dimanche 26 mars 2017

Editorial: Tistet Aziz

Ils l’ont fait. Les sénateurs ont dit non aux amendements constitutionnels proposés par le Président et pour lesquels il n’a ménagé aucun effort. Il aura tout fait pour les faire passer : distribuer gracieusement des terrains aux parlementaires, les recevoir, ensemble puis un à un, et tous, du moins ceux de sa majorité (pardon, minorité !) lui avaient juré, main sur le cœur, que les amendements  passeraient comme lettre à la poste. Comme l’ont fait les députés qui n’avaient, eux, rien à perdre dans cette bataille : pas voués à dissolution ni gémonies, ni accusés de tous les maux, depuis le fracas d’Ould Abel Aziz, l’an dernier à Néma, beuglant que la Mauritanie pouvait bien se passer d’un sénat aussi coûteux qu’inutile. Ah, on s’en souviendra, de ce branlebas de combat ! Tous les ministres, députés, responsables de l’UPR au charbon, chacun de son couplet, à ne ménager les pauvres sénateurs interloqués, réduits à se demander à quelle sauce seraient-ils mangés. Mais, à quelques exceptions près, nos honorables ont gardé leur calme. Attendant le jour J pour ne pas rater, comme la mule du pape, l’occasion de se venger. Si bien que, depuis ce vote historique, la majorité – Président, parti et gouvernement en vrac – se trouve tête à cul dans le même sac, « out », comme disent les Anglo-saxons. Aucun des partis dits dialoguistes n’a, non plus, pipé mot.  Personne n’a encore compris ce qui s’est passé, tous à guetter la réaction d’Ould Abdel Aziz. A part un député zélé qui a écumé les radios et les télés pour se contredire, les laudateurs font profil bas, en attendant de voir de quoi sera fait demain.
En tout état de cause et d’effet, c’est à une mini-révolution qu’on a assisté, vendredi dernier. Pour la première fois, Ould Abdel Aziz à qui tout souriait, depuis sa prise de pouvoir, se retrouve dans une situation pour le moins inconfortable. Désavoué par une partie de sa propre majorité, exactement comme en 2008, lorsqu’un bataillon de députés se rebella, sous son impulsion, contre le Président Sidioca.  Qui a tué par l’épée… Persuadé que tout se passerait bien, voilà notre guide éclairé tombé des nues. Complètement groggy, il a commencé, deux jours après le coup de tonnerre, à recevoir du monde : Premier ministre, présidents de l’UPR, de la Coalition de la Majorité et des partis dialoguistes… Il ne veut pas, dit-on, prendre de décision dans la précipitation. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura un avant et un après 17 Mars. La « rébellion » du Sénat sonne-t-elle le glas d’une majorité appelée, probablement, à nouvelles lézardes ? Les Mauritaniens ayant, tout comme la nature,  horreur du vide, il y a fort à parier qu’avec le renoncement public d’Ould Abdel Aziz à se porter candidat en 2019, tout partira en vrille. Tout comme le départ de Maaouya, en 2005, fit voler sa majorité en mille morceaux, 2019 risque d’être un tournant. Et si le non du Sénat en était déjà l’amorce ? Le point de départ d’une refondation ? Il serait très optimiste d’aller aussi vite en besogne mais quelque chose est en train de changer dans ce pays. Les citoyens en auraient donc  assez d’être traités en éternels moutons de Panurge ? Refuseraient-ils, enfin, de cautionner le pillage, à ciel ouvert, de leurs ressources ?  Puisse le Sénat être le déclencheur d’une révolution contre un système qui nous a fait tant de mal ! Et qui s’apprêtait à commettre de nouveau l’irréparable, en 2019…
Le tourmenteur de la fameuse mule du pape s’appelait Tistet Védène, s’est souvenu la mémoire populaire provençale, immortalisée par Alphonse Daudet. La nôtre, mauritanienne, ne retiendra-t-elle au final, que le souvenir de Tistet Aziz pulvérisé, un fameux vendredi 17 Mars 2017, à Nouakchott, d’un coup de sabot sénatorial si terrible, si terrible, que du fond du Majabat al Koubra, on en vit la fumée ?
                                                                                 Ahmed Ould Cheikh

lundi 20 mars 2017

Editorial: Dire le droit ou se dédire

"Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n'est pas victime! Il est complice", George Orwell
Les amendements  constitutionnels ont été approuvés, à une large majorité, par l’Assemblée nationale. Le contraire aurait d’ailleurs étonné. Une chambre d’enregistrement est élue pour avaler tout ce qu’on lui envoie. L’opération menée tambour battant, par le président de la République, à coup de terrains, de dîners et d'audiences personnelles a porté ses fruits. Les députés ont dit oui à une réforme que le peuple désapprouve, dans sa grande majorité. Sinon pourquoi notre guide éclairé a-t-il fait subitement volte-face ? Après avoir déclaré, à plusieurs reprises, que les réformes constitutionnelles seraient soumises au referendum, le voilà qui change son fusil d’épaule. Que craint-il, s’il se croit réellement populaire et s’il pense que le pays le suivra dans sa démarche ? Le coût exhorbitant du referendum ? On nous chante, pourtant et à longueur de journée, que les caisses de l’Etat sont pleines. En fait, la vérité est ailleurs. Devant un mécontentement grandissant, le pouvoir craignait une monumentale déculottée. Et la gigantesque marche de l’opposition, samedi, devrait le réconforter dans sa démarche. Il lui reste, à présent, à convaincre les sénateurs de se faire harakiri. Ce qui n’est pas gagné d’avance et, même si les « vieux» acceptent d’avaler la couleuvre, il restera un grand problème en suspens qui risque de faire capoter tout le processus. Par sa décision  001/2016, rendue le 11 Février 2016, le Conseil constitutionnel, interrogé, par le gouvernement, sur la possibilité de renouveler deux tiers du Sénat, n’a-t-il pas officiellement constaté  qu'au moment de son rendu, le  mandat de tous les sénateurs est largement  expiré ? Elus en 2007 pour six ans, deux-tiers des honorables ont en effet vu le terme de leur mandat en 2013. Celui du tiers restant, renouvelé en 2009, s’est achevé, lui, en 2015. Le juge constitutionnel  écarte donc, expressément, dans un argumentaire bien élaboré, tout moyen de droit  contraire à son constat ci-dessus,  pouvant être tiré de la loi constitutionnelle  de 2012 « maintenant en place les institutions actuelles ». Pire, le Conseil constitutionnel  met en cause – implicitement mais nécessairement – la validité des modifications constitutionnelles  ayant été « adoptées », en 2012,  par un  Parlement dont une chambre,  le Sénat, était, au moment de l'examen  desdits textes, irrégulièrement composée, le second  tiers, élu en 2007, n’ayant pas été renouvelé en 2011, comme l’exigeait la loi fondamentale. Enfin et coupant court à tout débat, le Conseil décide que le Sénat doit être renouvelé, dans son ensemble. 
Comble du paradoxe ! C'est par ce sénat invalidé, à sa demande, que le pouvoir s’attelle à modifier la Constitution sur des points majeurs  et tente, surtout, d'instaurer, en faveur du chef de l'Etat, une impunité pour les crimes qu'il aurait pu, peut ou pourrait commettre, au cours de l'exercice de son mandat. Il décide, pêle-mêle, de changer l'emblème national, supprimer le Sénat,  affaiblir des institutions nationales et faire émerger des conseils régionaux qui, tout comme les mairies, resteront des coquilles vides, l’essentiel du pouvoir trusté par l’exécutif régional. Une inquiétante situation de non-droit qui soulève des questions majeures : le refus, par le  pouvoir exécutif, de  mettre en œuvre la décision du Conseil constitutionnel ne constitue t-il pas une forfaiture ? Ne discrédite-t-il pas lourdement  le Conseil qui l’a rendue ? Quel est le sort des lois et des conventions internationales irrégulièrement adoptées ou approuvées,  par un Parlement dont le mandat est expiré ? Pourquoi une telle volte-face, entre  la date du rendu de cette décision, par le Conseil constitutionnel,  et la décision de modifier la Constitution en cours d'examen par le Parlement ?
La légalité  formelle des institutions de l'Etat  fait, désormais, défaut. Elle est, pourtant, une des conditions de base de la légitimité du pouvoir, de tout pouvoir. L’opposition a, du coup un véritable couloir devant elle. Elle n’a pas besoin de faire le moindre bruit ; simplement d’attendre, sagement, que le Congrès parlementaire approuve les amendements et déposer un recours devant le Conseil constitutionnel. Qui, fidèle à sa décision susdite, n’aura d’autre choix que d’invalider les réformes. Une bataille juridique gagnée d’avance, si l’on respecte un minimum de forme. Le Conseil constitutionnel sera placé devant un dilemme : dire le droit ou se dédire. A moins que… En Mauritanie nouvelle, on n’est jamais à l’abri d’un énième coup d’Etat contre la Loi fondamentale et ceux qui sont censés l’appliquer.
                                                                              Ahmed Ould cheikh 

dimanche 5 mars 2017

Editorial: Apprendre à se taire

Ould Abdel Aziz a parlé. Sur la TVM, Al Wataniya ou Sahel TV ? Non. Sur France 24, une chaîne publique française. Pourtant, il pouvait bien dire ce qu’il avait sur le cœur sur une des nôtres qui aurait ainsi servi, pour une fois, à quelque chose. Si l’on peut appeler cela servir à quelque chose. D’où la question récurrente : Ould Abdel Aziz s’adresse à qui ? Pourquoi, à chaque fois, qu’un de nos dirigeants veut parler, son choix se porte, immanquablement, sur des media étrangers ? Notre guide éclairé a, certes et plusieurs fois, tenté l’aventure locale mais, à chaque fois, ce fut un fiasco. Il aurait certes pu trouver un journaliste local aussi docile que celui de France 24, pas très regardant sur les questions, qui  ne le titillera pas outre mesure et évitera de rebondir, quand la réponse tarde à venir ou que le Président a du mal à choisir ses mots. Une option judicieuse puisque, devant un journaliste normal, c‘est à dire non « briefé » et un brin professionnel, l’interview allait tourner à la foire d’empoigne. Aziz n’apprécie que modérément qu’on le coupe ou contredise. Réminiscences des étoiles à ses galons, probablement.
Le décor était donc bien planté. Malgré cela, l’ex-général est apparu hésitant, très peu sûr de lui, pas du tout convaincant, sans aucune profondeur dans les analyses et le choix de ses mots. Il avait, certes, un message à faire passer et l’a fait passer. Maladroitement. En assénant, par exemple, qu’après à peine six heures passées à convaincre son ami Yaya Jammeh de quitter le pouvoir en Gambie, il était bien normal que celui-ci demandât des garanties pour sa sécurité, celle de sa famille, de ses proches et de… ses biens. Deux mots lâchés, comme ça, sans prendre garde. Ould Abdel Aziz s’est-il jamais posé la question : comment Jammeh a-t-il pu amasser, en vingt-deux ans de pouvoir, tant de « biens », une fortune aussi considérable, sur le dos d’un pays parmi les plus pauvres du monde ? Pouvait-il, Ould Abdel Aziz, aider un tyran à piller son pays, à se soustraire à la justice  et se vanter, par la suite, d’une telle « heureuse » solution ? D’autant moins heureuse, d’ailleurs, que la vérité est bel et bien ailleurs, comme le journaliste a soigneusement évité de le souligner. Au moment de la médiation mauritano-guinéenne, les troupes de la Cedeao étaient déjà entrées en Gambie, les avions nigérians survolaient la capitale et Jammeh n’allait pas tarder à être pris comme un rat, ses propres soldats ayant annoncé qu’ils ne tireraient pas une balle. Une situation qu’a bien résumée le nouveau président gambien, pour qui « le Sénégal a sauvé la démocratie et le président mauritanien, son ami ». « Heureuse » médiation dont les deux pays frères n’ont pas fini de subir les séquelles…
Autre sujet abordé par notre guide éclairé : le congrès du Parlement pour approuver les amendements constitutionnels. « C’est aux parlementaires de décider », pérorait ainsi notre savant du jour, « s’il faut passer par le congrès ou le referendum, pour les réformes constitutionnelles ». Bel effort de démocratie, dans l’absolu. Mais déjà plus relatif, trois jours plus tard, lorsque notre nouvel expert en droit constitutionnel, déclare, aux parlementaires de sa majorité qu’il a, « fortuitement », invités à dîner, « pas question d’organiser un referendum coûteux ». Lequel des Aziz croire ? Et laquelle des majorités croire, celle qui applaudit, en présence du Président ou celle qui exprime son mécontentement, à la première occasion ?
Pour la prochaine présidentielle, Aziz s’est fendu d’un « je ne serai pas candidat » (à contrecœur, s’est-il retenu d’ajouter) mais je soutiendrai quelqu’un ». Le mot est lâché. Certes il en a le droit mais, de grâce, qu’on ne nous réédite pas le coup de 2007, lorsque tous les militaires, toutes les girouettes politiques, chefferies traditionnelles, administration et autres biens de l’Etat furent mobilisés, pour barrer la route au candidat de l’Opposition ! Le pays ne peut plus se permettre une nouvelle crise, après onze ans de dérives, laisser-aller et laxisme. Il est temps, grand, grand temps de lui laisser la chance de se rénover, de fond en comble. Incapable – c’est ce qu’aura surtout prouvé cette interview – d’ouvrir les yeux sur l’étendue des dégâts cumulés par un Système injuste et moribond, le Président ne semble pas conscient de l’impérieuse nécessité de laisser, enfin, notre pays vivre sa démocratie. Sur le chemin de la sagesse du vieux singe, Aziz a déjà appris à fermer les yeux et les oreilles : espérons qu’il apprenne, à temps, à fermer sa bouche. La Mauritanie ne s’en portera que mieux.
                                                                      Ahmed ould Cheikh