mercredi 30 mars 2011

Editorial : Il n’est pire aveugle……..

Ould Abdel Aziz ne cesse de le dire. Il l’a même répété à Tidjikja, la semaine dernière: la Mauritanie se porte bien, sur le plan économique; ses caisses sont pleines, à ras bord, et, grâce à la lutte contre la gabegie que lui, l’intègre, a initiée, ses deniers sont, désormais, dépensés au profit de ses seuls citoyens. Applaudissez, laudateurs ! L’argent qu’une poignée de prévaricateurs sans vergogne détournait, impunément, est là, visible à l’œil nu. Mais où? Injecté dans l’enseignement? Pourtant, celui-ci ne s’en porte que plus mal. Dans la santé? Elle agonise, depuis longtemps déjà. Dans la production d’emplois? Notre taux de chômage des jeunes et autres diplômés est, probablement, le plus fort du monde. Dans la construction de routes? Celles de Nouakchott ont été financées par la SNIM et celles de l’intérieur, par les bailleurs de fonds. Pour payer les employés? Certains établissements publics accusent des retards de salaire de plus de trois mois. Pour faire face aux engagements? Jamais l’Etat n’a été aussi mauvais payeur, à tel point que les fournisseurs, qui en ont pourtant vu d’autres, ne veulent plus avoir à faire aux départements ministériels et hésitent, avant de participer aux appels d’offres. Pour maintenir le cours de l’ouguiya, face aux devises? Depuis le coup d’Etat du 6 août 2008, notre monnaie nationale s’est dépréciée de 16,03%, par rapport à l’euro et de 25,15%, par rapport au dollar américain. Seule une mauvaise santé financière ou une dévaluation qui ne dit pas son nom peuvent expliquer ce glissement. Le premier argument étant exclu, si l’on en croit notre guide éclairé, l’ouguiya a-t-elle été dévaluée en catimini? Question à mille ouguiyas (non dévaluées): à quoi, donc, sert cet argent dont les caisses de l’Etat sont remplies?
Même au plus fort de la gabegie, de l’inflation, du laisser-aller et des relations tendues, avec les partenaires au développement, que notre pays a connus, au début de ce troisième millénaire, l’euro n’a jamais dépassé le seuil des 400 ouguiyas, sauf, peut-être, au marché parallèle, alors que la situation économique du pays n’était, paradoxalement, guère reluisante et que l’euro battait des records, sur le marché mondial. Deuxième question à deux mille ouguiyas (dévaluées, cette fois): Comment un pays dont l’économie est à ce point «florissante» peut-il connaître ce genre de mésaventure? Cherchez l’erreur. Elle est «quelque part», à coup sûr. Et cela doit être un jeu d’enfant de la découvrir: quelque chose ne tourne pas rond, en cette Mauritanie nouvelle. Quand on n’est pas à une contradiction près, on peut dire tout et son contraire, asséner ses vérités, au risque d’être démenti par les faits et refuser de voir la vérité en face. Ne dit-on pas qu’il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir?

Ahmed Ould Cheikh

mercredi 23 mars 2011

Editorial : Lettre à Kadhafi

Comment vous nommer ? Pour vous adresser cette lettre, le choix m’embarrasse, en effet : Colonel, Président, Guide, Leader de la révolution ou Roi des Rois d’Afrique. Vous portez autant de titres, dont vous vous affublez, de temps à autre, que de facettes : révolutionnaire, progressiste, nationaliste, anti-occidental, au début ; tyran, dictateur, mégalomane, bourreau de votre peuple, à la fin. Votre coup d’Etat militaire, contre le roi Idriss, en 1969, vous l’avez baptisé «révolution». On raconte que, lorsque le vieux roi, un homme pieux et détaché de ce bas-monde, entendit les manifestants crier «Ibliss [Satan], plutôt qu’Idriss !», il pria Allah d’exaucer leur vœu. Et vous avez tout fait pour confirmer, tout au long de votre règne, que le bon Dieu avait écouté son royal serviteur. Quarante-deux ans! Quarante-deux ans à jouer les trouble-fêtes, par-ci, à financer des rébellions ou des conflits armés, par-là. Vous avez fait, de la Libye, un pays atypique : riche par son pétrole mais avec une majorité de citoyens pauvres, un système de santé délabré, une éducation à la traîne, un régime politique archaïque. Vos miliciens et vos mercenaires, lourdement armés, ne vous ont, pourtant pas, prémuni contre l’onde de choc qui traverse, actuellement, le monde arabe. Malgré vos déclarations, à l’emporte-pièce, sur «la Libye qui n’est pas comme la Tunisie ou l’Egypte».
La Jamahiriya, comme vous vous plaisez à l’appeler, a été le quatrième pays arabe où la rue a décidé de briser les chaînes où les dirigeants s’obstinent à la maintenir. En Tunisie et en Egypte, les révolutions se sont plutôt bien passées – relativement, puisqu’il y a eu, quand même, quelques dizaines de morts, paix à leur âme! – les deux présidents, Ben Ali et Moubarak, ayant compris, rapidement, qu’il fallait faire place nette, pour ne pas être emportés par le tsunami populaire. Ils n’étaient, pourtant pas, des modèles de perspicacité et de clairvoyance. Vous aviez pris fait et cause pour eux, contre la volonté de leur peuple. Une attitude compréhensible, la révolte étant contagieuse. Pour preuve, la pandémie a rapidement gagné votre pays. Comme vos deux voisins, vous avez réprimé les manifestants mais non avec des grenades lacrymogènes, comme cela se fait dans le moindre pays civilisé du monde. Vous avez envoyé vos mercenaires, vos chars et, même, vos avions massacrer des civils qui ne cherchaient que le droit à disposer d’eux-mêmes. Vous êtes resté en retrait, les premiers jours, envoyant votre fils, qui n’occupe, pourtant, aucune fonction officielle, menacer ses concitoyens des pires sévices s’ils ne se rangeaient pas du côté de leur guide éclairé. Au lieu de calmer les esprits ou de faire peur à des hommes armés de leur seule volonté à vous faire déguerpir, la prestation de Seif Al Islam [l’épée de l’islam !] a, plutôt, revigoré les contestataires. Ils se sont, alors, rués sur les armes, pour ne plus continuer à se faire laminer et ont mis vos hommes en déroute, dans plusieurs villes. Grande scène du 4 et vous voilà sorti de votre bunker, pour ergoter, pendant plus de deux heures, et répéter les mêmes insanités que votre fils. Un énième coup d’épée (guère musulmane!) dans l’eau.
En transformant une révolution pacifique, qui aurait pu s’achever paisiblement, comme en Tunisie et en Egypte, en guerre civile, vous avez réussi l’exploit de vous mettre toute la communauté internationale sur le dos. Même des pays comme la Chine ou l’Inde, à qui vous avez promis monts et merveilles, quelques jours avant la résolution de l’ONU, n’ont pas eu le courage de voter contre la décision du Conseil de sécurité, instaurant une zone d’exclusion aérienne, au dessus de la Libye et autorisant des frappes ciblées. Il faut dire que votre cas est grave et plus personne ne veut donner ne serait-ce que l’impression de vous fréquenter. Si cette tendance paranoïaque que vous traînez, depuis quelques années, continue, vous risquez de finir une balle dans la tête ou, au mieux, devant la Cour pénale internationale, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Vos concitoyens eux-mêmes pourront vous juger pour tyrannie, répression aveugle, entrave aux libertés les plus élémentaires, meurtre ou exil des opposants, soutien au terrorisme et aux dictateurs, dilapidation des ressources de l’Etat, folie des grandeurs, instabilité psychologique, utilisation abusive de substances psychotropes, intrusion dans les affaires du pays et enrichissement illicite de votre famille et de vos proches. Et la liste n’est pas exhaustive.
Avec les frappes aériennes visant les positions de vos troupes, désormais privées de tout soutien aérien, la fin de votre pouvoir n’est plus qu’une question de jours ; de semaines, tout au plus. Aucun citoyen arabe ou du monde ne versera une larme, quand l’heureuse nouvelle sera annoncée. Encore qu’il vous reste une dernière chance d’éviter un nouveau bain de sang : partir. Ce serait, peut-être, la seule mesure de bon sens que vous n’ayez jamais prise. Mais à vous connaître, personne ne doute – hélas ! – que vous ferez boire, à votre peuple, le calice jusqu’à la lie. Et après quarante-deux ans de pouvoir absolu et de bêtise érigée en système de gouvernement, la lie risque d’être encore plus dure à avaler. Mais qu’importe, si cela signe votre fin… Kadhafi, partez donc ou restez, à vos risques et périls, mais soyez certain que nul ne fera de vous un martyr…

Ahmed Ould Cheikh

jeudi 17 mars 2011

Editorial : En filigrane, encore…

Au moment où le roi du Maroc annonçait, dans un discours solennel, de grandes réformes visant à transformer, au cours des toutes prochaines années, le royaume chérifien en véritable monarchie constitutionnelle et où le président yéménite, débordé de toutes parts, annonçait que, prêt à former un gouvernement d’union nationale, il ne se présentera, en tout cas pas, à la prochaine élection, la Mauritanie décrétait une énième augmentation des prix des hydrocarbures, exprimait sa solidarité avec Kadhafi et réprimait des manifestations de jeunes qui réclamaient un meilleur avenir. Comme si notre président, plus préoccupé à régler le problème ivoirien (et, bientôt, libyen) qu’à se soucier du quotidien des Mauritaniens, voulait nous narguer: les prix continueront à augmenter et ceux qui osent protester le feront à leurs risques et périls. La police est là et veille au grain. L’effet boule de neige du tsunami tunisien, connais pas ! La Mauritanie n’est-elle pas une démocratie qui a fait sa révolution (militaire ?) en 2008 ? Et ce n’est pas parce que le roi Abdallah a débloqué des milliards de dollars, que celui du Maroc a annoncé des réformes ou que le président Ali Abdallah Saleh a fait machine arrière, pour éteindre ou éviter les foyers de contestation, que notre guide éclairé va, pour autant, accepter d’être conciliant. Ou, au moins, prévoyant. Une des règles, essentielles, de la vie est, en effet, de tirer profit de l’expérience des autres, en évitant de tomber dans les mêmes pièges.
A ce sujet, une rumeur, insistante mais démentie par la COD, avance qu’Ould Abdel Aziz aurait, du bout des lèvres, proposé, à l’opposition, d’entrer au gouvernement. Histoire de calmer la rue et de ne pas porter, tout seul, le chapeau de la banqueroute vers laquelle le pays s’achemine, à grands pas. Ould Daddah et Ould Maouloud, échaudés par les expériences passées (reconnaissance du coup d’Etat du 6 août 2008 et accords de Dakar), auraient, poliment mais fermement, décliné l’offre. Flairant un coup fourré, ils auraient senti, rapidement cette fois, que le président voudrait les utiliser, pour se tirer de ce mauvais pas, avant de leur tourner, une fois de plus, le dos, et lui auraient fait, en retour, une proposition radicale: organiser une élection présidentielle anticipée et se retirer. Un remède de cheval qui ne serait probablement pas du meilleur goût, pour lui. Mais qui aurait l’avantage d’éviter, au pays, des lendemains qui pourraient mettre à rude épreuve sa stabilité.
Canular ou pas, «l’info» illustre un état d’esprit grandissant parmi la population. Il ne suffit pas de se voiler la face pour effacer la réalité. La Mauritanie n’est pas en dehors du monde et son peuple aspire à plus de justice, à plus d’équité, à une démocratie non octroyée et à une véritable liberté. La question est, à présent, de savoir comment atteindre ces objectifs. Sans trop de dégâts et en évitant tout retour en arrière. Voilà l’enjeu, en filigrane encore, de nos mauritaniennes velléités de changement... Il serait peut-être sage, messieurs les politiques, de ne pas parier sur la pérennité de cette discrétion.
Ahmed Ould Cheikh

vendredi 4 mars 2011

Editorial : Gare aux réveils !

Humant la bourrasque qui agite le monde arabe, depuis la fin de l’année dernière, qui a, déjà, à son actif, des pouvoirs qu’on croyait solidement assis, au moins sur le plan sécuritaire, (Tunisie et Egypte) et qui est en train d’emporter un autre régime de terreur, celui de Kadhafi, une partie de la jeunesse mauritanienne a essayé de prendre l’air du temps. Organisés via Facebook, le réseau social Internet, quelques-uns se sont donné rendez-vous, le vendredi 25 février, pour dénoncer la détérioration des conditions de vie des populations, demander du travail et dire non aux inégalités. La manifestation n’a pas drainé grand monde, juste quelques centaines de jeunes, munis de banderoles. Mais l’essentiel n’était pas là. Les mouvements de masse ont toujours commencé ainsi. Et toujours dans des endroits symboliques. Comme la place des anciens blocs, qui vient d’être cédée à de gros bonnets de la finance, moyennant des sommes qui donnent le tournis. Dites à de pauvres citoyens qui ne voient poindre aucun espoir à l’horizon et dont la vie de tous les jours ressemble, de plus en plus, à un parcours de combattant, que cette place a été vendue à plus de cinq milliards et demi d’ouguiyas et vous verrez la tête qu’ils feront. Ils vous diront, certainement, que l’Etat a fait une bonne affaire mais se demanderont en quoi cela améliorera leur misérable quotidien.
Toujours est-il que la menace a été prise au sérieux, par le pouvoir. Et il y a de quoi avoir des sueurs froides. Quand elle veut se manifester, la volonté populaire devient, assez souvent, incontrôlable. Des exemples récents l’ont démontré et des régimes, autrement plus solides, n’ont résisté que quelques jours avant de s’effondrer. Un comité de crise, composé du président et de son Premier ministre (excusez du peu !), s’est réuni, en urgence, la veille de la manif, pour discuter des mesures à annoncer et couper, ainsi, l’herbe sous les pieds des jeunes «égarés» qui allaient manifester le lendemain et qui n’ont, toujours pas, assimilé la Mauritanie nouvelle. Ould Mohamed Laghdaf s’est, en suivant, rendu dans un quartier périphérique de Nouakchott, pour lancer les travaux d’une route de quelques kilomètres. Compte-rendu, par l’agence officielle d’information, de ce moment «historique»: «Le Premier ministre a transmis, aux populations, les salutations du président de la République, monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, réaffirmant la détermination du gouvernement à assurer la justice et la transparence, dans l'attribution des terrains aux habitants de ces quartiers, ainsi qu'à trouver des solutions, appropriées, à leurs problèmes quotidiens. Il a souligné, également, que le président de la République a réitéré son soutien aux démunis dans le pays et aux couches qui étaient marginalisées, sous les régimes antérieurs, aussi bien au niveau de la scolarisation que pour l'électrification, ajoutant que les engagements du président de la République, dans ce domaine, ont été traduits par des actes. Le Premier ministre a affirmé que le pays dispose d'importants moyens qui seront distribués, de manière équitable et juste, à tous les Mauritaniens qui en profiteront, soulignant l'intérêt qu'accorde le régime, dans ce domaine, aux couches marginalisées.»
Les populations qui ont assisté à l’événement sont restées bouche bée, devant tant de sincérité, de bonne volonté et de détermination. Elles en étaient, même, à se demander de qui ce monsieur en costume, comme venu d’un autre monde, parlait. Justice, transparence, solutions aux problèmes, scolarisation, électrification, soutien aux démunis, la coupe est pleine. Chacun peut, désormais, rentrer chez lui, le ventre plein de… bonnes paroles, et dormir. Mais attention aux réveils brutaux!

Ahmed Ould Cheikh