mardi 29 novembre 2016

Editorial: Trop tard pour bien faire?


Après une trêve de quelques mois, due, entre autres, au Ramadan, au Sommet de la Ligue arabe et au (mini)-dialogue, notre guide éclairé a repris ses visitations régionales, avec le Tagant. Au pas de charge : le tour de la wilaya en trois jours, pour visiter une école et un hôpital, inaugurer une extension du réseau électrique et prendre un bain de foule qui lui manquait, apparemment, beaucoup. Rien que du très classique et qui ne justifie nullement un tel déplacement présidentiel. Inutile d’aller si loin et mobiliser autant de moyens, pour se rendre compte de l’état de l’enseignement et de la santé. Deux secteurs parmi les plus mal en point et dont la situation va de pis en pis, à mesure que notre rectification prend de l’âge. L’école n’est plus qu’un tableau noir et la santé est à l’agonie. Seuls ceux qui disposent de gros moyens peuvent offrir, à leurs enfants, un enseignement de qualité (et encore) ou se soigner, de préférence, à l’étranger. Devenus de véritables mouroirs, nos hôpitaux ne reçoivent que ceux sans autre choix.  Mais, de tout cela, Ould Abel Aziz n’en a cure. Il veut voir le monde se bousculer et se donner des coups, pour toucher l’auguste main présidentielle, il lui faut entendre la voix de la Mauritanie des profondeurs – elle lui est si chère… – se pâmer devant tant d’éloges et de dithyrambes, venant de citoyens « sincères », obligés par les si « grandioses réalisations » de leur Raïs. Et celui-ci a été servi. Le spectacle qu’on croyait pour de bon révolu et qui nous a été, malgré tout, proposé, à l’aéroport de Tidjikja, fut à la hauteur de son personnage central : d’une sottise aussi affligeante qu’indescriptible. Tout comme la réunion des « cadres » où la bêtise était le maitre-mot. Avec, par exemple, cet intervenant proposant, « au nom du peuple », de modifier la Constitution pour permettre à son Président adulé, d’accomplir non pas deux mais six mandats. Ould Abdel Aziz a souri, en apparence ravi de ce que quelqu’un mette le doigt sur une plaie à laquelle lui-même n’a pas encore pu trouver de remède-miracle. Malgré un dialogue organisé au forceps, les appels du pied de certains dialoguistes, missionnés à demander, avec insistance, le déverrouillage des articles relatifs aux mandats, et les vaines tentatives de son parti, pour imposer une nouvelle Constitution, la pilule n’a pu passer. Les pressions de la rue, des oppositions participante et boycottiste, des partenaires étrangers et, sans doute, de l’Armée ont fini par avoir – provisoirement ? – raison de son appétit de pouvoir. Qu’on se détrompe ! Rien n’est encore joué. Ces visites sont, peut-être, une belle occasion de prendre le pouls du pays profond, se convaincre qu’après lui, ce sera le déluge et tenter une ultime manœuvre pour faire sauter un verrou qui hante, désormais, ses nuits. Le danger nous guette. Soyons vigilants. Ce n’est pas parce qu’Aziz a dit qu’il ne touchera pas à l’article 28 qu’il faut dormir sur nos fragiles lauriers. Tant que des élections consensuelles, libres et transparentes ne seront pas organisées, où ni le pouvoir ni l’Armée n’auront parachuté de candidat, la scène politique ne connaîtra jamais l’apaisement. Et l’on continuera à vivre la même crise… jusqu’au jour où les sans-abri, les laissés-pour-compte et les affamés renverseront tout sur leur passage. Il sera, alors, trop tard. Mais il est encore toujours temps, aujourd’hui, pour bien faire…
                                                                             Ahmed ould Cheikh

dimanche 13 novembre 2016

Editoral: la seule force qui vaille


A la suite du dernier dialogue, organisé, par le pouvoir, sans l’opposition, le Conseil des ministres a approuvé le projet de loi portant révision de la Constitution, lors de sa réunion hebdomadaire de jeudi dernier. Une réforme qui supprimera le Sénat, fondera des conseils régionaux et introduira des amendements constitutionnels tendant à « accentuer le caractère patriotique » (sic), en modifiant l’hymne national et le drapeau. Notre guide éclairé décide, ainsi, d’interpréter l’article 99 de la Constitution, en faisant fi du Parlement qui n’aura pas son mot à dire dans cette réforme qui le concerne, pourtant, au premier chef. Il faut dire que respecter la procédure à la lettre était risquée. Les sénateurs, qui ne ratent plus une occasion d’exprimer leur mécontentement, n’allaient, en aucun cas, accepter, à une majorité de deux-tiers, une réforme constitutionnelle qui les réduit à néant. Ould Abdel Aziz va donc consulter directement le peuple. Un referendum dont ni lui, ni le pays n’a besoin, dans les circonstances actuelles. La situation est autrement grave, il serait loufoque de s’écharper pour un poème ou la couleur d’un morceau de tissu, fussent-ils hymne ou drapeau nationaux. A l’heure qu’il est, l’urgence est ailleurs. Le pays part en vrille. L’économie est exsangue. Les indicateurs sont au rouge, quoi que dise Ould Djay. La dette atteint des records mondiaux. Le contribuable est pressuré au-delà du raisonnable. Le secteur privé bat de l’aile. Les sociétés publiques sont à l’agonie. Les investisseurs étrangers rechignent à se faire arnaquer. Un cartel a fait main basse sur toutes les opportunités. Les affaires de drogue ne sont plus l’exception mais la règle. Les marchés publics, désormais l’apanage d’une petite minorité. A quoi donc peut bien servir un referendum, dans ces conditions ? Nous permettra-t-il de sortir de l’auberge ? Va-t-il régler la crise politique où nous nous débattons depuis 2008 ?
Imaginez, un instant, que le referendum soit organisé unilatéralement, les réformes approuvées et les élections législatives et municipales organisées, l’année prochaine, en l’absence, encore une fois, de l’opposition… En quoi cela va-t-il changer notre situation actuelle ? Ould Abdel Aziz ne dispose-t-il pas déjà d’une confortable majorité à l’Assemblée nationale ? Nous aurons, au bout du compte, dépensé quelques milliards, pour organiser des consultations qui ne nous avanceront en rien. Des milliards qui auraient pu, en la disette présente, servir à quelque chose de beaucoup plus utile. N’aurait-il pas été plus sage de s’abstenir d’organiser un dialogue sans toute l’opposition, un referendum sans consensus national et des élections sans la participation de tous ? Mais, à tant s’acharner à tout édicter, diriger, commander, comment notre forcené national saurait-il entendre, si près de la fin de son dernier mandat, que « la sagesse, c'est passer de l'affirmation à l’effacement de soi » (P. Bartherotte) ? Et que c’est là, en fin compte, la seule force qui vaille.
                                                                                     Ahmed Ould Cheikh

lundi 7 novembre 2016

Editorial: la marche de l'Histoire


L’opposition a marché. Le 29 Octobre dernier. Deux marches qui ont fini par n’en faire qu’une. Gigantesque. Pour dire non à un dialogue unilatéral. Non au tripatouillage de la Constitution. Non à l’injustice et aux arrestations arbitraires. Non à la cherté de la vie et à la paupérisation galopante. Non au chômage et au népotisme érigé en système de gouvernement. Non à l’enrichissement illicite d’une petite minorité et à l’exclusion de la grande majorité. Non à la tutelle de l’Armée et à la prise en otage de l’Etat par une oligarchie. Les marcheurs ont crié leur ras-le-bol d’une démocratie tronquée, d’une crise politique qui perdure et de la gestion chaotique du pays.
Moins de deux semaines après la clôture d’un dialogue, qui fut plus un monologue qu’autre chose, au cours duquel fut présentée la réforme constitutionnelle voulue par le pouvoir, l’opposition, dans toutes ses composantes a décidé de frapper fort. Pour démontrer qu’elle peut encore mobiliser et démentir, par les faits, ceux qui veulent l’enterrer un peu tôt. Malgré l’annonce d’Ould Abdel Aziz qu’il ne touchera pas l’article 28 de la discorde, celui qui limite les mandats à deux – une façon de couper l’herbe sous les pieds de l’opposition, alors qu’elle avait déjà annoncé son rassemblement – celle-ci n’a pas accepté de prendre cette déclaration pour argent comptant. Déjà roulée dans la farine à plusieurs reprises, elle a tenu à envoyer un signal fort, en mobilisant au maximum ses troupes. Et a réussi son challenge. Reste, maintenant, à maintenir la pression, pour contrer les desseins inavoués d’un pouvoir qui a décidé de faire cavalier seul et de mener ses réformes en dehors de tout consensus politique. Réussira-t-elle à l’empêcher d’organiser « son » referendum? Le fera-t-elle plier ? Ould Abdel Aziz finira-t-il par comprendre que l’unilatéralisme n’est ni dans son intérêt, ni dans celui du pays et qu’il est plus que hasardeux de s’aventurer dans cette voie ?
A moins qu’il ne veuille nous conduire vers des lendemains encore plus incertains, le Président doit tirer rapidement la leçon, inviter l’opposition à un dialogue sincère, en lui donnant toutes les garanties, et s’assurer, ainsi, une sortie honorable. Tout le monde y trouvera son compte. Sauf peut-être ceux qui, en coulisses, le poussent à triturer la Constitution (comme l’ont déjà tenté Compaoré et Tandja) ou à jouer les prolongations à la Kabila. Ceux-là n’ont rien compris. La rue a démontré, samedi dernier, qu’elle ne se laissera plus faire. Un vent nouveau s’est levé. Ne lui opposer que du vent ne fera que l’accroître. Tout comme, d’ailleurs, prétendre seulement s’y opposer: la marche de samedi est celle de l’Histoire. En route vers l’avènement, enfin, d’une vraie démocratie, marquée par de vraies alternances, responsables, dans la conduite des affaires publiques.
                                                                                Ahmed Ould cheikh