lundi 21 mars 2016

Editorial: Qui sème le vent...

Le Rassemblement des Forces Démocratiques d’Ahmed ould Daddah, qu’on disait pourtant très affaibli, a réussi le tour de force d’organiser, il y a quelques semaines, un meeting qui a drainé des milliers de militants et sympathisants. Depuis, le pouvoir ne dort plus sur ses lauriers. Croyant, sans doute, que les dissensions, les sautes d’humeur et l’absence de consensus sur la question du dialogue, qui avaient déjà provoqué le « retrait » du RFD, allaient être fatales à l’opposition, il a été obligé de revoir ses plans dans l’urgence. Non seulement, l’opposition n’est pas morte mais elle est, encore, capable de mobiliser du monde. En grand nombre. Les meetings du FNDU et du RFD ont démontré que les populations en ont assez des promesses sans lendemains et ne manqueront plus une occasion de crier leur ras-le-bol. Et leur rejet d’une situation désormais invivable où le chômage, la hausse des prix, l’injustice, la paupérisation, la mainmise sur les ressources du pays sont le lot quotidien. Pour exprimer un mécontentement, devenu symptomatique d’un malaise général, tous les moyens sont bons : poésie, rap, réseaux sociaux, manifestations de rue, sit-in... Tout y passe pour vilipender un pouvoir que même les laudateurs les plus zélés rechignent à défendre. La faute à qui ? A un chef qui ne manifeste que mépris pour ses soutiens et ne leur concède ni dividendes ni prébendes. Et, pour ajouter au tumulte, l’opposition a décidé de délocaliser ses activités à l’Est, avec trois meetings à Néma, Aïoun et Kiffa. Depuis l’annonce de cette tournée du FNDU, c’est le branlebas de combat dans tous les états-majors. Les réunions de crise se succèdent. Les notables appelés à la rescousse, comme à Tintane il y a quelques semaines, lorsque Tawassoul a fait circuler l’information selon laquelle il allait y organiser un meeting. Deux ministres et plusieurs hauts responsables ont accouru pour contrer la rumeur. Mais, cette fois-ci, ce n’est plus un mais tous les partis du Front qui ont décidé de partir à l’assaut de l’Est.  Les autorités locales s’affolent. Les walis en personne appellent les ressortissants des différentes localités pour venir leur donner un coup de main. Alors qu’un meeting de l’opposition devrait être une manifestation normale de la démocratie et les autorités adopter une position de stricte neutralité, puisqu’elles représentent, non pas un parti, mais l’Etat, c’est tout l’inverse qui s’est produit. Le gouvernement a dépêché des ministres, des hauts fonctionnaires et des petits chefaillons pour tenter de diminuer l’impact de ces rassemblements, en organisant carrèment des meetings parallèles. Qui se sont soldés par des flops retentissants, aussi bien à Néma, à Aïoun qu’à Kiffa. Bien qu’on y ait distribué du poisson et de la viande, à tous ceux qui renonçaient à participer aux meetings de l’opposition. Une méthode éculée, déjà expérimentée à Nouakchott et qui n’a donné aucun résultat probant. Même au temps d’Ould Taya, jamais de telles méthodes n’avaient été utilisées. Pourquoi maintenant alors qu’aucune consultation électorale n’est en vue ? Pourquoi vouloir prouver, à tout prix et à quiconque, que l’opposition ne représente plus grand monde ? Qui se cache derrière ces manigances si peu démocratiques ? Pourquoi l’UPR, le parti au pouvoir et censé pendant de ces partis, n’est-il pas descendu sur le terrain pour « se battre » ? A-t-il été volontairement écarté ? Par qui  au profit de qui ? S’il s’agissait de mesurer la popularité des ministres envoyés au charbon, et, au-delà, celle du gouvernement, le constat est amer. Le bébé doit être jeté avec l’eau du bain. Jamais une équipe n’a atteint un tel degré d’impopularité. L’Est, jadis bastion imprenable du parti au pouvoir, quel qu’il soit, et terrain de prédilection des chefferies traditionnelles et autres notabilités, est en train de basculer. La raison en est simple : ses citoyens en ont assez d’être pris pour les dindons de la farce à qui l’on ne fait appel qu’à l’approche d’une élection approche. Et qu’on oublie, dès le dernier bulletin balancé dans l’urne. Ils l’ont d’ailleurs fait comprendre aux émissaires du gouvernement. Du vent, du vent, toujours du vent. Que dit le fameux dicton, messieurs les émissaires ? Qui sème le vent….
                                                                                                            Ahmed Ould Cheikh

dimanche 13 mars 2016

Editorial: De Charybde en Scylla


Il ne se passe pas un mois sans qu’un scandale vienne éclabousser le peu de respectabilité qui nous reste. Ghanagate, la balle « amie » de Tweïla, Wartsilagate, saisies répétées de drogues dures et douces, grâce présidentielle accordée aux trafiquants, évasions de prisonniers, réputés islamistes ou de droit commun, marchés de gré à gré, tout y passe. La déliquescence de l’Etat a atteint un tel degré que plus rien ne surprend, dans un pays désormais à la dérive.  Où tout se négocie, se vend ou se brade, en fonction des intérêts d’un cartel pour qui il n’y a pas de petits profits. Mais, avec les deux scandales qui ont éclaté, coup sur coup, cette semaine, la coupe est pleine. D’abord, l’affaire Senoussi. Ce qui était un secret de Polichinelle est devenu réalité, de la bouche d’un témoin qui assista au  témoignage du Premier ministre libyen. Qui n’a pas hésité à déclarer, devant les députés, avoir payé 200 millions de dollars, à la Mauritanie, en échange de Senoussi et qu’il était même prêt à puiser dans ses deniers personnels, pour récupérer l’ancien tout-puissant chef des services secrets, au temps de la dictature. Un député libyen vient, en effet, d’en faire état, dans un livre-témoignage sur les pratiques encours, sous la coupole du parlement libyen, depuis la chute de Kadhafi. Appelons donc un chat un chat : notre pays a bien négocié, comme dans toute opération commerciale classique, pour vendre cet hôte pas si encombrant que ça, finalement. Il en a récupéré 200 millions de dollars qui ont atterri partout… sauf dans les caisses de l’Etat. Dans un paradis fiscal, peut-être, où ils dorment toujours, en attendant qu’on vienne les chercher. Quelques mois auparavant, lors d’une rencontre avec la presse, Ould Abdel Aziz avait pourtant déclaré que Senoussi serait présenté à la justice et ne serait pas extradé. Avant de faire volte-face. Difficile de résister, évidemment, face à des arguments sonnants et trébuchants. Quitte à se dédire et à fouler du pied l’hospitalité légendaire de notre peuple.
Autre scandale jailli subitement : l’accord passé entre la Mauritanie et Al Qaïda au Maghreb Islamique, dont une copie fut récupérée (comme par hasard ?) dans les effets personnels de Ben Laden, par le commando américain qui l’assassina. Il nous informe qu’en vertu d’un gentlemen agreement, la Mauritanie n’attaquerait pas AQMI, avec la coalition formée par la France, pour libérer le nord malien en 2013 et lui verserait entre 10 et 20 millions d’euros par an, pour compenser le manque à gagner consécutif à la non prise d’otages occidentaux sur le sol mauritanien. En échange, AQMI s’engageait à ne plus attaquer la Mauritanie. Ould Abdel Aziz avait pourtant fait, de la lutte contre le terrorisme, son principal cheval de bataille, un des justificatifs de son coup d’Etat de 2008 et des moyens, énormes, accordés à l’Armée, avec la caution occidentale à son pouvoir. Il s’était même permis de jouer au héros, en s’attaquant à AQMI dans le septentrion malien, avec des résultats mitigés. Une expérience qui lui permit de se rendre compte qu’un ennemi fuyant comme celui-là n’est pas facile à vaincre et qu’un accord, même mauvais et scandaleux, une fois ébruité, vaut mieux que des commandos capables de frapper n’importe où, avec des risques certains de déstabilisation, pour son régime. L’argument selon lequel notre sécurité serait désormais assurée, grâce à un maillage serré du pays, à la mise en place de groupes spéciaux d’intervention, destinés à pourchasser les terroristes, l’achat à n’en plus finir d’équipements militaires, tombe ainsi à l’eau. De Charybde en Scylla, il reste quoi, alors?
                                                          Ahmed Ould Cheikh

samedi 5 mars 2016

EDitorial: Lettre ouverte à Madame Mercedes Vera Martin

Salutations distinguées,
Vous ne me connaissez pas. Vous n’avez peut-être jamais entendu parler de moi. Je me permets quand même de vous aborder.  Le sujet est d’une telle importance qu’il n’est désormais plus possible de se taire. Votre institution, le Fonds Monétaire International (FMI) vous a fait hériter du dossier Mauritanie en 2013. Je n’ai cessé de suivre, depuis, vos visites dans notre pays, vos déclarations et communiqués sanctionnant chaque mission.
Vous êtes arrivée en pleine période faste, marquée, notamment, par une hausse sans précédent des cours du fer qui permirent, à la SNIM et, par conséquent, à l’Etat, son principal actionnaire, d’engranger des recettes-records. Les entrées fiscales et douanières  étaient, elles aussi, au beau fixe. Mais, au fil du temps, la situation a changé du tout au tout. Les cours du fer ont plongé vers des abysses et les autres recettes n’ont pas compensé le manque à gagner. Vous deviez donc tirer la sonnette d’alarme.
Vous l’avez certes fait mais en termes tellement diplomatiques qu’on vous croit feindre d’ignorer l’ampleur de la crise que traverse notre pays. Votre dernier communiqué, publié il y a quelques semaines, évoque ‘’un environnement extérieur plus difficile’’,  ‘’les incertitudes accrues, au sujet des perspectives économiques mondiales, et les développements négatifs, sur les marchés mondiaux du minerai de fer [qui] ont beaucoup impacté l’économie mauritanienne et sont en train de modifier ses perspectives économiques’’. Après avoir fait preuve de beaucoup de complaisance, au cours des années passées, vous voilà rattrapée par l’amère réalité.
Ne vous êtes-vous  jamais interrogée sur où sont passés les fruits de la croissance de 5 à 6% que vos « experts » s’ingéniaient, chaque année, à nous faire avaler ? Pourquoi n’avez-vous jamais posé de questions sur les sept milliards de dollars que la SNIM a encaissés, entre 2010 et 2014, grâce à la hausse spectaculaire des prix du fer ? Sur le racket auquel s’adonne le fisc, provoquant la faillite de dizaines d’entreprises et sur l’off shore trusté par le clan ? Sur l’appauvrissement, continu, des couches les plus défavorisées ? La mainmise, sur le tissu économique, d’un cartel bénéficiant de passe-droits et d’avantages indus ? La multiplication des agréments bancaires délivrés en toute complaisance ? Les milliards du projet Emel, destinés, en principe, aux pauvres, et qui ne font qu’engraisser les mêmes parvenus ?
Madame,
Ignorez-vous qu’un seul et même opérateur importe 90% des besoins du pays, a droit à l’exclusivité des devises et ne paie, pour autant, que 10 % des droits de douane ? Un simple calcul permet, pourtant, de déceler la supercherie : devises octroyées contre droits de douane (im)payées.  Avez-vous seulement une idée de la dépréciation rampante de l’ouguiya ? Le dollar s’achetait 230 ouguiyas, en 2008. Il en consomme 350, actuellement, malgré la bonne tenue économique que vous vantez. Et la COFACE qui a décidé de ne plus garantir les prêts contractés par la SNIM ? Des lanceurs d’alerte anonymes avaient pourtant attiré votre attention, en vous transmettant des informations fiables sur la situation. Au lieu de les exploiter, pour aider le gouvernement à redresser la barre ou dénoncer les pilleurs, on n’ose imaginer ce que vous en avez fait.
Madame,
Vous êtes ressortissante d’Espagne, un pays qui a connu la misère et la pauvreté, au cours de la première moitié du 20ème siècle et même avant. Pensez, un instant, à ces enfants mauritaniens qui dorment le ventre vide, parce que leur gouvernement a été incapable de répartir les immenses richesses du pays, entre tous ses citoyens, et qui n’ont pas droit aux soins ni à une éducation digne de ce nom. Vous ne péchez ni par incompétence ni mauvaise foi. Vous pouvez encore vous rattraper, à moins que vous ne vouliez voir nos enfants devenir ‘’the Children’’ de la célèbre chanson visant à récolter des fonds pour l’Ethiopie.
Madame, les avantages dont vous bénéficiez et les honneurs dont on vous entoure justifient-ils de fermer les yeux sur tous ces dépassements ? N’avez-vous pas tiré une leçon de la  malheureuse expérience des faux chiffres de 2003 et 2004 que la Mauritanie communiquait à votre institution et que vos experts, censés bien formés, gobaient (incon)-sciemment ? Je n’arrive pas à imaginer que vous soyez, comme vos collègues, tombée dans le panneau, en prenant, pour argent comptant, les chiffres et tableaux qu’on vous communique, entre quatre murs ; sinon, entre la poire et le fromage.
Il est temps d’ouvrir les yeux ; de se rendre compte que les grands équilibres macro-économiques, dont le respect vous est un sacro-saint principe, ne veulent pas dire grand-chose, dans un pays comme le nôtre où l’informel est roi. Que signifie une croissance de 5, 6 ou 7% quand les salaires stagnent, les prix flambent, le chômage atteint des sommets, la pression fiscale, son comble, alors que les secteurs sociaux tombent à l’abandon ? Un simple constat aurait pourtant pu vous mettre la puce à l’oreille : qu’a fait l’Etat, des milliards de dollars engrangés, lors des années fastes pour le fer, l’or et le pétrole ? Détournés ou mal gérés, dans les deux cas, vous auriez dû vous alarmer. Si le gouvernement avait fait preuve d’un minimum de prévoyance, en pensant aux mauvais jours, il n’allait pas se retrouver dans d’aussi sales draps. Le choc  que l’économie mauritanienne connaît actuellement, et que vous reconnaissez à demi-mots, allait, sans aucun doute, être moins violent. C’est à votre institution qu’incombait la responsabilité de ne pas laisser faire, de rappeler que « gouverner, c’est prévoir ».
A présent que vous héritez d’une situation que seule une hypothétique hausse des prix du fer pourrait atténuer, qu’envisagez-vous ? Proposer une dévaluation de l’ouguiya qu’on vous soupçonne d’encourager vivement, au risque d’entraîner une paupérisation encore plus poussée de la grande majorité, celle qui vit avec moins de deux dollars par jour, et creuser, un peu plus, le fossé entre riches et pauvres? Faire appel aux emprunts extérieurs, pour aider l’Etat à assumer ses charges ? Emettre des bons du Trésor, pour rentrer de l’argent frais ?
Une chose est certaine : votre responsabilité sera sérieusement engagée, en cas d’effondrement économique du pays. Vous aurez gagné, au moins, sur un point, en apportant de l’eau au moulin de ceux qui croient, dur comme fer, que les institutions de Bretton Woods sont loin d’être la panacée ; pas plus que leur programme d’ajustement structurel et autres, des remèdes-miracles, pour des économies mal en point dont les principaux fossoyeurs ne sont, paradoxalement, que ceux-là mêmes censés veiller à leur bonne tenue. Et je vous dis tout cela, madame, sans aucune rancune. Mais si tristement, madame, si tristement…

                                                                              Ahmed ould Cheikh