mardi 28 mai 2024
Editorial: L'arrosé arroseur
C’est au départ en candidat à l’élection présidentielle qu’Ould Abdel Aziz vient d’adresser une lettre ouverte au président de la République. Une démarche à tout le moins étrange, a priori : l’interlocuteur naturel d’un prétendant à ce titre n’est-il pas le peuple souverain, uniquement le peuple souverain ? Mais, bon, voyons un peu plus loin… Après s’être inquiété du « précipice » vers lequel conduit l’actuelle « gestion désastreuse et primitive de l’État », MOAA commence par y faire le bilan élogieux de sa décennie puis déplore le manque de suivi de ses « réalisations » par son successeur et l’absence de la moindre « avancée en quelque domaine que ce soit ». Il termine en fustigeant les « démons » du pays qui « alliés à certains hommes d’affaires et rapaces, s’accaparent désormais toutes les ressources du pays »… Ce qui n’était évidemment pas le cas, comprenons bien la rhétorique azizienne, au cours de sa glorieuse décennie…
Ces mêmes démons, faut-il encore entendre de ce propos, qui s’emploient aujourd’hui à ne sélectionner que des adversaires sur mesure au président sortant, tout en empêchant ceux « porteurs de projets palpables et qui caracolent en tête de tous les sondages » de se présenter. Du coup, la lettre ouverte devient la condamnation en filigrane du Conseil constitutionnel qui a publié, lundi dernier, la liste définitive des sept candidats… dont Ould Abdel Aziz est exclu. Bref, la plainte, encore et toujours, du complot ourdi contre son auguste personne. Mais les qualificatifs dont il abuse pour désigner la clique en question : « vils desseins, dédain et arrogance, ressentiment haineux, bande sans loi ni foi, autocratie et tyrannie… » ; ne sont-ils pas exactement les mêmes qu’on lui reprochait quand il était au pouvoir ? L’arrosé arroseur, en somme…
Ahmed ould Cheikh
samedi 25 mai 2024
Editorial: Rendez-vous en 2029
Le président de la République a annoncé la composition de son directoire de campagne quelques jours après avoir déposé, himself, son dossier de candidature au Conseil Constitutionnel. Enfin, serait-on tenté de dire tant l’annonce était attendue à un peu plus d’un mois d’une élection qu’on espère plus ouverte que certains veulent le faire croire. Une hypothèse vraiment plausible ?
Un directoire de campagne, ça aiguise bien des appétits, surtout en Mauritanie où il est d’abord un signe de confiance du patron et une occasion en or de coopter des parents et amis, louer des locaux et des voitures très souvent fictives, financer des initiatives bidon et des campagnes de sensibilisation et de communication tout aussi farfelues, ; bref, s’en mettre plein les poches pour peu que les scrupules ne vous étouffent pas. C’était donc la course à celui qui sera l’heureux élu et le moins qu’on puisse dire est que les prétendants n’ont pas manqué. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de gérer quelques milliards. Il est en effet établi que le candidat au (du) pouvoir génère des milliards que les banquiers et les hommes d’affaires déboursent sans rechigner pour les frais d’une campagne électorale, même si l’issue du scrutin ne fait aucun doute. On n’organise pas une élection pour la perdre, dit-on. Un adage qui ne s’est jamais démenti depuis 1992 et la première élection présidentielle. Car, comme disait Staline, l’essentiel dans une élection, ce ne sont pas ceux qui votent mais ceux qui comptent. Avis aux six candidats qui feront face au président sortant : Ne vous méprenez pas, amusez-vous bien et… rendez-vous en 2029 !
Ahmed ould Cheikh
mercredi 15 mai 2024
Editorial: Pertes de temps et d'argent
Le président de la République était à Nouadhibou il y a quelques jours. Il s’est rendu à Kiffa samedi dernier. Quoi de plus normal à moins de deux mois d’une élection présidentielle où il est candidat à sa propre succession ? Il est donc allé présider un conseil des ministres dans la capitale économique et y tenir une réunion des cadres, inaugurer des adductions d’eau et d’autres projets beaucoup moins importants mais toujours utiles… lorsqu’il s’agit de rameuter les troupes. Et pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître. Tout ce que la république compte d’hommes d’affaires, de fonctionnaires en rupture de ban, de politiciens du dimanche, de flagorneurs, de troubadours et de m’as-tu-vu ont pris (la mauvaise) habitude de devancer le Président là où il va, même pour quelques heures. Des grosses cylindrées rutilantes, frauduleusement acquises pour la plupart, grâce à l’argent public ou à d’autres sources moins avouables, forment ainsi de longs cortèges dont les pauvres populations locales n’en tirent que de grandes bouffées de poussière. Et, au lendemain de la visite, il n’en reste plus rien, comme dans un mauvais rêve. Il en est ainsi depuis la nuit des temps. Juste après sa prise de fonctions, le nouveau président sénégalais a décidé de mettre fin aux cérémonies organisées jusqu’alors à l’aéroport, à chacun de ses départs ou arrivées. Une perte de temps et d’argent, dit-il à juste titre. Ghazwani, dont on attend des mesures fermes une fois réélu le 29 Juin prochain, devrait commencer par ordonner que cessent de telles pratiques… entre beaucoup d’autres.
Ahmed ould Cheikh
vendredi 10 mai 2024
Editorial: La clé du changement
Les Mauritaniens se rendront aux urnes le 29 Juin prochain pour (ré)élire leur président de la République. Une élection sans enjeu, serait-on tenté de dire, tant le Président sortant part largement favori. Bénéficiant du soutien de l’Armée, des notabilités, de l’Administration et d’un parti omniprésent, il voit déjà les initiatives de soutien à sa candidature pousser comme des champignons. Une pratique à laquelle nous sommes habitués chaque fois que le président sortant annonce sa candidature, la flagornerie restant la « qualité » la mieux partagée dans cette contrée. Et n’est apparemment pas près de s’éteindre. Mais un mince espoir est en train de s’infiltrer dans les esprits. Le changement intervenu au Sénégal il y a quelques semaines, lorsqu’un candidat sorti de prison battit sans coup férir celui du système pourtant en place depuis douze ans, va-t-il donner des idées à notre jeunesse ? Les candidatures de Biram, maître El Id, Noureddine et Ahmed ould Haroun – s’ils réussissent à passer l’obstacle desparrainages – pourraient-elles peser face au candidat du système ? L’obliger à un second tour ? C’est d’autant moins sûr que le nerf de la guerre risque de leur faire défaut, alors qu’ils sont pratiquement inaudibles à l’intérieur du pays où les notables et les chefs de tribu font encore la loi. On est loin du Sénégal où c’est la troisième fois qu’un candidat antisystème remporte haut la main l’élection présidentielle. Quand prendrons-nous ce chemin ? Lorsque notre jeunesse saura qu’il vaut mieux combattre que battre en retraite et prendre le chemin de l’exil. Le statu quo a encore de beaux jours devant lui et ce n’est pas demain la veille qu’on se réveillera pour dire basta ! « Allah ne change pas la condition d'un peuple », a dit le Seigneur Tout-Puissant, « tant que ses membres n’ont pas changé ce qu’ils portent en eux-mêmes » (Sourate 13, verset 11).
Ahmed ould Cheikh
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Rectificatif
Une coquille s'est glissée dans l'éditorial de la semaine dernière au sujet du seuil de l'acquittement de la zakat. Au lieu de 255.000 ouguiya MRU il faut lire 25.000 ouguiya MRU.
Editorial: Au service réel du peuple
Ces temps-ci, on reparle beaucoup de la Zakat el Mal, ce troisième pilier de l’islam et obligation religieuse pour tout(e) musulman(e) disposant d’un revenu annuel supérieur à 255 000 MRU (1). Sous la plume de notre collaborateur le professeur Moussa Hormat-Allah (2), Le Calame s’était fait le chantre de l’institution en notre république islamique d’une Administration nationale de la zakat (ANZ). Avec succès, puisque le président de la République fit approuver par le Conseil des ministres le 22 décembre 2022 le projet d’un décret fondant le « Beyt Mal Zakat de Mauritanie » (3).
Mais si le travail de Moussa a éveillé bien des consciences en hauts lieux, il a également inquiété les vautours planant à proximité de ceux-ci. Il semble en effet évident qu’un certain nombre d’entre eux se soient ligués pour édulcorer, sinon tuer dans l’œuf, le caractère éminemment révolutionnaire de cette ANZ visant surtout à « éradiquer la pauvreté et la précarité dans notre pays ». Notre collaborateur était depuis longtemps conscient de cette menace, lui qui insistait sur la nécessité de donner une autonomie réelle à cette nouvelle institution en la dotant d’une « légitimité constitutionnelle » qui l’autoriserait à « gérer elle-même ses ressources et sa comptabilité, sous le regard d’un cabinet international d’experts indépendants l’auditant chaque année et publiant ses résultats sur son propre site ».
On est aujourd’hui fort loin de ces précautions, comme en témoignent le contenu de l’arrêté conjoint n°0391 du 12 Avril 2023 et le suivi qu’en a rapporté notre ami (4). Va-t-on encore voir un projet vraiment novateur et structurel pour l’avenir de notre nation capoter sous les coups tordus des rapaces de la république ? La question est d’autant plus vive que, bien gérée, la zakat apporterait à des centaines de milliers de personnes éligibles un revenu mensuel constant de l'ordre de 40 ou 50.000 MRO par chef(fe) de famille. Une manne d’autant plus facilement distribuable, au demeurant, que se développeraient les fameuses Solidarités de Proximité (SP) que préconise Ian Mansour de Grange, un autre de nos collaborateurs (5). Oui, nous travaillons au Calame et certes pas d’abord pour nos intérêts personnels…
Ahmed ould Cheikh
NOTES
(1) : L’équivalent de 85 grammes d’or. Le taux d’imposition est de 2,5% des revenus à partir de ce plancher.
(2) : Voir notamment lecalame.info/?q=node/7552 et http://lecalame.info/?q=node/7579
(3) : Voirhttps://ami.mr/fr/archives/213408 et http://lecalame.info/?q=node/14131
(4) : https://www.msgg.gov.mr/sites/default/files/2023-07/J.O.%201534F%20DU%2030.05.2023.pdf et www.lecalame.info/?q=node/15705
(5) : Voir notamment l'article "Citoyenneté et nationalité - III" publié cette semaine en cette édition N°1385 du Calame.
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