dimanche 14 décembre 2014

Editorial : La foi de Mokhtar


Depuis quelques semaines et à l’occasion du 54ème anniversaire de notre indépendance nationale, une campagne de dénigrement systématique est menée, sur plusieurs fronts, contre feu Mokhtar ould Daddah, le premier président de ce pays et son fondateur ex nihilo. Il est tout à fait compréhensible qu’on ne soit pas d’accord sur le parcours de l’homme, sa politique, sa façon de diriger, les décisions, qu’il a prises : nul n’est infaillible. Aucun homme, quel qu’il soit, n’a jamais fait l’unanimité chez lui. Le proverbe ne dit-il pas à juste titre que ‘’nul n’est prophète en son pays’’ ?  Comment pourrait-il en être autrement d’un homme que la modestie étouffait et dont toute l’action a été guidée par un désintérêt total pour les biens de ce bas monde ?
Il a fait l’objet de critiques et c’est tout à son honneur de dire qu’il a reconnu ses erreurs et essayé de les corriger. Reconnaissons-lui, au moins un mérite : celui d’avoir cru en ce pays et de s’être battu pour qu’il voie le jour, dans un environnement plus que défavorable. Il avait, certes, le soutien de l’ancienne puissance coloniale mais qui pouvait prétendre diriger, à l’époque, quelque territoire de l’ancien empire français sans le soutien de l’Hexagone ? Et, si les Français l’ont installé sur le « trône », il n’en a pas moins essayé de voler de ses propres ailes. Il a renoncé à la subvention française, dite d’équilibre budgétaire, pour permettre au pays de vivre et fonctionner par ses propres moyens. Il a nationalisé la MIFERMA, révisé les accords avec Paris et fondé une monnaie nationale. Quel dirigeant africain a le courage, de nos jours, de prendre une seule décison de ce genre ?
Mokhtar n’avait qu’un seul objectif : consolider l’indépendance de la Mauritanie et lui donner voix au chapitre. Et il a réussi, au-delà de toute espérance. Que ce soit au sein de l’Organisation africaine, dont il fut l’un des fondateurs, à la Ligue arabe ou au Mouvement des non alignés, la voix de notre pays n’avait rien à voir avec son poids réel. Il a combattu le sionisme, l’apartheid et les colonisations portugaise et espagnole en Afrique, avec la dernière énergie. Les leaders palestiniens, sud-africains, cap-verdiens ou bissau-guinéens étaient accueilis à Nouakchott, avec tous les honneurs et avaient droit à des passeports mauritaniens, pour ceux qui le demandaient.
Le président fondateur possédait aussi une qualité dont il peut, seul, se prévaloir, parmi tous les autres chefs d’Etat, d’ici ou d’ailleurs : le désintéressement. Les milliards qui lui furent offerts, à titre privé, furent automatiquement reversés au Trésor public. Si bien qu’à son départ du pouvoir, il n’avait, pour tout bien, qu’une villa à Nouakchott, construite grâce à un prêt bancaire et qui sera confisquée, par les militaires, pendant de longues années.
Qui dit mieux ? Qui d’autre que lui peut se prévaloir d’un tel bilan ? Qui d’autre que lui a porté aussi haut les couleurs de notre pays ? Il serait assurément exagéré de dire que l’homme n’avait que des qualités. Il avait aussi ses défauts, comme tout être humain, et a fait des erreurs dont une, au moins, la guerre du Sahara, fut fatale à son pouvoir. Mais avait-il le choix ? La guerre ne lui a-t-elle pas été imposée ?
Alors, à quoi rime toute cette campagne ? Quel intérêt a-t-on à houspiller les morts ? Même si l’on n’est pas en phase avec les fondateurs de notre pays, pour des raisons idéologiques ou plus terre-à-terre, reconnaissons-leur, au moins, qu’ils avaient un idéal et qu’ils y ont cru. Ce qui, par les temps qui courent, ne court pas les rues. Avant même d’être un homme de bonne religion, Mokhtar ould Daddah était un homme de foi. L’un allait avec l’autre et ceux qui s’acharnent à salir sa mémoire ne prouvent, seulement, que leur propre incapacité à entendre le sens de cette conjonction. Fondamentale, pourtant, dans l’établissement de notre nation. Et ce n’est pas peu dire…
Ahmed Ould Cheikh

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