c’est la faute à Coppo.» Coppo pour Coppolani, bien sûr. Mais, à l’évidence de ses écrits, le fondateur du Calame, pour critique qu’il savait être – et sacrément bon – n’entretenait ni rancœur, ni déférence abusive, jouant de langue de Molière comme d’un outil, parmi d’autres, de construction de la Nation mauritanienne moderne. A cet égard, je suppute, même, que, si Dieu nous l’avait laissé un peu plus de temps, notre alchimiste des saveurs linguistiques aurait, bientôt, écrit en pulaar, en soniké et en wolof. Avec humour et légèreté, pimentés d’autodérision, sans jamais se départir du respect des gens et de l’amour du travail bien fait.
Il me semble que son esprit imprègne, toujours, pages, colonnes et jusqu’aux lignes du Calame. Miracle, après si longue séparation? Pas tout-à-fait. Car la conservation de l’esprit tient, aussi, à des trivialités on ne peut plus matérielles et il convient, ici, de saluer la gestion, exemplaire, du journal par Ahmed Ould Cheikh. Sur le plan financier, tout d’abord. Comme tous les titres de presse mauritanienne, Le Calame connaît des difficultés récurrentes de trésorerie. Pourtant, jamais – du moins à ma connaissance, c’est-à-dire au cours des trente mois de ma collaboration ininterrompue avec le journal – Ahmed n’aura fait supporter ces problèmes par les membres de son équipe. Chacun est payé, selon son dû, entre le début de la semaine finissant le mois et la fin de celle commençant le suivant. Une régularité de métronome, suffisamment rare en Mauritanie, surtout par les temps qui courent, pour être signalée.
Sur le plan du contenu, ensuite. L’ego d’Ahmed est suffisamment posé, al hamdoulillahi, pour n’avoir pas besoin de s’étaler à toutes les pages du journal. Juste un éditorial, souvent pénétrant, qui donne le ton de l’édition. Suit, à l’ordinaire, l’interview, sur plusieurs pages, d’une personnalité mauritanienne, fréquemment politique, avec un avantage certain à l’opposition. «La majorité dispose, elle, d’autres facilités d’expression, remarquablement publiques», souligne Ahmed, avec un petit sourire entendu. Puis les saveurs des chroniqueurs-maison, Sneïba, Dalay Lam et Mariem ; les analyses politiques et judiciaires de Seck ; les compte-rendus sportifs et culturels de Thiam, souvent préposé, également, au suivi de la société civile ; les décalages-recadrages historiques de Bertrand ; plus occasionnellement, les lubies caustiques de Feylili, les indignations de Ben Abdallah ou du docteur Kleib ; les envolées sémantiques d’Ely Ould Krombelé ; les nouvelles régionales des correspondants locaux, Brahim Ould Ely Salem, au Brakna ; Moustapha Ould Béchir, pour les Hodhs, Jiddou Hamoud, à Rosso, Cheikh Ould Ahmed, en Assaba… Et bien sûr, notre graphiste en titre, Cheikh Taleb Bouya Ould Mohamed Boudahi, sans qui nos efforts d’écriture resteraient invisibles ; l’inamovible Alioune, distributeur infatigable du journal, depuis sa fondation, diplômé ès thé-trois-casses-et-plus-si-affinités ; Pap Gaye, le petit nouveau, théieur en second et ménageur méticuleux, tout aussi amoureux du travail bien fait que chacun d’entre nous... J’en oublie, certainement ; notamment de cette cohorte de collaborateurs occasionnels qui choisissent notre journal pour exprimer telle ou telle opinion, informer de tel ou tel fait méconnu du public. Et je n’ai pas parlé, non plus, des droits de réponse, qui achèvent de signaler la nature du Calame : un lieu de débat national, un forum d’idées, ouvert à tout ceux qui aiment la Mauritanie.

Ian Mansour de Grange

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