lundi 25 juillet 2016

Editorial: Un prêté pour un rendu

On ne parle plus que de ça. On renvoie tout à plus tard. Le monde, le nôtre bien sûr, semble s’arrêter. La date fatidique du 25 juillet approche à grands pas, celle qui verra les rois et chefs d’Etat arabes fouler, pour la première fois, notre sol national. Le Sommet arabe ! Le mot est lâché. Plus rien d’autre ne semble intéresser nos dirigeants.  Le Dialogue (avec un grand D) que notre guide éclairé nous avait promis « dans trois à quatre semaines, tout au plus » (c’était, s’il vous plaît, le 3 Mai dernier) ? Il n’est plus à l’ordre du jour, les promesses n’engageant que ceux qui y croient, selon la vieille formule chère aux politiciens. Ceux qui ne croient pas aux vertus du dialogue peuvent aller se rhabiller. Ould Abdel Aziz les a invités, ils ne sont pas venus, ils ont, du coup, raté le train. Ce n’est pas tous les jours qu’on est invité à venir discuter avec celui qui fut président de l’Union Africaine et s’apprête à se voir coiffer de la toge de Leader/Sauveur du Monde Arabe. N’est-ce pas lui qui a décidé de recevoir un sommet dont personne ne voulait ? N’est-ce pas lui qui va essayer de recoller les morceaux d’une ligue arabe dont les leaders s’observent en chiens de faïence, quand ils ne se vouent pas une haine tenace ?  L’intention est certes louable mais, comme il n’y a pas de petit profit, l’organisation d’une telle messe (inutile, soit dit en passant), par un petit pays aussi pauvre que le nôtre, donne généralement lieu à de nombreux soutiens, de toute nature. Et cette fois, on n’a pas dérogé à la règle. L’argent a coulé. Nouakchott – Tevragh Zeïna, pour être plus précis – est transformé, depuis quelques mois, en immense chantier. La route menant à l’aéroport et les principaux axes de ce quartier chic ont été élargis, refaits, éclairés. Les gros œuvres ont été confiés à ATTM et ENER. Le reste, c'est-à-dire l’éclairage solaire, la peinture des trottoirs, le tracé des lignes continues et discontinues sur le bitume, a été confié à un cercle restreint de proches et ils ne s’en cachent pas. Certain(e)s d’entre eux(elles) supervisent même les travaux, au vu et au su de tout le monde.
Et il y aura, certainement, encore beaucoup à vendre. Quoique… N’a-t-il pas, notre président des pauvres, déjà tout vendu ? La terre, le ciel, la ceinture verte, les mines, les relations diplomatiques, le poisson, le fleuve, un jour l’Iran, un autre, le Qatar ou l’Arabie Saoudite, l’Algérie, Kadhafi… Ah si, justement, reste le nom des rues. La rue Kadhafi, inaugurée en grande pompe, en 2008, lorsque le leader libyen appuyait le mouvement de rectification, est, désormais, rebaptisée Cheikh Zayed. En échange de quels services ? Un prêté pour un vomi, dit le dicton. N’y aurait que les déguerpis de la gazra  en face de la Fondation Bouamatou, pour en éprouver quelque nausée, là-bas, en cette désolation si dérisoirement drapée du prestigieux nom de Dubaï ?  
                                                                                     Ahmed Ould Cheikh

lundi 18 juillet 2016

Editorial: Leurre tragique

« La vie », disait Shakespeare, « est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien ». Entre nous, cela ne ressemble-t-il pas, un peu, à ce dialogue dont on nous bassine les oreilles, depuis quelques années ; que le pouvoir appelle, du bout des lèvres, de tous ses vœux ; qu’une opposition dite de velours réclame et qu’une autre, prétendue radicale, rejette systématiquement ? Pourquoi tant de bruit et de fureur, pour un dialogue qui ne signifie… rien ? Que signifie d’ailleurs dialogue, dans une démocratie « normale » ? A-t-on jamais entendu un président français ou américain appeler son opposition à venir discuter autour d’une table ? De quoi donc parler ? D’une modification de la Constitution ? De la limitation des mandats ? De l’âge des candidats à la présidentielle ? Il est vrai que notre prétendue démocratie n’a rien de normal. Un exemple parmi tant d’autres : il y a quelques années, le président de l’Assemblée nationale et le maire de la plus grande ville du pays étaient membres de l’opposition. Aujourd’hui, tout est aux couleurs du parti/Etat : écrasante majorité de députés, sénateurs et maires, ministres, secrétaires généraux et directeurs systématiquement tenus à émarger au parti présidentiel, mafia politico-militaro-affairiste qui fait main basse sur le pays et veut réduire au silence toutes les voix discordantes….
Dans ces conditions, comment et avec qui dialoguer ? Et, bien avant que de politique, ne doit-on pas, d’abord, causer éducation, santé, justice sociale, partage équitable des ressources et poser, sur la table, les problèmes qui touchent la vie réelle des citoyens ? En quoi nous concernent les chamailleries des politiciens autour d’un dialogue qui n’est, tous comptes faits, qu’un leurre, un trompe-l’œil jeté en pâture à l’opinion, pour l’occuper et lui faire oublier un quotidien de plus en plus difficile ?
Crise ? Mais ce même pouvoir, à qui le dialogue paraît, soudain, la panacée pour sortir le pays de la tourmente, ne refusait-il pas, hier encore, de reconnaître ne serait-ce que l’ombre d’un nuage ? Il faut bien que le peuple s’amuse et, s’il lui faut des nuages pour cela, ma foi, se sera-t-on dit, là-haut, entre la poire et le fromage, qu’on lui en donne ! Le ciel est noir, dit l’opposition. Peignez-le en bleu, ordonne le Prince, avec quelques nuages, blancs. Mais n’est-ce pas de s’être tant persuadé que « la vérité est unechienne qu'on doit laisser au chenil », que le cœur du pauvre roi Lear se brise, au final, et avec lui, son peuple ?
                                                                                  Ahmed Ould Cheikh

samedi 9 juillet 2016

Editorial; Retour de bâton

Le Sénat, le Patronat, Mauritel, Tasiast, Mattel, Chinguitel, MCM… Quels liens entre une institution parlementaire, une organisation patronale, des sociétés de téléphonie et autres entreprises exploitantes de mines d’or et de cuivre ? Un seul : Elles ont, toutes, maille à partir avec le pouvoir actuel. Qui a décidé d’initier une réforme constitutionnelle visant à supprimer le Sénat, « inutile et coûteux ». Ce que les sénateurs n’ont apprécié que modérément et l’ont fait savoir, en refusant de recevoir des ministres et de répondre à une convocation du président de leur parti. Avec l’Union Nationale du Patronat, la guerre est déclarée depuis quelques mois déjà, Ould Abdel Aziz tenant à obtenir, à tout prix, la tête du président sortant.
Quant aux autres fronts, ils n’ont été ouverts qu’il y a quelques jours… avec une maladresse qui frise l’enfantillage. Subitement et sans crier gare, le ministère du Travail se réveille d’une longue hibernation et demande, à ces sociétés, d’appliquer, à la lettre, la réglementation sur le travail des étrangers. Sans concertation et sans donner le moindre délai de grâce qui leur permettrait de prendre les dispositions nécessaires au remplacement de dizaines, voire de centaines d’expatriés, dont certains occupent des postes sensibles. La décision passe mal, même au sein de l’opinion publique qui n’y voit qu’une volonté du pouvoir de régler des comptes. Comment expliquer autrement cette décision subite de faire appliquer une loi qui date de quelques années, et même de  décennies ? Pourquoi la déterrer maintenant ? Populisme, démagogie, préférence nationale ? Un peu de tout ça ?
Quoiqu’il en soit, le résultat des courses est bel et bien acquis : Tasiast a décidé de fermer son usine. Déjà éprouvée par la chute des cours de l’or, les coûts d’exploitation élevés et une grève de plusieurs semaines qui lui a fait perdre beaucoup d’argent, l’entreprise était déjà sur les nerfs. Assez pour jeter illico l’éponge, lorsque les inspecteurs du Travail ont débarqué, histoire de vérifier la situation du personnel étranger – plusieurs n’étaient effectivement pas en règle – et brandi la menace de fortes sanctions, si les fautifs poursuivaient leurs activités. Allez, hop ! Les étrangers, direction Las Palmas, par avion, et les mauritaniens, au chômage technique ! En fin de Ramadan et à quelques jours de la fête, voilà qui risque fort de leur créer bien des difficultés. Gageons qu’ils ne manqueront pas de l’exprimer…
C’est tout de même curieux, cette propension du pouvoir à se mettre à dos tout le monde… Plutôt que des décisions à l’emporte-pièces, pour ne pas dire l’arrache-clous, une opération en douceur, après mise en garde et délai de grâce, par étapes raisonnablement mesurées, aurait certainement eu des effets autrement moins désastreux. Bastonnez, bastonnez, soldats, c’est bien connu : à l’aller du bâton, la route se dégage. Mais qui finit toujours par dégager, au retour ?
Ahmed ould Cheikh