samedi 19 décembre 2015

Editorial: Attention danger !


Le jour de la célébration de l’indépendance de son pays le 9 décembre dernier, le président tanzanien, John Magufuli,  a dirigé lui-même une opération de collecte des ordures dans la capitale Dar-Es-Salam. Non seulement, il a interdit toute célébration officielle mais il a considéré qu’il serait honteux de dépenser de l’argent pour fêter l’indépendance au moment où des gens meurent encore de choléra dans son pays, faute de soins. Il n’y a donc eu ni inaugurations officielles, ni déplacement présidentiel et encore moins défilés ou parades militaires. Des milliards ont pu être ainsi économisés et orientés vers quelque chose d’utile au pays et à ses populations. Qu’a fait la Mauritanie, pays pauvre parmi les pauvres s’il en est, pour célébrer son anniversaire le 28 novembre dernier ? Son président a-t-il, comme son homologue tanzanien, fait preuve de sagesse, en refusant un exhibitionnisme aussi coûteux qu’inutile ? A-t-il songé un instant que ces milliards dilapidés en quelques jours, pour organiser, le temps d’une matinée, une parade militaire, auraient pu servir à construire des écoles, des hôpitaux, des barrages ou des routes, mettre en valeur des terres agricoles ou venir en aide aux pauvres ?  A-t-il pris la mesure de cette saignée pour un Trésor public, déjà mis à rude épreuve par la baisse des recettes, et dont l’incapacité à faire face aux engagements de l’Etat devient criante ? Autrement formulé, à quoi sert-il de se pâmer devant un tel étalage de forces et répéter à l’envi que tout danger extérieur est écarté quand on est incapable d’assurer la sécurité de ses propres citoyens ? Une réalité amère que plus personne ne peut nier, devant un tel déferlement de violences que connait Nouakchott depuis quelques mois. En témoigne le meurtre en plein jour d’une commerçante au marché de la capitale qui a fini de démontrer que cette ville est devenue dangereuse. Où il ne se passe pas un jour sans qu’un ou deux meurtres, des multiples braquages, des viols à répétition ne soient signalés. Des quartiers entiers sont devenus des zones de non droit où il serait suicidaire de circuler dès la nuit tombée. Des bandes armées font régulièrement des descentes dans les commerces et parfois chez des paisibles citoyens. Même avec si des moyens faibles, pour ne pas dire dérisoires, la police réussit dans la plupart des cas à arrêter les meurtriers, les grands bandits et parfois même les auteurs de petits larcins, la situation ne cesse d’empirer. Et le problème va crescendo. La faute à qui ? A la société injuste et inégalitaire qui a enfantés ces bandits de grands (et de petits) chemins et ne leur a offert de débouchés que la rue? A une urbanisation galopante et anarchique ? A une école publique devenue synonyme d’échec ? A la justice qui n’a pas souvent la main lourde ?  A un système de sécurité défaillant dans  l’ensemble ?

Quelle que soit la cause, il y a en tout cas danger. A ce rythme, Nouakchott sera bientôt plus dangereuse que Lagos, Johanesburg, le Bronx ou Harlem. Si on ne veut pas assister impuissants à un déferlement de violences urbaines, il est encore temps de réagir. Quelles solutions faut-il alors envisager : Réhabiliter la police et lui offrir les moyens de remplir sa mission? Offrir  à ces personnes, en rupture de ban, autre chose que la prison et travailler à leur intégration dans la société ? Se dire enfin que la ville n’est pas la campagne, qu’elle a ses exigences et ses contraintes auxquelles il faut se soumettre ?
A contrario de ce que disait  Victor Hugo selon lequel celui ‘’qui ouvre une école, ferme une prison’’, on peut légitimement se poser la question : qui vend une école n’ouvre-t-il pas une prison ?

                                                           Ahmed Ould Cheikh

dimanche 13 décembre 2015

Editorial: Raccourcis


Quelque chose ne tourne pas rond dans notre pays. Où plus personne ne se soucie ni des règles, ni des lois, encore moins des règlements. Le président de la République arrête un match de football après 63 minutes parce qu’il s’ennuyait. Une délégation du FNDU rencontre le ministre secrétaire général de la Présidence,  contre l’avis de trois partis du Forum, alors que les décisions de celui-ci sont censées n’être prises qu’à l’unanimité. Un général à la retraite  brigue la présidence de la Fédération des agriculteurs alors qu’il n’y a jamais adhéré par le passé. Un colonel, qui n’est plus sous les drapeaux lui aussi, est arrêté et mis en examen pour s’être exprimé librement. Un ministre est décoré le 28 novembre alors qu’il l’a été il y a deux ans et que la loi prévoit qu’il ne peut de nouveau l’être avant cinq ans sauf pour ‘’à titre exceptionnel’’. Ses collègues ministres se demandent encore quels services ‘’exceptionnels’’ il a bien pu rendre pour mériter pareille distinction. Si ce n’est un excès de zèle.
Aucun de ces événements n’a pourtant eu autant d’impact que l’affaire du match du 28 novembre. Qui a créé un véritable buzz sur les réseaux sociaux et dans la presse du monde entier. Notre guide éclairé, devenu spécialiste des raccourcis, a non seulement écourté la première expérience démocratique qu’a connue notre pays mais aussi une rencontre de football qui, qu’il vente ou qu’il pleuve, est partie pour durer 90 minutes au moins, selon les règlements intangibles de l’instance dirigeante de ce sport-roi. Pas un journal, un site, une radio ou une télé du monde entier n’a raté cette occasion de nous tourner en ridicule. Même après son coup d’état de 2008, Ould Abdel Aziz n’a pas eu droit à autant de publicité, gratuite bien évidemment. C’est qu’un match de football, même ennuyeux, nul et inutile comme celui de la supercoupe de Mauritanie doit arriver à son terme, sauf si les conditions météorologiques exigent son arrêt. Et dans ce cas, la décision revient à l’arbitre et à lui seul. La fédération de football a essayé, maladroitement, de tirer le président de ce mauvais pas, en se lançant dans des explications alambiquées mais le mal est déjà fait. De pays esclavagiste, champion des coups d’état, avec le plus grand nombre d’anciens chefs d’Etat encore en vie, nous sommes devenus la nation où le président décide de tout, même de la durée d’un match de football. Une réputation dont on aurait bien voulu se passer.
En France, malgré un contexte des plus maussades, marqué notamment par les attentats du 13 novembre et la montée du Front National, les humoristes s’en sont donné à cœur joie. Sur France Inter, l’un d’eux s’est fendu d’un sketch  où il affirme, devant une assistance hilare, qu’il est comme ça Ould Abdel Aziz, ‘’quand il s’ennuie, il faut que ça bouge et puis ça sert à quoi d’être président si tu ne peux pas faire ce que tu veux’’ ? Avec lui, dit-il, c’est une coupe du monde en quatre jours. Notre humoriste, qui n’avait apparemment pas beaucoup de sujets pour dérider son public, lui propose carrément à la fin de son mandat de diriger la FIFA. ‘’Un monsieur qui ne respecte rien pour remplacer des escrocs, on reste dans une certaine éthique, non’’ ? se demande–t-il à la fin.
Pour rester dans une certaine logique cette fois, proposons à notre guide éclairé, s’il veut briguer la présidence de cette  institution, beaucoup plus riche que notre pauvre pays, qu’il peut bien écourter son mandat. Un raccourci qui sera, au moins une fois, bénéfique pour son pays.
                                                        Ahmed Ould Cheikh

dimanche 6 décembre 2015

Editorial: Un jour, un destin


La Mauritanie a fêté ce 28 novembre le cinquante-cinquième anniversaire de son accession à l’indépendance avec force inaugurations, défilés militaires, discours enchanteurs et conférences de presse de notre guide éclairé. Cette année, la fête a été délocalisée à Nouadhibou, Ould Abdel Aziz ayant voulu faire participer le reste du pays à la commémoration de cet anniversaire ‘’dans la joie et l’allégresse’’, pour reprendre l’expression galvaudée par nos organes de presse officiels. Nouadhibou s’était parée de ses plus beaux atours, et à prix d’or (on parle de quelques milliards), pour que la fête soit la plus belle possible. Et elle le fut mais pas pour tout le monde. Une partie de nos compatriotes, dont les leurs ont été pendus un certain 28 novembre  1990 de triste mémoire à Inal, a modérément apprécié qu’à quelques encablures de cette lugubre localité, la fête batte son plein un jour devenu pour eux synonyme de douleur et de deuil.  Pour avoir rappelé cette page sombre de notre histoire récente lors d’une conférence, l’ancien colonel Oumar Ould Beibecar a été arrêté par la police politique. Comme si ces événements douloureux devaient rester l’apanage d’une communauté. Qui avait seule le droit de les évoquer. Etrange pays où on met aux arrêts ceux qui dénoncent crimes et délits et on n’inquiète pas les bourreaux, si on ne les honore pas. Où on évoque la mise en péril de l’unité nationale  quand on réclame justice. Où on est accusé de souffler sur des braises alors qu’elles sont encore incandescentes.
 Venant d’un colonel, qui a vécu ces horreurs alors qu’il était sous les drapeaux, l’outrage était grossier et ne pouvait donc rester impuni.  L’omerta qui les entoure ne doit en aucun cas être brisée, par un militaire de surcroit. Oumar fait donc les frais de son courage, de son refus de cautionner l’abject et de son franc parler.  Des qualités plutôt rares par les temps qui courent. En évoquant  ces événements tragiques sur la place publique, Oumar   prend ainsi le taureau par les cornes  et exige que toute la lumière soit faite sur ces événements pour  que le pays puisse tourner définitivement cette page douloureuse de son histoire. On ne lui a apparemment pas pardonné cette ‘’digression’’. Et on fera   tout pour le faire taire mais l’homme n’est pas du genre à se laisser abattre facilement. Il n’est pas de cette graine d’officiers flagorneurs qui ont gravi les échelons parce qu’ils ne savaient pas dire non. Oumar a choisi la voie de l’honneur. Il est sorti des rangs la tête haute. Et il continue son chemin de croix en prenant fait et cause pour les opprimés, comme  à Oualata.
Un homme de cette trempe ne peut qu’être dérangeant pour un système basé sur l’injustice, les passe-droits et si peu de considération pour l’autre. Oumar peut aspirer, à juste titre,  à être un lien entre nos communautés, le trait d’union qui nous permettra de nous entendre, le déclic qui sonnera le glas de l’impunité. 
Ils sont si rares les hommes de cette trempe, qu’il faut s’accrocher à la moindre lueur d’espoir  pour voir enfin émerger une  ‘’vraie’’ Mauritanie nouvelle. Une Mauritanie juste, libre,  égalitaire et démocratique. Une Mauritanie où ce qui unit ses fils est plus fort que ce qui les divise. Un pays où la glace est définitivement brisée entre ses différentes composantes.
C’est ce combat que tous les patriotes  sincères devraient  mener. Forts de la devise du peuple tunisien réclamant l’indépendance : ‘’Si un jour le peuple veut vivre, le Destin, inexorablement, s’accomplira’’, disait le poète  Abou El Ghassem Chaabi.
                                                                          Ahmed Ould Cheikh