dimanche 14 août 2016

Editorial: L'art de ramper à l'usage des courtisans

« Le courtisan », disait Paul Henri Thiry, baron d’Holbach, « est, sans contredit, la production la plus curieuse que montre l’espèce humaine. C’est un animal amphibie dans lequel tous les contrastes se trouvent communément rassemblés ». Il n’existe probablement pas une définition aussi précise ni aussi significative du laudateur bien de chez nous que celle du célèbre baron. Ils ont applaudi Moktar ould Daddah et porté ses tombeurs aux nues, glorifié Ould Taya et cautionné sa chute, voté Sidi ould Cheikh Abdallahi, pour le vouer, ensuite, aux gémonies. « Un homme si étrange est difficile à cerner », ajoute le baron. « Loin d’être connu des autres, il peut à peine se connaître lui-même ;  cependant il paraît que, tout bien considéré, on peut le ranger dans la classe des hommes, avec cette différence, néanmoins, que les hommes ordinaires n’ont qu’une âme, au lieu que l’homme de Cour paraît sensiblement en avoir plusieurs […] Un bon courtisan ne doit jamais avoir raison, il ne lui est point permis d’avoir plus d’esprit que son maître ou que le distributeur de ses grâces, il doit bien savoir que le Souverain et l’homme en place ne peuvent jamais se tromper ».
Les voilà donc, nos caméléons nationaux, tout courbettes pour le Général du 6 Août. Certes plus discrets mais avec une capacité de nuisance toujours intacte. Malgré les humiliations que leur fait subir leur champion, ils s’entêtent à rester debout, lui faisant miroiter l’idée qu’après lui, ce serait le déluge. Fervents partisans du dialogue avec l’opposition, ils n’y voient qu’un moyen, pour leur idole du moment, de rester un peu plus au pouvoir. Dans quelques mois, on les verra, probablement, multiplier les initiatives implorant des amendements constitutionnels, en nœuds visqueux de vipères sifflantes et grouillantes. Il suffit de le leur demander. « Un bon courtisan » rappelle encore le baron, « est tellement absorbé dans l’idée de son devoir, qu’il s’enorgueillit, souvent, de faire des choses auxquelles un honnête laquais ne voudrait jamais se prêter ». Mais il vrai que les laquais se doivent de marcher, au pas cadencé parfois, quand les courtisans n’ont, eux, juste besoin que de ramper.
                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

lundi 8 août 2016

Editorial: Le coût des choses...

Le Sommet des Etats arabes a finalement eu lieu, la semaine dernière, en grandes pompes. Et s’est achevé en petits souliers. Les « grands », sur lesquels notre guide éclairé misait beaucoup, pour rehausser le niveau de la rencontre, ont fait faux bond. Ni roi d’Arabie saoudite, ni président égyptien, encore moins des Emirats Arabes Unis n’ont fait le déplacement de Nouakchott. Alors qu’au moins deux d’entre eux en avaient fait miroiter l’idée. Mais, bon, le Sommet s’est tenu. Tambour battant. Au pas de charge, pour ne pas dire de fuite : moins on n’est de fous, plus on s’ennuie. Aussi quelques heures d’horloge ont-elles suffi, à nos dirigeants, pour pondre un communiqué qui n’apporte, il est vrai, rien de neuf. Comme si la question palestinienne, le problème irakien, les imbroglio syrien et libyen ou le terrorisme pouvaient être réglés d’un trait de plume. Mais c’est désormais une habitude : les sommets des Etats arabes n’ont jamais réglé le moindre problème. Ils se réunissent juste pour se réunir. Et celui de Nouakchott n’a pas dérogé à la règle. Il a juste permis d’embellir une petite partie de la ville et à des « chanceux » de rafler quelques juteux marchés. Ça valait bien un sommet, aussi riquiqui fût-il.
Ite missa est, donc. Mais à peine sortis de l’euphorie et de l’autosatisfaction, voilà que la réalité rattrape nos arabophiles nationaux. Amère. Le dialogue politique, cette Arlésienne dont on parle toujours et qu’on ne voit jamais, refait, à nouveau, parler de lui. Témoin, s’il en est, que la crise politique que nous vivons, depuis 2008, n’a toujours pas de solution en vue. La gabegie, qu’on combat, pourtant, depuis plus de huit ans, refait surface. Encore plus flagrante. Après les trésoriers régionaux, qui ont piqué des milliards et dont une fournée attend toujours de connaître son sort, c’est au tour de la Sonimex d’être projetée sous les feux de la rampe.  Son directeur régional au Trarza a pris la poudre d’escampette, avec plus d’un milliard de nos ouguiyettes dans son escarcelle. Branlebas de combat. Ould Abdel Aziz pique sa fameuse crise de « Comment quelqu’un d’autre que moi ou mien ose-t-il toucher aux deniers publics ? ». Une commission d’enquête, composée de l’IGE et de la Gendarmerie, est envoyée sur place. Elle aurait, dit-on, découvert un vaste réseau de distribution et de vente d’engrais. De « grosses » têtes tomberont-elles ? Le cas échéant, ce ne seront que les hors « grandes » tribus, familles ou autres généraux, seules carapaces à peu près résistantes à la cyclothymie azizienne. Peut-être que tout cela finira en eau de boudin, sachant que, si « Paris vaut bien une messe », comme le disait l’huguenot Henri IV, la paix du système vaut bien un milliard… Ne pas se représenter en 2019 ne signifie, évidemment pas, négliger l’avenir. Et l’avenir, c’est comme les choses : ça coûte…
                                                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

lundi 1 août 2016

Editorial: Sommet...

Le Sommet arabe s’est enfin tenu à Nouakchott. Euréka ! Notre guide éclairé a réussi son pari : recevoir, en grandes pompes, nos « frères » arabes et leur démontrer que nous sommes tout aussi arabes qu’eux, sinon plus. Le vieux complexe de l’arabité des centaines de tribus berbères qui peuplèrent nos contrées a refait surface, encore plus fort. Depuis plus d’un an, radios et télés (aussi bien publiques que privées) n’ont cessé de nous rabâcher les oreilles avec cette arabité dont tout le monde se prévaut désormais. Le temps d’un Sommet. Dont la principale raison était bassement mercantile. La cueillette des fonds a marché à… fond. Surtout pour certains pour qui l’argent a coulé à flots. Certains « bien-nés » ont ainsi tiré leur(s) épingle(s) du jeu et tout raflé sur leur passage.  Qui des lignes blanches, continues ou discontinues, sur les routes nouvellement aménagées, qui la peinture des trottoirs, qui quelques arbustes en bordures de chaussée ou quelques fleurs sur des ronds-points.  Des centaines de millions se sont ainsi évaporés. Comme quoi le Sommet a fait, au moins, quelques heureux. La grande masse, celle dont on fait tout en son nom, pourra tout juste contempler des avenues élargies, les rutilantes voitures de la Gendarmerie, de la Garde ou de la Police qui y ont englouti les ressources qui leur étaient destinées. Ils pourront se dire qu’après tout, ils ont un « bâtisseur » à leur tête. Un homme qui a donné, à « notre » arabité, ses lettres de noblesse. Comme si être arabe était une fin en soi. Il n’y a pourtant pas de quoi être fier. A quoi sert-il d’être arabe, quand vous croupissez dans la misère au moment où vos « frères » planquent des milliards de dollars que les banques occidentales font fructifier ? A quoi sert-il d’être arabe, quand on est incapable de s’entendre ? A quoi sert-il d’être arabe, quand, au moment même où vous prônez l’unité, vous travaillez à semer la haine et la division ? A quoi sert-il d’être arabe, quand on est encore colonisé et incapable de prendre des décisions souveraines ? A quoi sert-il d’être arabe, quand on forme et qu’on arme des terroristes pour tuer ses propres frères arabes ? Dans la hiérarchie des sommets, où se situe donc le sommet arabe ? Il est à craindre, hélas, que ce ne soit pas si loin de celui de la bêtise… Et que celui de Nouakchott ne nous rapproche un peu plus de la Roche Tarpéienne.  
                                                                         Ahmed Ould Cheikh