dimanche 24 avril 2016

Editorial: Un chat est un chat


Le fameux  dialogue, qu’on croyait mort et enterré, refait de nouveau parler de lui. Dans un contexte inédit. Quatre ministres, et non des moindres, ont, à diverses occasions, fait état de la « nécessité » de tordre le cou à la Constitution, pour permettre à notre « guide éclairé » – l’expression n’est, cette fois, pas de moi – de briguer troisième, quatrième et plus mandats. Devant le tollé provoqué par de telles déclarations et en l’absence de réaction du premier concerné, plus personne ne pariait un sou sur un dialogue désormais associé à l’Arlésienne, celle dont parle toujours et qu’on ne voit jamais.
Mais voilà Messaoud, tel un Phénix renaissant de ses cendres, qui prend son bâton de pèlerin, après deux entrevues avec Ould Abdel Aziz. Vantant les mérites du dialogue avec celui qu’il vouait aux gémonies, il n’y a pas longtemps, contre l’avis d’une coalition dont est membre son parti, avec El Wiam et Sawab, et qui, elle, a toujours ménagé celui-là (parfois plus que de raison), l’ex-président de l’Assemblée nationale tente de convaincre le RFD et le FNDU de discuter avec  l’homme du 6 Août. Qui, Messaoud le pressent, ne se représenterait pas en 2019. Une intuition qui n’aura pas, malgré les talents de l’orateur, réussi à convaincre grand monde. Du coup, le somptueux dîner qu’il  a offert, à la délégation du Front, a fini en queue de mouton : Ould Maouloud et ses amis ont exigé une réponse écrite à leur mémorandum et un désaveu présidentiel public des zélés ministres, déclarant ferme décision de ne pas toucher à la Constitution. Il n’en fallait pas plus pour énerver le vieux leader haratine. Le voilà soudain hors de ses gonds. C’est à peine s’il ne met ses contradicteurs à la porte. « En tout cas, moi », leur lance-t-il, « je vais au dialogue ». Ce qui, du reste, n’a pas surpris la délégation. N’a-t-il pas déjà dialogué, en 2007,  avec ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir, en décidant de soutenir le candidat des militaires contre celui de l’opposition ? En 2011, malgré le boycott de celle-ci, dans le cadre de la CAP ? Et en 2012, en déclarant à quelques heures d’un meeting qu’on espérait décisif, qu’il avait parlé avec Ould Abdel Aziz (hospitalisé à Paris, après la fameuse balle amie) et que celui-ci se portait comme un charme ? N’a-t-il pas été nommé, par ce même Aziz, président du Conseil économique et social, une haute fonction douillette qui ne donne droit qu’à des avantages et aucun inconvénient, si ce n’est celui de vendre son âme au diable ? En vertu de quoi s’autoproclame-t-il juge, alors qu’il est déjà partie ? Pour une fois, l’opposition n’est pas tombée dans le panneau. Elle a senti le piège que lui tendait, sournoisement, le pouvoir, pour l’amener à un dialogue-clé de boîte à Pandore. Alors que rien ne le justifie. La réponse aux propositions de Messaoud était, de fait, d’une facilité déconcertante : soit Ould Abdel Aziz veut tripoter la Constitution et il n’y a rien à discuter ; soit il entend la respecter et se retirer à l’issue de son mandat : là non plus, personne ne voit de quoi pourrait-on parler avec lui. Un chat est un chat. Certes, la nuit, tous les chats sont gris mais, en la présente occurrence, le FNDU est bien avisé d’attendre le jour…
                                                                                                 Ahmed Ould Cheikh

dimanche 17 avril 2016

Editorial: Empêchement constitutionnel


Pour avoir écrit, en ce qui concerne le premier, et, pour le second, repris, dans le portail qu’il dirige, l’information, tout en la mettant au conditionnel, selon laquelle Bedr, le fils aîné du président de la République, aurait tiré sur un berger en Inchiri, deux journalistes se sont retrouvés en prison comme de vulgaires malfrats. Convoqués très tôt, jeudi dernier, ils ont été entendus par les limiers du Commissariat spécial de la police judicaire (CSPJ)  et envoyés, derechef, devant le procureur de la République de Nouakchott-Ouest qui leur a, tout aussi illico, délivré mandats de dépôt. Une procédure expresse dont ne bénéficient pas tous les justiciables, loin s’en faut. N’est pas fils de Président qui veut.
Même  si les délits de presse ont été dépénalisés, le ministre de la Justice dont dépend, directement,  le Parquet, ne pouvait laisser pareille occasion pour démontrer qu’on ne s’attaque pas impunément à la famille régnante. Après sa boulette devant l’Assemblée nationale, où il a demandé, explicitement, un troisième mandat pour Ould Abdel Aziz, en violation flagrante de la Constitution, le voilà qui foule au pied les lois de la République dont il est censé veiller à l’application. Oublient-ils, ces laudateurs zélés, que l’Histoire retient tout ? Qu’arrivera bien le jour où tout un chacun devra rendre compte ? Qu’obéir aux ordres ne peut tout expliquer ? Et qu’on ne peut envoyer un citoyen en prison  pour un délit, si délit il y a, dont la sanction ne prévoit pas l’emprisonnement ?
Toujours est-il que nos deux confrères se sont retrouvés, par un de ses miracles chers aux républiques bananières, dans la citadelle du silence. Déjà dans le viseur du pouvoir, la profession se mobilise. Reporters Sans Frontières et les chancelleries occidentales sont aussitôt alertés. Un sit-in est organisé, dès le lendemain, devant la prison civile, suivi d’une marche à destination du palais de Justice, du ministère éponyme et du ministère chargé des relations avec le Parlement qui assure la tutelle de la presse. Le Parquet fait aussitôt machine arrière et ordonne la libération des deux journalistes. Mais le mal est fait. Plus personne n’est désormais à l’abri d’une détention arbitraire, pour peu qu’il écrive un filet attentant à l’honneur d’un Lucky Luke qui tire sur tout ce qui bouge. Faites gaffe, confrères ! Attention aux balles perdues et aux balles amies ! Elles font parfois plus de mal que les balles ennemies qui, elles, peuvent rater leur cible.
Non seulement, vous n’avez plus droit ni aux abonnements  ni aux insertions publicitaires de toutes les structures étatiques ou semi-étatiques, en vertu d’une circulaire de la Primature elle-même, mais voilà qu’une épée de Damoclès se met à planer, de surcroît, au-dessus de vos têtes. A la moindre incartade, un juge zélé peut vous envoyer en prison. L’Azizanie à bout de souffle s’apprête-t-elle à souffler les dernières bougies de la démocratie ? Daniel Defoe disait à juste titre que ‘’la nature a laissé cette teinture dans le sang, que tous les hommes seraient tyrans s’ils le pouvaient’’. A nous de les en empêcher. Sans oublier de nous en empêcher nous-mêmes... C’est un tel esprit qui constitue justement la démocratie.
                                                                         Ahmed Ould Cheikh

dimanche 10 avril 2016

Editorial: Nécessité historique


Trois ministres (Economie, Justice et Relations avec le Parlement) l’ont dit ouvertement, ces derniers jours. Devant le Parlement et face à la presse.  La question du troisième mandat n’est désormais plus un tabou. Malgré le verrou de la Constitution et le serment du Président, lors de sa prise de fonctions. Trois ministres, dont aucun n’a été remis à l’ordre ni n’a exprimé le moindre regret d’avoir demandé, sans détours,  qu’on viole la Constitution. A croire qu’ils étaient mandatés pour jeter ce pavé dans la mare et poser, de manière si peu délicate, la question de la limitation des mandats. C’était déjà une quasi-certitude lorsque le ministre de l’Economie s‘est permis de déclarer, dans une de ses envolées pas lyriques pour un sou, qu’il existe des régimes à qui il faut trois ou quatre mandats pour « achever le travail entrepris ». L’homme est  bien connu pour avoir gravi les échelons, non pas à la sueur de son front mais à celle d’une servilité dont il n’aura jamais manqué la moindre occasion de faire preuve. On a tout de suite fait le lien avec ce pouvoir qui a fait de lui ce qu’il est. Puis ce fut au tour du ministre de la Justice de répéter la même bêtise, cette fois en termes plus crus et sans prendre de gants. Avec même l’outrecuidance d’élever la voix, devant des élus médusés, et de refuser, ostensiblement, de revenir sur son propos. Le porte-parole du gouvernement reviendra à son tour à la charge, lors de son show hebdomadaire, en affirmant que « la volonté populaire est au-dessus de la Constitution ». Faut-il lui rappeler que cette Constitution, que lui et ses collègues appellent à fouler du pied, n’aurait pu être votée et promulguée, sous cette forme, sans la volonté populaire ? Violer celle-là serait donc aller à l’encontre de celle-ci. Notre ministre devrait revoir ses leçons de logique, s’il en a déjà suivies dans sa vie.
Vendredi dernier, c’est au tour d’un quatrième ministre d’entrer dans la danse, loin du Parlement et des media. En réunion avec les élus du Hodh Charghi, à Néma précisément, le ministre de l’Intérieur fait sortir les correspondants de la presse officielle et demande, à tous les présents, d’éteindre leurs téléphones portables, histoire de couper court à tout enregistrement. Et le voilà à informer que le président de la République sera, à Néma, aux environs du 14 Avril, avant de demander, à tous, de se mobiliser pour que le meeting prévu à cette occasion soit une démonstration de force, après celle de l’opposition dans cette ville. Suit l’énumération, désormais obligée, des « réalisations » du Président qui « ne compte pas s’arrêter en si bon chemin », ajoute le ministre. Tout le monde a compris l’allusion et désormais plus personne n’a de doute sur la volonté de l’homme du 6 Août de tripatouiller le texte fondamental, pour se maintenir au pouvoir. Pour peu, évidemment, qu’on lui en laisse latitude. Et c’est là le hic. L’opposition a déjà donné le ton : elle n’aura plus de contact avec le pouvoir tant que celui-ci n’aura pas désavoué ces ministres. Cela suffira-t-il pour dissuader le Raïs de poursuivre son travail de sape de la démocratie entamé en 2008 ? N’en faisons pas le pari et décrétons, plus sûrement, la mobilisation générale. Le Burkina Faso est là pour nous rappeler qu’en souci d’aises avec la Constitution, un apprenti-dictateur ne peut résister aux coups de boutoir d’une rue décidée à en découdre. Contrairement aux Congolais et aux Rwandais, les Burkinabé ne se sont pas laissé faire. Et nous ? Dans quelle catégorie veut-on se laisser classer ? Ceux qui n’en font qu’à leur tête doivent savoir que ce peuple a tellement souffert,  subi tant d’injustices, accumulé de frustrations qu’il n’a plus rien à perdre. Le retour de bâton risque de faire très mal à ceux qui le traitent, depuis si longtemps, en pâte molle, mouton bêlant, animal de trait, bonne à tout faire…
En attendant, commençons par indexer ceux qui appellent, ouvertement, à modifier la Constitution. Jetons-les à la vindicte populaire. Vouons-les aux gémonies.  Et qu’on ne nous dise, surtout pas, demain, que tout cela appartient au passé et qu’il faut savoir tourner la page. La page de 2019 sera sans Ould Abdel Aziz et les militaires. Ils doivent s’y préparer. Assurer une transition apaisée. Le plus dignement qu’il leur est possible. Un pari impossible ? Mais ce n’est pas un pari, c’est une nécessité. Historique.
                                                                                         Ahmed Ould Cheikh

dimanche 3 avril 2016

Editorial: Déminages


« Il y a », disait Samuel Langhorne Clemens, dit Mark Twain, « trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques ». Notre bouillant ministre de l’Economie, en plus de la maîtrise des statistiques dont il s’est fait une spécialité, commence à traîner une solide réputation de « cireur de pompes » du guide éclairé. Après ses fracassantes sorties devant la presse et au Parlement, où il martèle, à chaque fois, que « le pays se porte à merveille », que la baisse des prix du gasoil ne profiterait qu’à une minorité  qui dispose de voitures « dont personne ne sait comment elle les a acquises » et que les pauvres, qui peuvent « s’approvisionner, à prix réduits, dans les boutiques Emel, n’ont pas à se plaindre », le voilà qui nous sort une nouvelle et grosse boulette. C’était la semaine passée devant l’Assemblée nationale. Emporté par sa fougue, le voilà à déclarer, sans vergogne, qu’il faudrait bien « trois ou quatre mandats, à ce régime, pour achever le travail entrepris’’. Les rares députés de l’opposition présents protestent bruyamment.  Notre ministre statisticien fait comme si de rien n’était et continue sa tirade. Quelques jours plus tard, c’est au tour du ministre de la Justice de tenir les mêmes propos. Brahim ould Daddah, avocat, juriste et vieil habitué des prétoires, ne pouvait tomber dans de tels travers incidemment. Il y a lieu donc de se poser des questions sur ces deux sorties et leur timing. Deux ministres peuvent-ils impunément se présenter aux représentants du peuple pour leur demander, ouvertement, qu’on viole le texte fondamental qu’est la Constitution ? S’ils n’ont pas été expressément envoyés pour lancer le débat, pouvaient-ils se permettre de lancer un tel pavé dans la mare ? Pourquoi, à trois années de la fin de ce deuxième et réputé ultime mandat, poser un problème qui n’en est pas un, en fait ? Et pourquoi en ce moment précis ? Susciter des réactions, occuper le pays qui vit une crise sans précédent, lancer l’idée comme quoi rien n’est tabou, même le troisième mandat, préparer le terrain à une modification de la Constitution ? Il y a, en tout cas, anguille sous roche. A l’heure où la crise politique s’aggrave, de jour en jour, où le dialogue n’arrive pas à sortir de terre et où le Président fait, plus que jamais, cavalier seul, ignorant son opposition et méprisant ses soutiens, évoquer la question des mandats présidentiels relève, non seulement, de la bêtise mais frise, surtout, l’insolence. Venant de ministres en exercice, de telles déclarations  auraient suscité, ailleurs, une telle levée de boucliers qu’ils allaient être obligés de rendre leur tablier. Ailleurs, je veux dire : dans une démocratie un tant soit peu digne de ce nom. Où le chef n’est pas devenu chef par « rectification », pour ne pas dire coup d’Etat. Où son élection n’est entachée d’aucune irrégularité. Où ses ministres sont choisis sur la seule base de la compétence et de l’intégrité. Où la parentèle n’a pas droit de cité. Où le pays n’est pas géré, selon l’humeur et les désirs d’un seul homme qui reconnait, lui-même, être obligé, tel Superman, de tout vérifier et contrôler. Ne soyez donc pas surpris si, demain, un autre membre du gouvernement, le Premier ministre ou, même, le Président s’aventurent sur le terrain que deux ministres ont commencé à déminer. Entreprise hautement risquée, il serait toutefois bon de le leur rappeler. Et aléatoire, qui plus est : nul n’est à l’abri, en ces terrains apparemment rectifiés mais si peu constitutionnels et d’autant moins sûrs en conséquence, d’une ultime mine  oubliée…
                                                                                      Ahmed Ould Cheikh