jeudi 2 février 2012

Editorial : De fable en nausée

La semaine dernière, au cours d’une «plaisanterie» qui a mal tourné, le fils du président de la République, accompagné de deux amis, dégaine un pistolet et tire sur une jeune fille du nom de Raja Mint Essyadi. Gravement blessée au niveau du thorax et de la colonne vertébrale, elle est acheminée, par son bourreau et ses amis, aux urgences de l’hôpital national. Là, les médecins, qui disposent d’un scanner depuis le 06 août 2008, extraient la balle à l’issue d’une opération délicate et sauvent Raja, in extremis, d’une paralysie complète et définitive.
Saisie de l’affaire, la police de Tevragh Zeïna 1 intervient rapidement. Le commissaire, un modèle de compétence et de professionnalisme, met, tout de suite, les trois jeunes aux arrêts et à l’isolement total, pour les besoins de l’enquête. Face à une affaire impliquant le fils du président, il ne veut pas être taxé de favoritisme ni courber l’échine, au moment où d’autres se dérobent. Malgré les pressions, il tient tête à tout le monde et refuse de pousser les deux jeunes à s’accuser mutuellement d’avoir tiré le coup de feu, pour mettre Bedr hors du coup. Contrairement à la rumeur, il n’a pas laissé son bureau au fils du boss, qui n’a donc eu droit ni à un matelas douillet, ni à une télé, ni à des repas fastueux mais a été traité comme un vulgaire voyou. Le commissaire a, personnellement, supervisé la reconstitution de la ‘’plaisanterie’’, écouté les protagonistes, dressé un procès-verbal auquel il a joint un rapport médical, détaillé, sur l’état de Raja et envoyé le tout au procureur de la République. Lequel n’a pas voulu être en reste. Considérant les faits suffisamment graves, celui-ci a immédiatement confié le dossier à un juge d’instruction qui, après écouté les trois jeunes, en a libéré deux et ordonné que Bedr soit placé sous mandat de dépôt, en attendant son procès. Pour une fois, notre justice nous fait honneur. Il faut dire qu’en ce cas précis, elle a été grandement aidée par le président lui-même qui a souhaité qu’elle suive son cours et que son fils soit traité comme un justiciable ordinaire. «Je ne peux pas laisser des gens en prison pour des vétilles et libérer mon fils qui a tiré sur une fille innocente, la rendant infirme pour le restant de ses jours», aurait-il dit. L’opinion publique unanime a salué l’indépendance de la justice et le courage du Président qui, blessé en son propre sang, s’est comporté comme un véritable homme d’Etat, en refusant d’intervenir dans un dossier pendant devant une juridiction. Désormais, plus personne ne pourra dire que notre justice est aux ordres de l’Exécutif ou que le pouvoir l’a instrumentalisée.
Ould Abdel Aziz ne veut surtout pas que son fils prenne le chemin d’Ouddeï Saddam Housseïn ou de Saïf Al Islam Khadafi dont les frasques ont cristallisé les mécontentements contre leurs géniteurs et ont fini par les perdre. D’ailleurs, notre guide éclairé n’est pas un dictateur, loin s’en faut. Il a «rectifié» le processus démocratique qui commençait à dévier. Et ce ne sont pas les folies d’un enfant gâté qui le dévieront, lui, du chemin qu’il s’est tracé: une Mauritanie débarrassée des gabegistes et une justice véritablement indépendante.
Las! Tout ceci n’est, évidemment, que pure fiction. La réalité est à mille lieues de ce tableau idyllique. Ni la police, encore moins la justice, n’ont fait leur travail. Et notre Lucky Luke national a rapidement retrouvé la liberté (de tirer?), moyennant une amende de… 50.000 UM!!! La Mauritanie nouvelle n’en finit pas de nous surprendre. Désagréablement. Jusqu’à la nausée.

Ahmed Ould Cheikh

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