dimanche 30 juin 2024

Editorial: Tout cuit?

Voilà plus d’une semaine que la campagne électorale pour la présidentielle du 29 juin est lancée. Et le moins qu’on puisse dire est que les candidats n’ont pas fait dans la dentelle : déplacements à l’intérieur du pays, meetings, réunions, initiatives de soutien, soirées musicales, tentes, banderoles, rien n’est épargné pour convaincre les électeurs indécis. C’est la course à qui mobilise le plus, organise initiative de soutien, s’affiche le plus possible lors des rassemblements en faveur de son candidat, fait preuve de plus de flagornerie… Rien que du déjà-vu et entendu. Le candidat-président draine certes plus de monde lors de ses meetings dans les capitales régionales et c’est somme toute normal dans un pays où les chefs traditionnels, les notables et les fonctionnaires se rangent systématiquement derrière le candidat du pouvoir. Mais ses challengers n’en mobilisent pas moins un électorat non négligeable. Malgré le peu de moyens dont ils disposent, comme en atteste, rien qu’à Nouakchott, le peu de sièges de campagne ouverts en leur nom, ils sont en train de sillonner le pays et battre le rappel de leurs troupes. Cela se répercutera-t-il sur le vote ? S’achemine-t-on vers une élection pliée d’avance comme en 2009, 2014 et 2019 ? Ou va-ton obliger le Président sortant à un deuxième tour dont l’issue paraît pour le moins incertaine ? Si, comme on dit, on n’organise pas une élection pour la perdre, les autres candidats peuvent aller se rhabiller… Mais sait-on jamais ? C’est tout de même seulement au soir du 29 que notre cru 2024 pourra être jugé tout cuit… ou non. Ahmed ould Cheikh

vendredi 21 juin 2024

Editorial: Entendre, enfin, la parole de ceux qui souffrent…

1969, Londres. Une citoyenne britannique, descendue au marché pour y faire quelques emplettes, découvrit avec stupeur que le prix du poisson avait brutalement augmenté de 30% et que son budget ne lui permettait pas d’en acquérir. Prise d’une subite colère, elle se dirigea vers la Chambre des lords située à quelques dizaines de mètres de là. Ayant réussi à y pénétrer je ne sais comment, elle demanda à voir le député qui avait bénéficié de son suffrage. « Les lords sont en réunion », tentèrent en vain de lui expliquer les gardes, « veuillez patienter ». Mais la dame insista et éleva à ce point la voix que le président de la Chambre se leva pour lui demander avec respect et calme ce qu’elle voulait. « J’ai une plainte urgente à faire parvenir à mon lord », dit-elle, « ainsi qu’à tous ses pairs ! » Alors et sans même l’interroger sur l’objet exact de sa plainte, l’auguste président l’accompagna jusqu’au micro : « Veuillez, madame, exprimer sans crainte tout ce que vous voulez ! Le conseil est à votre écoute… » « Nous sommes fils et filles de la Grande-Bretagne », commença-t-elle, « nous sommes entourés de mers, nous possédons des flottes qui sillonnent les océans et me voilà dans l’incapacité d’acheter du poisson en raison de son coût ! C’est pourtant pour nous protéger contre les marchands cupides et sans scrupules que nous vous avons élus. » Et se tournant vers son député, « je ne vous ai pas choisi, monsieur », ajouta-t-elle, « pour soutenir ces imbéciles et avides commerçants ! » puis, jetant son micro, elle sortit, ulcérée. La première réaction fut celle du lord indexé qui présenta sa démission audit président avant même que la dame ne fut sortie des locaux de la Chambre. Une loi fut ensuite promulguée sanctionnant toute personne qui vendrait du poisson à un prix inaccessible au pouvoir d’achat de la plus faible tranche de la population britannique. Depuis cet incident et aujourd’hui encore, le « poisson-pomme de terre » (fish and chips) vendu dans tous les restaurants, petites boutiques, moindres coins des villes et villages, reste le repas le moins cher de tout le Royaume Uni. « Le repas du pauvre » assuré ad vitam aeternam… C’est à cette si simple parole d’une citoyenne lambda que réagirent des députés réputés civilisés, à juste titre en cette occurrence. Sans présumer qu’une telle opportunité soit encore possible aujourd’hui – Sainte Sécurité oblige… – nos propres parlementaires en auraient-il besoin pour remplir eux-mêmes leurs plus élémentaires devoirs envers leurs concitoyens ? C’est en tout cas le nôtre de les leur rappeler… Ahmed ould Cheikh

vendredi 7 juin 2024

Editorial: Treizième travail d'Hercule

Quand les media publics joueront-ils le jeu de la démocratie et du pluralisme ? Quand entendront-ils qu’ils ne sont pas au service d’un seul pouvoir ou candidat mais de tous et, au-delà, de toute la classe politique, majorité comme opposition ; plus généralement encore, de toute opinion ? Comment leur faire comprendre qu’ils fonctionnent avec l’argent du contribuable – c’est-à-dire de nous tous – et doivent en conséquence véhiculer la voix de tout un chacun ? Au vu de leur contenu, il y a en tout cas loin de la coupe aux lèvres. À quelques semaines de la présidentielle, il suffit de jeter un coup d’œil sur le moindre journal télévisé pour se rendre compte que le compte n’est pas bon. Par ailleurs président sortant, un seul candidat y bénéficie, en plus de l’exposé de ses activités officielles et des inaugurations en son nom, de la représentation d’un flot incessant d’initiatives de soutien à sa candidature. Alors que les autres candidats n’ont droit qu’à de très brèves brèves. C’est pourquoi ceux-ci viennent de saisir la Haute autorité de la presse et de l’audiovisuel pour protester vigoureusement : les institutions audiovisuelles publiques, se plaignent-ils, « sont devenues des plateformes de propagande électorale pour un candidat spécifique dans la course à la présidentielle ». Et d’exhorter ladite HAPA à « exercer ses pouvoirs et son rôle de supervision de manière exhaustive, pour garantir l’impartialité des media publics et préserver les droits de tous les candidats ». Une litanie que n’ont cessé de répéter leurs prédécesseurs depuis la nuit des temps. Sans résultat jusqu’à présent. Les media publics ne sont, depuis la période d’exception et jusqu’à nos jours, qu’au service du pouvoir en place, quel qu’il soit. Dans ces conditions, faire infléchir leur position et leur faire comprendre leur vrai devoir s’apparente à un nouveau travail d’Hercule, c’est-à-dire « énorme et pratiquement impossible », selon le dictionnaire. Ahmed ould Cheikh