mardi 16 juillet 2024

Editorial: Inventer le possible

La réélection de Mohamed ould Ghazouani à la tête apparente du pouvoir pose diverses questions. La première est assez ambigüe : de quel système notre Président est-il le produit ? De celui des classes traditionnelles, très certainement, et ce n’est pas pour rien qu’on lui a attribué le surnom de « Président-marabout »… Mais avec quelles accointances avec la domination des militaires aux commandes du pays depuis 1978 ? Et, surtout, avec ce qu’implique d’injustices sociales et environnementales l’organisation moderne de la Marchandise et de son spectacle ? Cette réélection a révélé une fracture – pour ne pas dire béance… – entre une Mauritanie des privilèges qui s’y est investie à fond pour assurer la pérennité de ses intérêts et une Mauritanie de base, celle des déshérités, des pauvres, des jeunes sans perspectives et en perte de repères… Il y a comme une antinomie entre notre ancestrale gestion de la pénurie et l’outrance contemporaine de la consommation. C’est un risque grandissant de conflits sociaux. À cet égard et qu’on le veuille ou non, Ghazouani est perçu aujourd’hui comme le garant des intérêts des puissants, des nantis et des moufsidines. À l’ombre de ses 56%, il y a beaucoup de désillusion et de désenchantement, de désespoir et de ressentiment. Élu grâce à l’influence des notables et au poids de l’argent, peut-il s'émanciper des faucons de son régime ? A-t-il les moyens – une vraie volonté même ? – de reconquérir la confiance du peuple ? Les beaux discours ne suffisent pas et suffiront de moins en moins. À défaut d’actes décisifs, de capacité réelle à détricoter le système bancal qui nous domine, ce nouveau quinquennat devrait à tout le moins poser les conditions de bien plus qu’une alternance : une réelle alternative. En tendant notamment la main à l'opposition radicale… Il en va de l'intérêt et de la stabilité du pays. Ahmed ould Cheikh

samedi 13 juillet 2024

Editorial: Adieu MFO!

Après Habib ould Mahfoudh malheureusement trop tôt disparu, voilà un autre membre fondateur du Calame et une icône de la presse indépendante qui nous quitte sans crier gare : Mohamed Fall ould Oumère (MFO pour les amis et les lecteurs) a été arraché jeudi dernier à l’affection des siens. Tous le pleurent, sa famille, ses filles qu’il aimait tant, ses parents, ses amis, ses confrères… En un mot, la Mauritanie qui perd là l’un de ses journalistes les plus engagés, les plus professionnels, les plus courageux, un de ceux qui ont porté la presse privée sur les fonts baptismaux et lui ont donné ses lettres de noblesse. À « Mauritanie Demain », à « Al Bayane », au « Calame » et à « La Tribune », MFO n’a cessé de se battre pour l’émergence d’une presse indépendante digne de ce qualificatif. Lorsqu’un jour de Juin 1993, feu Habib, feu Abdallahi ould Eboumedienne, Hindou mint Ainina, MFO et moi-même décidâmes de quitter « Al Bayane » pour lancer « Le Calame », il était parmi les plus chauds de l’équipe. Il voulait, disait-il, qu’on vole de nos propres ailes et qu’on ait un journal dont la ligne éditoriale ne serait dictée que par nous. Choisi pour être notre rédacteur en chef, il travailla jour et nuit pour réussir ce challenge. Et, après plusieurs nuits blanches et sans autres moyens que notre volonté, le numéro 00 du Calame fut dans les kiosques. Avec le succès que l’on sait. Grand connaisseur de la société mauritanienne, homme de culture, il était l’ami de tous, grands et petits. Intransigeant sur les principes, il était le défenseur acharné des bonnes causes. Les dossiers du passif humanitaire et de l’esclavage, qui nous avaient valu tant de déboires avec le régime d’Ould Taya et plusieurs interdictions (sans compter les censures), étaient sacrés pour lui. Après « Le Calame », il continua le combat dans « La Tribune » et connut la prison, sans jamais se renier. Puisse Allah Le Tout Puissant l’accueillir en Son saint paradis. Nos condoléances les plus attristées à Fatma, Leïla, Toshi et aux filles. Ahmed ould Cheikh

samedi 6 juillet 2024

Editorial: Nouveau chapitre… dans cinq ans ?

Une page se tourne. L’élection présidentielle, cette échéance majeure qui conditionnera nos vies au cours des cinq prochaines années, est passée. Heureusement sans encombre. Témoin s’il en est de la vitalité de notre démocratie où un jour de vote se passe désormais comme un jour presqu’ordinaire. Malgré les reproches qu’on a lancés à la Commission électorale accusée par certains candidats de rouler pour le pouvoir en place, elle s’en est plutôt bien sortie. Avec l’expérience accumulée au fil des ans, la machine est désormais bien huilée. Les représentants des candidats étaient partout présents, le dépouillement s’est passé en leur présence et les procès-verbaux leur ont été remis. On peut donc dire que, sans être parfaite, l’opération effectuée en aval est somme toute acceptable. Mais n’y a-t-il pas eu un hic en amont ? Les chances des candidats étaient-elles les mêmes ? Qui bénéficie du soutien de l’oligarchie militaro-affairiste ? Pour qui mobilisent les chefs de tribus, les notables et les fonctionnaires ? Pour qui les grands électeurs ouvrent-ils des bureaux de vote, parfois dans des zones reculées et inhabitées, pour y enregistrer des milliers de citoyens, s’occupant de leur transport et de leur hébergement pour les faire voter en faveur de leur favori ? Le candidat-président, bien évidemment, qui n’a pas réussi, même s’il a obtenu une confortable avance sur ses poursuivants, à concrétiser dans les urnes la mobilisation dont il a bénéficié lors de la campagne électorale. La faute à qui ? À un directoire de campagne défaillant qui n’a pas réussi à « vendre » son candidat. Telle paraît la première leçon à tirer de ce scrutin sans autre enjeu, semble-t-il, que l’ordre de bataille de l’opposition en vue de la prochaine élection présidentielle… dans cinq ans. Ahmed ould Cheikh