dimanche 26 février 2017

Editorial: Trop, c'est trop

Les fameux dialogues de 2011 et 2016, les visitations à l’intérieur du pays, le Sommet arabe, les réformes constitutionnelles en cours, le congrès du Parlement, les remaniements périodiques, la médiation gambienne, les problèmes avec le Sénégal et le Maroc… et si tout cela était fait à dessein, pour nous distraire de l’essentiel ? La mise en coupe réglée du pays. Le sac de ses ressources. Les marchés de gré à gré et les commissions faramineuses qu’ils génèrent. Le bradage du patrimoine de l’Etat. Le morcellement de zones entières, au profit de la nomenklatura. Ne trouvez-vous pas bizarre qu’au cours des deux ou trois dernières années, les affaires douteuses ont fait florès ? Comme si une course contre la montre était engagée, pour mettre un maximum de blé de côté, pour les jours difficiles, sait-on jamais ? Si bien que le plus gros scandale ne défraie plus la chronique. Le dernier en date, celui de l’attribution de la ligne haute tension Nouakchott-Nouadhibou, à un consortium indo-saoudien, tout simplement annulée. Le groupement attributaire n’ayant pas misé sur un « bon » cheval. Le Fonds saoudien, qui finançait le projet, à des conditions très avantageuses, a jeté l’éponge. Il a refusé, systématiquement, de cautionner une magouille. Qu’importe ! L’Etat demandera, aux Indiens, de le financer, via l’Eximbank, et de choisir un nouveau représentant dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est bien introduit et héritier, pour l’occasion, d’un bon pactole. Il y en a qui sont nés sous une bonne étoile. L’affaire a fait grand bruit et contribué à discréditer le pays, auprès d’un important bailleur de fonds, mais ce n’est qu’une goutte d’eau, dans un océan de gabegie, prévarication et pillage organisé. Des exemples, en veux-tu, en voilà. La centrale duale de Nouakchott, les lampadaires solaires, le canal de Keur Macène, le barrage de Seguellil,  les écoles primaires de Nouakchott, les terrains de l’école de police, du stade et de Nouadhibou, cédés aux mêmes, les usines de farine de poisson, la concession de 25 ans à Polyhondong, le clientélisme, le népotisme et le tribalisme érigés en mode de gouvernance.
Jamais, depuis son indépendance, la  Mauritanie n’est tombée aussi bas dans la déchéance. Même au temps d’Ould Taya, qui était tout, sauf un modèle de vertu et de bonne gestion, notre pays ne connut autant de pratiques mafieuses. Plus personne ne peut prétendre à quoi que ce soit, s’il n’est membre ou adossé à un membre du clan. Et il est inimaginable de soumissionner à un marché, sur fonds publics, et le gagner proprement. Les procédures sont biaisées, rien n’échappe à la voracité ambiante. Jusqu’à quand ? Depuis le départ de Mokhtar ould Daddah, le père fondateur qui avait fait don de sa personne et de tout ce qu’on lui offrait, à un pays qu’il a porté sur les fonts baptismaux, et l’arrivée des militaires au pouvoir, on s’enfonce, de plus en plus, dans des eaux nauséabondes. L’argent public n’est plus tabou, le détournement devient la règle et l’enrichissement illicite, une source d’orgueil.
Les Français disent, à juste titre, que « bien mal acquis ne profite jamais ». Nous en avons eu de multiples preuves, avec Kadhafi, Ben Ali, Moubarak et, bien avant eux, Bokassa et Mobutu, pour ne citer qu’eux. Ils amassèrent des fortunes considérables et tout le monde sait comment ils finirent : dans les poubelles de l’Histoire. Dans un pays pauvre, incapable d’assurer un minimum de bien-être, à ses citoyens pressurés d’impôts et de taxes parmi les plus lourds du monde, il n’a pas suffi, à notre guide éclairé, d’être mieux payé que ses homologues qui dirigent de grandes puissances : près de 20.000 euros nets, par mois,  contre 18.000 euros pour Angela Merkel, 16.800 euros, pour le Premier ministre britannique ou 17.550 euros pour Jacob Zuma ; il en veut toujours plus. De quoi être dégoûté. Jusqu’à la nausée.
                                                                   Ahmed ould Cheikh

samedi 18 février 2017

Editorial: A la sénégalaise ou à la mauritanienne ?


Lorsque, le 23 Juin 2011, les députés sénégalais entreprennent l’examen du projet de loi instituant l'élection simultanée, au suffrage universel, du président et vice-président de la République, la rue s’embrase à Dakar. Devant cet énième tripatouillage de la Constitution, fixant, à 25%, le nombre de voix pour élire un « ticket présidentiel », jeunes, syndicats, opposition et société civile décident de s’unir, pour faire échec à cette tentative du président de l’époque, Abdoulaye Wade, de placer son fils Karim sur orbite. Toute la journée du jeudi, policiers et manifestants s’affrontent avec violence. Les leaders de l’opposition battent le macadam devant l’Assemblée nationale, malgré un dispositif de sécurité sans précédent. Face à un tel déferlement de citoyens mobilisés, d’un seul bloc, contre le danger, réel, pesant sur leur démocratie et contre les gesticulations d’un démocrate devenu autocrate, le projet de loi est retiré le même jour. Début de la fin pour le pouvoir de maître Wade. Il perd, quelques mois plus tard, l’élection présidentielle.

Cela s’est passé juste à côté de nous, dans un pays voisin mais, paradoxalement, à mille lieues du nôtre, lorsqu’il s’agit d’élections, de démocratie, d’opposition, de société civile, de syndicats. Où sont, présentement, cette opposition, cette société civile et ces syndicats, face au déni de démocratie que le pouvoir s’apprête à commettre, avec le recours au congrès parlementaire pour faire passer une réforme constitutionnelle ? En vertu de quoi décide-t-il de modifier la Constitution sans une large concertation ? Et pourquoi maintenant, à deux ans de la fin de l’actuel mandat présidentiel ? Pourquoi s’il y a urgence – et il n’y en pas – ne recourt-il pas au référendum, sachant, pertinemment, que le Sénat est forclos et l’Assemblée nationale ne représente pas grand-chose, puisqu’issue d’une élection boycottée par l’opposition ? En une phrase lapidaire, a-t-il le droit de changer notre drapeau et notre hymne national sans nous consulter ?
Si elle ne veut pas rater, et pour de bon, le train de l’Histoire, l’opposition doit sortir de sa torpeur. Organiser périodiquement des meetings, des marches, des conférences de presse et autres publications de communiqués, est une chose ; agir, quand il le faut, en est une autre, sans laquelle la première reste vaine. L’opposition sénégalaise a donné l’exemple. Elle est descendue dans la rue, pour obliger le pouvoir à faire machine arrière. Ses chefs étaient à la tête des manifestants, certains ont été blessés, d’autres tabassés et arrêtés. Elle a fait preuve de détermination et de courage et, lors du second tour de l’élection présidentielle, elle s’est levée, comme un seul homme, pour faire barrage au président sortant et élire son candidat. Qu’attend la nôtre pour bouger, enfin ? Le pays part à vau-l’eau, ses ressources sont bradées, sa situation économique et sociale se dégrade, de jour en jour, et le peu de démocratie pour lequel elle se bat, depuis 1991, ne sera bientôt plus qu’un triste souvenir. Or c’est bien en forgeant qu’en devient forgeron, en agissant qu’on devient acteur, en s’unissant qu’on forme une unité. Dans une communauté d’actions courageuses et décidées. Ce n’est que d’elle que naît le « pouvoir du peuple », la démocratie, donc, directe, réelle. Tout le reste n’est que vents et mirages… 
                                                                     Ahmed Ould Cheikh

dimanche 12 février 2017

Editorial: Mauritanie-Corée du sud: kif-kif?


A Séoul, après plusieurs semaines d'intenses manifestations réclamant sa destitution, la présidente de la république de Corée du sud, Park Geun-hye, a finalement cédé aux pressions de l'opposition. Elle est empêtrée dans un scandale de corruption. Elue sous le slogan de la lutte contre la gabegie (tiens, tiens…), elle avait déclaré la guerre à la corruption, promettant de punir quiconque se rendrait coupable de malversations. Elle n’a pas tardé à en faire elle-même les frais. Sa gourou, surnommée « La Raspoutine », une confidente de l’ombre (re-tiens, tiens...), forte de son énorme influence sur les prises de décision, recevait, pour sa Fondation, d’énormes fonds d’entreprises publiques. Poursuivie, par la justice, pour trafic d’influence, abus de pouvoir et tentative de fraude, elle a été écrouée, emportant la présidente dans sa chute, obligée de démissionner après l’éclatement du scandale. Une affaire impliquant ses proches et les plus grands conglomérats du pays. Mardi 29 Novembre 2016, au cours de sa troisième allocution télévisée suivant l’explosion, le mois précédent, du « Choïgate »,  nom de sa plus proche confidente, madame Park réitéra ses excuses au peuple, pour son incapacité à contrôler son entourage (re-re-tiens, tiens…). Bizarre, comme le monde est petit. Malgré l’éloignement, les disparités d’économie et d’implantation de la démocratie, notre pays a tout l’air d’une petite Corée. Notre président, qui s’était lui aussi promis de lutter conte la gabegie, n’a pas tardé à être submergé par l’ampleur du phénomène. Si bien qu’il a fini par s’en accommoder ; s’y complaire, même. Toutes les personnes, ayant eu la main leste devant l’argent public et qui sont allées en prison ou ont été relevées de leurs fonctions, ont toutes été réhabilitées, blanchies et re-nommées à de hautes fonctions. Les exemples ne manquent pas. Une démarche qui lui a probablement été conseillée par sa gourou, puisqu’il en a lui aussi une. Qui fait parler les cauris et y va de ses consignes. Tel porte la poisse, tel voyage est fortement déconseillé, telle décision doit être prise… Très introduite, elle use de son influence pour obtenir des faveurs et des postes pour sa famille et ses proches. Elle est même devenue très fréquentable. Des hommes d’affaires, en quête d’opportunités, et de hauts responsables lui font une cour assidue pour les recommander en ‘’haut lieu’’. Un anachronisme inimaginable au plus sommet de l’Etat au 21ème siècle,  s’il vous plaît. Toute honte bue. Son existence est désormais un secret de Polichinelle et n’importe qui peut vous donner son nom. Troisième point commun : l’entourage. Incontrôlé et incontrôlable ici aussi. Il a fait main basse sur le pays. Les derniers scandales du poulpe et des terrains de Nouadhibou ont achevé de nous convaincre que tout ce qu’on nous disait n’était que slogans creux.
Mais la ressemblance s’arrête là. Le peuple coréen, qui est massivement descendu dans la rue pour demander la démission de la présidente, n’a rien à voir avec les moutons de Panurge que nous sommes devenus. Leur opposition joue son rôle à merveille et leur démocratie tourne à plein régime. Aucun militaire (ancien ou actuel) n’y a son mot à dire. Et le Parlement, qui a voté la destitution de la présidente, prend sa mission au sérieux, loin de toute ingérence de l’Exécutif. On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Mais il arrivera bien un jour où notre rue se réveillera. Tout le monde, gourou ou pas, rendra alors des comptes. Une démocratie véritable verra le jour. Ce jour-là n’est peut-être pas loin. En attendant, supportons et… rêvons.
                                                                                                 Ahmed Ould Cheikh

dimanche 5 février 2017

Editorial: Les yeux de la tête


Depuis qu’il est rentré de ses vacances au lointain Tiris où il a pu profiter, tranquillement, avec des amis triés sur le volet, du bon temps, agrémenté de lait de chamelle et de viande d’agneau, Ould Abdel Aziz n’a guère eu le temps de souffler. Cueilli à froid, dès son retour, par la crise gambienne, il s’est déméné comme un beau diable, pour tirer son ami Yaya Jammeh du mauvais pas où il s’était empêtré, tout seul. En tentant de faire marche arrière, après avoir, dans un premier temps, reconnu la victoire de son adversaire, l’homme de Kanilaï s’est mis tout le monde à dos. A commencer par ses voisins immédiats, regroupés au sein de la CEDEAO, qui trouvaient ainsi l’occasion, inespérée, de se débarrasser, à moindre frais, d’un anachronisme en forme de petit dictateur pillant son pays, dirigé d’une main de fer, depuis vingt-deux ans, tuant et torturant ses concitoyens. Après plusieurs mises en garde, la CEDEAO s’apprêtait à passer à l’acte, pour le déloger. Jammeh n’allait donc pas à tarder à connaître le sort de Laurent Gbagbo, pris, comme un rat, sous les insultes, les coups et les quolibets de ses tombeurs. Et voilà que, vingt-quatre heures avant la fin de l’ultimatum adressé par la CEDEAO, notre Super-Aziz tombe du ciel. Premier voyage à Banjul mais son ami refuse de lâcher prise. Sans doute cherche-t-il à gagner du temps. Après une escale à Dakar, notre guide éclairé rentre à Nouakchott. Bredouille. Les troupes sénégalaises font une entrée, remarquée, en Gambie. Les avions nigérians survolent son territoire. L’étau se resserre. Alpha Condé, le président guinéen qui, tout comme Ould Abdel Aziz, ne veut pas que le rétablissement de la démocratie, en Gambie, soit comptabilisé au profit de Macky Sall, débarque à Nouakchott et embarque Aziz dans la médiation de la dernière chance. Après plus de vingt-quatre heures de tractations, les deux compères finissent par convaincre Jammeh de s’exiler en Guinée équatoriale, le seul pays qui a accepté de l’accueillir. Ils mobilisent leurs deux avions pour lui, sa famille, sa suite, ses fidèles et les biens qu’il a accumulés au fil des ans. Les Gambiens peuvent désormais souffler. Plus de Renseignements généraux, plus de police politique, plus de brigades de la mort… Mais un pays exsangue et des caisses vides.
Auréolé de cette « victoire historique de notre diplomatie », celle qui a permis de soustraire un dictateur à la justice de son pays, Ould Abdel Aziz rentre le vent en poupe. Depuis, c’est le déferlement. Sur la radio et la télévision publiques, ainsi que sur les privées (qui se sont révélées, pour l’occasion, de simples annexes du service public), les émisssions se succédent pour évoquer le « succès mémorable réalisé, par notre pays, grâce à la clairvoyance de son président ». Des anciens ministres et ambassadeurs, des professeurs, des chefs de partis, des juristes, de hauts fonctionnaires se sont relayés, sur les plateaux, pour dire tout le bien qu’ils pensent de cette « diplomatie toute en tact, vision et sagesse ».  Personne ne s’est posé la question du pourquoi Ould Abdel Aziz a tout fait pour sauver son ami de la potence à laquelle il n’aurait dû échapper, ni pourquoi roule-t-il, si les intérêts des mauritaniens de Gambie le préoccupaient tant, pour un chef d’Etat déchu, contre un président élu, ni pourquoi cherche-t-il, par tous les moyens, à s’embrouiller avec le Sénégal avec qui nous lient tant de liens ? L’heure n’était pas au questionnement mais à l’auto-satisfaction. Attention cependant aux pieds. Les chevilles enflent facilement. Œdipe, roi de Thèbes, était un homme tellement confiant, en ses jugements, qu'il ne pouvait même pas envisager s'être trompé sur un seul. Un aveuglement qui lui coûta, au final et littéralement, les yeux de la tête. Et à ceux de son peuple, hélas, maudit par sa faute.
                                                                     Ahmed Ould Cheikh