dimanche 26 juin 2016

Editorial: Dictature à petit feu

Depuis quelques mois, le patron des patrons mauritaniens, Ahmed Baba ould Azizi, est dans la ligne de mire du pouvoir. Fervent soutien de la Rectification d’Août 2008 et l’un des contributeurs des campagnes électorales du guide éclairé, Ahmed Baba est entré en disgrâce pour des raisons que même lui n’arrive pas à élucider. Petit à petit, il s’est retrouvé exclu des marchés publics et, s’il lui arrive d’être moins disant, comme pour la centrale électrique duale de Nouakchott ou la route Méderdra-R’kiz, il est systématiquement éliminé, au profit d’une entreprise pourtant beaucoup plus chère ou du Génie militaire (hé oui, ça existe…). Et, comme pour couronner le tout, le pouvoir décide de lui enlever le seul titre qui lui existe, président de l’Union du patronat, après avoir demandé, officiellement, à l’Italie, de lui retirer celui de consul général honoraire en Mauritanie (Il est le seul au monde qui peut se prévaloir de ce titre, ce qui constitue une grande marque de confiance de la part d’un Etat aussi important que l’Italie pour un citoyen mauritanien). Devant sa volonté de ne rien céder, le Premier ministre convoque les présidents des fédérations affilées au patronat et leur intime l’ordre de tenir un congrès pour choisir un nouveau président. Or, il se trouve, en vertu des textes, que le congrès ne peut être convoqué que par le président sortant lorsque toutes les fédérations seront à jour dans leurs cotisations et auront produit leurs rapports d’activité. Une contrainte légale sans laquelle le vote ne pourra pas avoir lieu. En attendant, la résistance s’organise. Syndicats et partis d’opposition ont condamné cette ingérence manifeste du pouvoir dans le renouvellement des instances dirigeantes d’une organisation n’ayant rien à voir avec l’Etat. Une ingérence qui a commencé dès l’année dernière, avec le parachutage d’un colonel à la retraite, à la tête de la fédération des éleveurs et la tentative, avortée, d’imposer un général défroqué, à celle de l’Agriculture. Après l’Association des maires de Mauritanie, dont les postes de président et secrétaire général sont, désormais, occupés par des colonels retraités, la militarisation des corporations s’accentue. Plus rien n’échappe à la boulimie de nos « vaillants » militaires, actifs ou retraités. On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ne cherchent-ils pas à imposer un des leurs à la tête du patronat. Un célèbre chroniqueur a proposé que ce poste revienne au président de la République, devenu premier homme d’affaires du pays. Et qui refuse de voir cette structure dirigée par quelqu’un d’insoumis à sa volonté. C’est que l’homme est d’une haine tenace, voit des ennemis partout et veut tout régenter, jusqu’au plus petit détail. Non content d’avoir ruiné une personne à qui pourtant il ne reproche rien, il veut également la priver des honneurs et des titres symboliques. Ceux qui observent cette situation sans lever le petit doigt devraient bien méditer cette citation du pasteur Martin Niemöller : « Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Lorsqu'ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Et, lorsqu’ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester… »

                                                                                         Ahmed ould Cheikh

dimanche 19 juin 2016

Editorial: Nouvelle Constitution?


En 2014, voulant couper court à une rumeur, persistante, sur sa volonté de tripatouiller la Constitution, pour briguer un troisième mandat, et alors que les braises de la révolution burkinabée, qui avait chassé Compaoré du pouvoir, étaient encore incandescentes, le président béninois, Yayi Boni, trouva une formule choc : « Plus jamais vous ne verrez mon nom sur un bulletin de vote ! ». La tension baissa subitement. La classe politique savait à présent à quoi s’en tenir, les partenaires étrangers étaient désormais rassurés : l’alternance se passerait sans heurts. Et il en fut ainsi.  L’ennemi juré du Président sortant, un homme d’affaires qui avait connu les procès et l’exil, remporta l’élection, haut la main. Le Bénin et ses dirigeants donnaient, ainsi, le bon exemple à une Afrique où l’alternance pacifique au pouvoir n’était l’apanage que de quelques vieilles démocraties. Une Afrique sur laquelle déteint encore l’image, désastreuse, d’un Nkurunziza, d’un Sassou N’guesso, d’un Kabila ou d’un Mugabé qui s’accrochent, désespérément, au pouvoir. Une Afrique où les modifications des Constitutions sont devenues monnaie courante.
A quelque trois ans de la fin de son deuxième – et dernier ? – mandat, notre guide éclairé prendra-t-il le chemin de Yayi Boni ou celui de l’un des quatre larrons ? La question ne devrait normalement pas se poser. La Constitution prévoit deux mandats, au plus. Le titulaire de la charge suprême devrait, normalement, passer la main à l’issue du second. Mais notre génie national a le don d’entretenir le suspense. Pour trancher le débat et dans une dernière tentative de ramener l’opposition à de meilleures sentiments, il n’a pas trouvé mieux que de déclarer – à des journaux étrangers, comme si les Mauritaniens, pourtant premiers concernés, comptaient pour du beurre… – qu’il respecterait le serment juré, à deux reprises, de ne pas « modifier » la Constitution… sans dire clairement qu’il ne se représenterait pas à la future présidentielle. Il y a nuance. On peut respecter son serment de ne pas toucher la Constitution ou, au moins, les articles relatifs à la durée des mandats, et proposer au peuple, par voie référendaire, une nouvelle loi fondamentale, toute emballée, prêt-à-porter pour une dix-de-der ! C‘est ce qui explique, peut-être, son empressement à organiser, à tout prix, un dialogue, même avec n’importe qui, pourvu que ça passe. Il reçoit, à tour de bras, des formations politiques qui lui sont acquises, comme El Wiam et APP, pourtant étiquetés opposition, ainsi que des opposants en rupture de ban et autres minuscules partis qui ne représentent pas grand-chose. Vision exagérément fataliste et injustement persuadée du machiavélisme azizien ? Peut-être ; mais en l’attente d’une déclaration aussi nette et claire qu’un « Plus jamais vous ne verrez mon nom sur un bulletin de vote !», elle tient, malheureusement, toujours la route… 
                                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

dimanche 12 juin 2016

Editorial: Boomerang?


Jeudi dernier, des centaines d’hommes et de femmes, pauvres, pour la plupart, sinon tous, se regroupent dans une enceinte où un riche homme d’affaires de la place a décidé de leur distribuer sa zakat (aumône religieuse) annuelle. A l’arrivée du convoyeur de fonds, c’est la ruée. Une énorme bousculade s’en suit. Piétinées par la foule, huit personnes rendent l’âme sur le champ. Des dizaines d’autres sont blessées, certaines grièvement. Un spectacle de désolation dont on entend que cris, pleurs et gémissements. Jamais, de mémoire de Mauritanien, la pauvreté n’a tué autant de monde. Jamais l’appât du gain n’a été aussi fort. Jamais, pour mille ou deux mille ouguiyas, on ne pouvait risquer sa vie, à ce point désespéré qu’on n’ait plus rien à perdre. Mais la misère a atteint un tel degré que le pire peut désormais être envisagé. Des nuées de pauvres, hagards et en haillons, squattent les principaux carrefours de la capitale, en quête d’un hypothétique donateur. Aveugles, estropié(e)s et bien portant(e)s s’accrochent aux vitres des voitures à longueur de journée, espérant pièce ou billet. Et, lorsque la petite rumeur annonce qu’un homme aisé va ou a déjà distribué quelques miettes, c’est la course. Ce n’est plus exceptionnel de voir des gens à faire le guet, en grappes, devant une maison cossue, des heures durant, sous un soleil de plomb, parfois. C’est ce qui s’est passé jeudi dernier. Cette fois, personne n’a pu contenir la foule et le bilan est catastrophique. Comment en est-on arrivé là ? Comment, dans un pays d’à peine trois millions et demi d’habitants, pourvu de tant de richesses naturelles, on peut ne plus avoir en ligne de mire que le petit billet qui assurera la pitance d’une journée, au maximum ? Comment expliquer cette dualité pays riche, pauvre population ?
Arrivé au pouvoir en 2008, Ould Abdel Aziz avait officiellement fait de la lutte contre la gabegie son principal cheval de bataille. Ce n’est pas normal, clamait-il, qu’une petite minorité soit à piller le pays, privant les autres citoyens de ressources censées profiter à tout le monde. L’idée fit son petit bonhomme de chemin et nombre d’esprits naïfs y crurent. Plusieurs affaires éclatèrent, des dossiers furent même déterrés, des gens envoyés en prison. Mais, rapidement, la bulle crève. Tout n’était que slogan et manœuvres pour régler des comptes à ceux qui avaient choisi le « mauvais » camp. La gabegie reprend des couleurs, sous une nouvelle forme. On pique, désormais, directement dans la caisse, sans autre forme de procédure. Des trésoriers régionaux s’emparent de milliards dont on se demande comment ils ont atterri dans des perceptions qui ne devraient pas, en principe, brasser autant d’argent. Des caissiers de la SOMELEC se servent directement. Des comptables de l’Armée « prêtent » des centaines de millions. De hauts responsables et des directeurs de sociétés publiques attribuent des marchés évalués à des milliards à de « bien nés », un crime économique imprescriptible et traduisible devant juge pénal, dans tout Etat de droit. C’est désormais une autre petite minorité qui a repris le pillage à son compte. Et de façon systématique. L’argent public, le domaine foncier de l’Etat, les marchés de gré à gré ou enrobés dans un semblant de légalité, les dons en provenance de l’extérieur, les postes sensibles, rien n’échappe à leur voracité. Certes, aucun de ces dilapidateurs frénétiques n’était présent, lors du drame de jeudi dernier. Mais s’ils n’ont physiquement piétiné personne, c’est bel et bien eux qui ont impulsé le mouvement de la foule. Jusqu’à revenir, tôt ou tard, à l’envoyeur ?
                                                 Ahmed Ould Cheikh

dimanche 5 juin 2016

Editorial: Pandore, Pandore es-tu là ?


Ould Abdel Aziz l’a répété au moins trois fois, à des journalistes français à qui il a accordé un entretien de près d’une heure, vendredi dernier : il respectera son serment, jurant, de surcroît et à deux reprises, de ne toucher à aucun des articles relatifs à la limitation des mandats.  Malgré l’insistance de ses invités, il n’a cependant pas dit clairement qu’il ne participerait pas à une troisième élection. Le « raisonnement » n’a cependant pas surpris nos confrères qui, manifestement, se foutaient, comme d’une guigne, du nombre de mandats que notre guide éclairé ou tout autre dirigeant du continent noir fera ou ne fera pas. Ils ont été choisis pout « gober » tout ce qu’on leur dira et pondre, en suivant, des articles où une image positive de notre pays, stable, démocratique, sur la voie du décollage économique, rempart contre le terrorisme et l’immigration, apparaîtra en filigrane. Leur programme, concocté par un certain Marc Bousquet qui travaille, désormais, avec la nouvelle égérie de la communication présidentielle, Khira mint Cheikhani (directrice générale de la TVM et, accessoirement, de l’UPR), prévoyait un séjour dans la zone franche et un entretien avec le président de la République, lors d’un dîner. Et autres choses moins avouables qui ne militent pas, nécessairement, en faveur d’une objectivité à toute épreuve. Ould Abdel Aziz, dont les relations avec la France n’ont jamais été aussi mauvaises, n’a pas trouvé mieux que de choisir les media du colonisateur pour lifter son image à moindre frais. Il n’en pourtant obtenu aucun grand. Le Monde et la Lettre du Continent ont décliné l’offre, aucune chaîne télé n’a fait le déplacement. Quel message voulait-il donc faire passer ? Pourquoi n’a-t-il pas choisi, comme par le passé, les media nationaux, pour atténuer l’impact de son lamentable discours de Néma et expliquer ce qu’il voulait y dire ? Il est vrai que ses deux dernières conférences de presse furent loin d’être des succès : bafouillages, emportement, empêtrements dans les chiffres…Avec des étrangers et entre quatre murs, on peut dire tout et son contraire. Sinon, comment prétendre respecter son serment et refuser de dire, clairement, qu’on ne se présentera pas à la prochaine élection ? Il y est des raisonnements que la raison ne connaît pas.
On en reste donc à l’hypothèse de ce que l’homme du 6 Août ne lâchera pas aussi facilement le pouvoir. Le dialogue qu’il s’apprête à lancer, sans le FNDU et le RFD, participe de cette logique. Les modifications constitutionnelles qui en découleront ne seront pas aussi neutres qu’on voudrait bien nous le faire croire. La suppression du Sénat ou la fondation de conseils régionaux n’ont jamais été une fin en soi. Le plus important se situe ailleurs. Suivez mon regard. Pandore, Pandore es-tu là ?
                                                                                               Ahmed Ould cheikh