mardi 24 décembre 2024
Editorial: Les ordures, vitrine de la Mauritanie
Faites un petit tour à Nouakchott : allez de la plage des pêcheurs au Port de l’Amitié ou de cette infrastructure vers le carrefour dit Bamako ; partez d’Atak El Kheir 2 en direction de l’Est ; promenez-vous en divers quartiers de la capitale… Rassurez-vous, il ne s’agit pas de villégiature ! Loin de là : vous serez plutôt dégoûtés par les tonnes de détritus qui jonchent nos quartiers, même les plus chics. Que dira le touriste, l’homme d’affaires ou n’importe quel visiteur officiel une fois à Nouakchott ? Que nous sommes nés avant la honte, comme disent nos amis ivoiriens. Que les bédouins que nous étions et que nous sommes toujours, du moins dans nos têtes, n’ont toujours pas assimilé la vie citadine. Que les sociétés chargées de collecter les ordures font tellement mal leur travail que la ville est devenue un dépotoir à ciel ouvert. Qu’avant de moderniser, il faut d’abord balayer. Que nos décideurs n’ont toujours pas compris qu’il s’agit là d’un problème vital auquel il faut s’attaquer sérieusement, en mobilisant les moyens et en recourant, s’il le faut, à une expertise étrangère. Il y a une décennie, la société française Pizzorno avec laquelle l’État avait signé une convention pour la collecte et l’enfouissement des ordures à Nouakchott s’en était bien tirée. Mais Ould Abdel Aziz, sur un de ses coups de tête dont il a le secret, décida subitement de résilier le contrat pour donner le marché, en forme de cadeaux politiques, à de petites entités qui se révélèrent incapables d’assurer le minimum. On navigue depuis à vue dans un océan de détritus, d’eaux boueuses et de saletés de toutes sortes. Et on s’y plaît bien apparemment : la capitale d’un pays n’est-elle pas sa vitrine ?
Ahmed ould Cheikh
jeudi 12 décembre 2024
Editorial: Un cocktail explosif
Elle était jeune, dans la fleur de l’âge. Issue d’un milieu conservateur, étudiante en deuxième d’université, elle s’apprêtait à convoler en justes noces. Son malheur, en plus d’être issue d’une famille pauvre habitant dans un des quartiers les moins sécurisés de la capitale, est d’avoir croisé le chemin de trois jeunes voyous qui n’ont pas hésité à entrer chez elle par effraction pour abuser d’elle sans aucune pitié. Son père, immobilisé par la maladie, et sa mère absente ne pouvaient lui être d’aucun secours., Enivrés par l’alcool, les médicaments et toutes les substances psychotropes qui leur étaient passés dans les mains, les trois jeunes lascars étaient dans un autre univers. Ils ont perdu toute humanité. Rebuts d’une société dont ils vivent en marge, Ils n’en étaient pas à leur premier forfait. Et il ne sera sans doute pas le dernier. L’école que constituent nos prisons où ils ne se feront sans doute pas de vieux os ne servira qu’à les endurcir, comme tant d’autres avant eux. Au lieu d’offrir une possibilité pour les détenus d’apprendre un métier en prélude à une insertion dans la société, la prison est devenue une jungle où le plus fort écrase le plus faible. Du coup, on en sort plus cuirassé et les taulards, une fois dehors, sont encore plus dangereux. Si on y ajoute l’absence de perspectives, la pauvreté, les liens familiaux distendus et le laxisme de la justice, le cocktail devient explosif. Qu’Allah nous préserve !
Ahmed Ould Cheikh
jeudi 5 décembre 2024
Editorial: internet au rabais
Est-il écrit quelque part qu’en ce qui concerne la qualité du réseau Internet, nous resterons indéfiniment en queue de peloton ? Que, malgré les amendes infligées de temps à autre aux opérateurs par l’Autorité de régulation, la situation n’évoluera jamais dans le bon sens ? Que, faisant fi des protestations incessantes des usagers face à la mauvaise qualité d’un service pourtant coûteux, les structures dédiées à cette fin continueront à engranger des milliards au profit des leurs sociétés-mères et à « saboter » nos télécommunications ?
Pas plus tard que la semaine dernière, l’Autorité de régulation a de nouveau sévi contre ces opérateurs : Mauritel a écopé d’une sanction financière de 313,2 millions d’ouguiyas, Mattel de 127,03 millions et Chinguitel, quant à elle, devra verser 100,2 millions d’ouguiyas au Trésor public. Cette décision de l’ARE fait suite à une mission de contrôle de la qualité des services de communications électroniques effectuée à partir du 23 Septembre dernier. Le régulateur des télécoms voulait vérifier si les opérateurs avaient amélioré leurs niveaux de conformité respectifs, par rapport aux résultats d’une première mission de contrôle effectuée du 18 Décembre 2023 au 24 janvier 2024.
« L'Autorité de régulation a noté que les réponses des opérateurs aux griefs soulevés n'étaient pas satisfaisantes pour justifier les manquements observés » et « s’attend à ce que les sanctions pécuniaires et administratives infligées aux opérateurs télécoms les incitent à assurer en permanence aux utilisateurs du service, des niveaux de qualité conformes aux standards internationaux, conformément à leurs engagements contractuels. »
Faites vos comptes ! Depuis quand les opérateurs sont ainsi sanctionnés et combien ont-ils déjà payé en tout ? Des milliards pour le budget mais une goutte d’eau pour eux. Au moment où Internet est devenu, non plus un luxe, mais une nécessité absolue, il est temps qu’on devienne enfin comme tous les pays du monde ou, au moins, comme nos voisins auxquels nos décideurs ont tendance à nous comparer. Eux en tout cas disposent d’un réseau à fort débit et à un prix raisonnable.
Ahmed ould Cheikh
vendredi 29 novembre 2024
Editorial: Sans mémoire, sans avenir, sans liberté…
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ». L’auteur y dressait un tableau qui ne peut laisser indifférent : « Dans un coin oublié de Nouakchott, à l’îlot H, se cache un marché insolite où des vendeurs informels proposent, au kilo, des morceaux de mémoire nationale. Jadis témoins de l’histoire de la Mauritanie, les vieux journaux et archives sont désormais échangés contre quelques MRU pour finir en emballages ou protections dans les ateliers de peinture de voitures ».
Plus loin, il enchaîne : « Ici, entre détritus et bâtiments délabrés, la mémoire nationale se transforme en simple matériel de récupération sans le moindre respect pour sa valeur historique. Ce qui surprend le plus, c’est la richesse de cette paperasse oubliée. Dans cette décharge, on trouve des documents d’une valeur inestimable : rapports sur l’éducation, la santé, l’urbanisme, correspondances officielles de divers départements, revues d’époque et même des articles de presse et reportages qu’on croyait disparus ». Et l’auteur de soulever des questions cruciales : comment préserver notre Histoire ? Comment assurer que notre passé ne soit pas vendu en morceaux au marché ?
Dans le même ordre d’idées, il y a quelques années, un préfet fraîchement affecté à Mederdra décidait de brûler toutes les archives du département, dont des centaines de documents datant de l’époque coloniale et relativement bien conservés. N’ayant aucune idée de leur valeur historique, il voulait libérer un bureau pour sa secrétaire. « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir », disait le maréchal Ferdinand Foch. D’autant moins que, sans celle-ci, on se demande de quelle instruction pourrait se vanter notre « école républicaine » et nos enfants ainsi désinstruits, de quelle liberté…
Ahmed ould Cheikh
vendredi 22 novembre 2024
Editorial: Dresser les bœufs avant la charrue
Soucieux de moderniser Nouakchott et d’en faire une ville un tant soit peu viable, le gouvernement a décidé de débloquer cinquante milliards d’ouguiyas MRO. Plusieurs départements ministériels sont concernés par cette mise à niveau dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle a tardé. Vieille de soixante-six ans – sa première pierre fut posée le 5 mars 1958 par feu Mokhtar Ould Daddah et Gérard Jaquet, ministre de la France d’Outre-Mer – notre capitale a l’air de tout, sauf d’une ville moderne. Sans plan directeur ni schéma d’urbanisation, elle navigue à vue depuis sa fondation ou, plutôt, depuis 1978. Avant cette date, elle était en effet plus ou moins structurée, dotée d’un système d’assainissement et ses nouveaux quartiers lotis avec un minimum d’organisation. Mais depuis, c’est l’anarchie presque totale. Avec l’argent facile qui commençait à couler à flot, de nouveaux lotissements ont poussé comme des champignons. Les distributions de terrains partout et nulle part sont devenues le lot quotidien de tous les ministres des Finances qui se sont succédé à la tête d’un département devenu le plus juteux de la République. À tel point qu’il n’est pas rare de voir une villa cossue construite au milieu d’un désert sans borne, dépourvue d’eau, d’électricité et encore moins de route pour y accéder. Le laisser- aller y atteint un tel degré que Nouakchott doit sans doute être la seule ville au monde où se côtoient, dans ses quartiers les plus chics, villas somptueuses, baraques, tentes, dépôts de briques, salles de mariage, garages pour réparations de voitures, salons de coiffure, échoppes... Le tout dans un désordre indescriptible et en l’absence totale des services d’urbanisme ainsi que ceux des communes plus enclins à collecter les taxe qu’à vérifier les autorisations de construire. La réhabilitation de la ville devrait commencer par là. Le reste suivra.
Ahmed ould Cheikh
samedi 16 novembre 2024
Editorial: Un mal indéracinable, vraiment ?
La prévarication et la gabegie ont-elles encore de beaux jours devant elles ? Jusqu’à quand le détournement des deniers publics restera-t-il le sport favori de nos (ir)responsables ? La lutte contre de telles pratiques que tout gouvernement chante à tue-tête ne serait-elle qu’un vain mot ? Deux exemples parmi tant d’autres mettent en tout cas le nôtre au pied du mur. En un, le projet Aftout ech-Chargui, mené d’une « main de maître » (ès tripatouillage) par un groupement de sociétés et dont une ONG nationale a dénoncé la calamiteuse mise en œuvre ; en deux, la réhabilitation du principal quai du port de Nouadhibou, qui serait loin d’être aux normes et dont un journaliste a fait éclater le scandale. De quoi déjà prouver à l’opinion publique qu’il est encore tôt pour crier victoire. Pour ces deux affaires révélées au grand jour, combien d’autres ont été mises sous le boisseau, leurs auteurs protégés ou sommés de payer des montants symboliques… avant d’être réhabilités ?
Il y a urgence en la matière. Nos maigres ressources, dont on a tant besoin au vu de nos incommensurables nécessités, sont en train d’être dilapidées au vu et au su de tous. Et ne demandez surtout pas par qui ni comment : c’est un secret de Polichinelle… Posez-vous plutôt la question du comment y mettre fin. Là se situe le vrai challenge pour le nouveau gouvernement. Sauf s’il finit par se persuader, à l’instar de ceux qui l’ont précédé, que la mission est impossible et baisse les bras. Le mal est en effet tellement enraciné et ses techniques à ce point développées qu’il en est devenu un rouleau compresseur qui broie tout sur son passage. Il faut donc se préoccuper de ses racines. Et où se situent-elles, à votre avis ? Sinon dans notre comportement trop généralisé à ne voir, dans le travail, qu’une source de profit pécuniaire et donc à ignorer, pour ne pas dire mépriser, tout ce qu’il peut générer d’accomplissement personnel… Seul le bien fait engendre le bienfait… et peut ainsi réparer le méfait ? Chiche, Mauritaniens !
Ahmed ould Cheikh
vendredi 8 novembre 2024
Editorial: Ligne de conduite
Depuis quelques jours, une affaire secoue la Toile. Tout a commencé lorsque, dans l’émission « Salon de la presse » sur la chaine TTV, Hanevy ould Dahah évoqua le marché de réhabilitation du principal quai du port de Nouadhibou, attribué à un groupement composé de deux sociétés ; l’une mauritanienne et l’autre turque. Selon Hanevy, les travaux auraient été mal exécutés, menaçant dangereusement cette installation vitale par laquelle transitent tant de marchandises, import ou export. Et notre confrère de s’en inquiéter doublement puisque ledit groupement aurait déjà perçu près de 80% du montant alloué à sa tâche. Levée de boucliers des sociétés attributaires qui menacent de traîner le journaliste en justice… Mais voilà que le port de Nouadhibou annule le marché – histoire de donner raison à TTV ? – et menace de mobiliser la caution de garantie d’un milliard huit cents millions MRO, délivrée par la GBM au profit du duo turco-mauritanien. La banque refuse à juste titre de s’exécuter, considérant que les délais du marché sont dépassés. Après l’expiration d’un contrat, argumente-t-elle, les cautions n’ont plus de raison d’être et deviennent donc sans objet.
Exposée, rappelons-le ici, à l’ire d’Ould Abdel Aziz qui voulait la couler, la GBM était devenue le punching-ball préféré de tous ceux qui voulaient se rapprocher du régime de celui-ci et l’exil de Bouamatou les avait confortés dans l’idée qu’ils avaient les mains libres. Mais la banque, très à cheval sur la réglementation, réussit à survivre et a prouvé, du coup, sa solidité financière. Ni les interventions en haut lieu, ni les tentatives de certains débiteurs essayant de fuir leurs dettes en utilisant des prête-noms, oubliant que la responsabilité juridique ne se délègue pas, n’ont pas empêché la GBM de rester à la hauteur de ses charges, que ce soit en matière de crédit, d’engagement ou de recouvrement de créances. Et ce n’est pas une caution, quel qu’en soit le montant, qui la fera dévier de cette ligne de conduite.
Ahmed ould Cheikh
vendredi 1 novembre 2024
Editorial: Et donc tout ça pourquoi, au final ?
« Ambiguïté délibérée » : voilà comment Ehoud Barak, alors ministre de la Défense de l’entité sioniste, désignait, en 2010, la stratégie nucléaire de son gouvernement ; « une bonne politique, en entente totale avec les États-Unis », tenait-il, sibyllin, à préciser. Moins ambigüe et d’autant moins proclamée mais… tout aussi délibérée, l’organisation d’assassinats ciblés dans tout le Moyen-Orient – notamment en Iran : Mohsen Fakhrizadeh, le professeur en charge du programme nucléaire local, en 2020 ; Hassan Sayyad Khodaei, colonel des Gardiens de la Révolution, en 2022, ou Ismaïl Haniyeh, chef politique du Hamas, en 2024… – n’a depuis cessé de rappeler au Monde l’impunité dont jouit cette entente américano-sioniste. Pour combien de temps encore ?
Car les morts s’accumulent : en une seule année, plus de quarante mille palestiniens à Gaza, une réponse « légitime », nous affirme-t-on, aux mille deux cents victimes des « terroristes » du Hamas ; près de trois mille au Liban, journalistes, humanitaires, militaires de l’ONU et autres civils évidemment beaucoup plus « quelconques » que le moindre sioniste en terres palestiniennes occupées. Encore une bonne politique, donc, toujours en entente totale avec les USA ? On comprend en tout cas combien lourdement les visages s’assombrissent au Moyen-Orient arabe et perse. Et le moins qu’on puisse dire est que cette réponse aux exactions répétées du couple infernal est, elle, on ne peut plus objectivement légitime…
La Résistance palestinienne et ses alliés chiites pleurent leurs morts. Mais combien ont-ils gagné de nouveaux partisans, parmi les millions de familles durement touchées par les bombardements plus aveugles que ne le prétendent les communiqués de presse occidentale ? Parmi le milliard de musulmans outrés par le spectacle quotidien de ces dévastations délibérément génocidaires ? Et parmi les milliards de tant d’autres simples gens, partout sur notre planète bleue, jour après jour plus exaspérés par cet « ordre » mondial si délibérément ambigu ? Jusqu’aux États-Unis eux-mêmes où « un quart des juifs américains considère désormais l’entité sioniste comme un État d’apartheid (1) »… Et donc tout ça pourquoi, au final ?
Ahmed ould Cheikh
NOTE
(1) : https://orientxxi.info/magazine/peter-beinart-un-quart-des-juifs-america..
vendredi 25 octobre 2024
Editorial: Solutions à la Kim Jong-Un ?
Après les inondations qui ont frappé son pays en Juillet dernier, entraînant d’énormes dégâts et la mort de près de quatre mille personnes, Kim Jong-Un, l’inénarrable président de la Corée du Nord, a affirmé, dans le train le ramenant de sa visite des lieux accablés, que « ceux qui ont causé des pertes inacceptables devraient être strictement punis ». Dans la foulée, plusieurs personnes avaient été limogées, à commencer par le gouverneur de l’État inondé. « Entre vingt et trente dirigeants de la zone sinistrée », a rapporté le média chinois TV Chosun le mardi 3 Septembre, « ont été depuis condamnés à la peine capitale pour corruption et manquement au devoir ». Ils auraient tous été « abattus », à la fin du mois d’Août, pour « n’avoir pas empêché les dégâts causés par les inondations ».
Au moment où plusieurs régions de notre pays sont submergées par les eaux du fleuve Sénégal, a-t-on sanctionné un seul responsable ? L’a-t-on jamais fait pour des faits autrement plus graves ? D’où la question : l’impunité n’est-elle pas la source de tous nos maux ? Combien de fonctionnaires véreux ont pillé sans vergogne nos maigres ressources au vu et au su de tous, sans susciter la moindre réprobation ? Quand un (ir)responsable passe, en quelques mois, du statut de locataire d’une maison modeste dans un quartier périphérique à celui de propriétaire d’une villa cossue dans un quartier chic, entourée de voitures luxueuses, comment va-ton l’appeler ? Des cas comme celui-là sont légion. Et quand il arrive qu’un malchanceux tombe dans les filets, il ne tarde pas à se relever, grâce à toutes sortes de mécanismes, familiaux, tribaux, régionaux ou amicaux. Rien n’est plus éphémère en Mauritanie que la disgrâce. Faut-il faire comme Kim Jong-Un : les liquider pour qu’ils ne rebondissent plus ? Rien n’indique cependant qu’après leur mort, ils ne ressusciteront pas… tant ils ont la peau dure.
Ahmed ould Cheikh
jeudi 17 octobre 2024
Editorial: Douce Françafrique…
Monsieur Robert Bourgi, le célèbre avocat et conseiller politique franco-libanais, nous en apprend de bien belles ! Dans son dernier ouvrage : « Ils savent que je sais tout : Ma vie en Françafrique », Max Milo Éditions, Paris, 2024 ; l’élève du mythique Jacques Foccart se prend à sortir quelques secrets du placard. Oh, pas tous, évidemment, le monsieur connaît les limites des indiscrétions fuitables sans trop de risques… Mais tout de même assez pour nous instruire, nous, pauvres Mauritaniens, combien le sort d’une république africainepouvait être scellé, il y a peu encore – plus maintenant ? – par des conversations de salon, de Saint-Tropez à l’Élysée, en passant par quelque établissement huppé, à l’instar du « Bristol », « un monde d’élégance et de volupté, pour des séjours d’exception », comme le souligne sa présentation sur Google…
C’est donc en vacances dorées sur la Côte d’Azur que Robert Bourgi rencontra, quelques jours après le coup d’État d’Ould Abdel Aziz, l’homme d’affaires Mohamed ould Bouamatou
dépêché par son cousin pour prêcher la bonne cause des militaires « soutenus par les grandes tentes mauritaniennes », expliquera plus tard le général Mohamed Ould Ghazouani, le chef d’état-major de l’armée limogé par le président déchu, «dont l’impopularité a causé sa perte. » Une argumentation on ne peut plus simpliste mais tout de même convaincante, semble-t-il, puisqu’après avoir acquiescé à l’idée que « le chef d’état-major de l’armée mauritanienne, le général Mohamed ould Ghazouani, qui avait été révoqué par le président défait, soit reçu à l’Élysée », l’habile avocat libanais obtint un entretien dudit général avec Claude Guéant, secrétaire général de lElysée.
Alors conseiller « Afrique » du Palais français, Bruno Joubert fut convié à se joindre à l’entrevue et présenta clairement son opinion : « L’Union européenne rejette le pouvoir de Mohamed ould Abdel Aziz. Il n’est pas pensable que le président de la République puisse accepter cette situation. En outre, vous faites partie, général Mohamed ould Ghazouani, de ceux qui ont précipité la chute du président Abdallahi. – Ne me parlez pas sur ce ton ! », répliqua, ulcéré, Ould Ghazouani, avant que Claude Guéant ne se rangeât à l’avis des autres personnes présentes qui jugeaient l’impopularité responsable de la chute de notre premier président démocratiquement élu. Une majorité de politesse… ou d’intéressements ? Bourgi ne nous en a rien dit…
Puis on partit déjeuner au Bristol… où les dés, entre la poire et le fromage, furent pratiquement jetés : Joubert bientôt « déplacé » de sa fonction à l’Élysée, Ghazouaniréinvité à discuter en 2009 avec Guéant et divers hauts cadres de l’État français – problématique djihadiste au Sahel oblige… – le colonel Kadhafi « encouragé » en suivant à faire reconnaître le nouveau régime mauritanien par l’Union Africaine, Ould Abdel Aziz reçu par le président Sarkozy quatre mois plus tard, soit une sorte de blanc-seing officiel quelques semaines à peine avant une élection présidentielle ainsi courue d’avance… Quant à la disgrâce de Mohamed ould Bouamatou, en 2010, elle n’est peut-être pas en rapport avec tous variablement gracieux entrechats mais n’en confirme pas moins ce que la destitution de Sidi ould Cheikh Abdallahi nous avait déjà appris : l’ingratitude monumentale de Mohamed ould Abdel Aziz et ce que cela révélait de son avidité sans frein…
Ahmed ould Cheikh
mercredi 9 octobre 2024
Editorial: Un chantier prioritaire parmi tant d’autres…
Nos goudrons sont-ils solubles dans l’eau ? La question posée au milieu des années 80 par un chroniqueur dans un article publié par le quotidien Chaab, le seul qui existait à l’époque, et qui lui valut des déboires avec le pouvoir en place, est plus que jamais d’actualité. Il suffit de voir les vidéos publiées sur les réseaux par un lanceur d’alerte devenu célèbre sur l’état des routes à Nouakchott pour se rendre compte de l’ampleur du gâchis. Nids de poule et trous béants sur des routes dont l’espérance de vie ne dépasse pas quelques mois. Elles ont pourtant fait l’objet d’appels d’offres, ont été attribuées à des sociétés et des bureaux de contrôle ont été sélectionnés pour veiller à leur conformité mais… tout part à vau-l’eau. La route qui mène au Port de l’Amitié a été refaite à la va-vite parce que le président de la République devait l’emprunter pour inaugurer le Pont au carrefour Bamako. Quelques mois plus tard, elle n’est plus que ruines. Autre exemple parmi tant d’autres, la route Aleg-Boutilimit a commencé à se détériorer alors qu’elle n’a même encore été réceptionnée.
D’où de multiples interrogations : les marchés ont-ils été attribués à des sociétés moins disantes, sans tenir compte de l’évaluation technique ? Les contrats ne comportent-ils aucun délai de garantie ? Certains bureaux de contrôle ne font-ils pas bien leur travail ? Pourquoi l’État n’a-t-il jamais sévi contre ces sociétés indélicates, en les blacklistant, à défaut de pouvoir les contraindre à réparer les dégâts ? Il y a en tout cas urgence à régler le problème. Nous avons si peu de ressources qu’il serait criminel de laisser des irresponsables saboter le petit nombre d’infrastructures que nos moyens nous permettent d’acquérir. Un chantier parmi tant d’autres pour le nouveau gouvernement… mais certainement pas le moins prioritaire.
Ahmed ould Cheikh
samedi 5 octobre 2024
Editorial: Le revers de la médaille
Depuis quelques semaines, une affaire secoue la Toile dans tous les sens. Dans un message sur Facebook, un bloggeur devenu célèbre en battant des records d’audience disserte pendant près d’une heure sur l’origine douteuse de la colossale fortune d’une famille, sans la citer nommément. Il n’en faut pas plus pour que tout le monde – ou presque – y mette du sien. Le torchon brûle entre ceux qui soutiennent celui qui se veut un lanceur d’alerte et ceux qui défendent mordicus cette famille et exigent que justice soit faite. Cette dernière ne va d’ailleurs pas à tarder à s’en mêler en convoquant ce « justicier » des temps modernes. Convoqué trois jours de suite par la gendarmerie, après la plainte déposée par la famille, il doit répondre, en vertu de la loi sur la cybercriminalité, de plusieurs chefs d’accusation dont la diffamation et le chantage.
Au-delà de cette affaire, un problème de taille se pose depuis l’avènement d’Internet : celui de la liberté qu’a tout un chacun d’insulter, diffamer, traîner dans la boue ou salir la réputation de qui il veut. Pourvu qu’il ait un smartphone (même le plus bas de gamme) et une connexion Internet. C’est bel et bien avec raison, hélas, qu’Umberto Eco fit remarquer que « les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d'imbéciles qui ne déblatéraient auparavant qu'au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd'hui, ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel. » Imaginez le tort que peuvent causer ces hordes de crétins à n’importe qui, en l’accusant de tous les maux sans avancer la moindre preuve. Internet a beaucoup d’avantages mais aussi des inconvénients. Le revers de la médaille en quelque sorte.
Ahmed ould Cheikh
vendredi 27 septembre 2024
Editorial: L'agonie d'un secteur
La pêche industrielle serait-elle en train de s’effondrer et avec elles les entreprises nationales, avec des conséquences désastreuses sur l'emploi, les banques, les recettes fiscales et les devises ? Un petit tour d’horizon rapide permet de se rendre compte qu’elle n’est plus loin du gouffre. Jugez par vous-mêmes.
Au début de cette année, quarante chalutiers étaient contraints à l'arrêt en rade de Nouadhibou, faute de rentabilité liée, entre autres, au prix élevé du gasoil. Puis, après diverses négociations qui ont permis d’atténuer ce problème, les bateaux ont repris la mer le 10 Juillet et les recettes se sont légèrement améliorées. Le Port autonome de Nouadhibou (PAN) fait ressortir des arriérés de facturation fantaisistes, sur la base de statistiques de la Garde-côte. Au lieu de confronter les accusateurs et les accusés, le DG du port se contente de bloquer les navires, refusant de collaborer avec la mission envoyée par le nouveau ministre. La mairie a procédé à la fermeture de plusieurs usines avec l'appui du trésorier régional et de la force publique, sous prétexte de recouvrement de la taxe foncière, alors que certaines de ces usines sont agréées au régime des points qui les exonère explicitement de cette taxe, tandis que d’autres ne sont liées que par un contrat de bail avec la Zone franche propriétaire des lieux. La Garde-côte a dérouté des navires nationaux pour un problème de quota, alors que ceux-là sont loin d’avoir atteint le leur. Le quota 2024 du segment « Pêche industrielle des céphalopodes » n’est en effet actuellement consommé qu’à hauteur de 39% et pourrait atteindre 50% à la fin de la campagne : on est donc loin de toute surexploitation. Même les Impôts s’en mêlent en réclamant des arriérés de 2016 qui avaient déjà l’objet d’arrangements à l'époque.
On sent comme un acharnement tous azimuts à couler notre flotte nationale. Dans l’intérêt de qui ? Au moment où les bateaux chinois, turcs et européens se pavanent dans nos côtes et pillent allègrement nos ressources, le ministère des pêches assiste, impassible, à la lente agonie de ce secteur vital.
Ahmed ould Cheikh
vendredi 13 septembre 2024
Editorial: Toujours bon chic bon genre, la DPG !
Ça y est ! Ould Djay, le nouveau PM, a sacrifié au rituel : la lecture d’une déclaration de politique générale de près d’une quarantaine de pages devant les députés. Une même litanie qui se répète depuis 1992 et la nomination de Sidi Mohamed Ould Boubacar, le premier Premier ministre de l’ère qui se prétendait – et se prétend toujours – démocratique. Un discours-fleuve qui s’apparente à une longue liste de promesses et donne généralement lieu à de violentes joutes verbales entre les députés de la majorité qui l’applaudissent à tout rompre et ceux de l’opposition qui le descendent en flamme. Et la tradition a été de nouveau respectée. Ould Djay a fait l’objet d’un feu nourri de la part de certains députés mais a laissé, impassible, passer l’orage, comptant sur une majorité automatique prête à avaler toutes les couleuvres. La DPG estdonc passée comme une lettre à la poste avec 140 pour et 25 contre. Le contraire aurait d’ailleurs étonné. A-t-on déjà vu une seule fois les députés de la majorité émettre la moindre critique, amender un projet de loi ou le rejeter ? La seule fois où ils osèrent élever la voix finit en pantalonnade. C’était lors de « La » décennie. Ils avaient à l’époque décidé de ne pas voter la loi de Finance s’ils n’obtenaient pas une augmentation de salaires. Furieux, Ould Abdel Aziz les avait alors menacésde dissolution et ils avaient tous accouru le soir même, voté la loi et étaient rentrés at home la queue entre les jambes. La bienséance, donc… Qu’attendre de plus de députés choisis on ne sait selon quels critères, d ont la compétence est loin d’être la qualité première, parfois élus « miraculeusement » et à qui l’on ne demande que de dire oui ?
Ahmed ould Cheikh
samedi 7 septembre 2024
Editorial: Mariez-vous!
« Jeunes de tout le pays, mariez-vous ! » Dans un élan de compassion avec les plus démunis dont il gardait jalousement le secret, notre patronat propose qu’aucune dot de mariage ne dépasse plus 5000 MRU. Dans le but, selon lui, de mettre cette union sacrée à la portée de tous et d’éviter en conséquence les manifestations ostentatoires de gaspillage. Une charte a même été édictée en ce sens. Pour joindre l’acte à la parole, le président de ce qui s’apparente à un club de nouveaux riches – pour ne pas dire « anciens pauvres », comme les surnomme l’humoriste franco-marocain Ghad El Maleh – a décidé de parrainer le mariage de cinquante couples et d’offrir à chacun un million MRO pour commencer leur nouvelle vie. Sans préciser sur quels critères seront-ils choisis, ni l’origine des fonds ni sous quel ‘’haut patronage’’ la célébration commune sera-t-elle organisée. Faut-il l’applaudir l’initiative, en rire ou en pleurer ? Le problème de notre jeunesse se résume donc, selon notre patronat éclairé, aux difficultés de se marier. Certes, à chacun ses soucis. Tout comme les problèmes du peuple se limitent, selon notre gouvernement, au ciment et au poulet.
Enfin, bref… Si l’on écarte l’effet d’annonce, que restera-t-il de ces mesures ? De la poudre aux yeux, très certainement. Le patronat devrait commencer par une « charte de vertu », en vertu de laquelle il ne trichera plus lorsqu’un de ses membres gagne un marché public ; fixer une marge bénéficiaire raisonnable pour les produits de première nécessité ; ne plus importer des médicaments et autres produits périmés ; payer les impôts en déclarant les vrais bilans de leurs entreprises, donner plus de chances aux jeunes lors des recrutements, etc. : la liste des manquements pénibles est extensible à l’infini. Charte du « patron-modèle » ? De quoi s’ériger alors en donneurs de leçons, ainsi qu’en avait donné l’exemple sa mouture du début des années 2000 alors sous la présidence de Mohamed Bouamatou, qui avait décidé de recruter quatre mille diplômés-chômeurs. Un succès notoire. Est-il ici nécessaire de souligner que c’est plutôt de ce genre d’initiatives dont on a besoin ?
Ahmed ould Cheikh
jeudi 29 août 2024
Editorial: Tactique éculée, tic-tac en cours…
Dans un pays normal ou, du moins, de tradition démocratique, la formation d’un nouveau gouvernement devrait bannir les considérations subjectives ; comme celle relative aux dosages, de quelque nature qu’ils soient ; et privilégier la compétence et l’expérience, au détriment de tout le reste. D’où la célèbre maxime qui doit guider tous les choix : l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Qui, malheureusement, n’a été que rarement respectée sous nos cieux. Particulièrement lors de la formation du gouvernement Ould Djay 1.
Sinon, comment expliquer le départ de ministres qui n’ont jamais, de l’avis de tous, démérité, tentant même de secouer le mammouth ? Que peut-on reprocher à Ismaël ould Abdevetah, sinon de s’être attaqué à la mafia qui gangrène le ministère de l’Hydraulique et aux sociétés appartenant à des puissants à qui l’on attribue des marchés et qui font très mal leur travail ? À Mokhtar ould Dahi, à qui l’on a demandé d’accompagner la mise en place de l’école républicaine et s’en sortait plutôt bien ? À Abdessalam ould Mohamed Saleh, un technocrate internationalement reconnu qui s’est mis au service de son pays et dont l’intégrité et les compétences sont unanimement reconnues ? À Lallya Camara, à qui l’on avait confié l’Environnement – un ministère à problèmes, s’il en est – et qui s’est démenée comme elle a pu pour ce secteur dont la préservation est le dernier souci de ses compatriotes ? A Cheikh Ahmedou Ould Sidi, le commissaire aux Droits de l’Homme, qui a travaillé jour et nuit pour faire avancer ou aboutir tous les dossiers relatifs à cette question éminemment sensible ?
Tous ont la particularité d’avoir fait les frais de dosages politiques, tribaux et régionaux, ainsi qu’il en est depuis la nuit des temps. On pensait pourtant qu’engagé dans son ultime mandat, le président pouvait donc faire fi des considérations électoralistes et qu’il allait, cette fois, choisir les meilleurs d’entre nous. Vain espoir… avant combien d’autres désillusions ? Tactique éculée… Le compte-à-rebours est en tout cas enclenché : fin de règne dans 58 mois… Tic-tac… tic-tac.
Ahmed Ould Cheikh
vendredi 23 août 2024
Editorial: Construire ou manger...
Alors qu’on l’attendait sur des sujets autrement plus sensibles, avec des répercussions sur notre vie de tous les jours, notre gouvernement éclairé nous a sorti une de ses prouesses dignes des plus doués populistes : un arrangement avec les cimenteries qui engendrera une baisse de 10.000 MRO le prix du ciment à la tonne. Applaudissez messieurs-dames ! Notre économiste-statisticien de Premier ministre sait sans doute mieux que quiconque que quand le bâtiment va, tout va. Construisez donc avant que les prix ne reviennent à leur niveau d’antan ! Ce qui ne saurait tarder puisque les usiniers ne vont pas continuer à perdre de l’argent pour les beaux yeux d’un État qui refuse de revoir à la baisse les 40% qu’il prélève sur chaque tonne vendue… À moins que cela ne soit une clause secrète d’un accord obtenu à la va-vite et qu’il fallait jeter rapidement en pâture à une opinion désabusée. Le prix de ladite matière avait en effet atteint de tels sommets qu’on aurait pu initier une campagne pour le faire baisser et dont le slogan aurait été : « construire ou manger, il faut choisir ». Mais n’aurait-il pas mieux été pour ce gouvernement, s’il se souciait tant de notre bien-être, de s’attaquer d’abord au panier de la pauvre ménagère qui ne sait plus comment faire face à la voracité des commerçants ? Le premier dossier que le nouveau gouvernement du Sénégal a ouvert est celui des prix des denrées de première nécessité. En décidant de diminuer les taxes douanières sur ces produits, leur prix a automatiquement baissé sur le marché. Qu’attend-on pour faire la même chose ? Construire ou manger, c’est tout choisi pour l’immense majorité de notre peuple et, franchement, le ciment, ce n’est vraiment pas digeste…
Ahmed Ould Cheikh
samedi 17 août 2024
Editorial: De l'eau dans le gaz?
Qu’il fut difficile, l’accouchement du nouveau gouvernement ! Après la désignation, à la surprise générale, du très controversé Mokhtar ould Djay, personnage clivant s’il en est, à la Primature, les observateurs s’attendaient à ce que la formation de la nouvelle équipe ne soit pas une partie de plaisir. Et il en fut ainsi. Il a en effet fallu plus de soixante-douze heures de tractations pour que les noms des ministres soient rendus publics. À trois heures du matin, svp ! Comme s’il y avait urgence à les publier avant que la liste ne soit de nouveau modifiée, comme elle le fut à plusieurs reprises au cours des derniers jours. Ould Djay voulant marquer son territoire. Il a fallu lui montrer, ministres entrants et sortants à l’appui, qu’il ne serait pas le seul maître à bord et que les pouvoirs de celui qui n’est que le primus inter pares ne sont pas aussi étendus qu’il le croit. S’il a pu placer des hommes à lui – ou qui lui sont fidèles, du moins en apparence… – il n’a eu aucune emprise sur des secteurs de la plus haute importance. L’Intérieur, les Affaires étrangères, la Défense et la Justice restent l’apanage du président de la République. Résultat des courses, une équipe qui manque totalement d’homogénéité et qui ne manquera pas de se tirer dans les pattes à la moindre occasion ; parfois même avant qu’elle ne se présente. Ould Djay réussira-t-il à aplanir ces divergences et à faire parler les ministres d’une même voix ? Tel monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, le nouveau PM serait-il un adepte de Machiavel pour qui la fin justifie les moyens ? On n’oubliera pas ici que, fin de règne oblige, les perspectives de 2029 ne sont pas celles de 2024 : si gouverner, c’est prévoir, ceci explique très probablement cela…
Ahmed ould Cheikh
samedi 10 août 2024
Editorial: Funambulesque rebond
Pour une surprise, c’en est une ! Alors que les supputations allaient bon train sur le choix du Premier ministre qui doit inaugurer le nouveau mandat placé sous le sceau de la jeunesse (si l’on en croit le slogan de la campagne), Ould Ghazouani a pris tout le monde de court. Différents noms ont commencé à circuler dès la fin de la cérémonie d’investiture. Chacun y allait de son pronostic. Mais personne n’imaginait que celui qui a été bombardé il y a un an environ ministre-directeur de cabinet (un poste taillé sur mesures) après avoir traversé le désert pendant près de quatre ans, et qui avait servi corps et âme le pouvoir d’Ould Abdel Aziz, allait rebondir d’une façon aussi spectaculaire. Ould Djay, puisque c’est de lui qu’il s’agit, symbolise en effet, pour une grande partie de l’opinion publique, le directeur des impôts qu’Aziz utilisait pour régler ses comptes aux opposants et qui s’acquittait de sa mission avec un zèle inégalé. Il s’en délectait même, disent ses nombreux détracteurs. Promu ministre des Finances puis de l’Économie, pour services rendus à son mentor, il était resté aux affaires jusqu’à la chute de celui qu’il disait « plus important que l’électricité, l’eau, l’éducation et la santé ». Enfant gâté du régime, il était dans tous les bons et mauvais coups. Omniprésent, il était la voix et les oreilles de son maître. Cité dans le rapport de la commission parlementaire, interrogé par la police économique et la justice, il s’en sort par un de ces miracles dont seule la Mauritanie a le secret. L’homme a plus d’un tour dans son sac. Il aurait, dit-on, retourné à son profit des membres de la Commission… À la surprise générale bombardé, par Ghazouani à la tête de la SNIM, il y est resté un an avant d’hiberner pendant de longues années. Et de rebondir il y a un an. Un funambulesque rétablissement au sommet dont on n’a pas fini de parler…
Ahmed ould Cheikh
mardi 16 juillet 2024
Editorial: Inventer le possible
La réélection de Mohamed ould Ghazouani à la tête apparente du pouvoir pose diverses questions. La première est assez ambigüe : de quel système notre Président est-il le produit ? De celui des classes traditionnelles, très certainement, et ce n’est pas pour rien qu’on lui a attribué le surnom de « Président-marabout »… Mais avec quelles accointances avec la domination des militaires aux commandes du pays depuis 1978 ? Et, surtout, avec ce qu’implique d’injustices sociales et environnementales l’organisation moderne de la Marchandise et de son spectacle ? Cette réélection a révélé une fracture – pour ne pas dire béance… – entre une Mauritanie des privilèges qui s’y est investie à fond pour assurer la pérennité de ses intérêts et une Mauritanie de base, celle des déshérités, des pauvres, des jeunes sans perspectives et en perte de repères…
Il y a comme une antinomie entre notre ancestrale gestion de la pénurie et l’outrance contemporaine de la consommation. C’est un risque grandissant de conflits sociaux. À cet égard et qu’on le veuille ou non, Ghazouani est perçu aujourd’hui comme le garant des intérêts des puissants, des nantis et des moufsidines. À l’ombre de ses 56%, il y a beaucoup de désillusion et de désenchantement, de désespoir et de ressentiment. Élu grâce à l’influence des notables et au poids de l’argent, peut-il s'émanciper des faucons de son régime ? A-t-il les moyens – une vraie volonté même ? – de reconquérir la confiance du peuple ? Les beaux discours ne suffisent pas et suffiront de moins en moins. À défaut d’actes décisifs, de capacité réelle à détricoter le système bancal qui nous domine, ce nouveau quinquennat devrait à tout le moins poser les conditions de bien plus qu’une alternance : une réelle alternative. En tendant notamment la main à l'opposition radicale… Il en va de l'intérêt et de la stabilité du pays.
Ahmed ould Cheikh
samedi 13 juillet 2024
Editorial: Adieu MFO!
Après Habib ould Mahfoudh malheureusement trop tôt disparu, voilà un autre membre fondateur du Calame et une icône de la presse indépendante qui nous quitte sans crier gare : Mohamed Fall ould Oumère (MFO pour les amis et les lecteurs) a été arraché jeudi dernier à l’affection des siens. Tous le pleurent, sa famille, ses filles qu’il aimait tant, ses parents, ses amis, ses confrères… En un mot, la Mauritanie qui perd là l’un de ses journalistes les plus engagés, les plus professionnels, les plus courageux, un de ceux qui ont porté la presse privée sur les fonts baptismaux et lui ont donné ses lettres de noblesse. À « Mauritanie Demain », à « Al Bayane », au « Calame » et à « La Tribune », MFO n’a cessé de se battre pour l’émergence d’une presse indépendante digne de ce qualificatif.
Lorsqu’un jour de Juin 1993, feu Habib, feu Abdallahi ould Eboumedienne, Hindou mint Ainina, MFO et moi-même décidâmes de quitter « Al Bayane » pour lancer « Le Calame », il était parmi les plus chauds de l’équipe. Il voulait, disait-il, qu’on vole de nos propres ailes et qu’on ait un journal dont la ligne éditoriale ne serait dictée que par nous. Choisi pour être notre rédacteur en chef, il travailla jour et nuit pour réussir ce challenge. Et, après plusieurs nuits blanches et sans autres moyens que notre volonté, le numéro 00 du Calame fut dans les kiosques. Avec le succès que l’on sait.
Grand connaisseur de la société mauritanienne, homme de culture, il était l’ami de tous, grands et petits. Intransigeant sur les principes, il était le défenseur acharné des bonnes causes. Les dossiers du passif humanitaire et de l’esclavage, qui nous avaient valu tant de déboires avec le régime d’Ould Taya et plusieurs interdictions (sans compter les censures), étaient sacrés pour lui. Après « Le Calame », il continua le combat dans « La Tribune » et connut la prison, sans jamais se renier. Puisse Allah Le Tout Puissant l’accueillir en Son saint paradis. Nos condoléances les plus attristées à Fatma, Leïla, Toshi et aux filles.
Ahmed ould Cheikh
samedi 6 juillet 2024
Editorial: Nouveau chapitre… dans cinq ans ?
Une page se tourne. L’élection présidentielle, cette échéance majeure qui conditionnera nos vies au cours des cinq prochaines années, est passée. Heureusement sans encombre. Témoin s’il en est de la vitalité de notre démocratie où un jour de vote se passe désormais comme un jour presqu’ordinaire. Malgré les reproches qu’on a lancés à la Commission électorale accusée par certains candidats de rouler pour le pouvoir en place, elle s’en est plutôt bien sortie. Avec l’expérience accumulée au fil des ans, la machine est désormais bien huilée. Les représentants des candidats étaient partout présents, le dépouillement s’est passé en leur présence et les procès-verbaux leur ont été remis. On peut donc dire que, sans être parfaite, l’opération effectuée en aval est somme toute acceptable. Mais n’y a-t-il pas eu un hic en amont ? Les chances des candidats étaient-elles les mêmes ? Qui bénéficie du soutien de l’oligarchie militaro-affairiste ? Pour qui mobilisent les chefs de tribus, les notables et les fonctionnaires ? Pour qui les grands électeurs ouvrent-ils des bureaux de vote, parfois dans des zones reculées et inhabitées, pour y enregistrer des milliers de citoyens, s’occupant de leur transport et de leur hébergement pour les faire voter en faveur de leur favori ? Le candidat-président, bien évidemment, qui n’a pas réussi, même s’il a obtenu une confortable avance sur ses poursuivants, à concrétiser dans les urnes la mobilisation dont il a bénéficié lors de la campagne électorale. La faute à qui ? À un directoire de campagne défaillant qui n’a pas réussi à « vendre » son candidat. Telle paraît la première leçon à tirer de ce scrutin sans autre enjeu, semble-t-il, que l’ordre de bataille de l’opposition en vue de la prochaine élection présidentielle… dans cinq ans.
Ahmed ould Cheikh
dimanche 30 juin 2024
Editorial: Tout cuit?
Voilà plus d’une semaine que la campagne électorale pour la présidentielle du 29 juin est lancée. Et le moins qu’on puisse dire est que les candidats n’ont pas fait dans la dentelle : déplacements à l’intérieur du pays, meetings, réunions, initiatives de soutien, soirées musicales, tentes, banderoles, rien n’est épargné pour convaincre les électeurs indécis. C’est la course à qui mobilise le plus, organise initiative de soutien, s’affiche le plus possible lors des rassemblements en faveur de son candidat, fait preuve de plus de flagornerie… Rien que du déjà-vu et entendu.
Le candidat-président draine certes plus de monde lors de ses meetings dans les capitales régionales et c’est somme toute normal dans un pays où les chefs traditionnels, les notables et les fonctionnaires se rangent systématiquement derrière le candidat du pouvoir. Mais ses challengers n’en mobilisent pas moins un électorat non négligeable. Malgré le peu de moyens dont ils disposent, comme en atteste, rien qu’à Nouakchott, le peu de sièges de campagne ouverts en leur nom, ils sont en train de sillonner le pays et battre le rappel de leurs troupes. Cela se répercutera-t-il sur le vote ? S’achemine-t-on vers une élection pliée d’avance comme en 2009, 2014 et 2019 ? Ou va-ton obliger le Président sortant à un deuxième tour dont l’issue paraît pour le moins incertaine ? Si, comme on dit, on n’organise pas une élection pour la perdre, les autres candidats peuvent aller se rhabiller… Mais sait-on jamais ? C’est tout de même seulement au soir du 29 que notre cru 2024 pourra être jugé tout cuit… ou non.
Ahmed ould Cheikh
vendredi 21 juin 2024
Editorial: Entendre, enfin, la parole de ceux qui souffrent…
1969, Londres. Une citoyenne britannique, descendue au marché pour y faire quelques emplettes, découvrit avec stupeur que le prix du poisson avait brutalement augmenté de 30% et que son budget ne lui permettait pas d’en acquérir. Prise d’une subite colère, elle se dirigea vers la Chambre des lords située à quelques dizaines de mètres de là. Ayant réussi à y pénétrer je ne sais comment, elle demanda à voir le député qui avait bénéficié de son suffrage. « Les lords sont en réunion », tentèrent en vain de lui expliquer les gardes, « veuillez patienter ». Mais la dame insista et éleva à ce point la voix que le président de la Chambre se leva pour lui demander avec respect et calme ce qu’elle voulait. « J’ai une plainte urgente à faire parvenir à mon lord », dit-elle, « ainsi qu’à tous ses pairs ! » Alors et sans même l’interroger sur l’objet exact de sa plainte, l’auguste président l’accompagna jusqu’au micro : « Veuillez, madame, exprimer sans crainte tout ce que vous voulez ! Le conseil est à votre écoute… »
« Nous sommes fils et filles de la Grande-Bretagne », commença-t-elle, « nous sommes entourés de mers, nous possédons des flottes qui sillonnent les océans et me voilà dans l’incapacité d’acheter du poisson en raison de son coût ! C’est pourtant pour nous protéger contre les marchands cupides et sans scrupules que nous vous avons élus. » Et se tournant vers son député, « je ne vous ai pas choisi, monsieur », ajouta-t-elle, « pour soutenir ces imbéciles et avides commerçants ! » puis, jetant son micro, elle sortit, ulcérée. La première réaction fut celle du lord indexé qui présenta sa démission audit président avant même que la dame ne fut sortie des locaux de la Chambre. Une loi fut ensuite promulguée sanctionnant toute personne qui vendrait du poisson à un prix inaccessible au pouvoir d’achat de la plus faible tranche de la population britannique. Depuis cet incident et aujourd’hui encore, le « poisson-pomme de terre » (fish and chips) vendu dans tous les restaurants, petites boutiques, moindres coins des villes et villages, reste le repas le moins cher de tout le Royaume Uni. « Le repas du pauvre » assuré ad vitam aeternam…
C’est à cette si simple parole d’une citoyenne lambda que réagirent des députés réputés civilisés, à juste titre en cette occurrence. Sans présumer qu’une telle opportunité soit encore possible aujourd’hui – Sainte Sécurité oblige… – nos propres parlementaires en auraient-il besoin pour remplir eux-mêmes leurs plus élémentaires devoirs envers leurs concitoyens ? C’est en tout cas le nôtre de les leur rappeler…
Ahmed ould Cheikh
vendredi 7 juin 2024
Editorial: Treizième travail d'Hercule
Quand les media publics joueront-ils le jeu de la démocratie et du pluralisme ? Quand entendront-ils qu’ils ne sont pas au service d’un seul pouvoir ou candidat mais de tous et, au-delà, de toute la classe politique, majorité comme opposition ; plus généralement encore, de toute opinion ? Comment leur faire comprendre qu’ils fonctionnent avec l’argent du contribuable – c’est-à-dire de nous tous – et doivent en conséquence véhiculer la voix de tout un chacun ? Au vu de leur contenu, il y a en tout cas loin de la coupe aux lèvres. À quelques semaines de la présidentielle, il suffit de jeter un coup d’œil sur le moindre journal télévisé pour se rendre compte que le compte n’est pas bon. Par ailleurs président sortant, un seul candidat y bénéficie, en plus de l’exposé de ses activités officielles et des inaugurations en son nom, de la représentation d’un flot incessant d’initiatives de soutien à sa candidature. Alors que les autres candidats n’ont droit qu’à de très brèves brèves. C’est pourquoi ceux-ci viennent de saisir la Haute autorité de la presse et de l’audiovisuel pour protester vigoureusement : les institutions audiovisuelles publiques, se plaignent-ils, « sont devenues des plateformes de propagande électorale pour un candidat spécifique dans la course à la présidentielle ». Et d’exhorter ladite HAPA à « exercer ses pouvoirs et son rôle de supervision de manière exhaustive, pour garantir l’impartialité des media publics et préserver les droits de tous les candidats ». Une litanie que n’ont cessé de répéter leurs prédécesseurs depuis la nuit des temps. Sans résultat jusqu’à présent. Les media publics ne sont, depuis la période d’exception et jusqu’à nos jours, qu’au service du pouvoir en place, quel qu’il soit. Dans ces conditions, faire infléchir leur position et leur faire comprendre leur vrai devoir s’apparente à un nouveau travail d’Hercule, c’est-à-dire « énorme et pratiquement impossible », selon le dictionnaire.
Ahmed ould Cheikh
mardi 28 mai 2024
Editorial: L'arrosé arroseur
C’est au départ en candidat à l’élection présidentielle qu’Ould Abdel Aziz vient d’adresser une lettre ouverte au président de la République. Une démarche à tout le moins étrange, a priori : l’interlocuteur naturel d’un prétendant à ce titre n’est-il pas le peuple souverain, uniquement le peuple souverain ? Mais, bon, voyons un peu plus loin… Après s’être inquiété du « précipice » vers lequel conduit l’actuelle « gestion désastreuse et primitive de l’État », MOAA commence par y faire le bilan élogieux de sa décennie puis déplore le manque de suivi de ses « réalisations » par son successeur et l’absence de la moindre « avancée en quelque domaine que ce soit ». Il termine en fustigeant les « démons » du pays qui « alliés à certains hommes d’affaires et rapaces, s’accaparent désormais toutes les ressources du pays »… Ce qui n’était évidemment pas le cas, comprenons bien la rhétorique azizienne, au cours de sa glorieuse décennie…
Ces mêmes démons, faut-il encore entendre de ce propos, qui s’emploient aujourd’hui à ne sélectionner que des adversaires sur mesure au président sortant, tout en empêchant ceux « porteurs de projets palpables et qui caracolent en tête de tous les sondages » de se présenter. Du coup, la lettre ouverte devient la condamnation en filigrane du Conseil constitutionnel qui a publié, lundi dernier, la liste définitive des sept candidats… dont Ould Abdel Aziz est exclu. Bref, la plainte, encore et toujours, du complot ourdi contre son auguste personne. Mais les qualificatifs dont il abuse pour désigner la clique en question : « vils desseins, dédain et arrogance, ressentiment haineux, bande sans loi ni foi, autocratie et tyrannie… » ; ne sont-ils pas exactement les mêmes qu’on lui reprochait quand il était au pouvoir ? L’arrosé arroseur, en somme…
Ahmed ould Cheikh
samedi 25 mai 2024
Editorial: Rendez-vous en 2029
Le président de la République a annoncé la composition de son directoire de campagne quelques jours après avoir déposé, himself, son dossier de candidature au Conseil Constitutionnel. Enfin, serait-on tenté de dire tant l’annonce était attendue à un peu plus d’un mois d’une élection qu’on espère plus ouverte que certains veulent le faire croire. Une hypothèse vraiment plausible ?
Un directoire de campagne, ça aiguise bien des appétits, surtout en Mauritanie où il est d’abord un signe de confiance du patron et une occasion en or de coopter des parents et amis, louer des locaux et des voitures très souvent fictives, financer des initiatives bidon et des campagnes de sensibilisation et de communication tout aussi farfelues, ; bref, s’en mettre plein les poches pour peu que les scrupules ne vous étouffent pas. C’était donc la course à celui qui sera l’heureux élu et le moins qu’on puisse dire est que les prétendants n’ont pas manqué. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de gérer quelques milliards. Il est en effet établi que le candidat au (du) pouvoir génère des milliards que les banquiers et les hommes d’affaires déboursent sans rechigner pour les frais d’une campagne électorale, même si l’issue du scrutin ne fait aucun doute. On n’organise pas une élection pour la perdre, dit-on. Un adage qui ne s’est jamais démenti depuis 1992 et la première élection présidentielle. Car, comme disait Staline, l’essentiel dans une élection, ce ne sont pas ceux qui votent mais ceux qui comptent. Avis aux six candidats qui feront face au président sortant : Ne vous méprenez pas, amusez-vous bien et… rendez-vous en 2029 !
Ahmed ould Cheikh
mercredi 15 mai 2024
Editorial: Pertes de temps et d'argent
Le président de la République était à Nouadhibou il y a quelques jours. Il s’est rendu à Kiffa samedi dernier. Quoi de plus normal à moins de deux mois d’une élection présidentielle où il est candidat à sa propre succession ? Il est donc allé présider un conseil des ministres dans la capitale économique et y tenir une réunion des cadres, inaugurer des adductions d’eau et d’autres projets beaucoup moins importants mais toujours utiles… lorsqu’il s’agit de rameuter les troupes. Et pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître. Tout ce que la république compte d’hommes d’affaires, de fonctionnaires en rupture de ban, de politiciens du dimanche, de flagorneurs, de troubadours et de m’as-tu-vu ont pris (la mauvaise) habitude de devancer le Président là où il va, même pour quelques heures. Des grosses cylindrées rutilantes, frauduleusement acquises pour la plupart, grâce à l’argent public ou à d’autres sources moins avouables, forment ainsi de longs cortèges dont les pauvres populations locales n’en tirent que de grandes bouffées de poussière. Et, au lendemain de la visite, il n’en reste plus rien, comme dans un mauvais rêve. Il en est ainsi depuis la nuit des temps. Juste après sa prise de fonctions, le nouveau président sénégalais a décidé de mettre fin aux cérémonies organisées jusqu’alors à l’aéroport, à chacun de ses départs ou arrivées. Une perte de temps et d’argent, dit-il à juste titre. Ghazwani, dont on attend des mesures fermes une fois réélu le 29 Juin prochain, devrait commencer par ordonner que cessent de telles pratiques… entre beaucoup d’autres.
Ahmed ould Cheikh
vendredi 10 mai 2024
Editorial: La clé du changement
Les Mauritaniens se rendront aux urnes le 29 Juin prochain pour (ré)élire leur président de la République. Une élection sans enjeu, serait-on tenté de dire, tant le Président sortant part largement favori. Bénéficiant du soutien de l’Armée, des notabilités, de l’Administration et d’un parti omniprésent, il voit déjà les initiatives de soutien à sa candidature pousser comme des champignons. Une pratique à laquelle nous sommes habitués chaque fois que le président sortant annonce sa candidature, la flagornerie restant la « qualité » la mieux partagée dans cette contrée. Et n’est apparemment pas près de s’éteindre. Mais un mince espoir est en train de s’infiltrer dans les esprits. Le changement intervenu au Sénégal il y a quelques semaines, lorsqu’un candidat sorti de prison battit sans coup férir celui du système pourtant en place depuis douze ans, va-t-il donner des idées à notre jeunesse ? Les candidatures de Biram, maître El Id, Noureddine et Ahmed ould Haroun – s’ils réussissent à passer l’obstacle desparrainages – pourraient-elles peser face au candidat du système ? L’obliger à un second tour ? C’est d’autant moins sûr que le nerf de la guerre risque de leur faire défaut, alors qu’ils sont pratiquement inaudibles à l’intérieur du pays où les notables et les chefs de tribu font encore la loi. On est loin du Sénégal où c’est la troisième fois qu’un candidat antisystème remporte haut la main l’élection présidentielle. Quand prendrons-nous ce chemin ? Lorsque notre jeunesse saura qu’il vaut mieux combattre que battre en retraite et prendre le chemin de l’exil. Le statu quo a encore de beaux jours devant lui et ce n’est pas demain la veille qu’on se réveillera pour dire basta ! « Allah ne change pas la condition d'un peuple », a dit le Seigneur Tout-Puissant, « tant que ses membres n’ont pas changé ce qu’ils portent en eux-mêmes » (Sourate 13, verset 11).
Ahmed ould Cheikh
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Rectificatif
Une coquille s'est glissée dans l'éditorial de la semaine dernière au sujet du seuil de l'acquittement de la zakat. Au lieu de 255.000 ouguiya MRU il faut lire 25.000 ouguiya MRU.
Editorial: Au service réel du peuple
Ces temps-ci, on reparle beaucoup de la Zakat el Mal, ce troisième pilier de l’islam et obligation religieuse pour tout(e) musulman(e) disposant d’un revenu annuel supérieur à 255 000 MRU (1). Sous la plume de notre collaborateur le professeur Moussa Hormat-Allah (2), Le Calame s’était fait le chantre de l’institution en notre république islamique d’une Administration nationale de la zakat (ANZ). Avec succès, puisque le président de la République fit approuver par le Conseil des ministres le 22 décembre 2022 le projet d’un décret fondant le « Beyt Mal Zakat de Mauritanie » (3).
Mais si le travail de Moussa a éveillé bien des consciences en hauts lieux, il a également inquiété les vautours planant à proximité de ceux-ci. Il semble en effet évident qu’un certain nombre d’entre eux se soient ligués pour édulcorer, sinon tuer dans l’œuf, le caractère éminemment révolutionnaire de cette ANZ visant surtout à « éradiquer la pauvreté et la précarité dans notre pays ». Notre collaborateur était depuis longtemps conscient de cette menace, lui qui insistait sur la nécessité de donner une autonomie réelle à cette nouvelle institution en la dotant d’une « légitimité constitutionnelle » qui l’autoriserait à « gérer elle-même ses ressources et sa comptabilité, sous le regard d’un cabinet international d’experts indépendants l’auditant chaque année et publiant ses résultats sur son propre site ».
On est aujourd’hui fort loin de ces précautions, comme en témoignent le contenu de l’arrêté conjoint n°0391 du 12 Avril 2023 et le suivi qu’en a rapporté notre ami (4). Va-t-on encore voir un projet vraiment novateur et structurel pour l’avenir de notre nation capoter sous les coups tordus des rapaces de la république ? La question est d’autant plus vive que, bien gérée, la zakat apporterait à des centaines de milliers de personnes éligibles un revenu mensuel constant de l'ordre de 40 ou 50.000 MRO par chef(fe) de famille. Une manne d’autant plus facilement distribuable, au demeurant, que se développeraient les fameuses Solidarités de Proximité (SP) que préconise Ian Mansour de Grange, un autre de nos collaborateurs (5). Oui, nous travaillons au Calame et certes pas d’abord pour nos intérêts personnels…
Ahmed ould Cheikh
NOTES
(1) : L’équivalent de 85 grammes d’or. Le taux d’imposition est de 2,5% des revenus à partir de ce plancher.
(2) : Voir notamment lecalame.info/?q=node/7552 et http://lecalame.info/?q=node/7579
(3) : Voirhttps://ami.mr/fr/archives/213408 et http://lecalame.info/?q=node/14131
(4) : https://www.msgg.gov.mr/sites/default/files/2023-07/J.O.%201534F%20DU%2030.05.2023.pdf et www.lecalame.info/?q=node/15705
(5) : Voir notamment l'article "Citoyenneté et nationalité - III" publié cette semaine en cette édition N°1385 du Calame.
mercredi 24 avril 2024
Editorial: En attendant l’Arlésienne…
Les Mauritaniens iront donc aux urnes le 29 Juin pour réélire le président Ghazwani. « Pourquoi lui et pas un autre ? », serait-on tenté de se demander. Tout simplement parce que c’est une élection sans enjeu. Il n’existe, à ce jour, aucun candidat capable de lui porter contradiction. Comme à son habitude, l’opposition y va en ordre dispersé, avec plusieurs candidats qui n’obtiendront à coup sûr que la portion congrue. Celui qui a les meilleures chances d’engranger le maximum de voix est incontestablement Biram, arrivé second en 2019. Pourra-t-il rééditer cet exploit ? Son électorat s’est-il érodé avec le départ de certains compagnons et les coups de butoir du pouvoir ? La candidature d’El Id Mohameden M’bareck ne va-t-elle pas lui ravir une partie de son exploit, surtout que le Front qui le présente a réalisé un score plus qu’honorable lors des dernières législatives, malgré son jeune âge ? Et que dire de l’opposition historique (RFD et UFP) qui ne s’est toujours pas prononcée, même si elle ne pèse plus lourd en termes d’électorat ? Dernière nouveauté : Des jeunes aux dents longues – Ahmed ould Haroun et Noureddine Mouhamedou – ont annoncé leur candidature et comptent beaucoup sur la jeunesse. Au Sénégal, disent-ils, c’est elle qui s’est battue et a fini par gagner. Pourquoi pas chez nous ? Pour une raison toute simple : le conglomérat – généraux, hommes d’affaires, chefs de tribu, notabilités, administration – qui nous dirige n’a pas dit son dernier mot et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Quitte à renouveler tous les cinq ans un cirque dont les résultats sont connus d’avance. L’alternance attendra. L’Arlésienne si désirée n’est pas à l’ordre du jour. Le sera-t-elle d’ailleurs un jour ?
Ahmed ould Cheikh
jeudi 18 avril 2024
Editorial: Une réélection tranquille… et quoi, après ?
Comment ne pas faire, d’une réélection apparemment tranquille, les prémices d’une chute aussi brutale que désastreuse ? Se lever dès l’aube, descendre sur le terrain, déguisé et sans plus de cent MRU en poche, parcourir l’un ou l’autre des quartiers populaires, visiter telle ou telle école, service hospitalier d’urgences, entreprendre une quelconque démarche administrative, monter dans les taxis « tout droit », s’asseoir avec les ouvriers dans les ateliers, rencontrer de jeunes chômeurs errant dans les rues et écouter, partout, le bruit du peuple. Il souffre.
La moitié de la population de la capitale ne dispose que de bidons d’eau pour ses besoins quotidiens. Il n'existe pratiquement aucun service de l’État qui fonctionne de manière régulière et efficace, il est presque impossible pour un citoyen lambda d'achever la moindre démarche administrative en une seule journée, exposé qu’il est au chantage et à l’avidité des fonctionnaires. La frustration et le mécontentement général ont atteint un rare degré de congestion et ce n’est pas peu dire que le citoyen a perdu espoir.
Vu d’un palais entouré de dizaines de gardes, conseillers et chargés de mission, un tel tableau peut paraître d’autant plus irréel qu’il ne manquera jamais de citoyens sélectionnés à l’avance ni de dîners avec certaines élites courtisanes pour en nier l’existence, sinon l’édulcorer à outrance. À défaut de prendre son courage à deux mains et fort d’un pourcentage de voix adéquatement obtenu par ces acheteurs de conscience – mais quel marché de dupes ! – le réélu ira donc vers son très incertain destin… À moins qu’il n’entende, enfin, la vraie rumeur, celle de son peuple fatigué, et entreprenne, dans les réformes, le saut qualitatif qui les mènera à leur vrai bon port : la bonne santé du peuple. Ce jour-là, les citoyens sentiront qu'ils ont un président qui comprend leurs souffrances et se soucie de leurs aspirations. L’élu n'aura plus besoin de plaire aux notables et aux corrompus, par le biais de nominations et de marchés publics. Il aura enfin assumé son destin, porté par la confiance des gens ordinaires, ceux-là même qui forment la Nation.
Ahmed ould Cheikh
vendredi 5 avril 2024
Editorial: Slogan creux?
Avis aux lanceurs d’alertes et à tous ceux qui dénoncent malversations, gabegie et corruption : ne faites plus de vagues ! Votre place est désormais la prison et devant les prétoires, non en plaideurs de ce que vous avez avancé contre les fraudeurs mais en accusés d’avoir divulgué ce que tout le monde sait déjà. Il est en effet de notoriété publique que les marchés – d’adduction d’eau potable, barrages ou routes… – donnent, comme ils ont toujours donné, lieu à toutes sortes de malversations, avec la complicité manifeste de l’Administration et parfois même du bailleur de fonds. Ould Ghadda n’a cité qu’un exemple parmi d’autres ; la justice devait s’en saisir et ordonner une enquête qui ne pouvait aboutir qu’à deux hypothèses : soit ce que l’ONG avance est vrai et les contrevenants doivent être sévèrement sanctionnés ; soit c’est faux et des poursuites seront alors engagées contre elle ; avec, dans les deux cas, application de la loi dans toute sa rigueur.
Mais expédier l’ancien sénateur en prison avec une telle célérité ne grandit pas la justice. En agissant ainsi, ne prend-elle pas le risque d’écrouer un innocent avant qu’il ne soit jugé ? Des pratiques d’un autre âge dont elle n’arrive toujours pas à se départir. Qu’est-ce qui l’empêchait de commettre d’office une équipe d’experts et l’envoyer sur le terrain pour vérifier ce que l’ONG avance ? Ou n’a-t-elle fait qu’exécuter des ordres venus d’en haut pour réduire au silence un turbulent qui ne manquera de faire de nouvelles vagues ? Les coups tordus sont légion lorsqu’il s’agit de marchés publics et quand on commence à les éplucher de la sorte, cela risque de faire désordre. Pour peu, bien évidemment, que la lutte contre gabegie soit une réelle volonté politique et non pas un slogan creux…
Ahmed ould Cheikh
vendredi 29 mars 2024
Editorial: Le calice jusqu’à la…Galice
Pourtant munis de visas en bonne et due forme, ils sont de plus en plus nombreux, les mauritaniens qui se font refouler à l’aéroport de Las Palmas, victimes du zèle de certains policiers. Les pandores exigent parfois un billet retour, une importante somme d’argent en liquides pour financer le séjour – les cartes de crédit ne sont pas acceptées – une réservation d’hôtel pour leur éviter sans doute de passer la nuit à la belle étoile ou, tenez-vous bien, un titre de propriété pour ceux qui se disent propriétaires d’appartements (comme s’il était d’usage de trimballer ce genre de documents d’un aéroport à l’autre) ! La situation a atteint un tel degré que la consule générale de Mauritanie aux Canaries a été obligée de s’en mêler. Mariem Aouffa a en effet exprimé son malaise face au traitement que reçoivent les ressortissants de notre pays à l'aéroport de Gran Canaria, en raison, s’est-elle émue, « du zèle excessif des agents frontaliers au moment d'autoriser l'entrée sur l'île ». L’organisation Hispafrica qui travaille à améliorer les relations entre l’Afrique et l’Espagne a elle-même qualifié ces pratiques d’« absurdes ». Que craignent donc nos amis espagnols pour faire preuve de si peu de courtoisie à notre égard ? Oublient-ils que leur île n’est pas une terre d’immigration et que les mauritaniens qui y viennent chaque année par milliers n’ont d’autres objectifs que de passer des vacances, dépenser leur argent, acheter des logements et se faire soigner ? Ont-ils la mémoire si courte pour ne pas se rappeler que lors de la dernière crise économique qu’a connue l’Espagne, ce sont nos concitoyens qui ont sauvé l’économie de l’île ? Il faudrait que les responsables espagnols expliquent à ces policiers que les Mauritaniens sont, parmi la communauté étrangère, ceux qui possèdent le plus de résidences à Las Palmas. Et leur rappeler surtout que leur Premier ministre est venu tout récemment à Nouakchott implorer le soutien de la Mauritanie dans la lutte contre l’immigration clandestine. Sans cet appui, il paraît évident que leurs îles seront envahies par des milliers d’immigrés sans papiers qui se dispensent, eux, de visas… en ignorant tout simplement les aéroports. Vous auriez donc tout intérêt, messieurs les policiers, à entendre que tous les étrangers, fussent-ils africains, ne sont pas tous des migrants et à mettre un peu d’eau dans votre vin, si vous ne voulez pas boire le calice… jusqu’à la Galice !
Ahmed ould Cheikh
jeudi 14 mars 2024
Editorial: Tracer l'argent, enfin...
Tout a une fin, comme on dit. Et parfois au moment où l’on s’y attend le moins, tant la situation s’est normalisée. Mais la Banque Centrale ne l’entendait pas de cette oreille. Elle vient de donner un énorme coup de pied dans la fourmilière en décrétant que les transactions financières à travers les applications mobiles seront strictement réglementées et plafonnées. Évoluant jusqu’alors dans un contexte marqué par l’anarchie et brassant des milliards dont une partie était sans doute d’origine douteuse, ces applications n’avaient jamais été encadrées par une quelconque loi. La Mauritanie est le seul pays au monde où, par un simple clic, on peut échanger des centaines de millions. Il suffit juste d’avoir un smartphone et, bien évidemment, un compte bien garni. Par qui, par quoi et comment ? Personne ne s’était jamais posé la question. On a ainsi vu des fortunes pousser comme des champignons et des anciens pauvres ne plus savoir où mettre l’argent, tant il coulait à flots. Ni les services anti-blanchiment ni le fisc n’avaient essayé de tracer ces montants faramineux. Les restrictions drastiques imposées aux applications, commencent déjà à faire grincer des dents, et pour cause. Elles rapportent de l’argent, et pas qu’un peu, aux banques et à certains usagers… Régleront-elles le problème pour autant ? Rien n’est moins sûr. Plus qu’une décision de la BCM, ce qu’il faut, c’est un ensemble de lois réglementant les flux financiers, à l’instar de ce qui se fait un peu partout dans le Monde. L’argent, dit l’adage, n’a pas d’odeur. Mais il est traçable. Il suffit juste d’un peu de volonté.
Ahmed ould Cheikh
samedi 9 mars 2024
Editorial: Un défi à notre portée
On en parle, on en reparle et en on re-reparle encore… La Mauritanie et ses coutumes ancestrales d’hospitalité, aujourd’hui « pays de transit et, de plus en plus, de destination finale en matière de flux migratoires », selon les termes mêmes de la « note verbale » proposée au gouvernement mauritanien à la mi-Décembre 2023 par l’Union européenne, en exergue à la signature le 7 Mars prochain d’une déclaration conjointe sur la gestion des migrations… On en parle, on en reparle… et d’aucuns s’inquiètent. Notamment « en ce qui concerne l’inclusion des réfugiés dans le système national d’éducation et dans les dispositifs de protection sociale au même titre que les nationaux d'ici 2027 ». Certes, l’UE fait ici référence aux engagements déjà renouvelés de la Mauritanie dans le cadre du Forum Mondial des Réfugiés et celui de « l’Accord de Samoa pour un partenariat politique renforcé visant à produire des résultats mutuellement avantageux au regard d'intérêts communs et convergents ».
De gros sous en perspective, donc. Des centaines de millions d’euros, ce n’est pas rien. Mais pour qui et, surtout, à quels prix ? Certes encore, l’approche de la nouvelle campagne électorale présidentielle est propice à toutes les alarmes et ce n’est guère étonnant d’entendre des rumeurs populistes se vêtir de « préférence nationale » et autres extrême-droitières considérations protectionnistes. Leur provenance, d’une Société civile et de partis réputés militants acharnés des droits de l’Homme, est cependant plus insolite. Il est vrai que le système en cours éprouve déjà des difficultés à intégrer tous nos concitoyens – nationaux ? La confusion des concepts ne l’aide guère à faire le tri… – et l’hypothèse d’un afflux massif de négro-africains a de quoi effrayer certains… À peine plus, toutefois, que celle de militants maghrébins ou arabes indésirables en Europe et dans leur pays d’origine.
Et si nous regardions la situation sous un autre angle, à plus long terme ? La proposition de l’Union européenne, c’est d’abord l’aveu de son échec à organiser conjointement le séjour, la résidence, la citoyenneté et la nationalité sur son territoire. Son passé, sa complexité et ses lourdeurs administratives l’entravent. Elle a besoin d’exemples. Nous avons, pour notre part mauritanienne, tout-à-la fois la profondeur de nos valeurs ancestrales et la jeunesse de notre république. Serions-nous incapables de repenser celle-ci, avec l’aide financière d’une Union européenne consciente de ses limites ? Serions-nous si peu commerçants que nous ne sachions pas orchestrer, pour le bien de tous, la convergence de nos intérêts communs ? Le vrai pari, aujourd’hui, est d’assurer notre propre unité nationale, spécifique, en construisant une citoyenneté ouverte à tous. Ce n’est pas une utopie, c’est un défi désormais à notre portée !
Ahmed ould Cheikh
vendredi 1 mars 2024
Editorial: Une affaire de politesse
Notre arène politique serait-elle devenue un panier de crabes, une nouvelle écurie d’Augias qu’il serait urgent de nettoyer pour ne pas tomber encore plus bas dans la déchéance ? Quelques exemples triés sur le volet donnent une idée de l’ampleur du déclin : un député qui accuse, sans preuves, un homme politique d’avoir obtenu une importante somme d’argent généreusement octroyée par un riche homme d’affaires, pour financer sa campagne lors de la dernière présidentielle, et refuse obstinément de faire son mea culpa pour éviter un procès… Une activiste des réseaux sociaux, connue pour n’avoir pas sa langue dans sa poche, qui accuse ce même député d’être « les hémorroïdes du Parlement »… Une députée qui traite le Premier ministre et sa délégation de « chiens de garde » avant de se faire expulser manu militari de l’Hémicycle…
Certes le phénomène n’est pas nouveau : Ould Abdel Aziz n’avait-il pas pris la mauvaise habitude de traiter les leaders de l’opposition de « vieux croulants », entre autres propos peu amènes ? Certains le lui rendaient bien mais il n’en avait cure, l’essentiel pour lui étant d’amasser une fortune – il y a d’ailleurs réussi au-delà de toute espérance – quitte à laisser la scène politique en lambeaux où tout un chacun peut se prévaloir de ce qu’il n’a jamais rêvé d’être.
Faudrait-il ici rappeler que les principes du débat, dans un pays officiellement déclaré islamique, sont ceux de la Shûra ? Et il serait fort bon d’inscrire, aux portes de tous nos marchés – politiques y compris – la célèbre citation d’Eugène Chatelain : ‘’La politique est une affaire de politesse’’.
Ahmed oud Cheikh
vendredi 23 février 2024
Editorial: Bonne chance, Président!
Voici de nouveau un mauritanien à la présidence de l’Union Africaine ! Après Mohamed ould Abdel Aziz en 2014, c’est en effet Mohamed ould Ghazwani qui a été choisi par ses pairs africains pour superviser les débats de leur Conférence durant une année. Un poste essentiellement honorifique, il faut d’emblée le signaler, puisque les décisions de cette assemblée se prennent à la majorité des deux tiers. Mais la recherche du consensus n’en est pas moins un objectif en filigrane et la personnalité de notre président de la République devrait s’y révéler précieuse. L’UA en a besoin, tant les problèmes s’accumulent devant, derrière, à gauche, à droite, au-dessus, en-dessous et à l’intérieur de l’organisation continentale fondée en 2002.
Enfin un représentant de l’Afrique blanche vraiment consensuel ? Car il faut bien reconnaître que l’Afrique du Nord ne s’est guère signalée, à ce jour, par une telle qualité exemplaire, étalant sans vergogne ses propres divisions. Notamment entre le Maroc et l’Algérie dont l’incapacité à s’entendre leur interdisait de prétendre à la présidence de l’Union. C’est d’ailleurs à titre de compromis que Ghazwani a accepté de s’y présenter, alors que l’actualité mauritanienne – imminence de l’élection présidentielle… – lui aurait plutôt commandé de s’en abstenir. Il aura à ses côtés le tchadien Moussa Faki qui achèvera cette année son second mandat à la tête de la Commission de l’UA chargée de l’exécution des décisions de la Conférence. Ils se connaissent bien et ont en commun un sens aigu de la diplomatie. De quoi lancer un processus revivifiant pour l’Union du Continent ? Un an, c’est évidemment peu mais sait-on jamais ? L’Esprit souffle où Il veut et ne s’embarrasse pas du temps… Bonne chance, Président !
Ahmed ould Cheikh
vendredi 16 février 2024
Editorial: Merci Transparence Inclusive
Dans un rapport exhaustif publié récemment, l’ONG Transparence Inclusive a mis en lumière les graves dysfonctionnements et les soupçons de corruption entourant le projet Aftout Ech-Chargui, un ambitieux programme d’approvisionnement en eau potable destiné aux communautés rurales du Gorgol, de l’Assaba et du Brakna. Lancé sous l’égide du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement, il visait à améliorer l’accès à l’eau potable pour 155 000 personnes, en construisant un réseau complexe de réservoirs, conduites et châteaux d’eau. Sa mise en œuvre était divisée en deux phases confiées respectivement à la société Arab Contractors qui a achevé sa tâche « de manière acceptable », souligne le rapport, et à un consortium dirigé par une société appartenant à Zein El Abidine, président de l’Union Nationale du Patronat mauritanien et dont les résultats sont beaucoup moins probants, selon les termes de l’enquête.
Le rapport détaille les manquements en termes de quantité et de qualité des composants-clés du projet. Il pointe du doigt le non-respect des spécifications contractuelles, des matériaux de qualité inférieure, et une coordination déficiente entre les entités de supervision et l’entreprise en charge de la construction, entraînant une capacité hydrique nettement inférieure aux objectifs. De plus, une augmentation suspecte du budget a été accordée avant même l’achèvement des travaux, justifiée par des arguments fallacieux tels que l’extension des bénéfices à plus de villages, l’augmentation de la hauteur des châteaux d’eau et l’amélioration des capacités de pompage — des affirmations rapidement démenties par les faits : la majorité des installations ne fournissent pas d’eau de manière fiable, avec des coupures totales observées dans 20 % des cas et un approvisionnement intermittent et insuffisant dans 72 % des cas. Seulement 8 % des installations fonctionnaient correctement au terme de l’enquête de l’ONG.
Le supplément susdit a été accordé avec la complicité de trois acteurs : la tutelle, représentée par monsieur Ahmed Zeidane ould Taleb Mokhtar, coordinateur du projet Aftout ech-Chargui, qui a signé le contrat d’annexe additionnelle et présidé le comité d’accueil ne faisant état d’aucune pénurie dans les quantités des composantes de l’accord malgré sa valeur élevée et se contentant de quelques observations formelles ; les bureaux des études de la SGIE, affilié à l’homme d’affaires Mohamed Lamine Ould Betah, et de l’ACEI, dirigé par Seydou Coulibaly, associés pour la circonstance, qui ont de concert produit des documents frauduleux pour justifier ladite augmentation, signant notamment les procès-verbaux de réception des quantités contrefaites ; et enfin les membres du comité d’accueil dont aucun ne s’est opposé à la non-exécution d’environ 23% des travaux programmés dans les trois composantes du projet.
Vaste opération de détournement de fonds, conclut Transparence Inclusive qui appelle à une enquête immédiate pour élucider ces accusations graves et récupérer les fonds gaspillés, soulignant l’importance cruciale du projet pour les communautés-cibles et la nécessité de mettre fin à ces pratiques corruptibles qui entravent le développement et le bien-être des populations les plus vulnérables. Très précis et documenté, le rapport de l’ONG aura également eu le mérite de mettre en évidence les processus d’entente et de manipulation du projet et de ses objectifs, donnant ainsi aux (éventuels ?) enquêteurs ultérieurs de l’État mauritanien des outils sérieux pour s’attaquer aux arnaqueurs en col blanc… Merci, Transparence Inclusive !
Ahmed ould Cheikh
samedi 3 février 2024
Editorial: Socle assuré, fort à construire…
Le miracle tant attendu n’a finalement pas eu lieu. Nos vaillants Mourabitounes se sont arrêtés aux portes des quarts de finale de la CAN qui se joue actuellement en Côte d’Ivoire. Après deux premiers matchs catastrophiques contre la Burkina Faso et l’Angola, qu’ils ont perdus surtout par manque criant d’expérience et un match héroïque contre l’Algérie qu’ils ont éliminée sur le plus petit des scores, nos joueurs se sont mis à nous faire rêver. La liesse populaire qui a suivi cette première victoire en Coupe d’Afrique des Nations, synonyme de qualification pour les huitièmes de finale, a fait oublier à une foule en délire, le temps d’une soirée, ses difficultés du moment, ses misères et ses différences. Le peuple bigarré n’était plus qu’un, uni dans une allégresse que seul le football peut procurer. Après tant d’échecs, nous voilà désormais pourvus d’une équipe nationale capable de se donner corps et âme et de défendre nos couleurs nationales ! La Mauritanie n’est désormais plus le petit poucet que chaque équipe rêve de croiser pour s’assurer des trois points de la victoire. Le Cap-vert, qui avait battu au premier tour le Ghana et fait jeu égal avec l’Égypte, a éprouvé toutes les peines du monde pour se défaire d’une équipe combative. Et c’est sur un coup de dés, comme lors du premier match contre le Burkina, que nous avons concédé un penalty stupide. Manque de maturité, disais-je. Nous avons certes perdu une bataille ce lundi à Abidjan mais nous avons gagné une guerre. Notre équipe a désormais un socle : il lui reste à y construire un fort imprenable. Assuré, capable d’affronter toutes les bourrasques, conquérant. Nos Mourabitounes en ont le potentiel : la Mauritanie n’est-elle pas le pays de tous les vents ?
Ahmed ould Cheikh
samedi 27 janvier 2024
Editorial: De l'eau dans l'gaz
La nouvelle n’a pas eu l’écho qu’elle mérite. Juste quelques entrefilets dans la presse et quelques échanges sur les réseaux sociaux. Elle est pourtant d’une extrême importance si elle est avérée… et il y a de fortes chances qu’elle le soit ! Elle aurait même provoqué un déplacement imprévu du président Macky Sall à Nouakchott pour s’entretenir avec son homologue mauritanien des conséquences pour les deux pays de la décision de BP – l’exploitant du champ gazier Grand Tortue/Ahmeyim– de relever le Cost Oil qui passe de 3 à 9 milliards de dollars. Cost Oil veut dire toutes les dépenses correspondant aux coûts pétroliers réalisées avant la date d'entrée en vigueur du contrat et qui doivent être déduites progressivement des recettes. Ce qui risque de réduire à la portion congrue la part revenant aux deux États, au moins durant les premières années. Les deux présidents auraient opposé un niet catégorique aux nouvelles prétentions de BP mais les ponts ne sont pas rompus pour autant. Des délégations conjointes seraient actuellement en négociation avec le géant pétrolier pour baliser le terrain à une solution qui ne léserait pas les deux pays. Les énormes espoirs qu’on fondait sur cette rente gazière dont on parle depuis longtemps et qu’on attend toujours seront-ils déçus ? Cette hausse subite des coûts que BP aura du mal à justifier – c’est très « limite » de multiplier soudainement un devis par trois à deux pas du démarrage d’un chantier… – sonnera-t-elle le glas de l’entente qui a prévalu jusque-là entre les partenaires ? Bref, il y aurait-il vraiment de l’eau dans l’gaz ?
Ahmed ould cheikh
samedi 20 janvier 2024
Editorial: Dommages collatéraux
Il y a une semaine, le président du RFD était évacué à Paris pour se faire soigner mais avait signé, avant de partir, une note de service désignant maître Yacoub Diallo pour assurer son intérim. Une décision qui n’a pas manqué de susciter des controverses au sein de ce parti de l’opposition historique et le moins qu’on puisse dire est que certains de ses dirigeants y sont désormais à couteaux tirés. En ces bisbilles qui ne datent apparemment pas de la semaine dernière et qu’ont exacerbé les candidatures lors des dernières élections législatives et municipales, ne faut-il pas voir une des causes des résultats catastrophiques du parti lors de ces scrutins locaux ? Faut-il y entendre la volonté des uns et des autres de se positionner pour une guerre de succession qui ne dit pas son nom ? D’où la question qui taraude tous les esprits : le RFD survivra-t-il à son président, si ce dernier – qu’Allah lui accorde encore une longue vie ! – se décide à passer la main ? Ce parti a-t-il encore un contenu idéologique assez pertinent – et, surtout, parlant au peuple mauritanien – pour fédérer un projet cohérent au-delà de la personnalité d’Ahmed ould Daddah ? La pantomime Droite-Gauche qui n’ont jamais été réellement distinctes dans notre paysage politique semble avoir été balayée par des considérations raciales et statutaires, toujours fermement ancrées dans la société mauritanienne. Ce qui explique en grande partie le recul des partis traditionnels, pas seulement en Mauritanie mais dans plusieurs autres pays de tradition pourtant démocratique. Si l’on y ajoute une guéguerre de leadership, la facture risque d’être salée, une page définitivement tournée et ce serait dommage…
Ahmed ould Cheikh
samedi 13 janvier 2024
Editorial: Une bonne année à construire
2023 est enterré, 2024 débute..Timidement, comme engourdi par les fraîcheurs hivernales et les prévisions mi-figue mi-raisin des experts : récession par-ci, envolée de PIB par-là, mais réalités moroses pour tous les peuples, sur fond de repliement identitaire un peu partout… L’occasion n’en est que plus belle de souhaiter, comme de coutume, à tous une bonne et heureuse année ! À commencer par nos chers lecteurs et lectrices : santé, bonheur et prospérité, sinon à tout le moins courage et confiance en Dieu, Il est Grand et Capable de déjouer à tout instant les plus sombres pronostics !
À notre chère Mauritanie, ensuite, en lui espérant la plus heureuse réussite dans le démarrage de l’exploitation du champ gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) et dans la répartition harmonieuse de ses dividendes, à commencer par les plus pauvres d’entre nous. Il est grand temps que la lutte contre la gabegie et le détournement des deniers publics se traduisent en réalités concrètes dans la vie des mauritaniens lambdas. Le peuple est las des applaudissements assourdissants des thuriféraires du système, alors que l’incertitude quant au contenu de la marmite reste le lot quotidien de tant de citoyens…
À nos frères et sœurs musulmans, enfin, qui souffrent un peu partout dans le Monde, notamment en Palestine, au pays des Rohingyas (Birmanie) ou en celui des Ouïghours (Chine), sous les coups d’ennemis plus ou moins ouvertement soutenus par une Communauté internationale obnubilée par la seule sauvegarde de son système économique, en dépit de l’accumulation des injustices et des frustrations qu’il génère au sein de notre petite planète bleue. Et pas seulement parmi les humains, comme en témoignent les dérèglements climatiques et autres appauvrissements de la biodiversité. Alors 2024, glas de la vie sur terre ou réveil décisif de l’Humanité pour le bien de tous ? On veut tous croire au second terme de l’alternative : allons-y donc, confiants en nous-mêmes et en Dieu !
Ahmed ould Cheikh
jeudi 4 janvier 2024
EDitorial: Il ne faut jurer de rien
Ces histoires sont véridiques. Toute ressemblance avec des personnes qui existent ou ayant existé n’est évidemment pas fortuite. Il y a quelques mois, le ressortissant d’un pays voisin, gardien de son état, se faufile devant la maison de son ancien employeur, ouvre sa voiture le plus normalement du monde (dont il avait fait une copie des clés en l’absence de son patron) et dérobe 30.000 MRU. Manque de bol : les caméras de surveillance ont capturé son visage et il sera arrêté le même jour. Déféré et écroué, il écope de cinq ans de prison ferme. Un autre, mauritanien celui-là, est arrêté pour avoir volé un téléphone portable. Il sera condamné à deux ans de prison dont six mois fermes. Comparé aux verdicts du procès de la Décennie, on peut parler d’une justice à deux vitesses. Comment peut-on en effet engloutir des milliards, faire main basse sur le domaine public, blanchir des sommes faramineuses, détourner les deniers publics et se voir condamner à des peines insignifiantes au vu des charges qui pèsent sur vous ? Le procès de la Décennie, qui aura tenu en haleine l’opinion publique près de trois ans, aura finalement accouché de n’importe quoi. Certes, il y a encore l’appel qui peut alourdir la peine… tout comme il peut l’alléger ou même acquitter le seul prévenu encore en prison, à savoir l’ex-président Ould Abdel Aziz. En Mauritanie, « il ne faut jurer de rien » mais ce n’est pas rien que la célèbre œuvre d’Alfred de Musset fût... une pièce de théâtre.
Ahmed ould Cheikh
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