mercredi 23 mars 2011

Editorial : Lettre à Kadhafi

Comment vous nommer ? Pour vous adresser cette lettre, le choix m’embarrasse, en effet : Colonel, Président, Guide, Leader de la révolution ou Roi des Rois d’Afrique. Vous portez autant de titres, dont vous vous affublez, de temps à autre, que de facettes : révolutionnaire, progressiste, nationaliste, anti-occidental, au début ; tyran, dictateur, mégalomane, bourreau de votre peuple, à la fin. Votre coup d’Etat militaire, contre le roi Idriss, en 1969, vous l’avez baptisé «révolution». On raconte que, lorsque le vieux roi, un homme pieux et détaché de ce bas-monde, entendit les manifestants crier «Ibliss [Satan], plutôt qu’Idriss !», il pria Allah d’exaucer leur vœu. Et vous avez tout fait pour confirmer, tout au long de votre règne, que le bon Dieu avait écouté son royal serviteur. Quarante-deux ans! Quarante-deux ans à jouer les trouble-fêtes, par-ci, à financer des rébellions ou des conflits armés, par-là. Vous avez fait, de la Libye, un pays atypique : riche par son pétrole mais avec une majorité de citoyens pauvres, un système de santé délabré, une éducation à la traîne, un régime politique archaïque. Vos miliciens et vos mercenaires, lourdement armés, ne vous ont, pourtant pas, prémuni contre l’onde de choc qui traverse, actuellement, le monde arabe. Malgré vos déclarations, à l’emporte-pièce, sur «la Libye qui n’est pas comme la Tunisie ou l’Egypte».
La Jamahiriya, comme vous vous plaisez à l’appeler, a été le quatrième pays arabe où la rue a décidé de briser les chaînes où les dirigeants s’obstinent à la maintenir. En Tunisie et en Egypte, les révolutions se sont plutôt bien passées – relativement, puisqu’il y a eu, quand même, quelques dizaines de morts, paix à leur âme! – les deux présidents, Ben Ali et Moubarak, ayant compris, rapidement, qu’il fallait faire place nette, pour ne pas être emportés par le tsunami populaire. Ils n’étaient, pourtant pas, des modèles de perspicacité et de clairvoyance. Vous aviez pris fait et cause pour eux, contre la volonté de leur peuple. Une attitude compréhensible, la révolte étant contagieuse. Pour preuve, la pandémie a rapidement gagné votre pays. Comme vos deux voisins, vous avez réprimé les manifestants mais non avec des grenades lacrymogènes, comme cela se fait dans le moindre pays civilisé du monde. Vous avez envoyé vos mercenaires, vos chars et, même, vos avions massacrer des civils qui ne cherchaient que le droit à disposer d’eux-mêmes. Vous êtes resté en retrait, les premiers jours, envoyant votre fils, qui n’occupe, pourtant, aucune fonction officielle, menacer ses concitoyens des pires sévices s’ils ne se rangeaient pas du côté de leur guide éclairé. Au lieu de calmer les esprits ou de faire peur à des hommes armés de leur seule volonté à vous faire déguerpir, la prestation de Seif Al Islam [l’épée de l’islam !] a, plutôt, revigoré les contestataires. Ils se sont, alors, rués sur les armes, pour ne plus continuer à se faire laminer et ont mis vos hommes en déroute, dans plusieurs villes. Grande scène du 4 et vous voilà sorti de votre bunker, pour ergoter, pendant plus de deux heures, et répéter les mêmes insanités que votre fils. Un énième coup d’épée (guère musulmane!) dans l’eau.
En transformant une révolution pacifique, qui aurait pu s’achever paisiblement, comme en Tunisie et en Egypte, en guerre civile, vous avez réussi l’exploit de vous mettre toute la communauté internationale sur le dos. Même des pays comme la Chine ou l’Inde, à qui vous avez promis monts et merveilles, quelques jours avant la résolution de l’ONU, n’ont pas eu le courage de voter contre la décision du Conseil de sécurité, instaurant une zone d’exclusion aérienne, au dessus de la Libye et autorisant des frappes ciblées. Il faut dire que votre cas est grave et plus personne ne veut donner ne serait-ce que l’impression de vous fréquenter. Si cette tendance paranoïaque que vous traînez, depuis quelques années, continue, vous risquez de finir une balle dans la tête ou, au mieux, devant la Cour pénale internationale, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Vos concitoyens eux-mêmes pourront vous juger pour tyrannie, répression aveugle, entrave aux libertés les plus élémentaires, meurtre ou exil des opposants, soutien au terrorisme et aux dictateurs, dilapidation des ressources de l’Etat, folie des grandeurs, instabilité psychologique, utilisation abusive de substances psychotropes, intrusion dans les affaires du pays et enrichissement illicite de votre famille et de vos proches. Et la liste n’est pas exhaustive.
Avec les frappes aériennes visant les positions de vos troupes, désormais privées de tout soutien aérien, la fin de votre pouvoir n’est plus qu’une question de jours ; de semaines, tout au plus. Aucun citoyen arabe ou du monde ne versera une larme, quand l’heureuse nouvelle sera annoncée. Encore qu’il vous reste une dernière chance d’éviter un nouveau bain de sang : partir. Ce serait, peut-être, la seule mesure de bon sens que vous n’ayez jamais prise. Mais à vous connaître, personne ne doute – hélas ! – que vous ferez boire, à votre peuple, le calice jusqu’à la lie. Et après quarante-deux ans de pouvoir absolu et de bêtise érigée en système de gouvernement, la lie risque d’être encore plus dure à avaler. Mais qu’importe, si cela signe votre fin… Kadhafi, partez donc ou restez, à vos risques et périls, mais soyez certain que nul ne fera de vous un martyr…

Ahmed Ould Cheikh

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