dimanche 25 décembre 2016

Editorial: Suivez mon regard!


Il était une fois, dans une lointaine contrée, des hommes et des femmes, convertis à l’islam, dont le souhait le plus ardent était, pour chacun(e) d’entre eux, d’accomplir, au moins une fois, le pèlerinage à La Mecque, cinquième pilier de leur sainte religion. Mais l’éloignement et la faiblesse des moyens, combinés aux dangers de la route, rendaient toute tentative extrêmement périlleuse. Un, parfois plusieurs, coupeurs de routes écumaient la zone, délestant les candidats au voyage de tout ce qu’ils possédaient, s’ils n’attentaient pas, tout simplement, à la vie des récalcitrants. En fin de compte, plus personne ne se hasardait à braver le danger. Mais un jour, un homme, intrépide, las d’attendre d’hypothétiques compagnons, décida de partir seul, contre vents et marées, et tenter de passer entre les mailles du filet. Malgré les conseils, il prend son baluchon, quelques provisions et le peu d’argent qu’il réussit à économiser et se lance dans l’aventure.
Après une semaine de route, le voilà affalé, exténué, au pied d’un arbre, le temps de souffler, avant de traverser la zone de tous les dangers. Et le prévisible s’accomplit : un homme trapu déboule, sabre au poing, le déleste minutieusement de ses provisions et de la petite somme d’argent qu’il détenait. Ne sachant plus quoi faire, notre voyageur infortuné demande au brigand de l’héberger au moins pour la nuit, le temps de voir un peu plus clair dans une situation qui ne s’annonce pas sous de bons auspices. Bon prince, le voleur accepte. Les voici dans sa cabane et une conversation s’engage. De fil en aiguille, on en vient à parler religion, bonnes et mauvaises actions, et miracle : le bandit se prend de contrition ! « Le temps du repentir est arrivé », se dit-il et, au petit matin, il réveille son hôte pour l’informer de sa décision de l’accompagner à La Mecque.
Quelques semaines plus tard, ils arrivent dans une belle et rayonnante ville. Alors qu’ils en franchissent le seuil, une nouvelle se répand comme une traînée de poudre : le roi est mort ! Avec cet extraordinaire corollaire : sans descendance, il a formulé le vœu que ce sera le premier entré dans la ville après son décès qui sera automatiquement proclamé roi. Or ce sont précisément nos deux voyageurs qui sont entrés, de concert, en derniers dans la cité : il faut donc choisir l’un d’entre eux. Le premier candidat au pèlerinage décline poliment l’offre : Il est sorti de chez lui avec un objectif précis, il lui faut à tout prix l’accomplir, et propose que son compagnon, dont il a cependant pris soin d’informer les sages du village de son parcours très peu orthodoxe, soit intronisé. Conformément à la volonté imprescriptible du défunt roi, le voilà souverain alors que rien en l’y préparait.
Après avoir accompli le pèlerinage et séjourné quelques années en Arabie, l’honnête voyageur prend le chemin du retour, en passant par la ville de son ami. Mais, avant d’entrer au palais royal, il prend la peine de demander aux passants ce qu’ils pensent de leur nouveau roi. Tous lui en disent le plus grand mal. Heureux de retrouver son ancien compagnon, le monarque le reçoit cependant avec tous les égards et le couvre de présents. « Mais pourquoi », lui demande celui-ci avant de prendre congé, « tes sujets te vouent-ils tant d’aversion, te considérant comme le plus mauvais roi que la ville ait connu ? – Ils n’ont eu que ce qu’ils méritent », répond le brigand, sourire en coin, « si ces gens avaient été plus sensés et pourvus de la moindre capacité de discernement, ils t’auraient préféré à moi. »
                                                                                    Ahmed Ould Cheikh

lundi 19 décembre 2016

Editorial: Rectificateur ''flagorné''?

 A Akjoujt – cité abritant, pourtant, la société MCM qui (sur)exploite un énorme potentiel minier – la situation de l’unique lycée est dramatique. Quatre classes, construites au début des années 80, ne peuvent plus recevoir d’élèves : leur toiture est partie au vent. Deux laboratoires ont donc été transformés en salles de classe. Cette année, il a fallu délocaliser les trois cents nouveaux élèves reçus au concours d’entrée en sixième. Les voilà logés en dehors du lycée, à l’école 2, faute de places. A quelques kilomètres de là, Bénichab a été doté, lui, d’un collège flambant neuf. Qui n’a pu être ouvert. La faute à qui ? Aux élèves. Il n’y en avait, tout simplement, pas assez. Dans quelques semaines, lorsqu’Ould Abdel Aziz foulera le sol d’Akjoujt, il se trouvera des hommes, leaders, chefs de partis et intellectuels qui prendront la parole pour lui dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Que le lycée n’a aucun problème, que les populations se portent comme des charmes. Que l’eau coule à flots. Que les délestages d’électricité ne sont plus qu’un mauvais souvenir. Que la route est bonne. Que les produits de première nécessité se bradent à vil prix. Que l’hôpital régional offre les meilleurs soins. Et que ceux qui disent le contraire sont des ennemis de la Nation et de la…Rectification. Un discours ouï en plusieurs régions et qui vient de nous être réchauffé au Tagant et en Adrar. Où le conseiller politique du Premier ministre (la voix de son maitre ?), accessoirement professeur d’université, s’est fendu d’une déclaration qui sent la flagornerie à mille lieues, invitant le Président à ne pas « nous abandonner ». Allusion à peine voilée à ce troisième mandat dont on n’a toujours pas fini de parler. Malgré la mise au point qu’Aziz a lui-même établie, lors de la clôture du dernier dialogue, mais à laquelle ses soutiens ne croient apparemment pas beaucoup. A moins qu’ils ne veuillent être des premiers à avoir enfourché ce cheval, si leur guide éclairé se décide à changer d’avis. Seule bonne note, au cours de ces deux visites carnavalesques : une jeune fille d’Atar est allée complètement à contre-courant, démentissant tous ceux qui, avant elle, avaient pris la parole pour brosser un tableau reluisant de la situation. En quelques mots, et devant une assistance médusée par tant de courage, elle a mis le doigt sur non pas une mais plusieurs plaies : l’eau, l’école, la santé, les prix, le chômage… Un discours qui devait être la règle mais qui est devenu l’exception, tant les éloges, les dithyrambes, les envolées si peu lyriques, les mensonges et les bêtises ont fait florès devant ces visitations. En quelques jours, Khdeija mint Kleib, c’est son nom, a fait un tabac sur les réseaux sociaux. Elle est devenue le symbole de cette Mauritanie qui souffre en silence et qu’Ould Abdel Aziz, pourtant élu sous le slogan « président des pauvres » ne veut, désormais, ni voir ni entendre. Que nous disait-il, en 2009, lors de sa première campagne électorale : « En Mauritanie, quand un président est élu, il fait un mandat puis deux. Les flagorneurs lui font alors croire qu’il est devenu indispensable et que le pays ne peut plus se passer de lui. Et le voilà à s’incruster au pouvoir, avec les conséquences que l’on sait ». Sept ans plus tard, « flagorné » ou pas, l’irremplaçable Rectificateur ?
                                                         Ahmed Ould Cheikh