vendredi 30 mai 2025
Editorial: Investissements souterrains
La semaine dernière, le président de la République et son homologue sénégalais se sont rendus sur la plateforme établie par BP en haute mer pour l’exploitation du champ gazier Grand Tortue/Ahmeyim commun aux deux pays. Accueillis en grande pompe par le PDG de la société anglaise, les deux présidents ont fait le tour du propriétaire et se sont déclarés ravis, photos et vidéos à l’appui, que le projet ait enfin abouti, malgré les différents écueils qui ont jalonné son parcours et dont le moindre n’est pas le litige relatif aux coûts d’investissement. Les deux pays accusent en effet le géant pétrolier d’avoir exagéré le cost oil – autrement dit, le montant investi dans l’exploration et la production qui doit être déduit des recettes du champ – dans des proportions pas vraiment anodines : des trois milliards de dollars initialement prévus, on serait passé à plus de dix !
Pour trancher ce débat qui a empoisonné un moment les relations entre les partenaires, un bureau d’études international a été choisi d’un commun accord en vue d’évaluer les coûts réels. Il n’est pas loin de rendre son rapport et, selon certaines indiscrétions, ses conclusions seraient «explosives ». Si c’est le cas, comment BP sortira-t-elle de cette bourrasque ? Fera-t-elle comme ELF en France en 2000 ? À la suite de démêlés politico-judiciaires, cette société pétrolière fortement présente en Afrique où elle avait fait, de la corruption des dirigeants locaux, son sport favori, s’était fait (laissé ?) absorber par Total. Et ni vu ni connu ! Le même scénario se produira-t-il sous nos yeux entre BP et Shell ?
Selon le très sérieux institut Bloomberg, Shell travaille avec des conseillers pour évaluer une éventuelle acquisition de son concurrent BP. Cependant, le groupe attendrait une nouvelle baisse de l’action de celui-ci et des prix des hydrocarbures avant de lancer une offre. Si elle est réalisée, cette fusion pourrait-elle clore le dossier Grand Tortue/Ahmeyim ? Nos présidents ont-ils envisagé cette hypothèse ? Et prévu, avec leurs propres conseillers, une stratégie en conséquence ? Autant de questions susceptibles en tout cas de nous rappeler que le pétrole et le gaz nécessitent toujours des investissements… souterrains.
Ahmed ould Cheikh
jeudi 22 mai 2025
Editorial: Elles en sont où, les autres affaires ?
Une page se tourne mais l’histoire n’en est pas finie pour autant. Le procès en appel d’Ould Abdel Aziz, de deux anciens Premiers ministres, de hauts responsables et des hommes « à tout faire » a rendu son verdict… mais l’affaire n’est toujours pas close. Dans quelques mois commencera une nouvelle bataille de procédures, d’arguments et de contre-arguments. Devant la Cour suprême cette fois. Les avocats des deux camps s’en donneront de nouveau à cœur joie, multiplieront attaques, piques et allusions à peine voilée avant de défendre ou d’attaquer le verdict.
Toujours est-il que ce procès en appel n’a pas dérogé à la règle. Après une longue bataille de procédures, des plaidoiries-fleuves et des réquisitoires à charge, le tribunal a eu la main lourde pour au moins trois accusés : Ould Abdel Aziz voit sa peine de prison ferme de cinq ans en première instance passer à quinze. Son beau-frère en prend deux, ainsi que l’ancien directeur général de la SOMELEC. Pourquoi ces deux-là et seulement eux ? Ont-ils fait pire que les autres qui occupaient pourtant des fonctions plus importantes et étaient plombés des mêmes charges ? Ou fallait-il faire en sorte que MOAA ne soit plus le seul visé et battre ainsi en brèche l’argument selon lequel il n’était question que d’un règlement de comptes ne visant qu’à le faire tomber seul ? Enfin, bref : la justice a apparemment ses raisons que la raison arrive difficilement à expliquer. D’autant moins que d’autres affaires graves – et beaucoup plus d’actualité, elles – attendent d’être traitées. Histoire de se faire oublier, elles aussi ?
Ahmed Ould Cheikh
vendredi 16 mai 2025
Editorial: Etre citoyen
Ils ne se contentent plus de nous vendre les produits alimentaires périmés et les médicaments contrefaits dont les conséquences sur la santé sont désastreuses ! Et ce n’est pas un hasard si, au cours des dernières années, les malades atteints de cancer, diabète, hypertension artérielle et insuffisance rénale, entre autres affections inconnues il y a peu encore sous nos latitudes, écument désormais les couloirs de nos structures sanitaires. Et voilà que nos profiteurs sans vergogne ont également mis la main à une dangereuse pâte, les substances psychotropes ! Le fait est clairement prouvé : il y a quelques jours, une équipe spécialisée de la Gendarmerie a réussi, après une enquête minutieuse, à faire tomber une bande dont certains leaders ayant pignon sur rue étaient au-dessus de tout soupçon.
Cette clique était spécialisée dans l’importation et la distribution de comprimés hallucinogènes. Des quantités astronomiques ont été saisies dans leurs magasins. De quoi inonder le marché national et celui des pays voisins, pour peu que leurs frontières soient aussi poreuses que les nôtres. Ce serait d’ailleurs l’un de ces derniers qui aurait donné l’alerte. Depuis, l’opinion publique s’est saisie de l’affaire. Et les réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie. Douze millions de comprimés auraient été ainsi saisis. Soit trois par mauritanien : de quoi faire tourner bien des têtes ! Mais à quelque chose malheur est bon. Quoi qu’elle porte préjudice à notre pays et le place dans la position peu enviable de plaque tournante du trafic de produits dangereux, cette affaire aura permis de démanteler un réseau qui allait faire mal à notre jeunesse.
Espérons seulement qu’elle ne finira pas en queue de poisson comme tant d’autres qui l’ont précédée ! Car on présume bien, dans l’ampleur du trafic et la difficilement explicable facilité des trafiquants à passer les contrôles dans nos ports et le long de nos routes, qu’il est encore et toujours question, ici, de corruption. Et je ne manquerai pas de saluer, à cet égard, le valeureux officier de notre Gendarmerie qui aurait opposé un niet catégorique au milliard d’ouguiyas que lui aurait été proposé le chef apparent de la bande pour fermer les yeux sur le micmac. Comme quoi, ça peut vouloir dire quelque chose être citoyen mauritanien !
Ahmed ould Cheikh
vendredi 9 mai 2025
Editorial: Lucidité
Dans son classement annuel qui sert de baromètre à la liberté de presse dans le Monde et publié chaque année le 3 Mai, à la veille de la Journée mondiale de la Presse, Reporters Sans Frontières (RSF) a rétrogradé la Mauritanie de la 33ème place qu’elle occupait l’an dernier à la 50ème. Pourquoi, à votre avis ? La presse n’a plus affaire avec le tristement célèbre article 11 qui lui valut tant de déboires, de saisies et d’interdictions jusqu’en 2005. Les journalistes ne sont ni jetés en prison, ni empêchés de faire leur travail, encore moins maltraités par le pouvoir en place. Le mal est plus insidieux. Il ronge la profession depuis ses débuts et RSF ne s’y est pas trompé en mettant le doigt sur la plaie.
« Depuis la dépénalisation des délits de presse en 2011 », fait en effet observer son rapport, « les journalistes peuvent travailler dans un environnement moins répressif mais vivent dans une grande précarité. […] la fragilisation économique des media constitue l’une des principales menaces pour la liberté de la presse ». Tout est dit. La situation financière du secteur est plus que précaire : les ventes de la presse-papier sont en chute libre depuis plusieurs années du fait de la concurrence d’Internet, la publicité est inexistante, les annonces officielles restent l’apanage du quotidien national, le fonds d’aide à la presse est distribué à la va-vite et les vraies entreprises de presse n’y ont droit qu’à la portion congrue. Si la disparition, à moyen terme, de la presse-papier est sans doute inéluctable, il reste impératif de maintenir la réflexion citoyenne et sa libre capacité d’investigations hors de l’excitation généralisée de ce monde. Garder la tête froide a un coût.
Ahmed ould Cheikh
jeudi 1 mai 2025
Editorial: Mais bon sang, un peu de tenue !
Faire le buzz est désormais le souci de tout un chacun. « Faire tendance », comme on dit, c’est-à-dire voir ses avis largement partagés sur les réseaux sociaux. C’est la ruée au plus grand nombre de lectures et de partages ! Au prix de n’importe quoi à tout bout de champ… Des exemples ? En veux-tu, en voilà : tel député de l’opposition accusant, dans une déclaration au Parlement européen, une communauté de confisquer le pouvoir… avant de se rétracter dès son retour au pays, en disant qu’il ne parlait que d’une minorité. Telle autre députée du même camp traitant tous nos dirigeants de cafards… Des soutiens du pouvoir en place n’hésitant pas à taxer les dirigeants de l’opposition active de tous les noms d’oiseaux avec, en cible privilégiée, Biram, accablé de volées de bois vert pour un oui ou pour un non.
On est à mille lieues d’un débat politique serein où les problèmes du pays seraient débattus dans la sérénité et le respect de l’Autre. Où en est-on des tables rondes organisées par la télévision nationale il y a quelques années et auxquelles la presse privée était conviée ? Tout le monde a encore en tête le face-à-face mémorable entre les deux candidats arrivés en tête lors de la présidentielle 2007. Une expérience qui ne sera jamais renouvelée, pour la simple raison qu’il n’y a jamais eu de deuxième tour depuis cette date et qu’il n’y en aura peut-être jamais plus.
La courte parenthèse civile de 2007 à 2008 ayant été tuée dans l’œuf, les militaires sont revenus à la charge et ne lâcheront plus le morceau. D’où la sempiternelle question : à quelle sauce serons-nous mangés en 2029, lorsque Ghazouani décidera de rendre le tablier ? A moins qu’il ne veuille rempiler pour un hypothétique troisième mandat « pour garantir la paix et la stabilité du pays ». On entend certes bien que plane l’exemple du Sénégal voisin et de sa révolution populaire de 2023. Mais, franchement, on n’aurait pas mieux à faire en notre république réputée islamique ?
Ahmed ould Cheikh
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