dimanche 24 janvier 2016

Editorial: Y a pas d’lac à Nouakchott…


Mais la Mauritanie est désormais la « Suisse de l’Afrique » : un pays stable, doté d’infrastructures modernes, avec un taux de croissance à deux chiffres, sans aucun analphabète, où la démocratie fonctionne à plein régime, où l’école produit une élite de choix. Vous ne rêvez pas. Vous n’avez pas, non plus, de bourdons aux oreilles. L’affirmation, gratuite cela va sans dire, est d’un jeune loup du camp qui nous gouverne, sans doute emporté par un zèle qui lui a déjà fait dire beaucoup d’autres âneries. 
Peut-on se comparer à la Suisse, ce modèle de bonne gouvernance, quand notre Président se vante, à la première occasion, d’avoir construit quelques kilomètres de routes bitumées ? Quand on a autant d’eau et de terres fertiles et importer encore menthe et salade ? Quand notre capitale est découpée en concessions rurales au seul profit de quelques appétits voraces ? Quand, après cinquante-cinq ans d’indépendance, Nouakchott n’a toujours pas le moindre réseau d’assainissement ? Quand tous les papiers d’état-civil, de l’extrait d’acte de naissance au passeport, sont vendus aux citoyens ? Quand, malgré une chute de 70% des prix du pétrole depuis Juin 2014, l’Etat refuse, systématiquement, de baisser d’une ouguiya le prix des hydrocarbures à la pompe, au moment où, au Mali voisin, un pays enclavé qui s’approvisionne à partir du port de Nouakchott, les consommateurs ont déjà eu droit à trois ristournes. Quand, au lieu d’encourager le privé et lui trouver des marchés et des partenaires, l’Etat le concurrence, en investissant à l’aveuglette. Quand des centaines de nos brillants cadres préfèrent émigrer pour ne pas se noyer dans la médiocratie. Quand on a plus de banques que le Maroc ou le Sénégal, pour une population d’à peine trois millions et demi d’habitants, et un taux de bancarisation extrêmement faible, parce que chacun veut avoir sa propre banque. Quand, rien qu’à Nouakchott, on a plus de pharmacies que de dispensaires, d’hôpitaux et de cliniques réunis. Quand toutes les rues et façades de maisons sont transformées en boutiques, dans la plus totale anarchie.  Quand on entre au pays  comme on entre au cinéma, en s’acquittant d’un ticket d’entrée à la frontière. Quand on vend les écoles l’année qu’on a pourtant proclamée de l’Education. Quand tout un chacun, même illettré, peut se prévaloir du titre de journaliste, se faire reconnaitre  comme tel, interviewer le Président et prétendre à l’aide publique. Quand, depuis près de quarante ans, l’Armée  fait main basse sur le pouvoir et refuse de le lâcher. En bref, peut-on être la Suisse quand on est aussi mal barrés ? Heureusement qu’on n’a pas d’lac à Nouakchott : on y aurait mis le feu, au moins depuis 1978…
                                                                  Ahmed Ould Cheikh

Editorial: Bonne année pour les autruches?


Il est de coutume, quand une nouvelle année commence, de faire des vœux. Prêtons-nous donc au jeu. Prions pour que 2016 soit meilleure que 2015. Pour que le climat général soit moins morose. Que la situation économique s’améliore. Que les prix du fer et de l’or redressent le nez.  Qu’il y ait moins de vols, de viols et de braquages. Que les routes soient moins dangereuses. Que l’agriculture donne, enfin, un riz de bonne qualité. Que l’hivernage soit bon. Qu’il y ait moins de gabegie ou qu’elle soit moins sélective. Que Polyhone  Dong plie bagages. Que les sociétés d’Etat soient mieux gérées. Qu’il y ait moins de chômage des jeunes. Que le Trésor public puisse faire face au service de la Dette et aux engagements de l’Etat. Que le Président voyage moins souvent et plus utilement. Que les anciens militaires soient moins présents dans la vie de tous les jours. Qu’on ne parle plus de dialogue ou d’Oum Tounsi. Pour que l’Accord de Dakar soit enfin appliqué.  Que l’Assemblée nationale et le Sénat ne se réunissent plus. Que les ministres soient, enfin, des responsables et non plus seulement des exécutants.  Que les mairies ne soient plus des coquilles vides. Que la zone franche de Nouadhibou réussisse à attirer des investisseurs. Qu’il n’y ait pas de nouveaux agréments bancaires. Que le fisc arrête de pressurer les sociétés privées au-delà du raisonnable. Que nos structures de santé ne soient plus des mouroirs. Que nos médecins et nos enseignants soient plus consciencieux. Que les rapports de l’IGE et de la Cour des comptes soient suivis d’effets. Que les prévaricateurs ne soient plus réhabilités à la pelle. Qu’il n’y ait plus autant de népotisme et de tribalisme. Qu’il y ait moins de détentions arbitraires et de dénis de justice. Que Biram ould Abeïd et Brahim ould Ramdhane retrouvent la liberté. Que tous les partis politiques soient autorisés. Que l’opposition comprenne, enfin, combien sa démarche sert plus le pouvoir qu’elle ne le dessert.  Et l’on pourrait allonger la liste des vœux à l’infini. Tellement de choses clochent, en effet, qu’il serait illusoire de les énumérer une à une.
Aussi bizarre que cela puisse paraitre, nous devons être le seul pays au Monde où les problèmes essentiels sont occultés au profit d’autres totalement inutiles. Au moment où nous éprouvons des problèmes de survie, où tous nos secteurs vitaux battent de l’aile, où nos comptes sont vides, où une minorité pille nos maigres ressources, on continue à débattre d’un hypothétique dialogue avec des questions  surréalistes. Avec qui faut-il dialoguer ? Faut-il exiger du pouvoir une réponse écrite à la plateforme de l’opposition ? De quoi faut-il discuter et sous quelle forme ? Une situation kafkaïenne qui en dit long sur nos incertitudes. De quoi discutent les autruches, lorsqu’elles s’enfouissent, de concert, la tête dans le sable ? Figurez, ma chère, qu’hier soir, le Président m’a dit… – Non ? – Si ! Ah, le dialogue inclusif… Et de papotages en coups de pied dans le popotin, les années passent, et leurs bons vœux, comme des rêves…tandis que s’appesantit une menaçante réalité, concoctée, ailleurs, par des prédateurs autrement plus lucides… 
                                                                                             Ahmed ould Cheikh