dimanche 13 décembre 2015

Editorial: Raccourcis


Quelque chose ne tourne pas rond dans notre pays. Où plus personne ne se soucie ni des règles, ni des lois, encore moins des règlements. Le président de la République arrête un match de football après 63 minutes parce qu’il s’ennuyait. Une délégation du FNDU rencontre le ministre secrétaire général de la Présidence,  contre l’avis de trois partis du Forum, alors que les décisions de celui-ci sont censées n’être prises qu’à l’unanimité. Un général à la retraite  brigue la présidence de la Fédération des agriculteurs alors qu’il n’y a jamais adhéré par le passé. Un colonel, qui n’est plus sous les drapeaux lui aussi, est arrêté et mis en examen pour s’être exprimé librement. Un ministre est décoré le 28 novembre alors qu’il l’a été il y a deux ans et que la loi prévoit qu’il ne peut de nouveau l’être avant cinq ans sauf pour ‘’à titre exceptionnel’’. Ses collègues ministres se demandent encore quels services ‘’exceptionnels’’ il a bien pu rendre pour mériter pareille distinction. Si ce n’est un excès de zèle.
Aucun de ces événements n’a pourtant eu autant d’impact que l’affaire du match du 28 novembre. Qui a créé un véritable buzz sur les réseaux sociaux et dans la presse du monde entier. Notre guide éclairé, devenu spécialiste des raccourcis, a non seulement écourté la première expérience démocratique qu’a connue notre pays mais aussi une rencontre de football qui, qu’il vente ou qu’il pleuve, est partie pour durer 90 minutes au moins, selon les règlements intangibles de l’instance dirigeante de ce sport-roi. Pas un journal, un site, une radio ou une télé du monde entier n’a raté cette occasion de nous tourner en ridicule. Même après son coup d’état de 2008, Ould Abdel Aziz n’a pas eu droit à autant de publicité, gratuite bien évidemment. C’est qu’un match de football, même ennuyeux, nul et inutile comme celui de la supercoupe de Mauritanie doit arriver à son terme, sauf si les conditions météorologiques exigent son arrêt. Et dans ce cas, la décision revient à l’arbitre et à lui seul. La fédération de football a essayé, maladroitement, de tirer le président de ce mauvais pas, en se lançant dans des explications alambiquées mais le mal est déjà fait. De pays esclavagiste, champion des coups d’état, avec le plus grand nombre d’anciens chefs d’Etat encore en vie, nous sommes devenus la nation où le président décide de tout, même de la durée d’un match de football. Une réputation dont on aurait bien voulu se passer.
En France, malgré un contexte des plus maussades, marqué notamment par les attentats du 13 novembre et la montée du Front National, les humoristes s’en sont donné à cœur joie. Sur France Inter, l’un d’eux s’est fendu d’un sketch  où il affirme, devant une assistance hilare, qu’il est comme ça Ould Abdel Aziz, ‘’quand il s’ennuie, il faut que ça bouge et puis ça sert à quoi d’être président si tu ne peux pas faire ce que tu veux’’ ? Avec lui, dit-il, c’est une coupe du monde en quatre jours. Notre humoriste, qui n’avait apparemment pas beaucoup de sujets pour dérider son public, lui propose carrément à la fin de son mandat de diriger la FIFA. ‘’Un monsieur qui ne respecte rien pour remplacer des escrocs, on reste dans une certaine éthique, non’’ ? se demande–t-il à la fin.
Pour rester dans une certaine logique cette fois, proposons à notre guide éclairé, s’il veut briguer la présidence de cette  institution, beaucoup plus riche que notre pauvre pays, qu’il peut bien écourter son mandat. Un raccourci qui sera, au moins une fois, bénéfique pour son pays.
                                                        Ahmed Ould Cheikh

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