lundi 29 février 2016

Editorial: Nourrir la vache avant de la traire

« Celui qui n’a pas le courage de se révolter n’a pas le droit de se lamenter », disait Che Guevara. Cette sentence du leader de la révolution cubaine et grand pourfendeur de l’impérialisme trouve tout son sens en Mauritanie. Où tout un peuple subit, depuis près de trente-huit ans, une dictature militaire qui ne dit pas son nom. Avale coup d’Etat sur coup d’Etat. Cautionne des mascarades électorales. Accepte d’être mené, comme un troupeau, par le premier étoilé qui dépose son compagnon d’armes. Se fait tuer et envoyer en prison pour des broutilles. Subit, sans sourciller, hausse ininterrompue des prix et pression fiscale. Voit ses maigres ressources et son patrimoine foncier dilapidés par une petite minorité qui n’a ni froid aux yeux ni minimum de pudeur. Observe avec fatalisme, sinon jalousie, le népotisme désormais érigé en mode de gestion et une gabegie qui a juste changé de camp. Assiste, impuissant, à la montée des médiocrités, au détriment des compétences. Trouve normal qu’on applaudisse le premier venu et qu’on voue aux gémonies celui qui n’est plus aux commandes. Un peuple qui fait, de la flagornerie, une vertu et, d’« Embrasse la main que tu ne peux couper », sa devise.  Un peuple toujours structuré, au 21ème siècle, sur une stratification sociale vieille de plusieurs siècles…
Un tel peuple peut-il se révolter ? A contrario de ce que pensait le  « Che », il se lamente pourtant sur son sort. Sur ses conditions de vie qui se dégradent de jour  en jour. Sur un taux de  chômage parmi les plus élevés du Monde. Sur les prix du gasoil qu’« on » refuse obstinément de baisser, malgré la dégringolade des cours du pétrole sur le marché international. Sur l’état de l’école publique qui ne reçoit plus que les fils de pauvres qui ne peuvent les envoyer ailleurs. Sur les structures sanitaires devenues des mouroirs, incapables d’offrir le minimum vital. Sur les entraves à la liberté d’association et d’expression. Sur l’absence d’assainissement. Sur la montée de la criminalité et de son corollaire, l’insécurité urbaine. Sur les prisons transformées en passoires.
Va-t-il continuer à se lamenter ainsi  jusqu’à l’infini ?  Quand se rendra-t-il compte qu’il ne peut laisser, à d’autres, toute latitude pour le mener par le bout du nez ? En bref, quand va-t-il se révolter, devenir enfin maître de son destin, choisir les meilleurs pour le diriger, enterrer ceux qui l’ont trahi et spolié, régler leurs comptes à ceux qui se croyaient impunis, et dire, enfin, non, basta ! Nous avons, largement, de quoi vivre et faire vivre, dans la dignité, trois à quatre fois plus d’habitants que nous sommes, aujourd’hui. Un million de kilomètres carrés, des ressources à gogo, en mer, sur terre et sous terre ! C’est bien le fonds qui nous manque le moins. Il nous demande, simplement, de cesser de nous situer toujours dans le besoin et l’urgence, dans l’incapacité d’agir avec méthode, de nourrir la vache avant de la traire, de lui construire un environnement lactogène, labourant, prenant de la peine…
                                                                 Ahmed Ould Cheikh

dimanche 21 février 2016

Editorial : Si les gens savaient…


Devant les difficultés qui s’amoncellent, le ras-le-bol, général, face à la hausse de prix des denrées de première nécessité, le refus obstiné du pouvoir de baisser celui des hydrocarbures, la crise politique qui perdure, la dévaluation rampante de l’ouguiya, les scandales financiers qui se répètent, Ould Abdel Aziz – « en plein désarroi », selon « Jeune Afrique » – n’a pas trouvé mieux, pour divertir l’opinion, que de lui offrir un énième remaniement ministériel. Où un tribalisme de bas étage a trouvé toute sa consécration. Jamais, même au temps de Maaouya où cette tare établit ses lettres de noblesse, on s’est autant engouffré dans la mouise. Un « dosage » qu’on pourrait qualifier de tout, sauf de savant, a prévalu lors du choix des remplaçants des cinq hommes débarqués du gouvernement. Dont personne ne sait ni pourquoi ils furent choisis, ni pour quels motifs ils ont quitté l’équipe gouvernementale. Non pas qu’on ne puisse imaginer les raisons qui ont présidé au choix des entrants. Il est une constante,  dans tous les régimes peu – ou prou –  démocratiques : choisir les hommes selon des critères subjectifs, les pressurer jusqu’à la moelle et s’en débarrasser à la première occasion. Depuis près de quarante ans, c’est la règle en Mauritanie où la fonction ministérielle a été tellement dévalorisée que tout un chacun, sensé ou non, peut y prétendre. La valse des ministres est devenue le sport-roi de nos dirigeants qui y trouvent, à chaque fois, l’occasion de divertir un peuple qui vit de ragots, de médisances et de rumeurs. Et la dernière tempête dans un verre d’eau n’a pas dérogé à la règle. Le peuple a eu quelque chose à se mettre sous la dent, pendant quelques jours. Mais avant qu’il ne revienne sur la terre et à ses soucis, on lui a, aussi sec, servi  un autre plat : le refus du Conseil constitutionnel de valider le projet de loi organique du gouvernement, prévoyant de renouveler, maintenant, deux tiers du Sénat et le dernier tiers dans deux ans. Réveillé subitement d’un long sommeil qui frôlait l’hibernation, ledit Conseil a recalé le projet de loi, au motif que tout le Sénat est périmé et qu’il faut donc le renouveler en entier. Rebelote donc !
Un nouveau projet de loi sera approuvé en Conseil des ministres, avant de passer par le Parlement, pour revenir, devant le Conseil constitutionnel, et nous voici reparti pour au moins deux ans de statu quo ! D’ici là, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts. Qui ne connaît pas ce Conseil peut, aisément, imaginer que celui-ci a normalement rempli sa fonction mais, ceux, nombreux, sans aucun doute sur son inféodation à l’Exécutif, douteront que sa décision ait été bâtie sur le Droit et rien que le Droit. D’autant qu’entre le Droit et le Non-droit, il y a le courbe, la courbette, le louvoiement, le zigzag, j’en passe et de plus louches encore...  
Autre pâture jetée à l’opinion : la promotion de six nouveaux colonels au grade de général. On en est, désormais, à dix-sept étoilés. Une inflation dont notre armée peut  bien se passer. Au Sénégal voisin, par exemple et pour rester dans une logique chère à nos gouvernants qui veut toujours nous comparer aux pays frontaliers, seuls sept colonels – quatre de l’Armée et trois de la Gendarmerie – en vingt-cinq ans, entre Senghor et Diouf, atteignirent ce firmament. L’armée sénégalaise est pourtant plus nombreuse que la nôtre et ses chefs beaucoup mieux formés.  Autre différence de taille avec ce voisin, démocratique s’il en est : Au Sénégal, le pays a son armée, républicaine, alors qu’en Mauritanie,  c’est l’armée qui a son pays : elle en fait ce qu’elle veut. En se donnant de grands airs. Je veux dire : des airs de grands. Forts. Puissants. Mais si les gens ouvraient, tout simplement, les yeux, ils ne tarderaient pas à comprendre « par quels petits hommes ils sont gouvernés ». Et « se révolteraient vite », ainsi que le prédisait Talleyrand, voici plus de deux cent cinquante ans. Mais, avec des si et des mais, ne mettrait-on pas, dans une même bouteille, Nouakchott, la Mauritanie entière et... toutes ses autruches, la tête obstinément plantée dans nos sables chéris, aussi piètrement dosés soient-ils ?

                                                                                   Ahmed Ould Cheikh


dimanche 14 février 2016

Editorial: Initiative de Transparence des Industries… Excitantes !

Ces dernières semaines, une nouvelle affaire de drogue vient de défrayer la chronique. L’arrestation de Sidi Mohamed ould Haïdalla et dix de ses complices a donné lieu, en l’absence de réaction officielle, à toutes sortes de rumeurs et de supputations sur les quantités saisies, leur provenance, leur destination, leur lieu de recel, leur prix, les personnes impliquées dans le juteux trafic… Déjà dans l’affaire de l’avion de Nouadhibou (qui avait, en 2007, débarqué clandestinement une importante cargaison de cocaïne sur l’aéroport de cette ville, avant, découvert, de décoller en catastrophe), Haïdalla-fils n’en est pas à son coup d’essai. Après avoir fui le pays, non sans avoir récupéré l’équipage de l’avion  posé en plein désert, Il avait été arrêté, quelques mois plus tard, au Maroc, et condamné à huit ans de prison. Rentré en Mauritanie l’année dernière, il s’est employé à reconstituer un réseau. Sans doute encouragé par l’impunité dont bénéficient les trafiquants en tous genres et de toutes nationalités précédemment arrêtés dans des affaires de drogue, il n’a plus en ligne de mire que les liasses de devises si bien palpées, dans un passé présent, et synonymes de gîte luxueux, confort, douceur de vivre. N’est-il pas en effet surprenant qu’entre le fameux avion de Nouadhibou, l’extradition d’Amegan et l’arrestation de ses complices locaux, en passant par le camion chargé de haschich saisi, à Lemzerreb, il y a environ trois ans (avec treize hommes à son bord), aucun individu impliqué dans un dossier lié à la drogue ne se trouve actuellement en prison. Si l’on exclut de petits dealers qui n’ont ni bras longs, ni portefeuilles garnis. Un miracle dont notre pays a le secret et qui commence sérieusement à agacer une opinion publique inquiète de l’immunité dont bénéficient les trafiquants et de la très peu flatteuse réputation de  « plaque tournante » du trafic de drogue dont on affuble, de plus en plus systématiquement, notre pays.
Devant le peu d’empressement du gouvernement à donner la moindre information sur ce qu’on considère comme la plus grande affaire de drogue qu’ait connue la Mauritanie – on parle, en effet, de deux tonnes de cocaïne et de centaines de millions de dollars ; le président de la République aurait même, dit-on, annulé son voyage en Egypte, pour suivre l’affaire de près… –   les réseaux sociaux s’énervent.  Le ministre de l’Intérieur et son homologue de la Justice montent alors aux créneaux, vendredi dernier. Patatras ! Les deux tonnes de cocaine se transforment en 1,3 tonne de résine de cannabis. Autrement dit, pas grand-chose.  Mais toujours pas un mot sur son origine, son cheminement, sa future destination, les complicités locales…
La Mauritanie a adhéré, voici quelques temps, à l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE), et organisé, il y a quelques jours, une rencontre internationale sur la transparence dans le domaine des pêches. Mais ce dont on aurait besoin, c’est plutôt une transparence en matière de drogue. Pas vraiment une industrie extractive, certes. Mais largement assez Excitante, Ebouriffante, voire Effervescente, tout de même, pour relever toujours du même ITIE !
                                                                                        Ahmed Ould Cheikh

dimanche 7 février 2016

Editorial: Auto, boulot, dodo...


e porte-parole du gouvernement l’a dit et répété : il n’y aura pas de baisse des prix du gasoil à la pompe. Malgré la chute des cours du pétrole sur le marché international et les protestations des citoyens, accablés par le coût, de plus en plus exorbitant, de la vie. Savez-vous pourquoi l’Etat mauritanien ne veut toujours pas céder sur ce point précis, a contrario de tous ses homologues du Monde ? Parce qu’il veut continuer à engranger des milliards – cent cinquante par an, dit-on… – sur le dos des contribuables ainsi forcés de passer à la caisse, à défaut de celle des impôts directs ? Parce que ses fins de mois sont désormais plus que difficiles, à cause, entre autres, de l’écroulement des cours du fer et de l’or ? Parce que, comme la cigale, il n’a fait que chanter, lors des années d’abondance, oubliant que le plus dur était à venir ? Ou, tout simplement, parce qu’il méprise ses citoyens, à qui il fait avaler n’importe quoi, sachant, pertinemment, que le danger ne viendra ni de la rue ni d’une opposition amorphe. Autant d’arguments, dont certains tirés par les cheveux, je vous l’accorde, qui auraient pu expliquer le statu quo. Et dont aurait pu s’inspirer le si peu inspiré ministre de la Communication. Qui n’a pas trouvé mieux, pour expliquer le refus de l’Etat de baisser les prix des hydrocarbures, d’arguer de ce que cette baisse « ne bénéficierait qu’aux riches ». Pour s’approvisionner en « matières premières », les pauvres ont, selon lui, les boutiques Emel et où chacun  a droit quotidiennement à  un kilo de riz, un kilo de sucre et 200 cl d’huile de mauvaise qualité. Et des charrettes pour se déplacer, aurait-il pu ajouter.
« Il faut tourner sept fois sa langue dans sa  bouche avant de parler », conseille un fameux dicton. Un adage que devraient bien méditer nos vaillants ministres. Il y a quelques années, un d’entre eux, en charge de l’Education, avait déclaré, devant l’Assemblée nationale, que « notre système éducatif est plus performant que celui de la France ». Un scoop qu’il tenait, accrochez-vous bien, de Cridem! Le ministre des Finances, lui, est bien plus catégorique. Lors de la présentation de la loi des finances 2016, il a, pince-sans-rire devant les honorables députés, affirmé que l’Etat honore tous ses engagements, au moins sur le plan intérieur, et n’a, donc, aucune dette envers ses fournisseurs. Les parlementaires et les rares téléspectateurs qui regardent encore la Télé Vide de Mauritanie (TVM), en ont ri. De bon cœur, parce qu’ils sont mauritaniens. Mais jaune, pour tous ceux – la masse des petits salaires – qui voient chaque jour partir, en fumée de gasoil, le tiers de leur paie... pour seulement monter et descendre au boulot, à peu près à l’heure… 
                                                                   Ahmed Ould Cheikh  

lundi 1 février 2016

Editorial: Pas assez africains, plus assez sahariens ?

Le dialogue politique inclusif verra-t-il jamais le jour ? Les deux camps réussiront-ils à transcender leurs divergences, pour s’asseoir autour d’une table ? Surmonter les barrières qui les séparent et discuter, enfin ? A supposer qu’ils réussissent cet exploit, ce qui, au vu des appréhensions des uns et des autres, paraît, aujourd’hui, difficilement envisageable, se mettront-ils d’accord et pour quelle fin ? La Mauritanie doit être le seul pays de la planète Terre où le Président appelle au dialogue du bout des lèvres, sans y croire le moins du monde, et où l’opposition s’écharpe pour des vétilles, le long d’un parcours semé de trahisons, coups bas et défections. Ce qui explique qu’elle n’ait jamais réussi, a contrario du Sénégal voisin ou du Niger, à assurer la moindre alternance. Et, dans l’hypothèse où  elle aille au dialogue auquel appelle Ould Abdel Aziz, il y a des fortes chances qu’elle s’y présente plus que jamais divisée.  Pour ce qui est du seul RFD, jugé le plus anti-dialoguiste du FNDU, une tendance favorable au dialogue sans préalables est partie lancer son propre parti. Obtenant son récépissé, avant même de déposer son dossier de reconnaissance, disent les mauvaises langues, quand des formations comme le RAG ou les FPC, attendent, depuis des années, le fameux sésame qui leur permettra d’exercer normalement leurs activités politiques. Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Une manœuvre destinée à affaiblir le parti d’Ahmed ould Daddah qui en a déjà pourtant vu bien d’autres ? Un tremplin pour certains, pressés d’aller à la soupe ? Il y a, en tout cas, anguille sous roche. La facilité déconcertante avec laquelle l’Alliance Nationale Démocratique (AND, le nouveau parti d’Ould Moine) s’est fait reconnaître et a commencé ses activités a laissé plus d’un observateur pantois. Comme pour rendre la monnaie de leur pièce, à ceux qui l’ont porté sur les fonts baptismaux, ce parti s’est immédiatement proclamé favorable au dialogue, sans préliminaires ni préalables. Real polilitic, version mauritanienne.
Un réalisme à l’africaine ? Dans son message radiotélévisé du  samedi 28 Novembre, Joseph Kabila, chef de l’Etat de la RDC, a annoncé la convocation d’un « dialogue politique national inclusif », sans précision de date ni de lieu. Et de lancer un « ultime appel », à ceux qui hésitent encore à rejoindre cette voie des négociations  et donner, ainsi, chance à la « relance du processus électoral ». Combien de fois Ould Abdel Aziz se sera-t-il dit, lui, favorable au dialogue ? Au festival des villes anciennes, dans ses rencontres avec la presse ou avec tel ou tel leader politique, c’est chaque fois la même rengaine. Qui vole en éclats, dès que l’opposition demande des garanties ou qu’au moins, la réponse à sa plateforme lui soit transmise officiellement et par écrit.
Les opposants congolais semblent moins procéduriers. Mais pas moins suspicieux, supputant que Kabila  s’emploie à entretenir le fameux dialogue jusqu’à la fin des mandats des deux chambres puis, à moins d'un an de la date-butoir pour l'organisation de la présidentielle, les prolonger – ainsi que le sien – plusieurs années. Indéfiniment. Les Congolais appellent cela « les palabres ». Naguère, chaque village africain avait son arbre à tel enseigne. Il l’a souvent conservé. Au Sahara où les arbres étaient rares – on en a plus, aujourd’hui, mais aucun encore assez vieux et vénérable pour prétendre à ce titre – nous avions, tout de même, « l’assemblée qui lie et délie », noue et dénoue, tricote et détricote, file et défile le tapis des rencontres et des jours… Alors, pas assez africains et plus assez sahariens pour se regarder autrement qu’en chiens de faïence ?
                                                                                       Ahmed Ould Cheikh