dimanche 14 août 2011

Editorial : Miroir, mon beau miroir…

Ould Abdel Aziz a parlé. Trois ans après son accession au pouvoir par les armes et deux ans après son investiture à la présidence de la République, le chef de l’Etat s’est prêté aux jeux des questions/réponses avec des journalistes et des citoyens triés sur le volet. Au Palais des Congrès – transformé en palais des Complots, par un jeu de mots, involontaire, d’une speakerine arabophone – il y avait grande foule pour écouter les présidentielles déclarations. La TVM et la Radio ont sorti les gros moyens, pour amener la «bonne parole» aux quatre coins du pays et, même, à l’extérieur. L’événement était, certes, important. Ce n’est pas tous les jours qu’un président mauritanien accepte de descendre dans l’arène pour s’expliquer. En trente-deux ans de régime militaire, le silence-radio, devant les médias nationaux, était devenu la règle. C’est à la limite si la presse indépendante n’était pas traitée avec mépris.
Pour en revenir au débat où, soit dit en passant, «Le Calame» n’était pas invité – une reconnaissance en creux de notre indépendance, je présume – le président est apparu décontracté; au début. Il se crispera rapidement: dès la deuxième question d’un journaliste relative au sentiment de malaise qui prévaut dans le pays et que partagent aussi bien la majorité que l’opposition. «Ce genre de questions ne me dérange pas», dira-t-il, comme si cela n’allait pas de soi. Avant de se rattraper et faire preuve de beaucoup de sang-froid, malgré un feu, nourri, de questions dont certaines décontenanceraient plus d’un. Et de planter le décor, piquant, avec hardiesse, l’opposition qui pose, selon lui, des conditions au dialogue, alors que ce sont ses préalables qui doivent être l’objet du débat. Sur d’autres points, le public restera sur sa faim. Le président ne donnera pas de détails sur sa déclaration de patrimoine – se contentant de dire qu’il «n’a jamais rien géré avant d’être président» – ni sur les sociétés, fondées par ses proches, qui commencent à engranger, par miracle, marché sur marché. Et de défendre, becs et ongles, la convention de pêche, signée avec la société chinoise Poly Hondone, sans, toutefois, donner de détails sur ce qu’elle va apporter à l’Etat, en dehors de 2.000 emplois et d’un investissement de 100 millions de dollars.
On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Méfiant, dit-on, à l’égard de ses laudateurs patentés, Ould Abdel Aziz aime, manifestement, se tresser sa propre couronne de lauriers. Il évoque, avec un délice non dissimulé, ses autosatisfactions, son bilan, la lutte contre la gabegie et contre AQMI, l’Armée, les routes, les équipements, les subventions aux produits alimentaires et aux hydrocarbures, les réserves en devises et en ouguiyas. Un tableau idyllique fort éloigné, tout de même, de ce que vit, quotidiennement, le citoyen lambda: la vie de plus en plus chère, la stagnation des salaires, la précarité banalisée, la queue du diable tant recherchée que le pauvre n’aura bientôt plus que le palais gris pour abriter son caudal appendice. Nul doute qu’il y trouve matière à tenter son narcissique hôte, fondu d’admiration devant le miroir de ses œuvres: en seulement trois ans de pouvoir, c’est, déjà, une bien inquiétante prouesse.

Ahmed Ould Cheikh

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