dimanche 29 novembre 2015

Editorial: Lettre à Ould Abdel Aziz


Monsieur le président, Depuis quelques mois, pour ne pas dire quelques années, on ne parle plus que de dialogue entre vous et votre opposition. Vous vous êtes toujours déclaré prêt pour un ‘’dialogue franc et sincère’’. Vous l’avez dit et répété lors de vos conférences de presse et lors de vos prises de parole en public. Vous avez même désigné un de vos hommes-liges pour servir d’interface avec cette opposition.  Qui ne vous a pourtant pas cru sur parole. En signe de bonne volonté, elle n’a pourtant pas demandé la lune. Elle a juste exigé  que votre émissaire réponde par écrit à ce qu’elle considère comme des préalables indispensables avant de passer aux choses sérieuses. Un écueil qu’il n’arrive pas à franchir malgré sa simplicité. Vous auriez pu lui dire de répondre à cette requête, si votre souhait était réellement de voir ce ‘’dialogue franc et sincère’’ sortir de l’ornière. Mais cela semble être le cadet de vos préoccupations. Vous avez fini par donner l’impression que vous ne jouez pas le jeu, telle une équipe qui mène au score et attend tranquillement la fin du match. A aucun moment, à part vos déclarations, qui ne dépassent apparemment celui de l’intention, vous n’avez fait un geste de nature à instaurer la confiance avec vos adversaires et à décrisper la scène politique. Vous auriez pu les inviter à s’asseoir avec vous autour d’une table, discuter de la situation du pays, poser ses vrais problèmes et se mettre d’accord sur un processus électoral d’où personne ne sera exclu. Vous ne serez pas moins président qu’avant et le respect qu’on vous devra n’en sera que plus grand. Mais vous avez préféré l’entêtement, refusant la moindre concession ou la moindre déclaration apaisante. Comme lorsque ce journaliste vous demanda, lors d’une rencontre avec la presse, de dire ouvertement aux mauritaniens que vous n’êtes pas candidat à un troisième mandat, vous avez parfaitement éludé la question, passant du coq à l’âne. Comment voulez-vous que l’opposition vous accorde le moindre crédit dans ces conditions et accourt pour prendre part  à un dialogue dont vous-mêmes n’êtes convaincu ni de la pertinence, ni de l’utilité dans un pays pourtant en crise.
Pire,  dans votre souci d’exclure un peu plus ces partis, dont le seul tort est de ne pas être tendre avec votre gestion  chaotique du pays, vous vous êtes choisi une opposition, dite modérée et  sur mesure, avec laquelle vous avez dialogué en 2011. Vous vous êtes mesuré à elle et vous l’avez massacrée en 2013 et 2014. Et c’est ce qui vous convient tout compte fait. Des modérés (dans votre entendement) qui se laissent battre facilement, n’élèvent pas trop la voix  et qu’il n’est pas très difficile de calmer. Mais cette fois la coupe est pleine. La crise vous rattrape après des années d’abondance au cours desquelles vous avez  dormi sur vos lauriers et dilapidé un pactole, dont une partie au moins aurait dû être mise de côté pour les années de vaches maigres comme celle que nous vivons et celles qui nous attendent. Vous avez senti subitement que vous avez besoin de cette opposition que vous méprisez. Va-t-elle se méprendre de nouveau sur votre compte ? Et vous aider à sortir de ce mauvais pas ? Un fort courant au sein d’elle refuse de se prêter à ce jeu et une grande partie de l’opinion lui donne raison. La balle est désormais dans votre camp. Faites un effort !  Si vous vous sentez réellement incapable de vous surpasser  pour reconnaitre que vous faites fausse route et que l’entêtement est toujours mauvais conseiller, achevez votre mandat, comme vous l’avez commencé, sous le signe de la crise et rendez votre tablier. Notre pays a besoin de connaitre enfin une situation apaisée, une élection transparente et une démocratie véritable qui ne sent pas les militaires à mille lieues. Si ce n’est trop vous demander.
Un dernier conseil : Evitez pendant qu’il est encore temps le syndrome Wade. L’ancien président sénégalais, qui s’est trop accroché au pouvoir, est sorti par la petite porte et son fils, dont le goût pour les affaires est un secret de Polichinelle, croupit actuellement en prison, après avoir été condamné à rembourser l’argent amassé indûment et à une forte amende.
Avec mes sentiments distingués.
                                                     Ahmed Ould Cheikh

dimanche 22 novembre 2015

Editorial: Lettre à l’opposition

Messieurs,
Il n’est peut-être pas dans les usages qu’un journaliste s’adresse à l’opposition mais l’heure est grave. Et il ne serait pas superflu que quelqu’un prenne son courage à deux mains pour vous dire tout haut ce qu’on commence à penser de vous tout bas.

Depuis près de six mois, la scène politique vit au rythme de vos réunions marathon, du passage de témoins à votre direction, des états d’âme de vos leaders, de votre incapacité à adopter une position commune pour ou contre le dialogue avec le pouvoir. En six mois, vous n’avez pas avancé d’un pouce, donnant l’impression que vous faites du surplace. Vous devez pourtant être échaudés par les expériences passées pour ne pas perdre tout ce temps dans ces querelles byzantines. Vous avez été floués en 2009 après les Accords de Dakar dont le seul volet relatif à la présidentielle a été respecté et encore. En 2011, vous avez été éliminés au profit d’une ‘’opposition’’ plus conciliante pour donner à l’opinion publique l’image d’un groupe de radicaux qui refuse obstinément  de s’asseoir autour d’une table de négociations. En 2013, le pouvoir a fait un point d’honneur de vous diviser pour vous empêcher de participer à des élections, dont l’issue était certes connue d’avance, mais qui vous auraient permis de siéger à l’Assemblée nationale et aux conseils municipaux. Malgré tous ces coups bas, vous n’avez toujours pas pris conscience que vous êtes en train de devenir les dindons de la farce. Sur quoi vous allez encore dialoguer ? Et avec qui ? Avec celui qui n’a pour vous aucune considération et vous traite de vieillards croulants ? Avec celui qui ne vous prend que pour un refuge de gabegistes recyclés ?  Avec celui qui a été le premier à fouler au pied les accords signés pourtant devant la Communauté internationale ? Avec celui qui vient d’achever la première année de son deuxième mandat, qui  dispose d’une confortable majorité à l’assemblée et peut donc voir venir?
Arrêtez de prendre vos désirs pour de la réalité ! Regardez la réalité en face et posez-vous ces questions : A quoi servira un dialogue dans ces conditions ? Va-t-il sortir le pays de la récession vers laquelle il se dirige tout droit ? Va-t-il l’aider à payer ses dettes ? Va-t-il résorber le chômage qui atteint des proportions catastrophiques ? N’est-il que de la poudre aux yeux pour vous détourner des problèmes essentiels et occuper l’opinion ? A-t-on déjà vu dans une démocratie une opposition consacrer l’essentiel de son temps et de son énergie à discuter de la meilleure façon de répondre aux propositions de dialogue d’un pouvoir quel qu’il soit?
De grâce, cessez ces futilités ! Battez-vous sur un autre terrain. Implantez vos partis et renouvelez leurs instances. Mobilisez vos militants. Critiquez la gestion. Démontrez son danger pour le pays. Faites des propositions concrètes. Organisez des meetings, des marches et des sit in. Dénoncez, preuves à l’appui,  la mainmise sur le pays. Bougez. Faites-vous entendre. Ne restez pas éternellement entre quatre murs à vous chamailler pour des banalités. Vos militants, las d’attendre, ne résisteront plus longtemps à l’appel des sirènes. Même si objectivement le pouvoir travaille pour vous,  et grossit chaque jour un peu plus le rang des mécontents, la nature a horreur du vide. Et, à force de vider les lieux, vous finirez par vider vos propres rangs. Alors de grâce ressaisissez-vous !
Aux dernières nouvelles, votre forum serait au bord de l’implosion, ayant été incapable de faire prévaloir le consensus. Ce serait la pire des choses qui puisse vous arriver. Que serait notre démocratie, déjà balbutiante, sans une opposition forte et soudée ?
A trois ans de la fin de l’actuel mandat, les grandes manœuvres ont déjà commencé et il serait suicidaire de rater encore une fois le train.
A bon entendeur !

                                                                                                      Ahmed ould Cheikh

dimanche 15 novembre 2015

Editorial: Indignez vous...ensemble

Ould Abdel Aziz a-t-il un (plusieurs ?) problème(s) avec les privés mauritaniens ? Ou,  du moins, certains d’entre eux : ceux qui n’entrent pas dans le moule qu’il s’est forgé. Ceux qui ne lui obéissent pas au doigt et à l’œil. Ceux dont les intérêts croisent le fer avec les siens ou avec ceux de ses proches. Il y a, en tout cas, comme un malaise et des hommes d’affaires,  jadis frileux, ne s’en cachent plus. Le président du Patronat, jusqu’alors très prudent, gérant ses relations avec Aziz sans faire de vagues, malgré les coups qu’il a pris, est sorti de sa réserve, la semaine dernière, lors d’une cérémonie à la Chambre de commerce.  Il a fustigé, en termes à peine voilés, l’absence de concertation entre l’Administration et le secteur privé, le harcèlement auquel les services fiscaux exposent les opérateurs économiques et  l’ingérence, inacceptable et grave, de « certaines » autorités, dans les opérations de renouvellement des instances du Patronat national. Ahmed Baba ould Aziz demandera, par la même occasion, la fin de l’immixtion des pouvoirs publics dans les prérogatives des commissions de passation de marchés, la fixation d’une durée, précise (et raisonnable), pour le paiement des créances du secteur privé auprès de l’Etat, et le strict respect de ces délais. La coupe était, donc, suffisamment pleine pour que le Patronat, généralement très soucieux de ses intérêts et évitant, autant que faire se peut, une confrontation avec les pouvoirs publics qu’il se sait incapable de remporter, sorte ainsi de sa réserve et dénonce une situation devenue chaotique.
Ou, vue sous un autre angle, trop exagérément orientée : le président de l’Association des maires de Mauritanie est un ancien colonel, tout comme le président de la Fédération des éleveurs ; un général défroqué est également pressenti, pour la Fédération de l’agriculture dont les instances seront renouvelées sous peu… A ce rythme, toutes les fédérations du Patronat finiront dans l’escarcelle d’anciens militaires. Le patron des patrons a raison de s’indigner et nous avec. Les économistes de tous bords sont d’accord sur un seul point : il ne peut y avoir développement sans un capital national fort, capable de créer des richesses et de susciter la croissance. Avec la mainmise de l’Etat sur certains secteurs (transport aérien et terrestre, BTP, assurances …), la Mauritanie post-2008 va à contre-courant des principes économiques de base et… du bon sens, tout simplement.
Ahmed Baba aurait pu ajouter que cette politique est en train de démontrer ses limites. Les sociétés publiques croulent sous le poids des dettes. L’Etat est en cessation de paiement et n’a plus les moyens d’honorer ses engagements. Serons-nous assez sages pour reconnaître que nous avons fait fausse route  mais qu’il n’est pas trop tard pour faire machine arrière ? « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », disait Descartes. Mais pas en Mauritanie où l’entêtement tient plutôt de méthode de gouvernance. A ceci près qu’à entêté, entêté et demi : l’indignation des patrons serait-elle compatible, ne serait-ce qu’un temps, avec celle des syndicats, voire de l’opposition ? De fait, si forum et front partagent la même initiale, il n’y a qu’un pas de l’un à l’autre. Et ce serait, alors, beaucoup pour un seul homme… aussi entêté soit-il.  
                                                                                                      Ahmed Ould Cheikh

dimanche 8 novembre 2015

Editorial: Contre vents et marées


Le Calame fête  son millième numéro. Mille numéros ! Mais avec le numéro 0 qui entama la série, un fameux 14 Juillet 1993, c’est bel et bien mille-et-une nuits fiévreuses, mille-et-un exercices hebdomadaires, mille-et-un combats contre l’arbitraire et l’injustice, pour la démocratie, l’égalité, le respect des droits de l’Homme. Mille numéros : que de chemin parcouru, depuis le numéro zéro ! Cinq jeunes, tout aussi insouciants les uns que les autres, avaient décidé de lancer, ensemble, un journal totalement indépendant, avec, pour seuls moyens, la ferme conviction que la liberté d’expression ne se décrète pas mais s’arrache. Ils en firent les frais. Le journal sera saisi une trentaine de fois et fermé sept mois, au total des quatorze années de démocratie de façade, octroyée par Maaouya, pour se maintenir au pouvoir en de nouveaux atours. Quand d’autres, découragés par tant d’injustice, décidaient de jeter l’éponge, jamais, au Calame, nous n’avons songé, ne serait-ce qu’un instant, à rendre nos tabliers.
Combat  de longue haleine… Il fallait avoir le souffle long pour que l’imbécilité n’ait pas raison de l’idéal. Feu Habib nous disait toujours, pour remonter le moral de l’équipe : « Tenez bon ! Ils partiront. Nous, nous resterons ». Il ne croyait pas si bien dire. Maaouya et son régime ont été, finalement, balayés par la première bourrasque et, avec eux, les baillons, la censure, la saisie des journaux. Oui, nous avons tenu bon ! Et nous avons gagné. Mais seulement une bataille. Malgré les sacrifices, les censures et l’ostracisme qui nous avaient si durement frappés, ceux qui ont pris, depuis, possession de notre pays ne nous ont jamais témoigné la moindre gratitude. Nous ne demandons, certes pas, qu’on nous tresse des lauriers – ce n’est pas dans nos habitudes – mais le bon sens aurait voulu qu’on ait droit à un minimum de reconnaissance.
Serait-ce trop demander au dernier (?) avatar du système Maaouya de considérer une presse qu’il ne parvint jamais à amadouer ? Vingt-quatre ans de « démocratie » n’ont pas amélioré notre situation. Si la censure a été abolie, en vertu de la nouvelle loi sur la presse, votre journal est toujours frappé d’exclusion. Il est banni, de fait, de toute activité officielle (voyages présidentiels, conférences de presse, rencontres avec les journalistes etc.) et ce, depuis un certain 6 Août 2008 de triste mémoire. Pourquoi, selon vous ? Parce qu’on a dit non à un coup militaire contre un président civil. Parce qu’on continue à soulever les sujets qui fâchent. Parce qu’on refuse de prendre pour argent comptant un discours populiste qui ne trompe plus personne. Parce qu’on dénonce l’enrichissement d’une petite minorité et l’appauvrissement de tout un peuple. Parce qu’on dit non aux avantages inconsidérés accordés à l’Armée, au détriment du reste du pays. Parce qu’on rejette l’érection, en méthode de gouvernement, du népotisme et du tribalisme. Parce qu’on considère que l’injustice, les inégalités et le communautarisme peuvent menacer jusqu’à notre existence. Parce que nous avons décelé, dans le bradage du foncier, une volonté manifeste de faire main basse sur des zones idéalement placées. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, tant il y a d’infamies dont la seule évocation donnerait un haut-le-cœur aux âmes les moins sensibles. C’est pour toutes ces raisons que Le Calame continuera d’exister. Contre vents et marées.
                                                                                   Ahmed Ould Cheikh

dimanche 1 novembre 2015

Editorial: Obligation de paraître


Tam-tam 2 n’a finalement pas eu lieu. Prévue initialement le 20 Octobre, la conférence a été reportée sine die. Faute de combattants ? Face au refus, systématique, de l’opposition de ne plus cautionner une autre mascarade, le pouvoir n’a pas sans doute pas  jugé productif de se donner de nouveau en spectacle, à la limite du ridicule, avec des partis de la majorité, quelques opposants persuadés d’avoir découvert le Saint Graal, des ONG cartables et beaucoup de troubadours écumant les couloirs du Palais des congrès, pendant une semaine, pour un résultat quasi nul.  La déclaration finale de Tam-tam 1 avait, pourtant, fait l’objet d’une large médiatisation et ses participants, chauds comme pas un, s’étaient donné rendez-vous le 20 Octobre, persuadés que l’opposition n’aurait autre solution que de prendre le train en marche. Pourtant, la CUPAD, où Boydiel multiplie les gestes de bonne volonté à l’égard du pouvoir, malgré l’hostilité manifeste de Messaoud,  avait refusé de se prêter au jeu, si toute l’opposition n’y participait pas. Son président a multiplié les rencontres, pour  faire fléchir les uns et les autres, sans aucun résultat apparent. Personne, à part les mêmes, ne s’est manifesté pour prendre part au bal. Du coup, Ould Abdel  Aziz a préféré renvoyer tout le monde dos à dos.
Il a, de fait, bien d’autres chats à fouetter : la situation économique qui lui donne des sueurs froides. Les recettes budgétaires qui se réduisent comme peau de chagrin. Le prix du fer  qui chute vertigineusement. Les sociétés d’Etat au bord de la faillite, si ce n’est déjà fait. L’agonie de la Santé. Le tableau noir de l’Education. Que faire ? Dialoguer ? Mais avec qui ?  Vendre les écoles ?  A qui ? Aux mêmes, qui ne sont jamais loin et qui ont fait main basse sur l’Ecole de police et le Stade olympique, pour des miettes qu’ils ne vont certainement pas payer ? Envoyer des militaires en Arabie saoudite, contre un peu de liquide, et faire taire les Koweïtis, de plus en pressants derrière une dette contractée il y a quelques années et qui, sous l’effet conjugué des agios et de l’irrespect des échéances, s’est transformée en boulet ?
Voyez-vous notre guide éclairé accorder, dans ces conditions, la moindre importance au dialogue ? Sans l’opposition, ce serait, certes, du gâteau mais si fade et coûteux, à défaut d’être goûteux. Avec elle, et en position de si grande faiblesse, du piment à s’arracher le veston, jusqu’aux galons et étoiles, peut-être, que notre défroqué tient précieusement sous sa jaquette civile. On n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. Bref, pas question de risquer l’étiquette d’homme fort de Nouakchott. C’est l’atout-maître, aux yeux de beaucoup, notamment de nos partenaires occidentaux, et, à moins d’être assuré du contrôle d’un éventuel chaos, nul doute que l’argument demeure la pierre d’angle du pouvoir actuel. Mais cette quasi-obligation de toujours paraître  ce qu’on n’est déjà plus, si souvent exprimée en intransigeance coupante, n’est-ce pas, en définitive, un aveu de faiblesse ? La vraie et dramatique limite d’une prétendue volonté de dialogue ?  
                                                                                  Ahmed Ould Cheikh