vendredi 29 novembre 2024

Editorial: Sans mémoire, sans avenir, sans liberté…

Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ». L’auteur y dressait un tableau qui ne peut laisser indifférent : « Dans un coin oublié de Nouakchott, à l’îlot H, se cache un marché insolite où des vendeurs informels proposent, au kilo, des morceaux de mémoire nationale. Jadis témoins de l’histoire de la Mauritanie, les vieux journaux et archives sont désormais échangés contre quelques MRU pour finir en emballages ou protections dans les ateliers de peinture de voitures ». Plus loin, il enchaîne : « Ici, entre détritus et bâtiments délabrés, la mémoire nationale se transforme en simple matériel de récupération sans le moindre respect pour sa valeur historique. Ce qui surprend le plus, c’est la richesse de cette paperasse oubliée. Dans cette décharge, on trouve des documents d’une valeur inestimable : rapports sur l’éducation, la santé, l’urbanisme, correspondances officielles de divers départements, revues d’époque et même des articles de presse et reportages qu’on croyait disparus ». Et l’auteur de soulever des questions cruciales : comment préserver notre Histoire ? Comment assurer que notre passé ne soit pas vendu en morceaux au marché ? Dans le même ordre d’idées, il y a quelques années, un préfet fraîchement affecté à Mederdra décidait de brûler toutes les archives du département, dont des centaines de documents datant de l’époque coloniale et relativement bien conservés. N’ayant aucune idée de leur valeur historique, il voulait libérer un bureau pour sa secrétaire. « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir », disait le maréchal Ferdinand Foch. D’autant moins que, sans celle-ci, on se demande de quelle instruction pourrait se vanter notre « école républicaine » et nos enfants ainsi désinstruits, de quelle liberté… Ahmed ould Cheikh

vendredi 22 novembre 2024

Editorial: Dresser les bœufs avant la charrue

Soucieux de moderniser Nouakchott et d’en faire une ville un tant soit peu viable, le gouvernement a décidé de débloquer cinquante milliards d’ouguiyas MRO. Plusieurs départements ministériels sont concernés par cette mise à niveau dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle a tardé. Vieille de soixante-six ans – sa première pierre fut posée le 5 mars 1958 par feu Mokhtar Ould Daddah et Gérard Jaquet, ministre de la France d’Outre-Mer – notre capitale a l’air de tout, sauf d’une ville moderne. Sans plan directeur ni schéma d’urbanisation, elle navigue à vue depuis sa fondation ou, plutôt, depuis 1978. Avant cette date, elle était en effet plus ou moins structurée, dotée d’un système d’assainissement et ses nouveaux quartiers lotis avec un minimum d’organisation. Mais depuis, c’est l’anarchie presque totale. Avec l’argent facile qui commençait à couler à flot, de nouveaux lotissements ont poussé comme des champignons. Les distributions de terrains partout et nulle part sont devenues le lot quotidien de tous les ministres des Finances qui se sont succédé à la tête d’un département devenu le plus juteux de la République. À tel point qu’il n’est pas rare de voir une villa cossue construite au milieu d’un désert sans borne, dépourvue d’eau, d’électricité et encore moins de route pour y accéder. Le laisser- aller y atteint un tel degré que Nouakchott doit sans doute être la seule ville au monde où se côtoient, dans ses quartiers les plus chics, villas somptueuses, baraques, tentes, dépôts de briques, salles de mariage, garages pour réparations de voitures, salons de coiffure, échoppes... Le tout dans un désordre indescriptible et en l’absence totale des services d’urbanisme ainsi que ceux des communes plus enclins à collecter les taxe qu’à vérifier les autorisations de construire. La réhabilitation de la ville devrait commencer par là. Le reste suivra. Ahmed ould Cheikh

samedi 16 novembre 2024

Editorial: Un mal indéracinable, vraiment ?

La prévarication et la gabegie ont-elles encore de beaux jours devant elles ? Jusqu’à quand le détournement des deniers publics restera-t-il le sport favori de nos (ir)responsables ? La lutte contre de telles pratiques que tout gouvernement chante à tue-tête ne serait-elle qu’un vain mot ? Deux exemples parmi tant d’autres mettent en tout cas le nôtre au pied du mur. En un, le projet Aftout ech-Chargui, mené d’une « main de maître » (ès tripatouillage) par un groupement de sociétés et dont une ONG nationale a dénoncé la calamiteuse mise en œuvre ; en deux, la réhabilitation du principal quai du port de Nouadhibou, qui serait loin d’être aux normes et dont un journaliste a fait éclater le scandale. De quoi déjà prouver à l’opinion publique qu’il est encore tôt pour crier victoire. Pour ces deux affaires révélées au grand jour, combien d’autres ont été mises sous le boisseau, leurs auteurs protégés ou sommés de payer des montants symboliques… avant d’être réhabilités ? Il y a urgence en la matière. Nos maigres ressources, dont on a tant besoin au vu de nos incommensurables nécessités, sont en train d’être dilapidées au vu et au su de tous. Et ne demandez surtout pas par qui ni comment : c’est un secret de Polichinelle… Posez-vous plutôt la question du comment y mettre fin. Là se situe le vrai challenge pour le nouveau gouvernement. Sauf s’il finit par se persuader, à l’instar de ceux qui l’ont précédé, que la mission est impossible et baisse les bras. Le mal est en effet tellement enraciné et ses techniques à ce point développées qu’il en est devenu un rouleau compresseur qui broie tout sur son passage. Il faut donc se préoccuper de ses racines. Et où se situent-elles, à votre avis ? Sinon dans notre comportement trop généralisé à ne voir, dans le travail, qu’une source de profit pécuniaire et donc à ignorer, pour ne pas dire mépriser, tout ce qu’il peut générer d’accomplissement personnel… Seul le bien fait engendre le bienfait… et peut ainsi réparer le méfait ? Chiche, Mauritaniens ! Ahmed ould Cheikh

vendredi 8 novembre 2024

Editorial: Ligne de conduite

Depuis quelques jours, une affaire secoue la Toile. Tout a commencé lorsque, dans l’émission « Salon de la presse » sur la chaine TTV, Hanevy ould Dahah évoqua le marché de réhabilitation du principal quai du port de Nouadhibou, attribué à un groupement composé de deux sociétés ; l’une mauritanienne et l’autre turque. Selon Hanevy, les travaux auraient été mal exécutés, menaçant dangereusement cette installation vitale par laquelle transitent tant de marchandises, import ou export. Et notre confrère de s’en inquiéter doublement puisque ledit groupement aurait déjà perçu près de 80% du montant alloué à sa tâche. Levée de boucliers des sociétés attributaires qui menacent de traîner le journaliste en justice… Mais voilà que le port de Nouadhibou annule le marché – histoire de donner raison à TTV ? – et menace de mobiliser la caution de garantie d’un milliard huit cents millions MRO, délivrée par la GBM au profit du duo turco-mauritanien. La banque refuse à juste titre de s’exécuter, considérant que les délais du marché sont dépassés. Après l’expiration d’un contrat, argumente-t-elle, les cautions n’ont plus de raison d’être et deviennent donc sans objet. Exposée, rappelons-le ici, à l’ire d’Ould Abdel Aziz qui voulait la couler, la GBM était devenue le punching-ball préféré de tous ceux qui voulaient se rapprocher du régime de celui-ci et l’exil de Bouamatou les avait confortés dans l’idée qu’ils avaient les mains libres. Mais la banque, très à cheval sur la réglementation, réussit à survivre et a prouvé, du coup, sa solidité financière. Ni les interventions en haut lieu, ni les tentatives de certains débiteurs essayant de fuir leurs dettes en utilisant des prête-noms, oubliant que la responsabilité juridique ne se délègue pas, n’ont pas empêché la GBM de rester à la hauteur de ses charges, que ce soit en matière de crédit, d’engagement ou de recouvrement de créances. Et ce n’est pas une caution, quel qu’en soit le montant, qui la fera dévier de cette ligne de conduite. Ahmed ould Cheikh

vendredi 1 novembre 2024

Editorial: Et donc tout ça pourquoi, au final ?

« Ambiguïté délibérée » : voilà comment Ehoud Barak, alors ministre de la Défense de l’entité sioniste, désignait, en 2010, la stratégie nucléaire de son gouvernement ; « une bonne politique, en entente totale avec les États-Unis », tenait-il, sibyllin, à préciser. Moins ambigüe et d’autant moins proclamée mais… tout aussi délibérée, l’organisation d’assassinats ciblés dans tout le Moyen-Orient – notamment en Iran : Mohsen Fakhrizadeh, le professeur en charge du programme nucléaire local, en 2020 ; Hassan Sayyad Khodaei, colonel des Gardiens de la Révolution, en 2022, ou Ismaïl Haniyeh, chef politique du Hamas, en 2024… – n’a depuis cessé de rappeler au Monde l’impunité dont jouit cette entente américano-sioniste. Pour combien de temps encore ? Car les morts s’accumulent : en une seule année, plus de quarante mille palestiniens à Gaza, une réponse « légitime », nous affirme-t-on, aux mille deux cents victimes des « terroristes » du Hamas ; près de trois mille au Liban, journalistes, humanitaires, militaires de l’ONU et autres civils évidemment beaucoup plus « quelconques » que le moindre sioniste en terres palestiniennes occupées. Encore une bonne politique, donc, toujours en entente totale avec les USA ? On comprend en tout cas combien lourdement les visages s’assombrissent au Moyen-Orient arabe et perse. Et le moins qu’on puisse dire est que cette réponse aux exactions répétées du couple infernal est, elle, on ne peut plus objectivement légitime… La Résistance palestinienne et ses alliés chiites pleurent leurs morts. Mais combien ont-ils gagné de nouveaux partisans, parmi les millions de familles durement touchées par les bombardements plus aveugles que ne le prétendent les communiqués de presse occidentale ? Parmi le milliard de musulmans outrés par le spectacle quotidien de ces dévastations délibérément génocidaires ? Et parmi les milliards de tant d’autres simples gens, partout sur notre planète bleue, jour après jour plus exaspérés par cet « ordre » mondial si délibérément ambigu ? Jusqu’aux États-Unis eux-mêmes où « un quart des juifs américains considère désormais l’entité sioniste comme un État d’apartheid (1) »… Et donc tout ça pourquoi, au final ? Ahmed ould Cheikh NOTE (1) : https://orientxxi.info/magazine/peter-beinart-un-quart-des-juifs-america..